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Les terrils des Télots, témoins d'anciennes exploitations de schistes bitumineux dans le bassin permien d'Autun (Saône-et-Loire)

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Ancien site pétrolier “non conventionnel” en Bourgogne et argilites carbonées fossilifères d’un bassin tardi-hercynien.



La France n'a pas la réputation d'être un pays pétrolier, et encore moins de pétrole “non conventionnel” comme les schistes bitumineux. Et pourtant, quand on se promène au Nord d'Autun (Saône-et-Loire), on voit, visibles de loin, deux terrils coniques d'une centaine de mètres de hauteur et qui font plus penser au bassin houiller du Nord de la France qu'à la campagne bourguignonne. Jusqu'en septembre 2023, on voyait aussi une haute cheminée d'usine (abattue depuis cette date). En s'approchant de ces terrils, on découvre des ruines d'installations industrielles. Ces terrils ne sont pas les restes d'anciennes mines de charbon, mais d'anciennes « mines de pétrole », ou plutôt de « schistes bitumineux ».

Ce qui est couramment appelé « schistes bitumineux » sont des roches sédimentaires à grain fin, contenant de grosses molécules carbonées dont le mélange est appelé kérogène. Pour simplifier, il s'agit des mêmes molécules qui, si elles avaient subi une diagenèse plus poussée (température plus haute), auraient atteint la « fenêtre à huile » et seraient devenues du pétrole. Si ces grosses molécules sont en quantité importante, elles peuvent, après chauffage et distillation, fournir du pétrole et du gaz en quantité suffisante pour que ce soit exploitable. Le nom de « schistes bitumineux » prête à confusion, car pétrologiquement parlant, ces roches ne sont pas des schistes, mais des pélites ou des argilites carbonées.

On peut raconter comme suit l'histoire industrielle du site, d'après les pages Mines des Télots et Gisement de schiste bitumineux d'Autun.

Le gisement, datant du Permien inférieur, est découvert en 1813 à Igornay et l'extraction commence en 1824 sur cette commune. De l'huile de schiste est produite de façon industrielle dès 1837 pour l'éclairage public de plusieurs grandes villes dont Paris et Lyon. Pour cela, le schiste est concassé puis chauffé et distillé à une température comprise entre 450 et 500°C dans un espace confiné, privé d'air (et donc sans dioxygène). Les volatils qui s'en échappent sont alors condensés pour obtenir une substance liquide proche du pétrole. En 1847, l'« huile lampante autunoise » est confrontée à la concurrence du gaz de houille (le gaz d'éclairage des fameux « becs de gaz »), mais la production repart rapidement à la hausse. Les années 1864 et 1865 sont marquées par une période d'apogée pendant laquelle les actionnaires obtiennent un bénéfice de 30%. De telles périodes exceptionnellement bénéficiaires étaient rares. En 1865, 6 700 tonnes d'huiles sont extraites à partir des schistes bitumineux avec une vingtaine de sites d'extraction et seize usines de traitement. À partir de la fin du XIXe siècle, le schiste est extrait jusqu'à 300 m sous terre. Avec l'arrivée de la concurrence du pétrole américain et russe en 1870, plusieurs concessions disparaissent. Après des hauts et des bas qui dépendent du cours du pétrole, des circonstances politiques, des guerres… l'exploitation n'a plus lieu qu'à Dracy-Saint-Loup et surtout aux Télots (commune de Saint-Fargeot), de loin le principal gisement. Au maximum de sa production, la mine des Télots produisait environ 300 000 t/a de schistes et la raffinerie produisait environ 70 000 tonnes d'hydrocarbures par an. L'exploitation a cessé en 1957. La production totale du gisement est estimée à 13 millions de tonnes de schistes pendant ses 130 ans d'exploitation. Au début des années 1980, des études sont menées par le BRGM, qui révèlent des réserves encore importantes (20 à 30 millions de tonnes).

Des travaux récents (Francisco et Labaune, 2009, Revue archéologique de l’Est) suggèrent que les Romains (Autun était une grande ville romaine – Augustodunum) exploitaient déjà les schistes bitumineux locaux.

Depuis l'abandon du site en 1957, « la nature reprend ses droits ». Les Télots sont reconnus comme Zone naturelle d'intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF). À partir d'un sol stérile et caillouteux, plusieurs types d'espaces naturels sont apparus : éboulis siliceux, plusieurs sortes de pelouses silicicoles faiblement acides, des mares d'affaissement minier…

Nous allons voir par la suite (1) des photographies (N&B) datant du temps de l'exploitation des Télots (figures 2 à 5), puis (2) ce qu'on peut voir de nos jours de ce qui reste de l'exploitation et des installations industrielles (figures 6 à 17), puis (3) des données sur la géologie du bassin permien d'Autun (figures 18 à 21), et enfin (4) ce qu'un géologue amateur (ou un professeur de SVT) peut encore voir de la géologie locale (figures 22 à 26). L'image de la semaine dernière, Les Psaronius sp. et autres bois silicifiés du Permien inférieur de la région d'Autun (Saône-et-Loire), et une autre dans les prochaines semaines montrent ce qu'on pouvait trouver dans le secteur des Télots en 1972, il y a 53 ans.




Vue sur les faces Sud des deux terrils de la mine des Télots (Saône-et-Loire) en 2021

Figure 11. Vue sur les faces Sud des deux terrils de la mine des Télots (Saône-et-Loire) en 2021

Le terril de droite, moins végétalisé que celui de gauche laisse voir sa surface. Sauf près du sommet, et en bas à gauche, cette surface constituée de “schiste” est rougeâtre. Au sommet, et surtout en bas à gauche, on voit ce qu'il y a sous les schistes rougeâtres, à savoir des schistes noirs.


