Image de la semaine | 05/11/2018
Les cristallisations de halite (NaCl) dans et autour de l'étang de Lavalduc, Bouches du Rhône
05/11/2018
Résumé
Saumure et cristaux de sel, saumoducs et stockage d'hydrocarbures.
Il existe cinq étangs plus ou moins salés dans le triangle Martigues - Fos-sur-Mer - Istres (Bouches du Rhône), triangle limité au Sud par la Méditerranée et au Nord-Est par l'étang de Berre : les étangs de l'Estomac, du Pourra, de Citis, d'Engrenier et de Lavalduc, le plus grand des cinq. Ce dernier (l'étang de Lavalduc, où ont été prises toutes les photographies présentées ici), très peu profond, mesure 2,5×1,7 km et couvre une surface de 354 ha. Il correspond au point (à l'air libre) le plus bas de France, puisque sa surface est située 9 à 10 m sous le niveau de la mer. L'eau y est en général saturée en sel, soit une teneur de 360 g/L (contre en moyenne 35 g/L pour l'eau de mer). Comme l'eau est saturée, à chaque fois que le grand soleil ou le Mistral évapore 1 litre d'eau de cet étang, il s'y dépose 360 g de sel. Ce sel cristallise au fond de l'eau, où il forme des “tapis” de cubes de 1 à 10 mm de côté. Il cristallise aussi autour des tiges et autres brindilles qui poussent (ou ont poussé) au fond et qui dépassent à la surface de l'eau. Deux raisons peuvent expliquer cette croissance de cristaux de sel à la surface autour des tiges et brindille : (1) les vagues et la capillarité “mouillent” les tiges quelques millimètres ou centimètres au-dessus de l'eau. Si ces tiges mouillées sèchent, elles se recouvrent d'une croûte de sel ; (2) l'évaporation engendre la précipitation de sel (cf. La fleur de sel, une forme cristalline de la halite (chlorure de sodium), lien avec les trémies et cubes de sel) formant un voile de micro-cristaux qui flottent en surface par temps chaud et sec, quand il y a seulement une légère brise. Si le vent forci, les vagues un peu plus importantes font “couler” au fond ces micro-cristaux. Mais avant de couler, ils peuvent se déplacer, et être accrochés par les tiges qui dépassent. Et quelle que soit leur origine, ces cristaux autour des tiges servent de germes de nucléation qui favorise la cristallisation.
La hauteur de l'eau dans cet étang varie avec les saisons mais aussi et surtout avec les activités industrielles de nombreuses sociétés (dont la compagnie Les Salins du Midi qui en est le propriétaire, la société Géosel…). Ces sociétés utilisent l'étang de Lavalduc (et aussi l'étang voisin d'Engrenier) comme réserve-tampon de saumure, la puisant ou au contraire la stockant en fonction de leurs besoins. Des canaux plus ou moins salés y débouchent aussi, comme la Roubine du Moutonnier.
L'eau et le fond de cet étang ont une belle couleur rosée, due à des archées, très vraisemblablement Halobacterium salinarum, archées qui contiennent deux pigments rose-orangé : la bactériorhodopsine et la bactériorubérine.
Mi-septembre 2018, le niveau de l'étang de Lavalduc était relativement bas. On pouvait y voir tous les phénomènes de cristallisation ayant lieu durant ce mois de septembre dans l'eau de la bordure de l'étang (les 6 figures précédentes et les 8 qui suivent) mais aussi des cristallisations de sel plus anciennes faites plus haut sur la plage quelques semaines ou mois auparavant, quand le niveau de l'eau était plus élevé. On n'y voit sans doute plus que les cristallisations suffisamment importantes pour avoir été épargnées par les rares pluies de l'été 2018 (figures 15 à 21). Dans ces deux cas, on voit alors très bien diverses formes de cristaux de sel, et toutes montrent que le sel cristallise dans le système cubique. On peut comparer ces cristallisations en cours ou vieilles de quelques semaines seulement avec celles qu'on peut trouver dans les marais salants ou d'autres lacs (cf. La fleur de sel, une forme cristalline de la halite (chlorure de sodium), lien avec les trémies et cubes de sel), dans des roches phanérozoïques (cf. Pseudomorphoses de sel), voire dans des roches archéennes vieilles de 2,5 Ga (cf. Empreintes anciennes de halite (pseudomorphoses) en Afrique du Sud et milieux actuels de sédimentation d'évaporites en Égypte et en Grèce).
En septembre 2018, le niveau de l'étang était relativement bas. On pouvait voir une bande de plage exondée dominant la surface de l'eau de quelques décimètres. Cette surface exondée en septembre devait être immergée quelques semaines ou quelques mois auparavant, et beaucoup de sel s'y est déposé, en particulier autour de tiges et de touffes de plantes halophiles, ainsi qu'autour d'un petit arbre mort. Les grandes quantités de sels associées à ces plantes n'ont pas été totalement dissoutes par les pluies tombées entre la dernière exondation et ce 17 septembre 2018. Cela forme des paysages miniatures étranges faisant plus penser à des dépôts de givre et de glace qu'à des dépôts de sel.
