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Image de la semaine | 29/04/2024

Faire de la géologie en visitant les monuments romains de Lyon (Rhône). 4/ Les tribulations des colonnes de la basilique d'Ainay

29/04/2024

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Croiser témoignages historiques et données scientifiques pour retrouver l’origine géographique d’un granite utilisé par les Romains.


Une des quatre colonnes de granite soutenant la coupole situés à la croisée du transept, sous le “clocher” de la basilique d'Ainay (Lyon, Rhône)

Figure 1. Une des quatre colonnes de granite soutenant la coupole situés à la croisée du transept, sous le “clocher” de la basilique d'Ainay (Lyon, Rhône)

Ces quatre colonnes monolithiques posent une question géologique : d'où vient ce granite, car elles ne sont pas taillées dans l’un des nombreux granites provenant de la région lyonnaise ?


L'une des quatre colonnes de granite de la basilique d'Ainay (Lyon, Rhône)

Figure 2. L'une des quatre colonnes de granite de la basilique d'Ainay (Lyon, Rhône)

Il s'agit d'un granite assez classique, avec quartz, biotites, les deux feldspaths (feldspath potassique et plagioclase), dont certains un peu plus gros que la moyenne (tendance légèrement porphyroïde), quelques rares amphiboles (difficiles à distinguer des biotites sur cette colonne polie) et des enclaves basiques sombres riches en ferromagnésiens (bien visible en haut de la figure 3 et sur la figure 27). Cela montre que la genèse de ce granite, en plus de la fusion crustale, est aussi associée à une fusion mantellique (cf. Quand les crapauds des granites égyptiens démontrent le mélange de magmas à Paris et à Lyon).


Vue rapprochée sur le granite des colonnes de la basilique d'Ainay (Lyon, Rhône)

Figure 3. Vue rapprochée sur le granite des colonnes de la basilique d'Ainay (Lyon, Rhône)

Il s'agit d'un granite assez classique, avec quartz, biotites, les deux feldspaths (feldspath potassique et plagioclase), dont certains un peu plus gros que la moyenne (tendance légèrement porphyroïde), quelques rares amphiboles (difficiles à distinguer des biotites sur cette colonne polie) et des enclaves basiques sombres riches en ferromagnésiens (bien visible en haut de la figure 3 et sur la figure 27). Cela montre que la genèse de ce granite, en plus de la fusion crustale, est aussi associée à une fusion mantellique (cf. Quand les crapauds des granites égyptiens démontrent le mélange de magmas à Paris et à Lyon).


Zoom sur le granite des colonnes de la basilique d'Ainay (Lyon, Rhône)

Figure 4. Zoom sur le granite des colonnes de la basilique d'Ainay (Lyon, Rhône)

Il s'agit d'un granite assez classique, avec quartz, biotites, les deux feldspaths (feldspath potassique et plagioclase), dont certains un peu plus gros que la moyenne (tendance légèrement porphyroïde), quelques rares amphiboles (difficiles à distinguer des biotites sur cette colonne polie) et des enclaves basiques sombres riches en ferromagnésiens (bien visible en haut de la figure 3 et sur la figure 27). Cela montre que la genèse de ce granite, en plus de la fusion crustale, est aussi associée à une fusion mantellique (cf. Quand les crapauds des granites égyptiens démontrent le mélange de magmas à Paris et à Lyon).


Vue sur la nef, le transept et le chœur de la basilique d'Ainay (Lyon, Rhône)

Figure 5. Vue sur la nef, le transept et le chœur de la basilique d'Ainay (Lyon, Rhône)

Les colonnes du premier plan sont faites de calcaire d'origine locale. Leurs futs sont constitués de la superposition de plusieurs tambours. Les quatre colonnes du chœur (numérotées de 1 à 4) sont en granite, et sont monolithiques. Pour cet emplacement, les architectes du XIe siècle ont choisi un matériel “noble” et résistant (il faut soutenir la voute du transept et le poids du “clocher”). Le fait que ces colonnes monolithiques en granite n'aient pas été utilisées pour la nef semble indiquer que ces colonnes (faites d'un granite non régional) étaient rares et chères.


