Image de la semaine | 15/04/2013
Failles affectant une série marno-calcaire montrant des cycles astronomiques de type Milankovitch, Zumaia, Espagne
15/04/2013
Résumé
Observation d'un double rythmicité sédimentaire dans le Danien (Paléocène basal) du Pays Basque espagnol et interprétation en terme de périodicités orbitales de la Terre.
L'affleurement de Paléocène de Zumaia montre une stratification avec une rythmicité certaine, bien que non "parfaite". Ce qui a été fait qualitativement à l'œil sur les figures précédentes peut être fait quantitativement en mesurant en continu tel ou tel paramètre chimique le long de la colonne stratigraphique (par exemple la teneur en argile, en matière organique, en sulfure, en δ13C ou δ18O…), ou physique (susceptibilité magnétique, granulométrie…).
La figure suivante montre quel aurait pu être le résultat si on avait analysé le rapport carbonate / argile dans les alternances marno-calcaires. Il ne s'agit pas ici d'une vraie mesure mais d'une estimation « à l'œil » du caractère plus ou moins érodable, donc plus ou moins marneux, de la série. Si on trouve une certaine régularité dans la variation de ces paramètres et une certaine commensurabilité de leurs fréquences de variation, c'est qu'un phénomène géologique rythme la sédimentation. Il ne reste plus qu'à trouver lequel.
Quand une sédimentation montre une certaine périodicité, c'est qu'un phénomène périodique influence cette sédimentation. Et bien que ce ne soit pas la seule cause, ce qui est le plus « régulier et cyclique » dans la nature, c'est l'astronomie.
Deux types de sédiments classiques depuis des dizaines d'années montrent une rythmicité d'origine astronomique : (1) les varves dues à des variations de la sédimentation influencées par les alternances saisonnières), et (2) Les tidalites, dues à des variation de la sédimentation influencées par les marées (cf., par exemple, les tidalites du groupe de Moodies en Afrique du Sud). Dans ces deux cas précis, pour avoir la preuve d'une origine astronomique de la variation dans la sédimentation, on pourra rechercher s'il existe deux rythmes "emboîtés" l'un dans l'autre avec (statistiquement) toujours les mêmes valeurs. Par exemple, si des séquences sédimentaires que l'on soupçonne être des varves saisonnières montrent une variation d'épaisseur variant "régulièrement" toutes les 11 séquences, on pourra y voir l'influence de l'activité solaire qui varie avec un rythme de 11 ans. De même, si on soupçonne que des sédiments sont des tidalites, il suffira de regarder si l'épaisseur des séquences varie régulièrement toutes 28 à 30 séquences élémentaires, ce qui correspondrait au nombre de cycles de marées entre deux épisodes de marées de vives eaux.
Une autre catégorie d'exemples est désormais classique : la variation du δ18O (ou du CO2) dans les glaces et les sédiments marins quaternaires avec 4 périodicités "emboîtées" commensurables : approximativement P, 2P, 4P, 8P, traduisant (1) la précession des équinoxes, avec P ≈ 20 à 25.000 ans, (2) la variation d'inclinaison de l'axe de la Terre par rapport à l'écliptique avec 2P ≈ 40.000 ans, (3) la première périodicité de la variation d'excentricité de l'orbite avec 4P ≈ 100.000 ans et la deuxième périodicité de la variation d'excentricité de l'orbite avec 8P ≈ 400.000 ans. C'est cette approximative commensurabilité des signaux chimiques et isotopiques dans les carottes et la coïncidence des durées (estimées avec les méthodes "classiques" de datation) avec les périodicités astronomiques qui a conduit à adopter la théorie astronomique des variations climatiques que Milankovitch avait proposé en 1941. Remarquons cependant que la commensurabilité n'est pas parfaite, car chaque fréquence astronomique n'est pas exactement un multiple ou un sous-multiple des autres ; cela introduit une différence entre périodicité parfaite et périodicité réelle. Par exemple, la période astronomique de la précession des équinoxe est de 25.800 ans. La combinaison de cette période avec les deux autres entraîne des pseudo-périodicité de 19.000, et 23.000 ans. C'est ce dernier chiffre qui est le plus souvent utilisé. C'est celui que nous prendrons par la suite.
