Image de la semaine | 25/03/2024
Faire de la géologie en visitant les monuments romains de Lyon (Rhône). 1/ Les dalles de granite des voies romaines de Fourvière
25/03/2024
Résumé
Quelques questions abordées en marchant sur des granites à enclaves, filons variés, miroirs de faille.
Les dalles ayant servi à paver cette voie sont quasi exclusivement des dalles de granites et roches associées.
Localisation par fichier kmz de la voie romaine de Fourvière (Lyon, Rhône), pavées de granites et roches associées.
Figure 2. La “voie romaine” contournant le haut du théâtre antique de Fourvière (Lyon, Rhône)
Les dalles ayant servi à paver cette voie sont quasi exclusivement des dalles de granites et roches associées.
La colline de Fourvière de Lyon abrite un ensemble de monuments romains comprenant deux théâtres (le grand, appelé « théâtre antique de Lyon » et le petit, appelé « Odéon »), les voies y conduisant, et d'autres bâtiments annexes. Cet ensemble a été construit au début de l'Empire romain, sous Auguste ou Tibère. Complètement abandonné à la fin de l'empire, cet ensemble a été très dégradé et a servi de carrière de pierres au Moyen-Âge ; on retrouve d'ailleurs des pierres issues de ces monuments dans la cathédrale Saint Jean, située juste en bas de la colline de Fourvière. Puis ces ruines ont été ensevelies par des éboulements et des glissements de terrain venant du haut de la colline. Ce passé antique est alors tombé dans l'oubli et l'emplacement des théâtres était recouvert de vergers et de vignes (voir figure 29). Redécouvert à la fin du XIXe siècle, théâtres et voies ont été dégagés et restaurés au milieu du XXe siècle et sont maintenant accessibles gratuitement aux promeneurs lyonnais et aux touristes. Entre autres évènements, ils hébergent en été les Nuits de Fourvière.
Le but de cet article et des deux à venir n'est pas de détailler l'histoire de ces monuments, ni d'en décrire et interpréter tel ou tel élément architectural. Notre but est géologique. Il est, pour citer Maurice Mattauer, de déchiffrer et de comprendre « ce que nous disent les pierres » qui ont servi à construire ces monuments. Dans deux semaines, nous ferons “parler” les marbres et porphyres décorant l'Odéon. La semaine prochaine, les colonnes du grand théâtre nous permettront de détailler certains aspects de la tectonique syn-métamorphique. Cette semaine, nous allons vous montrer que des dalles apparemment banales peuvent nous éclairer sur certains points concernant l'histoire des granites et des roches associées, points qui pourront renvoyer (pour avoir des renseignements complémentaires) à certains articles de Planet-Terre. L'origine géographique de ces granites n'est pas précisée dans les chroniques historiques, et ces granites n'ont pas de caractéristiques originales visibles à l'œil nu permettant de proposer une origine. On peut en trouver de semblables dans la région (Beaujolais, Monts du Lyonnais, Nord de l'Ardèche…), ce qui ne veut pas forcement dire qu'ils en viennent (les Romains avaient l'habitude de transporter des matériaux sur de longues distances). Les dalles photographiées ont toutes à peu près la même taille, donnée par les personnages des figures 1 et 2 : des polygones d'environ 40 à 70 cm de côté. La voie de la figure 1 comporte donc environ 1400 dalles.
Ces enclaves indiquent qu'un magma granitique (provenant de la fusion partielle de la croute continentale) et un magma basique (provenant de la fusion partielle du manteau) coexistaient à l'état liquide à l'époque de la mise en place du granite. Cette coexistence est classique dans les granites des zones de collision, de lithospheric breakdown, d'extension tardi-tectonique et d'autres contextes entrainant la fois fusion de la croute et du manteau, comme abordé, par exemple, dans Des magmas acides et des magmas basiques qui coexistent, se recoupent, se mélangent… et Le plus méconnu des volcanismes, le volcanisme des zones de collision, et son volcan actif le plus emblématique : le Mont Ararat (Turquie orientale) pour des exemples lointains, ou dans Le granite de Saint-Julien-la-Vêtre (Loire), un granite hercynien ordinaire mais riche d'enseignements pour un exemple régional. | Ces enclaves indiquent qu'un magma granitique (provenant de la fusion partielle de la croute continentale) et un magma basique (provenant de la fusion partielle du manteau) coexistaient à l'état liquide à l'époque de la mise en place du granite. Cette coexistence est classique dans les granites des zones de collision, de lithospheric breakdown, d'extension tardi-tectonique et d'autres contextes entrainant la fois fusion de la croute et du manteau, comme abordé, par exemple, dans Des magmas acides et des magmas basiques qui coexistent, se recoupent, se mélangent… et Le plus méconnu des volcanismes, le volcanisme des zones de collision, et son volcan actif le plus emblématique : le Mont Ararat (Turquie orientale) pour des exemples lointains, ou dans Le granite de Saint-Julien-la-Vêtre (Loire), un granite hercynien ordinaire mais riche d'enseignements pour un exemple régional. |
