Image de la semaine | 24/06/2019
Exploitation du sel de sources salées sortant d'un diapir de Trias dans les montagnes basques
24/06/2019
Résumé
Les salines de Salinas de Añana, pays basque espagnol, des “marais salants” sur pilotis.
Depuis des millénaires, l'humanité exploite du sel (halite, NaCl), pour ses besoins physiologiques (et celui de ses animaux), pour ses qualités gustatives, pour la conservation des aliments, et, depuis le XIXe siècle, pour l'industrie chimique. Ce sel est souvent extrait de l'eau de mer par évaporation (dans des marais salants, cf. La fleur de sel, une forme cristalline de la halite (chlorure de sodium), lien avec les trémies et cubes de sel), de lacs endoréiques salés (cf., par exemple, Les évaporites de la Vallée de la Mort (Californie) et Un exemple de salar : le salar d'Atacama, Chili), de l'exploitation de couches de sel par des mines classiques ou par des injections d'eau douce ressortant salée (cf. Les mines de sel de Bex, canton de Vaud (Suisse) : anhydrite, gypse et sel), ou de l'exploitation de sources salées naturelles (ou obtenues par forage). On récupère souvent le sel contenu dans ces eaux salées “continentales” en chauffant et en faisant bouillir l'eau avec des feux, comme c'était pratiqué au XVIIIe siècle dans les salines d'Arc-et-Senans (Doubs) en utilisant les eaux salées de Salins les Bains (Jura), et comme c'est encore pratiqué dans les salines de Salies-de-Béarn.
À Salinas de de Añana (pays basque espagnol), des sources salées sortent naturellement à l'aplomb d'un diapir du Trias supérieur. De l'an −5000 à l'époque romaine, ce sel était exploité en utilisant l'évaporation par ébullition de l'eau dans des grandes jarres chauffées au feu de bois ; des restes de ces jarres ont été retrouvés par les archéologues. Depuis l'époque romaine, ce sel est exploité par évaporation dans des petits bassins artificiels en terrasse, bâtis en bois, sur pilotis, avec le simple effet du soleil et du vent. Le fond de ces bassins est imperméabilisé par de l'argile (et depuis peu par du carrelage). Ces bassins sont alimentés par des “rigoles”, sortes de canaux en bois d'une dizaine de centimètres de large, descendant depuis les sources situées en haut de la vallée. Le sel empêche le bois des rigoles et des bassins de pourrir. Avec des hauts et des bas dépendant des vicissitudes historiques, ce sel a été exploité avec ces mêmes méthodes depuis 2000 ans. Il est actuellement produit par une association, qui, en plus, restaure les bassins et leur système d'alimentation en eau. Ce site a reçu en 2015 le grand prix de l'héritage culturel européen (prix décerné par l'UE), et a été retenu en 2018 par la FAO (agence de l'ONU) comme Système du Patrimoine Agricole Mondial (SPAM). Il est ouvert à la visite : Valle Salado de Añana.
L'eau des sources est très salée, de 200 à 250 g de NaCl par litre, contre 35 g/L pour l'eau de mer “normale”. Chaque bassin d'évaporation a une surface moyenne de 10 m2 (105 cm2). Si on remplit ces bassins de 100 litres d'eau salée (105 cm3), cela forme une couche d'eau salée d'1 cm d'épaisseur. En été, s'il fait beau, ce centimètre d'eau s'évapore en 2 ou 3 jours laissant environ 20 kg de sel sur le sol du bassin. En 2018, vu le nombre de bassins en service et vu la météo estivale, environ 200 tonnes de sel ont été produites.
Nous allons maintenant faire une visite de ces salines et étudier (rapidement) sa géologie. Cette visite a été effectuée mi-mai 2019, après une semaine légèrement pluvieuse, et alors que la mise en évaporation des bassins avait à peine commencé : peu de bassins contenaient du sel. Une visite en août aurait montré un aspect bien différent de ces salines.
