Image de la semaine | 10/04/2017
Des magmas acides et des magmas basiques qui coexistent, se recoupent, se mélangent…
10/04/2017
Résumé
Mélange de magmas sur un affleurement du Protérozoïque supérieur sur la côte du Dhofar, Sultanat d'Oman.
L'origine du (des) magmatisme(s) du Protérozoïque supérieur du Sud de la plaque arabique ne sera pas discuté, mais on va montrer comment un examen détaillé de la géométrie de cet affleurement permet de proposer un début de réponse à la question de l'imbrication entre roches magmatiques acides et basiques.
Nous avons vu la semaine dernière qu'il y avait un volcanisme souvent discret, mais parfois important dans les chaines de collision, avec l'exemple des volcans actifs dans la zone de collision plaque arabique - plaque eurasiatique (cf. Le plus méconnu des volcanismes, le volcanisme des zones de collision, et son volcan actif le plus emblématique : le Mont Ararat (Turquie orientale)). Ce volcanisme est complexe, car les laves oscillent en proportions variables entre un pôle calco-alcalin et un pôle alcalin, pôles qui ont produit des laves primaires basiques, mais aussi des laves différenciées acides, et avec souvent une très importante contribution de la croute continentale. Nous avons vu qu'un volcanisme au moins aussi varié avait existé dans la chaine hercynienne en France, bien que l'expression plutonique de ce magmatisme soit mieux représenté et mieux connu que son expression volcanique. Là aussi, ce magmatisme hercynien a produit des roches basiques et des roches acides, avec contributions et du manteau, et de la croute continentale.
Entre -800 et -600 Ma (Protérozoïque supérieur), de nombreuses collisions ont eu lieu, collisions qui ont soudé plusieurs cratons et donné le Gondwana. Ces évènements tectoniques sont regroupés sous le terme général de "panafricain". L'une de ces collisions a formé une chaine nommée « Antarctique » dans sa partie Sud, « Est-Africaine » au Nord. Cette chaine Est-Africaine (EAO = East African Orogen, en anglais) se continuait sur ce qui est maintenant la plaque arabique (l'océan Indien, le golfe d'Aden et la mer Rouge n'existaient évidemment pas à cette époque). La région du Dhofar au Sud du Sultanat d'Oman permet d'étudier dans de bonnes conditions d'affleurement cette chaine du Protérozoïque supérieur et son magmatisme associé.
Source - © 2009 D'après D. Avigad et Z. Gvirtzman, modifié |
Nous allons reprendre et simplifier la rapide synthèse bibliographique faite par Aymon Baud (Université de Lausanne) dans le cadre du livret-guide qu'il a préparé pour l'excursion organisée par le Centre Briançonnais de Géologie Alpine (CBGA) et qu'il a lui-même piloté à l'automne 2016, dans le Dhofar, au Sud, puis dans les montagnes d'Oman, au Nord. En effet, l'histoire panafricaine du Dhofar peut se résumer de la façon suivante : il existe dans le Dhofar trois complexes gneissiques anciens (métamorphisme daté d'environ 820 Ma) et deux principaux complexes grenus intrusifs (les complexes granitico-tonalitiques d'Hadbin et de Fush), ainsi que d'autres granitoïdes. L'ensemble est à associer à une tectonique complexe due à une collision entre 830 et 740 Ma. Cette collision fut bien sûr précédée d'une subduction avec tous les phénomènes tectono-magmato-métamorphiques associés, et suivie d'un effondrement gravitaire tardi-tectonique, là encore avec tous les phénomènes tectono-magmato-métamorphiques associés. Les plutons granitiques (ou plus précisément tonalitiques) de Fush et d'Hadbin sont datés entre 788 et 765 Ma (épisode magmatique 1). Ils sont accompagnés d'un volume beaucoup plus limité de gabbro. Ils sont suivis de complexes pegmatitiques et de petits plutons de granodiorites (épisodes magmatiques 2 et 3). Par la suite se mettent en place des faisceaux de dykes et de filons majoritairement basiques (épisodes 4, 5 et 6). Il y a en effet au moins trois générations de dykes de composition et d'orientation différentes allant de pôles basiques (basaltes à pyroxène ou à amphibole) à des pôles acides (dacites ou rhyolites).
Lors de l'excursion CBGA de l'automne 2016, nous avons effectué un rapide arrêt (45 à 60 min tout au plus) entre un arrêt « granite de Hadbin » et un arrêt « couverture cénozoïque ». Cet arrêt se situait juste au Nord de la limite du granite de Hadbin. Toutes les photographies qui suivent ont été prises pendant cet arrêt, uniquement le long de la route et sur moins de 600 m de longueur.
Cet affleurement montre de "petits" corps granitiques (sous forme de "poches" ou de filons). Ces petits corps montrent en leur sein une très forte imbrication granite – gabbro. Ces petits corps sont sans doute des "annexes" externes du granite de Hadbin (épisode 1). Mais ils pourraient éventuellement être liés aux épisodes magmatiques suivants, les 45 min d'examen rapide ne nous ayant pas permis de trancher.