Figure 6. Le chevet de la basilique d'Ainay (Lyon, Rhône)

Cette abbaye est bâtie avec un calcaire clair, un calcaire souvent oolitique datant du Bathonien (165 Ma, Jurassique moyen) et connu régionalement sous le nom de calcaire de Lucenay. Les carrières de Lucenay ne se trouvent qu'à 20 km au Nord de Lyon. Les quatre colonnes en granite sont à l'aplomb des quatre angles du clocher du premier plan.


Si les murs, les voutes, les colonnes de la nef… de l'église d'Ainay sont bâties en pierres locales, le calcaire bathonien de Lucenay dont les carrières ne sont qu'à 20 km plus au Nord, les quatre colonnes de granite qui soutiennent le clocher d'Ainay posent un problème géologique. En effet, il n'y a pas de granite ayant cet aspect macroscopique dans la région lyonnaise : granite gris tirant parfois vers le rose à cause de ses feldspath potassiques, à grains assez grossiers, relativement riche en enclaves basiques (les “crapauds” des carriers, cf. Quand les crapauds des granites égyptiens démontrent le mélange de magmas à Paris et à Lyon). Construite de la fin du XIe au début du XIIe siècle sur les ruines d'édifices plus anciens et bien que souvent remaniée après sa construction, la basilique Saint Martin d'Ainay est la plus vieille église de Lyon. Elle a une histoire assez compliquée. Selon la tradition lyonnaise et des travaux d'historiens et d'archéologues à partir du XIXe siècle, les quatre colonnes de granite ont été “récupérées” au XIe siècle dans les ruines d'un complexe romain, le complexe dit « des Trois Gaules » bâti sur le flanc Sud de la colline de la Croix-Rousse. Ce complexe comprenait un amphithéâtre (pour les jeux du cirque) et un sanctuaire “fédéral”, le sanctuaire des Trois Gaules. La partie de la Gaule nouvellement conquise par César a été divisée par Auguste en trois provinces “impériales” : la Gaule aquitaine, la Gaule belge et la Gaule lyonnaise (la Gaule narbonnaise était une province sénatoriale). Lyon était la capitale des Gaules, rang qu'elle a portée de l'an −12 à +297. Ce sanctuaire fédéral, dédié à Rome et à Auguste, a été inauguré en l'an −12. Divers textes (dont un de Strabon) et diverses monnaies le représentent et permettent de s'en faire une idée. Il comprenait 2 (ou 4, c'est discuté) grandes colonnes monolithiques sans doute de granite (mais textes et monnaies ne sont pas assez précis pour être sûr de la nature de la roche), monolithes de granite que les romains avaient ramenés par bateau (le Rhône était navigable) d'au-delà des mers. Ces colonnes auraient été coupées en deux au XIe siècle par les constructeurs du Moyen-Âge, et ces quatre moitiés auraient été transportées jusqu'à l'église romane d'Ainay en construction (il y a environ 2 km entre le sanctuaire et Ainay, voir figure 28). L'amphithéâtre a, lui, été terminé en l'an +19, sous le règne de l'empereur Tibère. Actuellement, il ne reste rien de visible du sanctuaire proprement dit, et seulement la moitié de la base de l'amphithéâtre, ruines lyonnaises connues sous le nom d’« amphithéâtre des Trois Gaules ».

Les deux faces d'une monnaie trouvée en Saône et Loire et probablement frappée sous Tibère en l'an +14

Figure 7. Les deux faces d'une monnaie trouvée en Saône et Loire et probablement frappée sous Tibère en l'an +14

La face de droite représente l'autel du sanctuaire fédéral de Lugdunum, entouré de deux colonnes, celles qui, après avoir été coupée en deux, ont servi à la construction de la basilique d'Ainay.



Jean-Claude Golvin, universitaire et directeur de recherche CNRS émérite, spécialiste des amphithéâtres romains mais également excellent dessinateur, est l'auteur de plus de 1 000 dessins restituant les grands sites et l'antiquité et la “vie de tous les jours”. Parmi ces dessins, certains concernent Lyon et plus précisément le sanctuaire des Trois Gaules. Nous vous montrons l'une des reconstitutions de ce complexe des Trois Gaules, puis nous vous montrerons ce qui reste en 2024 de cet ensemble, et avec quelles roches il a été construit.