Les sources salées de Salinas de Añana sont situées sur la limite Nord-Ouest d'un diapir, principalement constitué de gypse et de halite, datant du Trias supérieur. Des eaux circulant dans cette masse d'évaporites se chargent de NaCl avant de sortir en amont de la vallée de Salinas de Añana. Halite et, dans une moindre mesure, gypse étant solubles, aucun affleurement de halite ou de gypse n'est visible dans le secteur, et le sous-sol, quand il affleure, est constitué des résidus insolubles laissés sur place par la dissolution des évaporites, ce qu'on appelle le cap-rock. En plus des argiles, les seules roches visibles sur place, et utilisées pour faire murets et bâtiments, viennent de ce cap-rock. Ce sont principalement des basaltes et des cargneules. Les cargneules sont des brèches tectoniques mélangeant intimement gypse et calcaire dolomitique. Ces roches sont souvent caverneuses, car le gypse a souvent été dissout, ainsi que les zones les plus dolomitiques solubles dans les eaux sulfatées. La présence de cargneule montre qu'à côté du gypse (et du sel), du calcaire dolomitique a été sédimenté au Trias et a été en partie entrainé vers le haut lors de l'ascension du diapir. Il se peut aussi que du calcaire dolomitique post-triasique se soit trouvé sur le chemin du diapir lors de son ascension et ait été englobé et “cargneulisé” dans la suite de l'ascension. On trouve aussi des blocs de basalte, datant du Trias supérieur, souvent à structure doléritique, et connu localement sous le nom d'ophite. Ces ophites sont communes dans les Pyrénées, et correspondent à des coulées et surtout des sills basiques interstratifiés dans le Trias supérieur. Ces ophites sont maintenant rattachés à la Central Atlantic Magmatic Province (CAMP, cf. Le dyke basaltique d'âge mésozoïque de Brenterc'h (Finistère Nord) : un marqueur excentré de la province magmatique géante CAMP, précurseur de l'ouverture de l'océan Atlantique central), province magmatique géante de même ampleur que celle ( du Crétacé terminal-Paléocène basal) du Dekkan ou que celle (du Permien terminal-Trias basal) de Sibérie. Cette CAMP serait responsable de la grande extinction Trias / Jurassique.
Et, contrairement à ce qui est souvent le cas en France dans les sites géologico-industriels ou miniers, la géologie n'est pas complètement oubliée par les gestionnaires et les guides du site.
Et puisque les vacances approchent, si vous allez en vacances au pays basque ou aux environs, Planet-Terre vous a déjà proposé de nombreuses curiosités géologiques, où l'on peut voir :
de la tectonique
- Un anticlinal abritant une crèche-bergerie : la grotte d'Harpéa, Estérençuby (Pyrénées Atlantiques),
- Des p'tits plis, des p'tits plis, toujours des p'tits plis, Saint Jean-de-Luz, Pyrénées Atlantiques,
- Zumaia (pays basque espagnol) : là où l'érosion marine joue avec les couches sub-verticales des flyschs yprésiens (Éocène inférieur),
- Le gypse triasique de Bidart, Pyrénées Atlantiques,
de la sédimentologie
- Failles affectant une série marno-calcaire montrant des cycles astronomiques de type Milankovitch, Zumaia, Espagne,
- Les flyschs du Crétacé-Tertiaire du Pays Basque : slumps et méga-slumps, turbidites et méga-turbidites...,
- Les boules gréseuses (paramoudras) de l'Éocène du Jaizkibel (Pays basque espagnol),
- Quand les grès de l'Éocène inférieur (Yprésien) du Pays basque espagnol (Mont Jaizkibel) imitent le gothique flamboyant,
la limite Crétacé-Paléogène (ou K-T)
du volcanisme
de la morphologie karstique
des discordances
des traces de dinosaures
Bonnes vacances !