Image de la semaine | 05/09/2016
Les flyschs du Crétacé-Tertiaire du Pays Basque : slumps et méga-slumps, turbidites et méga-turbidites...
05/09/2016
Résumé
Turbidites et sédiments pélagiques des flyschs du Pays Basque, observations en baie de Loya (Lohia), à Zumaia et à Sopelana (banlieue de Bilbao) de cette formation liée à l'ouverture du Golfe de Gascogne.
photos 2013
Entre Biarritz et Bilbao, le long des 120 km de côtes basques, affleure une formation connue sous le nom de « flyschs du Pays Basque ». Il s'agit d'une épaisse pile sédimentaire datant du Crétacé supérieur (Albien-Cénomanien, 110 Ma) au Paléocène-Eocène (Yprésien, 55 Ma). Cette série est constituée à 80% de turbidites, et à 20% de sédiments pélagiques. Les turbidites sont elles-même constituées d'alternances de grès (calcaires ou silico-clastiques) et de marnes. Chaque banc de grès correspond au dépôt d'une avalanche sous-marine, dépôt s'étant effectué en bas d'une pente sous-marine.
La baie de Loya (également orthographié Lohia) au Nord-Est d'Hendaye (Pyrénées Atlantiques) était célèbre pour son affleurement de la couche d'argile riche en iridium matérialisant la limite KT (Crétacé-Tertiaire). Des éboulements (en 2005) ont masqué cette limite KT. Mais les sédiments qui affleurent sont malgré tout dignes d'intérêts. L'essentiel des sédiments est constitué de ces flyschs. Mais plusieurs types de niveaux remarquables sont inter-stratifiés dans ces alternances de marnes et de grès. Il y a plusieurs niveaux de méga-slumps. Il s'agit de couches de 1 à 5 m d'épaisseur constitués de brèche, brèche de morceaux de strates calcaires souvent plissées et emballés dans une matrice marneuse présentant elle-même des évidences de plissements. Ces couches remarquables sont interprétées comme le résultat du glissement sur une pente de couches de calcaires fins et de marnes, encore molles et gorgées d'eau, et ce juste après leur sédimentation. En glissant dans la pente, elles se sont plissées et "émiettées". Elles ravinent à leur base les couches sous-jacentes qui, elles, sont parfaitement "tranquilles" et non déformées, et sont recouvertes par des marnes qui ont continué à se déposer sur ces brèches, après qu'elle se sont immobilisées.
Nous vous montrons, ci-dessous, quatre autres zooms sur ce méga-slumping que la tectonique pyrénéenne a basculé de 40°.
En plus des traces de méga-slumping, on trouve parfois interstratifiées dans les couches "usuelles" de la baie de Loya des couches de brèches très grossières remaniant des fragments anguleux décimétriques à centimétriques. Ces fragments sont constitués de roches de couleurs variées appartenant au vieux socle paléozoïque ibérique : schistes verts et rouges d'âge permien, schistes sombres du Carbonifère, quartzites grises, etc.
Il s'agit là de très grosses avalanches sous-marines correspondant à l'écroulement de falaises entières de socle, qui affleuraient à l'air libre ou dans les parties hautes de la pente sous-marine dominant le bassin des flyschs. Au passage, ces "méga-turbidites" ou "débrites" ont raclé des dépôts calcaires à peine consolidés posés sur la pente, et en ont emporté des fragments "mous" avec elles. Ces brèches sont surmontées en continuité par des grès grossiers granoclassés de plus en plus fins, qui deviennent identiques aux grès usuels du secteur (texte inspiré de T. Juteau, Excursion Pays basque, CBGA, 2013).
Quand on se promène le long de la côte basque entre Biarritz et Bilbao, on peut voir différents types de turbidites, en particulier de très nombreux bancs gréseux bien granoclassés. Des cas d'école ! Ce granoclassement est un très bon critère de polarité, les éléments grossiers étant à la partie inférieure de la couche. Savoir où est « l'ancien bas » d'une couche est très utile dans des régions comme le Pays Basque qui a subi une intense tectonique durant la phase tectonique pyrénéenne à l'Éocène (cf. Zumaia (pays basque espagnol) : là où l'érosion marine joue avec les couches sub-verticales des flyschs yprésiens (Éocène inférieur) et Des p'tits plis, des p'tits plis, toujours des p'tits plis, Saint Jean-de-Luz, Pyrénées Atlantiques.