Voir de telles enclaves est classique dans le cas du mélange entre un magma basique (cristallisant à 1100°C) et un magma acide (cristallisant à 750°C), cf., par exemple, Les « pillows gabbro » de Sainte Anne, granite de Ploumanac'h, Trégastel, Côtes d'Armor. | Voir de telles enclaves est classique dans le cas du mélange entre un magma basique (cristallisant à 1100°C) et un magma acide (cristallisant à 750°C), cf., par exemple, Les « pillows gabbro » de Sainte Anne, granite de Ploumanac'h, Trégastel, Côtes d'Armor. |
Pour “tout” savoir sur la genèse des filons de pegmatite (et d'aplite), voir, par exemple, Filons de pegmatite en Bretagne et en Himalaya. | Pour “tout” savoir sur la genèse des filons de pegmatite (et d'aplite), voir, par exemple, Filons de pegmatite en Bretagne et en Himalaya. |
Figure 9. Vue rapprochée sur le filon de la figure précédente On peut noter deux particularités. (1) Le cœur du filon est plus sombre que ses bords. Soit il s'agit de deux filons minces et parfaitement parallèles (cas peu probable), soit il s'agit d'un filon unique dont le cœur est différent de ses bordures. L'examen de la photo à haute résolution (figure 11) montre que le cœur semble fait de cristaux plus petits que ceux de la périphérie et même que ceux du granite encaissant. On aurait un cœur aplitique encadré de bordures pegmatitiques. On a là un dispositif assez classique bien que contraire à la doxa qui dit que la taille des cristaux ne dépend que de la vitesse de refroidissement, alors que, bien sûr, la bordure du filon a refroidi plus vite que son cœur. Pour avoir des précisions et l'origine de cette particularité, voir Quelques échantillons de pegmatites extraordinaires et en particulier ses figures 6 et 7. (2) Les “gros” cristaux des bordures sont approximativement perpendiculaires au contact filon-granite. Ils ont crû perpendiculairement à ce contact au cours de l'ouverture du filon. On retrouve cette même disposition mais avec des qualités de photo et d'affleurement bien meilleures dans Croissance cristalline atypique dans un filon de pegmatite, Plage de la Mine, Piriac-sur-Mer (Loire Atlantique). | |
Figure 10. Zoom sur le filon de la figure précédente On peut noter deux particularités. (1) Le cœur du filon est plus sombre que ses bords. Soit il s'agit de deux filons minces et parfaitement parallèles (cas peu probable), soit il s'agit d'un filon unique dont le cœur est différent de ses bordures. L'examen de la photo à haute résolution (figure 11) montre que le cœur semble fait de cristaux plus petits que ceux de la périphérie et même que ceux du granite encaissant. On aurait un cœur aplitique encadré de bordures pegmatitiques. On a là un dispositif assez classique bien que contraire à la doxa qui dit que la taille des cristaux ne dépend que de la vitesse de refroidissement, alors que, bien sûr, la bordure du filon a refroidi plus vite que son cœur. Pour avoir des précisions et l'origine de cette particularité, voir Quelques échantillons de pegmatites extraordinaires et en particulier ses figures 6 et 7. (2) Les “gros” cristaux des bordures sont approximativement perpendiculaires au contact filon-granite. Ils ont crû perpendiculairement à ce contact au cours de l'ouverture du filon. On retrouve cette même disposition mais avec des qualités de photo et d'affleurement bien meilleures dans Croissance cristalline atypique dans un filon de pegmatite, Plage de la Mine, Piriac-sur-Mer (Loire Atlantique). | Figure 11. Détail du filon de la figure précédente On peut noter deux particularités. (1) Le cœur du filon est plus sombre que ses bords. Soit il s'agit de deux filons minces et parfaitement parallèles (cas peu probable), soit il s'agit d'un filon unique dont le cœur est différent de ses bordures. L'examen de la photo à haute résolution (figure 11) montre que le cœur semble fait de cristaux plus petits que ceux de la périphérie et même que ceux du granite encaissant. On aurait un cœur aplitique encadré de bordures pegmatitiques. On a là un dispositif assez classique bien que contraire à la doxa qui dit que la taille des cristaux ne dépend que de la vitesse de refroidissement, alors que, bien sûr, la bordure du filon a refroidi plus vite que son cœur. Pour avoir des précisions et l'origine de cette particularité, voir Quelques échantillons de pegmatites extraordinaires et en particulier ses figures 6 et 7. (2) Les “gros” cristaux des bordures sont approximativement perpendiculaires au contact filon-granite. Ils ont crû perpendiculairement à ce contact au cours de l'ouverture du filon. On retrouve cette même disposition mais avec des qualités de photo et d'affleurement bien meilleures dans Croissance cristalline atypique dans un filon de pegmatite, Plage de la Mine, Piriac-sur-Mer (Loire Atlantique). |