Reconstitution de l'intérieur du sanctuaire des Trois Gaules

Figure 9. Reconstitution de l'intérieur du sanctuaire des Trois Gaules

En bas à gauche, l'autel et trois de ses colonnes de granite, dont deux auraient été coupée en deux 11 siècles plus tard pour que ces quatre moitiés servent à la construction d'Ainay. À droite, l'amphithéâtre qui avait les dimensions des arènes de Nîmes. Au fond à gauche, la colline de Fourvière avec tout à gauche le théâtre (cf. les trois dernières semaines à propos de la voie romaine, des colonnes du théâtre antique et du petit théâtre). Au pied de la colline de Fourvière, la Saône.


Vues aériennes modernes, brute et interprétée, de ce qui reste du complexe des Trois Gaules (Croix-Rousse, Lyon)

Figure 10. Vues aériennes modernes, brute et interprétée, de ce qui reste du complexe des Trois Gaules (Croix-Rousse, Lyon)

En bas, position approximative du contour de l'amphithéâtre (en bleu) et du sanctuaire (en rouge) des Trois Gaules.


Ce qui reste en 2024 de l'amphithéâtre des Trois Gaules (Croix-Rousse, Lyon)

Figure 11. Ce qui reste en 2024 de l'amphithéâtre des Trois Gaules (Croix-Rousse, Lyon)

Cet amphithéâtre avait la forme d'une ellipse de 68×42 m dont il ne reste que la moitié. Il était entouré de hauts murs ajourés de multiples ouvertures voutées (voir figure 9). La totalité de ces murs et la moitié de la scène où se déroulaient les combats et autres jeux du cirque ont disparu. C'est dans cet amphithéâtre qu'aurait été martyrisée Sainte Blandine en l'an 177.


L'intérieur de l'amphithéâtre est habituellement interdit au public. Mais avec ce qu'on peut voir (depuis l'extérieur, à quelques mètres de distance) des roches ayant servi à construire ce qui reste monument, on ne trouve que des roches locales – calcaires, granites gris à grains fins, gneiss… – mais pas de granite semblable à celui des colonnes d'Ainay. Cela confirme le côté “exceptionnel” de ce granite dans la construction de ce complexe.

Ensemble de colonnes ou de “hauts” de murs déposés à l'extrémité Sud de ce qui reste de la scène de l'amphithéâtre des Trois Gaules (Croix-Rousse, Lyon)

Figure 12. Ensemble de colonnes ou de “hauts” de murs déposés à l'extrémité Sud de ce qui reste de la scène de l'amphithéâtre des Trois Gaules (Croix-Rousse, Lyon)

Ces colonnes ou hauts de murs sont faits de calcaire, qui, vus de loin, ressemble à des calcaires locaux.


Zoom sur un morceau de colonne déposé à l'extrémité Sud de ce qui reste de la scène de l'amphithéâtre des Trois Gaules (Croix-Rousse, Lyon)

Vue d'ensemble sur ce qui reste des murs ayant formé le soubassement de l'amphithéâtre des Trois Gaules (Croix-Rousse, Lyon)

Figure 14. Vue d'ensemble sur ce qui reste des murs ayant formé le soubassement de l'amphithéâtre des Trois Gaules (Croix-Rousse, Lyon)

Les pierres de ces murs sont des granites gris (à grain fin) et des gneiss, similaires (observés d'une distance de quelques mètres) à ce qui forme le soubassement géologique de la colline de la Croix-Rousse.


Zoom sur ce qui reste des murs ayant formé le soubassement de l'amphithéâtre des Trois Gaules (Croix-Rousse, Lyon)

Figure 15. Zoom sur ce qui reste des murs ayant formé le soubassement de l'amphithéâtre des Trois Gaules (Croix-Rousse, Lyon)

Les pierres de ces murs sont des granites gris (à grain fin) et des gneiss, similaires (observés d'une distance de quelques mètres) à ce qui forme le soubassement géologique de la colline de la Croix-Rousse.


Vue aérienne localisant un affleurement de granite (punaise jaune de gauche) en pleine ville de Lyon, à 300 m de l'amphithéâtre des Trois Gaules (punaise de droite)

Figure 16. Vue aérienne localisant un affleurement de granite (punaise jaune de gauche) en pleine ville de Lyon, à 300 m de l'amphithéâtre des Trois Gaules (punaise de droite)

Sous quelques mètres de dépôts morainiques quaternaires et de molasse miocène, le socle hercynien granitico-gneissique affleure à la base de la colline de la Croix-Rousse. Il est possible que ces affleurements de granite, difficiles à trouver dans les arrière-cours des immeubles actuels, correspondent à d'anciennes carrières ayant servi à bâtir habitations et monuments croix-roussiens au cours des siècles.