Face à une série comme celle de Zumaia, il faudrait donc faire des études quantitatives pour savoir comment varient tesl et tels paramètres physiques ou chimiques, utiliser des opérations mathématiques comme les transformées de Fourier, voir s'il y a commensurabilité entre les différents rythmes, et estimer, grâce aux méthodes chronologiques classiques, l'ordre de grandeur (en année) des différentes périodicités possibles.
Cela a été fait à Zumaia (cf., par exemple, F.J. Hilgen et al., 2010, Evaluation of the astronomical time scale for the Paleocene and earliest Eocene, EPSL). Tous les auteurs ont trouvé que c'étaient les rythmes de Milankovitch qui imprimaient leurs marques dans les marno-calcaires planctoniques de Zumaia.
Dans le cadre de la la rubrique l'image de la semaine, il faut se contenter d'un examen qualitatif à l'œil de la série de Zumaia, ce qu'on peut faire avec des élèves sur la base des images proposées. Cet examen suggère une double périodicité : P et 4P. Cela pourrait être : (1) ≈23.000 ans et ≈100.000 ans, respectivement précession des équinoxes et première périodicité de la variation de l'ellipticité, ou (2) ≈100.000 ans et ≈400.000 ans, respectivement première et deuxième périodicités de la variation de l'ellipticité.
Dans l'ensemble du Danien de Zumaia, on ne voit pas toujours cette double périodicité d'un simple regard ; il n'y en a souvent qu'une seule, une alternance marne / calcaire, avec un rapport d'épaisseur marne / calcaire allant de 1/15 à 1/1. Même quand il n'y a qu'une seule périodicité visible à l’œil, on peut montrer que chaque alternance marne / calcaire correspond à ce qu'on appelle une sous-séquence dans ce qui précède. Dans le cas de Zumaia, il est possible de se servir de la chronologie et de la stratigraphie de la région, parfaitement connues, puisqu'on identifie parfaitement les limites Sélandien / Danien (c'est même un « clou d'or ») et Danien / Maastrichtien (= limite KT), âgées respectivement de ≈65,5 et ≈61 Ma. Le Danien a donc duré environ 4,5 Ma. Si chaque sous-séquence élémentaire (sous-séquence nommée avec des lettres dans les figures précédentes) représente environ 23.000 ans, l'ensemble du Danien comprendrait 195 sous-séquences. Si chaque sous séquence représentait 100.000 ans, l'ensemble du Danien ne serait constitué que de 45 sous-séquences.
Sur l'ensemble du Danien, chaque sous-séquence élémentaire mesure en moyenne entre 20 et 40 cm d'épaisseur. Cela correspondrait à une épaisseur du Danien de 39 à 78 m dans la première hypothèse (≈23.000 ans), 9 à 18 m dans la deuxième hypothèse (≈100.000 ans). Aux complications tectoniques près, l'épaisseur locale du Danien est d'environ 70 m. Il est raisonnable de trancher en faveur de la première hypothèse, et de proposer que chaque sous-séquence élémentaire représente la précession des équinoxes, et que chaque séquence principale (quand elle est visible) représente la variation d'ellipticité.
Cette méthode de "datation" s'appelle la cyclostratigraphie. Elle permet de faire de la « chronologie relative absolue » : chiffrer absolument (en milliers ou millions d'années) un écart chronologique dans une série stratigraphique dont on peut ne pas connaître l'âge absolu. Et si, sur une carotte océanique avec une sédimentation continue on peut faire ce genre d'étude entre la surface et le socle basaltique, on devrait pouvoir dater chaque niveau de la carotte à ≈23.000 ans près, entre le présent et les plus vieux sédiments océaniques (Jurassique). Chaque événement "brusque" de répartition mondiale (inversion du champ magnétique, extinction brutale, phénomène climatique rapide…) pourra, dans un avenir pas trop lointain (mais il reste du travail à faire), être daté à 23.000 ans près. Le rêve de tout stratigraphe !
On peut enfin se demander comment de subtiles et légères variations d'ensoleillement d'origine astronomique peuvent entraîner de si fortes variations de la sédimentation carbonate / argile dans des sédiments pélagiques. Le problème est complexe, et non parfaitement résolu. Il associe des variations de la photosynthèse planctonique, des variations de la proportion entre le plancton à test calcaire et le plancton sans test, des variations de salinité de la mer qui influencent la vie planctonique, des variations de l'érosion continentale (donc de l'apport d'argile)… De plus, la diagenèse remobilise partiellement les carbonates et a tendance à exagérer les différences entre niveaux plus ou moins carbonatés.