Le granite est traversé sur toute sa largeur par une “bande” sombre (ancien filon basique, zone d'accumulation de biotite, filon riche en minéral sombre comme la tourmaline… ?). L'ensemble est recoupé par trois filons aplo-pegmatitiques, qui n'ont pas occasionné de déplacement relatif entre leurs bordures, si ce n'est l'écartement. En plus, il s'agit d'un bel exemple de chronologie relative ! | Le granite est traversé sur toute sa largeur par une “bande” sombre (ancien filon basique, zone d'accumulation de biotite, filon riche en minéral sombre comme la tourmaline… ?). L'ensemble est recoupé par trois filons aplo-pegmatitiques, qui n'ont pas occasionné de déplacement relatif entre leurs bordures, si ce n'est l'écartement. En plus, il s'agit d'un bel exemple de chronologie relative ! |
Les recoupements (et donc la chronologie) de ces filons ne sont pas clairs. L'origine des “trous” allongés et parallèles sera discutée plus loin aux figures 19 à 21. | Les recoupements (et donc la chronologie) de ces filons ne sont pas clairs. L'origine des “trous” allongés et parallèles sera discutée plus loin aux figures 19 à 21. |
Le granite est traversé, sur sa droite, sur toute sa longueur par une “bande” plus grise (ancienne zone d'accumulation de biotite, filon plus basique… ?). L'ensemble est recoupé par un filon aplo-pegmatitique, qui a décalé la bande grise d'une dizaine de centimètres. | Le granite est traversé, par une “bande” plus grise (ancienne zone d'accumulation de biotite, filon plus basique… ?). L'ensemble est recoupé par un filon aplo-pegmatitique, qui a décalé la bande grise d'une dizaine de centimètres. |
Figure 18. Schéma interprétatif de la dalle de granite précédente On voit très bien le décalage de la bande sombre au niveau du filon aplo-pegmatitique. Ce filon a donc la signification d'une faille. Dans la position actuelle de la dalle, il s'agirait d'un décrochement senestre. Mais cette conclusion ne serait valable que si la bande sombre a toujours été à la verticale, ce qu'on ne sait pas. Si celle-ci est inclinée, alors un mouvement relatif purement vertical de part et d'autre du filon entrainerait un décalage horizontal apparent sur la surface horizontale. Par exemple, si la bande sombre a un pendage de 45° alors un mouvement vertical relatif de x centimètres entre les 2 compartiments de part et d'autre du filon entrainera un décalage horizontal apparent de x cm sur la surface horizontale de la dalle. On peut aussi se poser la question de la chronologie entre ce mouvement et la formation du filon. (1) Il peut s'agir d'une faille “ancienne” ultérieurement empruntée par le magma aplo-pegmatitique, (2) d'un filon réutilisé postérieurement par une faille, ou bien (3) de l'injection du magma pendant le fonctionnement d'une faille. L'absence de déformation visible dans les cristaux plaide pour la première solution. |
Ces trous sont sans doute des accumulations de biotites (peut-être dérivant de cordiérite) altérées. Mais quelle est l'origine de cette orientation ? | Ces trous sont sans doute des accumulations de biotites (peut-être dérivant de cordiérite) altérées. Mais quelle est l'origine de cette orientation ? |
Il semble que le granite présente une légère orientation des minéraux (de droite à gauche sur la photo), en particulier les micas noirs et les feldspaths blancs. Cette orientation est la même que celle des “trous”, probables anciennes accumulations de biotites altérées. Une telle orientation peut avoir deux origines. (1) Une déformation ductile à l'état solide ; on aurait là un granite très légèrement ortho-gneissifié (cf., par exemple, Mini-zones de cisaillement (shear zones) dans des granites et autres roches). (2) Une structure de fluidalité magmatique (cf., par exemple, Structure fluidale dans le granite de la Margeride (Truc de Fortunio, Lozère) et Structure fluidale et orientation des enclaves dans les granites). |