Affleurement de granite localisé à la figure précédente dans le fond d'une arrière cours en bas des pentes de la Croix-Rousse (Lyon)

Figure 17. Affleurement de granite localisé à la figure précédente dans le fond d'une arrière cours en bas des pentes de la Croix-Rousse (Lyon)

À l'œil nu, ce granite ressemble à celui qu'on trouve dans les pierres de ce qui reste des murs et du soubassement de l'amphithéâtre des Trois Gaules (voir figure 15).


Mais examiner ce qui reste de l'amphithéâtre et du sanctuaire des Trois Gaules ne nous renseigne pas sur l'origine géographique des colonnes monolithiques de granite maintenant à Ainay. Un spécialiste des granites peut sans problème distinguer à l'œil nu de nombreux types de granite. Mais de là à dire quel tel granite vient de tel massif… On sait que les colonnes d'Ainay provenaient de ruines romaines, réutilisées 6 à 7 siècles après l'abandon de ce sanctuaire et la chute de l'empire romain. Cette réutilisation de pierres romaines est d'ailleurs une pratique courante durant tout le Moyen-Âge en France, en Italie (en particulier dans la cathédrale de Pise)… On sait que les Romains transportaient par bateau à travers toute la Méditerranée de nombreux blocs de pierres destinées à la sculpture, à l'ornementation de bâtiments… Ils transportaient aussi de gros monolithes de pierre à travers les mers dans le cas de bâtiments prestigieux. Des pierres issues de Grèce, de Turquie, d'Égypte, de Tunisie, des différentes iles de la Méditerranée (iles grecques, Sardaigne, Corse, ile d'Elbe…) se retrouvent dans de nombreux monuments dans tout l'empire romain (cf., par exemple, les pierres de la scène du petit théâtre romain de Fourvière), et, secondairement, dans des monuments du Moyen-Âge. À l'œil nu, on peut “éliminer” de très nombreuses sources potentielles, mais il restera encore plusieurs carrières candidates d'où peuvent provenir telle ou telle roche. Surtout que comparer des affleurements abandonnés depuis des siècles, des colonnes “en plein air” depuis deux millénaires ou d'autres à l'abri dans une église et repolies au Moyen-Âge n'est pas facile car la différence de l'état des surfaces complique les choses. Et dans le cas de colonne polies se trouvant dans un monument historique comme la basilique d'Ainay ou la cathédrale de Pise (Italie), tout prélèvement pour analyse supérieur au mm3 est impossible. Et pour “analyser” correctement un granite à gros grain, comme il faut analyser plusieurs prélèvements représentatifs de chaque minéral de la roche, il faudrait prélever plusieurs cm3 d'une colonne lisse et polie, ce qui est impossible dans le cas d'un monument historique.

Ces incertitudes n'ont pas empêché les historiens des XIXe et XXe siècle de proposer une ou plusieurs origines pour telle ou telle pierre, en recoupant ce qu'on savait sur les sites d'exploitation de carrières et sur les circuits commerciaux romains, sur l'aspect de la roche… Par exemple, en ce qui concerne les colonnes d'Ainay, il y avait quasi-unanimité. Wikipedia, le site “officiel” de l'abbaye d'Ainay, le guide faisant visiter l'abbaye aux touristes…, tous proposaient que ces colonnes soient en granite égyptien, en granite d'Assouan pour être plus précis. C'est ce que j'avais aussi proposé en 2017 dans Quand les crapauds des granites égyptiens démontrent le mélange de magmas à Paris et à Lyon.

Exemple de quatre granites photographiés sur des colonnes romaines (en place ou réutilisées au Moyen-Âge) montrant la difficulté de retrouver à l'œil nu la source d'un granite

Figure 18. Exemple de quatre granites photographiés sur des colonnes romaines (en place ou réutilisées au Moyen-Âge) montrant la difficulté de retrouver à l'œil nu la source d'un granite

(a) Une colonne de la cathédrale de Pise (Italie), (b et c) deux colonnes du théâtre antique de Fourvière (Lyon), et (d) une colonne d'Ainay (Lyon).