En dehors des "monstres" que sont les méga-slumps et les méga-turbidites, il y a des milliers et des milliers de couches de grès turbiditique (grès calcaire ou silicoclastique) dans ce Crétacé supérieur – Paléocène basques. Certaines de ces couches révèlent de très belles structures internes allant du slumping pur aux convolutes pures. Les figures de slumping sont des "minis-plis" dus au glissement "non destructeur" d'une couche molle et gorgée d'eau sur une pente. Les convolutes sensu stricto sont des déformations causées par l'enfoncement d'une couche de sable meuble relativement dense dans une couche de boue sous-jacente particulièrement molle et peu dense. Très souvent, ces deux types de déformation (glissement et enfoncement) se font en même temps et séparer les deux composantes est très difficile. Slumpings et convolutes très souvent n'affectent qu'une couche (ou ensemble de couches) sans déformer les couches inférieures (ni bien sûr les couches supérieures qui n'étaient pas encore déposées lors de ces mouvements). Nous vous montrons des photos prises dans quatre sites, deux à Zumaia, en Espagne, et deux à la baie de Loya, en France.
Seuls 80% du Crétacé supérieur / Paléocène basques possèdent ce caractère turbiditique, mais 20% sont des sédiments purement pélagiques, car parfois de longs intervalles de temps s'écoulaient entre deux avalanches-glissements sous-marins alors que la "pluie" sédimentaire continuait. C'est pendant ces moments de sédimentation continue purement pélagique qu'ont pu être enregistrés les cycles de Milankovitch (cf. Failles affectant une série marno-calcaire montrant des cycles astronomiques de type Milankovitch, Zumaia, Espagne). Et c'est pendant l'un de ces moments de sédimentation continue purement pélagique qu'ont eu lieu les évènements de la limite Crétacé-Tertiaire, qui ont été enregistrés au moins en trois endroits sur cette côte basque.
Il faut se demander dans quel environnement ont pu se déposer ces sédiments turbiditiques du Crétacé supérieur et du Paléocène. Ils se sont déposés dans des bassins marins relativement profonds (quelques centaines de mètres), bordés, au moins au Sud, d'une côte, côte possédant parfois (mais pas toujours) des reliefs sources de matériel détritique relativement grossier.
Mais quelle est l'origine de ces bassins profonds qui n'existaient pas au Crétacé inférieur ? Jusqu'à la fin du Crétacé inférieur (à l'Aptien), ni l'océan Atlantique plus au Nord que l'Espagne, ni sa dépendance appelée Golfe de Gascogne n'existaient. L'Ibérie était une grande ile séparée d'un ensemble Armorique-Massif Central par une mer épicontinentale très peu profonde avec iles, récifs coralliens… C'est sur la côte Sud de cette mer épicontinentale que gambadaient des dinosaures (cf. La route des dinosaures de La Rioja (Espagne)). C'est à partir de l'Albo-cénomanien et jusqu'au Campanien que le mouvement des plaques sépara l'Ibérie du reste de l'Europe, la déplaça par un coulissement sénestre de plusieurs centaines de kilomètre vers l'Est et généra une forte extension à l'Ouest du dispositif. Cette extension entraina l'ouverture du Golfe de Gascogne, avec fabrication de lithosphère océanique et d'une marge continentale entre l'Ibérie et le fond océanique du Golfe de Gascogne. Des sédiments turbiditiques se déposèrent sur cette marge. À l'extrémité orientale du Golfe de Gascogne, cette extension n'entraina pas la fabrication de lithosphère océanique, mais seulement l'amincissement de la lithosphère continentale, et donc de sa croûte. Cet amincissement de la croute continentale, isostasie oblige, entraina une subsidence importante, la formation de bassin(s) et leur remplissage par des sédiments parfois pélagiques et surtout par des sédiments turbiditiques, les fameux flyschs basques. La subsidence (et la sédimentation) de ces bassins continua après la fin de l'extension et au début de la convergence qui a suivi, car ses bassins ont fonctionné en bassins flexuraux. Il y a continuité entre la sédimentation dans ces bassins et sur la marge. La remontée de l'Afrique vers le Nord qui devient importante à partir de 50Ma e ntraina le plissement de tout le remplissage de ces bassins.
Source - © 2013 D'après Asier Hilario, modifié