Figure 22. Vue d'ensemble sur une dalle de vaugnérite, voie romaine de Fourvière (Lyon, Rhône) Rappelons que les vaugnérites sont des roches filoniennes basiques, potassiques et hydratées (riches en biotite) qui font partie des lamprophyres. Elles sont classiquement associées aux granites des zones de collision, granites qu'elles recoupent. Le nom de vaugnérite vient du nom d'une commune de la région lyonnaise, Vaugneray, où cette roche a été décrite et définie. Pour voir des échantillons vaugnérites “fraiches”, rendez-vous sur la lithothèque de l'ENS de Lyon. | Figure 23. Zoom sur une dalle de vaugnérite, voie romaine de Fourvière (Lyon, Rhône) Rappelons que les vaugnérites sont des roches filoniennes basiques, potassiques et hydratées (riches en biotite) qui font partie des lamprophyres. Elles sont classiquement associées aux granites des zones de collision, granites qu'elles recoupent. Le nom de vaugnérite vient du nom d'une commune de la région lyonnaise, Vaugneray, où cette roche a été décrite et définie. Pour voir des échantillons vaugnérites “fraiches”, rendez-vous sur la lithothèque de l'ENS de Lyon. |
Ces stries ne sont pas des stries purement mécaniques, mais s'accompagnent de recristallisations syntectoniques de quartz. Cela suggère que ce mouvement s'est fait dans des conditions de pression et de température permettant une bonne solubilité de la silice, conditions “hydrothermales”, sans doute mésothermales (200-300°C). Ces mouvements se seraient donc faits soit dans un granite “jeune” (déjà solide mais non complètement refroidi) ou dans un ancien granite mais encore en profondeur. La morphologie des “écailles” et des “marches d'escalier” de quartz indique que le bloc absent (le bloc supérieur dans la géométrie actuelle) s'est déplacé de l'arrière vers l'avant. | Ces stries ne sont pas des stries purement mécaniques, mais s'accompagnent de recristallisations syntectoniques de quartz. Cela suggère que ce mouvement s'est fait dans des conditions de pression et de température permettant une bonne solubilité de la silice, conditions “hydrothermales”, sans doute mésothermales (200-300°C). Ces mouvements se seraient donc faits soit dans un granite “jeune” (déjà solide mais non complètement refroidi) ou dans un ancien granite mais encore en profondeur. La morphologie des “écailles” et des “marches d'escalier” de quartz indique que le bloc absent (le bloc supérieur dans la géométrie actuelle) s'est déplacé de l'arrière vers l'avant. |
Ces stries ne sont pas des stries purement mécaniques, mais s'accompagnent de recristallisations syntectoniques de quartz et d'un minéral rose-orangé, sans doute du feldspath (potassique). Cela suggère que ce mouvement s'est produit dans des conditions de pression et de température permettant la solubilité de la silice et de certains silicates, conditions “hydrothermales”, sans doute hypothermales (300°-500°C), à plus haute température que pour la dalle précédente. Ces mouvements se seraient donc faits soit dans un granite “jeune” (déjà solide mais encore relativement chaud) ou dans un ancien granite mais encore à assez grande profondeur. La morphologie des “écailles” et des “marches d'escalier” de quartz et de feldspath indique que le bloc absent (le bloc supérieur dans la géométrie actuelle) s'est déplacé de l'arrière vers l'avant. | Ces stries ne sont pas des stries purement mécaniques, mais s'accompagnent de recristallisations syntectoniques de quartz et d'un minéral rose-orangé, sans doute du feldspath (potassique). Cela suggère que ce mouvement s'est produit dans des conditions de pression et de température permettant la solubilité de la silice et de certains silicates, conditions “hydrothermales”, sans doute hypothermales (300°-500°C), à plus haute température que pour la dalle précédente. Ces mouvements se seraient donc faits soit dans un granite “jeune” (déjà solide mais encore relativement chaud) ou dans un ancien granite mais encore à assez grande profondeur. La morphologie des “écailles” et des “marches d'escalier” de quartz et de feldspath indique que le bloc absent (le bloc supérieur dans la géométrie actuelle) s'est déplacé de l'arrière vers l'avant. |
Figure 28. Vue aérienne de l'ensemble gallo-romain de Fourvière (Lyon) dans son état actuel Cet ensemble comprend les deux théâtres (l'Odéon à gauche, le théâtre antique à droite) et, entre les deux, la voie romaine y conduisant avec ses (environ) 1400 dalles de granite dont nous n'avons vu que quelques-unes. La maison indiquée par un astérisque rouge sert de repère pour se situer par rapport aux photos anciennes de la figure suivante. | Figure 29. Photographies “historiques” montrant la colline de Fourvière, en haut, en 1933 et, en bas, en 1946 En haut, la colline de Fourvière en 1933, avant le début des fouilles. Les ruines avaient complètement disparu sous les vergers et les vignes. En bas, vue sur le même secteur en 1946, après le dégagement presque complet des deux théâtres. La maison indiquée par l'astérisque rouge sert de repère entre les deux clichés et avec la vue actuelle de la figure précédente. Photos tirées d'un panneau explicatif situé entre les deux théâtres. Images d’archive numérisées de la Bibliothèque municipale de Lyon semblables, datant de 1933 et 1946. |