Les deux étangs communicants, les étangs de Lavalduc et d'Engrenier correspondaient avant les aménagements humains à deux petits bassins endoréiques (sans exutoire) connectés, alimentés en eaux douces par le ruissellement des eaux pluviales tombant sur leurs (petits) bassins versants, et alimentés en eau de mer à chaque fois qu'une forte tempête faisait entrer l'eau de mer par-dessus le cordon littoral fermant au Sud l'étang d'Engrenier. Des exploitations artisanales de sel y avaient lieu avant le XIXème siècle. Au XIXème siècle, le sel y fut exploité par des salines importantes, bien figurées sur la carte d'état-major datant des années 1850. Cette même carte signale des canaux artificiels (reliant ces étang vers la mer au Sud et vers tout un système de canaux creusés dans la plaine de la Crau au Nord), des pompes et des “portes”, indiquant que l'hydrologie et le niveau de ces étangs était déjà complètement régulé par l'homme. L'exploitation industrielle des salines fut abandonnée en 1910, car le tremblement de terre de 1909 (cf. Le séisme de Lambesc du 11 juin 1909 : contexte géologique et structural du dernier "gros" séisme de France métropolitaine) détruisit tout le système de canaux qui les reliait à la Crau.
La crise de Suez en 1956 fit prendre conscience à la France de sa vulnérabilité en cas de crise dans l'approvisionnement en hydrocarbures. On chercha donc des sites (si possible souterrains) où stocker plusieurs mois de consommation. Le forage en cavités creusées (après dissolution) dans d'épaisses couches de sel était l'une des possibilités géologiques de stockage souterrain. Il suffit en effet de faire un forage atteignant le milieu d'une épaisse couche de sel, d'y faire circuler de l'eau qui, par dissolution, va creuser une cavité pouvant faire de 100 000 à 600 000 m3. Le sel étant (théoriquement) étanche, on peut alors remplir ces cavités avec des hydrocarbures liquides ou gazeux. Entre 1962 et 1967, des études géologiques montrèrent que les épaisses couches de sel d'âge oligocène du bassin de Manosque-Forcalquier pouvaient se prêter à un tel usage. Trente cavités de ce type furent aménagées juste au Nord de Manosque (Alpes de Haute-Provence) par la société Géosel entre 1967 et 2007 ; elles peuvent contenir au total 9,2 millions de m3 d'hydrocarbures, liquides, soit environ 10 % de la consommation française annuelle de pétrole. Des installations de même type (7 cavités) furent creusées à partir de 1993 à quelques kilomètres à l'Est dans les mêmes couches de sel par la société Géométhane, pour y stocker des hydrocarbures gazeux.
Pour fabriquer ces cavités, il fallait beaucoup d'eau, qu'on pouvait par exemple prendre dans la Durance voisine. Mais on ne pouvait pas rejeter les eaux salées (saumures) ressortant des puits de forage dans l'environnement. On construisit donc des saumoducs[1] de Manosque jusqu'à l'étang d'Engrenier (connecté avec l'étang de Lavalduc) où étaient rejetées ces saumures. En parallèle à ces saumoducs, on construisit des pipe-lines depuis les raffineries de l'étang de Berre jusqu'à Manosque pour le transport des hydrocarbures. Une fois les cavités creusées, il fallait qu'elles soient toujours remplies et maintenues sous forte pression hydrostatique, pour que le fluage du sel (le sel est une roche très ductile) n'en réduise le volume. Si, donc, on enlevait des hydrocarbures, on injectait dans la cavité un volume équivalent de saumure. Et si on rajoutait des hydrocarbures dans la cavité, il fallait en évacuer un volume équivalent de saumure. Les saumoducs permanents et des pompes permettent ce transport de Manosque aux étangs (et vice versa), étangs qui servent donc de réservoirs-tampons de saumure. Ces transferts de saumure Manosque - étangs sont actuellement la principale cause de variation de niveau de ces étangs.
Le complexe étang de Lavalduc - Manosque est un bel exemple pour faire réfléchir et travailler les élèves (1) sur la sédimentation évaporitique actuelle et ancienne, (2) sur les métiers de l'ingénieur liés aux sciences de la Terre, et (3) sur les problèmes d'indépendance énergétique.
Source - © 2018 Géosel
[1] Saumoduc : littéralement, qui conduit la saumure, comme un aqueduc conduit de l'eau et un gazoduc du gaz. Les saumoducs n'ont pas été inventés seulement à l'époque industrielle, car de tout temps les hommes ont cherché à transporter du sel. Par exemple, au début de règne de Louis XVI, un saumoduc de 21 km de long fut construit entre les sources salées (sortant du Trias supérieur) de Salins-les-Bains (Jura) à Arc-et-Senans (Doubs) où fut construite une Saline Royale, saline qui profitait de la proximité de la forêt de Chaux pour se procurer le bois nécessaire pour faire bouillir l'eau salée et récupérer le sel.