Image de la semaine | 01/04/2024
Faire de la géologie en visitant les monuments romains de Lyon (Rhône). 2/ La tectonique dans les colonnes de marbre du théâtre antique de Fourvière
25/03/2024
Résumé
Plis, chevrons trompeurs, étirement, boudinage, failles, stylolites… nombreuses figures tectoniques en fond de scène.
La colline de Fourvière, à Lyon, abrite un ensemble de monuments romains qui comprend deux théâtres, le petit, appelé « Odéon », et le grand, appelé « théâtre antique de Lyon ». C'est à ce dernier que nous consacreront cette semaine (nous avons consacré la semaine dernière aux voies romaines conduisant à ces théâtres). Cet ensemble a été construit au début de l'Empire romain, sous Auguste ou Tibère, puis agrandi, modifié… Complètement abandonné à la fin de l'empire, cet ensemble a été très dégradé et a servi de carrière de pierres au Moyen-Âge ; en particulier, les murs de scène de ces deux théâtres ont complètement disparu. On retrouve d'ailleurs des pierres issues de ces monuments dans la cathédrale Saint Jean, située juste en bas de la colline de Fourvière. Puis ces ruines ont été ensevelies par des éboulements et des glissements de terrains venant du haut de la colline de Fourvière. Ce passé antique est alors tombé dans l'oubli et l'emplacement des théâtres était recouvert de vergers et de vignes (cf. fig. 29 de la semaine dernière 1/ Les dalles de granite des voies romaines de Fourvière). Redécouverts à la fin du XIXe siècle, théâtres et voies ont été dégagés et restaurés au milieu du XXe siècle et sont maintenant accessibles gratuitement aux promeneurs lyonnais et aux touristes. Ils hébergent en été les Nuits de Fourvière.
Le but de cet article, de celui de la semaine dernière et de celui de la semaine prochaine n'est pas de détailler l'histoire de ces monuments, ni de reconstituer son état initial, ni d'en décrire et interpréter tel ou tel élément architectural. Notre but est géologique. Il est, pour citer Maurice Mattauer, de déchiffrer et comprendre « ce que nous disent les pierres » qui ont servi à construire ces monuments. La semaine dernière, nous avons fait parler les granites de la voie romaine ; la semaine prochaine, nous ferons parler les “marbres” et porphyres décorant l'Odéon. Cette semaine, les colonnes du grand théâtre nous raconteront certains aspects de la tectonique syn-métamorphique dans les marbres. En effet, la majorité de ces colonnes, celles qu'on verra des figures 4 à 23, sont faites en “marbre”, au sens de “calcaire métamorphique” et non pas au sens des marbriers qui appellent marbre toute roche susceptible d'un beau poli. À l'œil nu, ces colonnes sont presque toutes faites dans le même marbre, provenant sans doute d'un même gisement, mais lequel ? L'origine géographique de ces brèches n'est pas précisée dans les documents à la disposition des visiteurs. Je ne connais pas de marbres semblables en région lyonnaise. Ils doivent venir de quelque part dans l'Empire romain, ailleurs en Gaule, ou de plus loin… Les Romains étaient de grands transporteurs de matériaux. Ces marbres présentent un litage très marqué, avec certains lits de couleur blanche, verdâtre ou très sombre. Cette couleur verdâtre est due à un minéral en trace, sans doute de l'épidote, minéral métamorphique riche en calcium ; les lits noirâtres semblent riches en micas noirs. Ce litage peut être dû à l'ancienne stratification des calcaires, à une foliation métamorphique ou aux deux à la fois en cas de parallélisation stratification/schistosité ; on parle alors de transposition. Ce litage est très plissé, avec des vrais plis syn-métamorphes, mais aussi des “pseudo-plis” (figures 8 à 12). Ces marbres montrent aussi des figures de boudinage, sont recoupés par des filons de calcite…
Prendre des figures d'intersection entre des couches (plus ou moins inclinées) et une surface non plane pour des plis est une erreur classique chez les géologues débutants, un pli « attrape-nigaud ». Pour que ces géologues débutants (mes étudiants, tous majeurs) ne fassent plus cette erreur, et parce qu'une (légère) provocation est un moyen pédagogique et mnémotechnique très efficace, j'appelle ces « plis attrape-nigaud » des « plis baise-couillon ».
Toutes les colonnes disposées à l'emplacement du mur de scène lors des fouilles et de la restauration des ruines ne sont pas faites de ce même marbre qu'on a vu des figures 4 à 24. Un observateur attentif et qui a l'œil attiré par la géologie n'aura pas pu ne pas remarquer que la colonne à l'arrière-plan de la figure 6 était, sous sa surface “sculptée”, constituée de brèche, brèche d'éléments clairs pris dans une matrice sombre. Au Nord de la scène, il y a une autre colonne, faite de brèche de marbre (calcaire métamorphique) pris dans une matrice sombre. Cette roche est du plus bel effet, et un spécialiste des roches polies l'appellerait “marbre”, au sens des marbriers. Il existe plusieurs sortes de brèche, que ce soient des brèches de calcaires métamorphiques comme ici, ou des brèches d'autres types de roche, dont deux peuvent s'appliquer aux brèches de ces colonnes : (1) des brèches sédimentaires, cf., par exemple, Promenade géologique dans la vallée de l'Agly, Pyrénées-Orientales – 1/ Écailles tectoniques, brèches, serpentines et autres silicates de magnésium, ou (2) des brèches tectoniques et/ou hydrothermales (par fracturation hydraulique), cf., par exemple, Barytine stratoïde dans le Jurassique basal des Causses, région de Millau, Aveyron, ou les figures 12 à 14 de Les filons de calcite associés à la Faille Nord-pyrénéenne, Sournia, Pyrénées-Orientales. Le fait qu'on voie plusieurs éléments de la brèche qui semblent être deux fragments d'un même élément plus grand et encore jointifs ou voisins plaide pour une origine tectonique et/ou hydrothermale. Plusieurs éléments de cette brèche s'interpénètrent au niveau de joints stylolitiques (cf. Les stylolites de la pierre de Villebois (Ain) à la Carrière des Meules). Une compaction ou une tectonique compressive a eu lieu postérieurement à la bréchification. L'origine géographique de ces brèches n'est pas précisée dans les documents à la disposition des visiteurs.