Le but de cet article n'est pas de retracer (après seulement 45 min d'observation sur seulement 600 m) l'histoire des chaines panafricaines, mais de montrer à quoi ressemble réellement une imbrication de roches magmatiques acides et basiques et d'en tirer des conclusions de premier ordre, à savoir trancher entre les deux hypothèses génétiques raisonnables pouvant expliquer cette imbrication granite – gabbro, ainsi qu'une hypothèse "mixte" :
- Les blocs de gabbro, inclus dans le granite, ne sont que des enclaves d'un encaissant gabbroïque préexistant totalement indépendant du granite, arrachées par (ou tombées dans) le magma granitique en cours de mise en place.
- Granite et gabbro sont quasi-contemporains et cette imbrication est due à mélange entre deux magmas coexistant à l'état liquide, mais presque immiscibles et de rhéologie et de température de cristallisation différentes.
- Il peut s'agir de deux magmas cogénétiques mais légèrement séparés dans le temps, avec une première arrivée d'un magma basique, sa cristallisation en gabbro, grabbro qui se trouve traversé par un magma acide très légèrement postérieur issu soit de la différenciation du magma basique, soit d'une fusion crustale associée à la mise en place du magmatisme basique.
Rappelons aussi qu'en cas de coexistence de magmas gabbroïque et granitique tous deux liquides, ces deux magmas ont des propriétés physiques différentes. Le magma acide est beaucoup plus visqueux que le magma basique. Par contre, un magma basique cristallise vers 1100 °C alors que le magma acide ne cristallise que vers 700 à 800°C. Un magma basique arrivant dans un liquide acide beaucoup plus froid que lui aura tendance à se solidifier rapidement, peut-être en engendrant des morphologies "en boule" n'étant pas sans rappeler des pillows (cf. Les « pillows gabbro » de Sainte Anne, granite de Ploumanac'h, Trégastel, Côtes d'Armor). Mais une fois que le magma basique est refroidi en dessous de 1100°C et est devenu un gabbro, ce dernier peut être fracturé par le déplacement du magma acide visqueux encore liquide ou par l'arrivée d'un supplément de magma acide (cf. Les « granitoïdes » de Saint Jean du Doigt (Finistère) : des magmas acides fracturant un pluton gabbroïque préexistant). Ces propriétés physiques différentes font que magmas acides et magmas basiques sont a priori très peu miscibles, contrairement par exemple à deux magmas granitiques (cf. Mélange de deux magmas granitiques, les Albas, commune de Felluns (Pyrénées Orientales)).
Nous vous montrons/interprétons d'abord 9 photographies vues depuis plusieurs dizaines de mètres dans les montagnes surplombant la route, puis 20 images de détail prises juste sur le bord de la route. Essayez de les interpréter vous-même sans lire la légende qui les accompagne !
Que peut-on dire de l'examen rapide (moins d'une heure) de cet affleurement exceptionnel, et de l'examen plus approfondi des photosgraphies, examen que tout un chacun peut faire chez lui avant d'avoir lu mes propositions d'interprétation toutes personnelles ? On peut, si on se permet de généraliser ces observations locales, tirer cinq conclusions.
- Ces magmatismes acides et basiques sont postérieurs au métamorphisme et à la déformation principale ayant affecté la région. Il s'agit d'un (de) magmatisme(s) tardi-collisionnel(s).
- Les magmas acides et basiques semblent avoir coexisté à l'état liquide. Mais le matériel acide cristallisant à plus basse température est resté liquide plus longtemps que le matériel basique, et l'a fracturé.
- L'homogénéisation acide-basique est, au moins localement, limitée, mais non totalement absente. C'est donc un mécanisme possible de genèse des magmas et des roches intermédiaires.
- L'abondance relative (à l'échelle régionale) roches acides abondantes / roches basiques très minoritaires semble exclure que les roches acides ne viennent que de la différenciation d'un magma basique.
- Le magmatisme des zones de collision, en particulier celui prenant place dans les derniers épisodes de cette collision, est un phénomène assez complexe puisqu'il semble faire intervenir et la fusion de la croûte (donnée classique depuis des décennies) et la fusion du manteau (donnée moins classique, au moins dans l'enseignement en France).
Références bibliographiques utilisées par Aymon Baud puis par moi-même pour faire la synthèse introductive sur la géologie du Dhofar :
H.A. Al-Doukhi, 2014. Precambrian evolution of the Salalah crystalline basement from structural analysis and 40 Ar/39 Ar geochronology. PhDissertation, Missouri University
Dov Avigad, Zohar Gvirtzman, 2009. Late Neoproterozoic rise and fall of the northern Arabian–Nubian shield: The role of lithospheric mantle delamination and subsequent thermal subsidence, Tectonophysics, 447, 3-4, 217-228
A. Hauser, R. Zurbriggen, 1994. Geology of the crystalline basement of the Hadbin area (Salalah area, Dhofar, Sultanate of Oman), Schweizerische Mineralogische und Petrographische Mitteilungen, 74, 213-226
I. Mercolli, A.P. Briner, R. Frei, R. Schönberg, T.F. Nägler, J. Kramers, T. Peters, 2006. Lithostratigraphy and geochronology of the Neoproterozoic crystalline basement of Salalah, Dhofar, Sultanate of Oman, Precambrian Research, 145, 3-4, 182–206
Toutes les photographies de P. Thomas de cet article ont été prises lors d'une excursion géologique organisée par le CBGA (Centre briançonnais de géologie alpine) et encadrée par Emmanuel Ball (Université de Montpellier) ou Aymond Baud (Université de Lausanne).