À retrouver dans :

P. Rochette, C. Sciuto, S. Raneri, A. Sutter, A. Rovazzani, L. Folco. J.P. Ambrosi, V. Andrieu, J. Gattacceca, A. Hartmann-Virnich, 2022. Non-destructive magnetic and chemical characterization of granite column shafts traded in the Mediterranean area: the case of Piazza dei Miracoli in Pisa (Italy) and Basilica of Saint-Martin d'Ainay in Lyon (France), J. Phys., Conf. Ser., 2204 012037 [pdf] (Open Access)


Depuis quelques années, se sont développées des méthodes d'analyse rapide, par simple contact et sans aucun prélèvement, ne nécessitant que du matériel léger et portable, pouvant se faire aussi bien sur le terrain dans une carrière que dans la nef d'une église. Ces méthodes effectuent des analyses non destructrices qui permettent souvent de choisir parmi les différentes sources possibles pour une roche donnée. Citons ici les mesures de susceptibilité magnétique et la méthode de fluorescence X.

La susceptibilité magnétique (SM) traduit la capacité de tout corps à acquérir une aimantation induite (facilement mesurable à distance) sous l'effet d'un champ magnétique extérieur. Cette susceptibilité, rapport entre aimantations est un nombre sans dimension. Elle dépend de la nature, de la quantité et de la répartition des minéraux ferreux dans la roche. La susceptibilité des différents granites varie classiquement entre 0,25.10−3 à plus de 15.10−3.

La fluorescence X est la réponse des éléments chimiques excités par des rayons X incidents de courte longueur d'onde. Cette réponse consiste en une ré-émission de rayon X de plus grandes longueurs d'onde, avec un spectre de longueurs d'onde caractéristique pour chaque élément chimique et une intensité dépendant de la quantité de cet élément. La spectrométrie de fluorescence des rayons X (SFX ou FX, ou en anglais XRF pour X-ray fluorescence) utilise cette propriété.

Une équipe franco-italienne dirigé par Pierre Rochette (Université de Marseille) a entrepris de déterminer la source des colonnes romaines réutilisés dans la cathédrale de Pise et dans l'abbaye d'Ainay. Ses résultats ont été publiés, en 2022 en “open access” (P. Rochette et al., 2022). D'après l'allure macroscopique des granites et ce que disent les historiens sur les principales carrières et les circuits commerciaux romains, plusieurs carrières potentielles ont été préalablement identifiées : Assouan et Mons Claudianus en Égypte, les régions de Mysia et de Troade en Turquie, les iles d'Elbe et de Giglio dans l'archipel toscan, la Corse et la Sardaigne. Après un premier tri, en particulier par un examen attentif à l'œil nu, il restait cinq granites “candidats” – Assouan, Mons Claudianus, Corse, Elbe et Mysia – à comparer avec les colonnes de Pise et de Lyon. Pour cela, Pierre Rochette et son équipe ont choisi les études de susceptibilité magnétique et de fluorescence X. Pour cette dernière méthode, ils ont choisi de doser le rubidium et le strontium, car ses deux éléments traces ont des teneurs très variables dans les granites. La teneur en Rb varie d'un facteur 1 à 5 dans les différents granites, et celle du Sr d'un facteur 1 à 6. Attention, il s'agit des teneurs en éléments Rb et Sr et non pas de leurs rapports isotopiques.

Ces analyses montrent que le granite des colonnes d'Ainay ne provient pas d'Égypte, contrairement à ce qui était cru depuis au moins deux siècles. Et vis-à-vis de la susceptibilité magnétique, et de sa teneur en Rb et Sr, ce granite est similaire à un granite corse, le granite de l'ile de Cavallo (archipel des Lavezzi) et plus précisément celui qu'on trouve dans les anciennes carrières (romaines) de l'ilot San Bainsu (ilot qui s'orthographie de différentes façons). Depuis quelques mois, ce résultat est intégré dans ce que disent les guides faisant visiter l'abbaye.

Mesure de la susceptibilité magnétique d'une colonne de granite dans un site romain

Figure 19. Mesure de la susceptibilité magnétique d'une colonne de granite dans un site romain

Une telle mesure ne prend pas plus de quelques secondes sur le terrain.


Mesure de fluorescence X d'une colonne de granite dans la cathédrale de Pise

Figure 20. Mesure de fluorescence X d'une colonne de granite dans la cathédrale de Pise

Une telle mesure ne prend pas plus de quelques dizaines de secondes sur le terrain.