Détail de la figure précédente montrant le contact “schistes rouges” / “schistes noirs” sur un terril de la mine des Télots (Saône-et-Loire)

Figure 12. Détail de la figure précédente montrant le contact “schistes rouges” / “schistes noirs” sur un terril de la mine des Télots (Saône-et-Loire)

On voit la limite entre des schistes “rougeâtres” recouvrant des schistes noirs, limite dégagée par des petits éboulements. La couleur normale des schistes bitumineux bruts est le noir. Quand ils ont été chauffés pour en extraire les hydrocarbures, ils ont dû garder leur couleur noire car ce chauffage a été fait à l'abri de l'air et le fer (réduit) de ces schistes n'a pas été oxydé. La couleur rouge a dû être acquise après la formation du terril, par au moins 65 ans d'oxydation météorique et de pédogenèse qui ont eu lieu depuis 1957. Comme on est dans une ZNIEFF, on peut espérer que les gestionnaires ne se contentent pas de recenser les papillons et étudient aussi ce cas d'école de pédogenèse.




Vue sur les faces Nord des deux terrils des Télots (Saône-et-Loire)

Figure 15. Vue sur les faces Nord des deux terrils des Télots (Saône-et-Loire)

Des petits hangars industriels ont localement remplacé les installations du début du XXe siècle. Au fond à droite, l'agglomération d'Autun.



Les deux terrils des Télots (Saône-et-Loire) vus depuis la ligne du TGV Sud-Est

Figure 17. Les deux terrils des Télots (Saône-et-Loire) vus depuis la ligne du TGV Sud-Est

Quand on sait où et quand regarder, les terrils des Télots sont visibles quelques secondes depuis un TGV parcourant la ligne de Paris-Lyon.


Les couches de schistes bitumineux des Télots se sont déposées au Permien inférieur en milieu lacustre dans un demi-graben tardi-hercynien limité au Sud par une faille normale. Le fond du lac, anoxique, a préservé de très nombreux fossiles dans ces couches d'argilites carbonées, fossiles qui ont servi à définir l'étage Autunien (−299 à −295 Ma). Cet ancien stratotype, continental, a été remplacé, comme c'est maintenant la règle, par un stratotype marin, l'Assélien (défini au Sud de l'Oural).

Zoom sur la carte géologique de France à 1/1 000 000 centré sur le bassin permien d'Autun

Figure 18. Zoom sur la carte géologique de France à 1/1 000 000 centré sur le bassin permien d'Autun

Ce bassin est bordé au Sud par une faille normale. Ses sédiments (r, en gris) reposent sur des terrains magmatiques carbonifères (granites, en rouge, et volcanisme rhyolitique h2, en marron, avec surcharge bleue, cf. figure 13 dans Le volcanisme rhyolitique (et ignimbritique) : un volcanisme largement sous-estimé et produisant des laves de couleurs variées) et localement (à l'Est) sur des sédiments du Stéphanien (Carbonifère supérieur, h3). Ils sont localement recouverts de Trias (en violet). Ce bassin en extension est caractéristique de l'extension tardi-orogénique qui a affecté l'ensemble de la chaine hercynienne.


Carte géologique simplifiée de la surface du bassin d'Autun (Saône-et-Loire)

Figure 19. Carte géologique simplifiée de la surface du bassin d'Autun (Saône-et-Loire)

Les auteurs de cette carte ont subdivisé l'Autunien en 4 formations. Les 3 traits noirs sont les tracés des coupes de la figure suivante. Les deux triangles rouges localisent les terrils des Télots.


Coupes et log stratigraphique synthétique du remplissage du bassin d'Autun (Saône-et-Loire)

Figure 20. Coupes et log stratigraphique synthétique du remplissage du bassin d'Autun (Saône-et-Loire)

Les traits de coupe sont localisés sur la carte de la figure précédente.

Les couleurs dans la colonne “lithostratigraphy” correspondent aux couleurs des formations cartées sur la carte de la figure précédente.


Carte des concessions accordées aux XIXe et XXe siècles pour l'exploitation des schistes bitumineux du bassin d'Autun (Saône-et-Loire)

Figure 21. Carte des concessions accordées aux XIXe et XXe siècles pour l'exploitation des schistes bitumineux du bassin d'Autun (Saône-et-Loire)

Les principales zones exploitées sont figurées en noir, les gisements des Télots en rouge.


Que peuvent voir en 2025 des géologues voulant étudier ou simplement admirer l'Autunien de la région d'Autun et y voir ses fossiles qui ont permis, à la fin du XIXe siècle, de définir ce qui a été un stratotype ? Dans ce pays plat, les affleurements naturels sont rares ; les plus fameux d'entre eux, car riches en fossiles, sont soit totalement végétalisés, soit dans des propriétés privées dont l'accès est interdit (par exemple le site de Surmoulin), soit il s'agit d'un site protégé comme le célèbre site de Muse où le CNRS a entrepris des fouilles. Il reste le Muséum d'Histoire naturelle d'Autun où sont exposés de beaux échantillons et les anciens terrils, ceux des Télots et d'autres plus modestes, quand ceux-ci n'ont pas disparu car exploités en carrières, nivelés pour installer des hangars industriels ou agricoles… Chercher des fossiles dans un terril n'abime pas la nature, mais il fait bien choisir un terril où on entreposait des schistes qui n'ont pas été chauffés / distillés, car faisant partie des mort-terrains pas assez riches en matière organique.

Avec une carte topographique, on peut trouver d'anciennes installations minières et/ou industrielles, d'anciens terrils… et chercher.


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