Résultats d'analyses de fluorescence X (analyse du Rb et du Sr) de colonnes romaines réutilisées dans la basilique d'Ainay et la cathédrale de Pise

Figure 21. Résultats d'analyses de fluorescence X (analyse du Rb et du Sr) de colonnes romaines réutilisées dans la basilique d'Ainay et la cathédrale de Pise

Les carrés bleus correspondent à des colonnes de la cathédrale de Pise. L'étoile verte contenant un A correspond aux colonnes d'Ainay. Les triangles verts correspondent à l'analyse de deux colonnes granitiques en place dans le théâtre romain de Fourvière. Les carrés rouges correspondent à des analyses par fluorescence X faites sur place par l'équipe de Pierre Rochette dans les carrières de l'ile d'Elbe, de Mysia et de Corse (carrières de Cavallo). Les ellipses colorées correspondent aux champs Rb-Sr des cinq sites putatifs d'après diverses sources bibliographiques.

On voit que les colonnes d'Ainay sont compatibles avec une origine corse. On voit que les Romains diversifiaient leurs sources. Les colonnes de Pise semblent venir de trois sites : Corse, Mysia (Turquie) et Mons Claudianus (Égypte). Les colonnes de granite du théâtre de Fourvière semblent venir de Corse pour l'une et de Mons Claudianus pour l'autre.



Vue aérienne, carte topographique et carte géologique de l'ile Cavallo (Corse)

Figure 23. Vue aérienne, carte topographique et carte géologique de l'ile Cavallo (Corse)

Il y a plusieurs carrières romaines sur l'ile, dont une bien connue (flèche rouge) est indiquée sur la carte topographique, sur un ilot appelé “ile San Bainsu”. Elles exploitaient un granite légendé 2γ4Che sur la carte géologique. Noter le corps basique (θη, en vert) au Nord-Ouest de l'ile, compatible avec les nombreuses enclaves basiques qu'on voit sur les colonnes d'Ainay.


On peut aussi consulter deux documents “officiels” décrivant le granite 2γ4Che et les carrières romaines, documents qui confirment mais “nuancent” cette attribution.

La notice de la carte géologique de Sotta-Bonifacio-Santa Teresa di Gallura décrit ainsi ce granite tardi-hercynien.

2γ4Che. Granodiorites à biotite et amphibole de Chevanu. Ces granodiorites qui affleurent de façon discontinue depuis le golfe de Chevanu à l'Ouest jusqu'à l'archipel des Lavezzi à l'Est se distinguent très bien de l'ensemble précédent par leur grain moyen et une texture à tendance isogranulaire. Elles ont de plus une charge plus élevée en minéraux colorés biotite, amphibole ; les grands cristaux de feldspath potassique rosés ont disparu. Seuls demeurent les cristaux plurimillimétriques de microcline noyés dans le fond quartzo-plagioclasique. Dans ce dernier, le quartz a toujours son aspect globulaire mais la taille des globules ne dépasse pas 0,5 mm. Le plagioclase, minéral prédominant, se présente sous la forme de cristaux centimétriques souvent bien orientés, dessinant avec les lits de ferromagnésiens un litage magmatique plus ou moins net. À noter enfin que ces granodiorites peuvent se charger, très localement, en macrocristaux de feldspath potassique pluricentimétriques comme cela est visible dans la partie Nord du gisement de Chevanu, au pied du mont Milesi, ou encore sur l'ile de Cavallo en bordure de la piste principale au Sud de l'ancien aérodrome. Les enclaves microgrenues sombres sont présentes ; leur taille est extrêmement variable (de centimétrique à pluridécimétrique). Elles sont surtout très abondantes à proximité des stocks gabbro-dioritiques de dimension hectométrique comme cela est bien visible à la Punta Capinero ou encore sur la côte Ouest de l'ile de Cavallo près de la Cala di u Ghiuncu.

Cette description est compatible avec le granite des colonnes d'Ainay.

La Plateforme Ouverte du Patrimoine (POP) du Ministère de la Culture décrit ainsi les carrières romaines de l'ile Cavallo.

Témoignage unique du patrimoine archéologique de la Corse. L'exploitation du granite par les Romains dès la fin du Ier ou au début du IIe siècle de notre ère dans les Bouches de Bonifacio est lié à la romanisation du Sud de la Corse et du Nord de la Sardaigne, dans un souci de contrôler une des voies de navigation qui permettait, à travers le détroit de Bonifacio, de relier Rome à ses provinces occidentales riches en minéraux (importation du cuivre et du plomb de la péninsule ibérique). L'utilisation du granite de Corse et de Sardaigne, à Rome même, témoigne d'une active commercialisation de ce matériau et de son emploi très fréquent dans les édifices publics de la ville. L'excellent état de conservation des bancs d'extraction de la roche sur l'ile de Cavallo et les ilots satellites de San Baïnzo, l'existence d'un habitat des carriers qui a fonctionné durant près de quatre siècles, ainsi que la présence de bas-reliefs sculptés sur les blocs de la carrière, sont autant d'éléments exceptionnels pour la connaissance de l'exploitation, quasi industrielle, du granite à l'époque romaine.

Ce texte pose un problème qui demanderait des précisions historiques et/ou archéologiques» complémentaires. Le sanctuaire des Trois Gaules date de la fin du Ier siècle avant J.C. La Plateforme Ouverte du Patrimoine parle d'une exploitation dès la fin du Ier siècle après J.C. Des fouilles en cours, qui s'intéressent surtout aux habitats et ateliers des ouvriers travaillant dans ces carrières, et à venir vont peut-être lever cette apparente contradiction. Peut-être que les colonnes d'Ainay proviennent d'une autre carrière du même granite ou d'un autre granite aux mêmes propriétés, ou alors l'exploitation de ces carrières a commencé au moins 1 siècle avant ce que pensent les historiens ? Affaire à suivre !

Il est difficile, depuis Lyon, de trouver des photographie de nature prises sur l'ile Cavallo. Il n'y a que 8 photographies de l'intérieur de cette ile disponibles sur Google Earth, alors qu'il y en a des dizaines sur l'ile voisine de Lavezzo, pourtant de même taille. Il est vrai que l'ile Cavallo est un « ghetto de riches », ainsi décrit par Wikipédia : « la fortune ou la notoriété de certains propriétaires de villas sur l'ile, et le fait que les bateaux de promenade “grand public” se contentent de passer au large, les guides insistant bien sur le caractère “privilégié” de ses habitants, ont valu à Cavallo son surnom d'île des milliardaires. » On peut voir des vues in situ de ce granite (vues prises sur l'ile Lavezzo et non pas sur l'ile Cavallo) dans Les bouches de Bonifacio (Corse), paradis du naturaliste en vacances – Les granitoïdes des Lavezzi.

Vue aérienne de l'ilot San Bainsu (Corse)

Figure 24. Vue aérienne de l'ilot San Bainsu (Corse)

Même à cette échelle, on devine ce qui reste des carrières romaines (à gauche de la petite punaise jaune).


Figure 25. L'ilot San Bainsu, au Sud-Ouest de l'ile Cavallo (Corse)

Un paysage typique des pays granitiques de bord de mer.



Comparaison entre, à gauche, la surface polie et abritée des intempéries d'une des colonnes d'Ainay et, à droite, de la surface brute du granite de l'ile Lavezzo, surface soumise aux intempéries

Figure 27. Comparaison entre, à gauche, la surface polie et abritée des intempéries d'une des colonnes d'Ainay et, à droite, de la surface brute du granite de l'ile Lavezzo, surface soumise aux intempéries

Ces granites se ressemblent. Est-ce vraiment le même granite ? Si non, il y a une convergence étonnante entre l'aspect, les propriétés magnétiques et la composition chimique du granite d'Ainay et celles de ce granite corse qui, comme par hasard, était exploité par les Romains. Si oui, il faudrait que les historiens révisent la chronologie de l'exploitation des granites corses. Affaire à suivre.


Localisation de l'abbaye d'Ainay (punaise bleue), des théâtres romains de Fourvière (punaise jaune) et de l'amphithéâtre des Trois Gaules (punaise rouge) dans l'agglomération lyonnaise

Figure 28. Localisation de l'abbaye d'Ainay (punaise bleue), des théâtres romains de Fourvière (punaise jaune) et de l'amphithéâtre des Trois Gaules (punaise rouge) dans l'agglomération lyonnaise

La Saône coule au pied de la colline de Fourvière et sépare les théatres romains de la presqu'ile au Sud et de la colline de la Croix-Rousse à l'Est.