Image de la semaine | 03/04/2017
Le plus méconnu des volcanismes, le volcanisme des zones de collision, et son volcan actif le plus emblématique : le Mont Ararat (Turquie orientale)
03/04/2017
Résumé
Du volcanisme de collision actuel moyen-oriental au volcanisme de collision tardi-hercynien français.
Le Mont Ararat est un superbe volcan actif. Il est situé en pleine zone de collision, la collision entre la plaque arabique et la plaque eurasienne (la micro-plaque anatolienne se termine « en pointe » quelques centaines de kilomètres à l'Ouest de ce complexe volcanique (cf. figure 17, plus loin). Ses premières laves datent d'environ 2 Ma, sa dernière éruption date de juillet 1840. Le Mont Ararat est un stratovolcan de 40 km de diamètre, soit un diamètre intermédiaire entre les stratovolcans auvergnats des Monts Dore et du Cantal. Il domine les plateaux environnant de 3000 à 4000 m. Ce stratovolcan est constitué d'un "empilement" de coulées de lave, de coulées pyroclastiques, de cônes, de dômes… Ses principales laves sont des andésites, des basaltes andésitiques, des dacites, des basaltes, des basaltes riches en olivine (basaltes picritiques), des trachybasaltes, des téphrites et des rhyolites. La pétrographie et la chimie de ces laves indiquent un volcanisme oscillant entre un pôle alcalin et un pôle calco-alcalin, avec une forte composante crustale (contamination et/ou hybridation par de la croûte continentale). Ce volcan (et son "petit frère", le Petit Ararat) n'est que l'un des 26 volcans actifs ou holocènes que recense le Global Volcanism Program de la Smithsonian Institution dans la région comprenant l'Est de la Turquie, l'Ouest de l'Iran, l'Arménie et la Géorgie. Ce n'est donc en rien une « rareté » !
Le « Livre » des trois religions monothéistes parle d'un Déluge, et, après ce Déluge, la Bible fait s'échouer l'Arche de Noé sur une montagne qu'elle nomme Ararat : « les eaux se retirèrent de dessus la terre, s'en allant et s'éloignant, et les eaux diminuèrent au bout de cent cinquante jours. Le septième mois, le dix-septième jour du mois, l'arche s'arrêta sur les montagnes d'Ararat », Genèse 8-4. Malgré cette "réputation", le volcanisme de ces régions est très peu abordé quand on parle de volcanisme. Outre le fait que ces régions ne sont pas, politiquement parlant, les plus stables actuellement et ne favorisent pas études et voyages, la doxa[1], que ce soit dans l'Éducation nationale (du collège à l'université), dans les médias faisant de la vulgarisation scientifique… ne connait et/ou développe que 3 types de volcanisme (que j'appelle par dérision la « Sainte Trinité du volcanisme »), à savoir : le volcanisme de dorsale (et de rift), le volcanisme de subduction, et le volcanisme de point chaud. Or, le Mont Ararat et tous les autres volcans actifs et holocènes régionaux n'appartiennent à aucune de ces catégories, puisqu'ils sont situés dans une zone de limite de plaques, mais une zone de collision, la collision arabo-eurasiatique, à l'origine des chaînes du Taurus, du Bitlis, du Zagros... Deux raisons peuvent partiellement expliquer (mais non justifier) cette "omission" du volcanisme associé aux zones de collision.
(1) Le volcanisme actif de collision est actuellement relativement peu fréquent dans le monde, en dehors de ces régions moyen-orientales. Il n'y en a pas dans les Alpes (mais il y en a eu à l'Oligocène, cf. Un volcanisme français ignoré voire « interdit » : le volcanisme andésitique oligocène de la plaque européenne des Alpes franco-suisses) ; il n'y a que 3 volcans actifs ou holocènes dans l'ensemble Himalaya-Tibet d'après le Global Volcanism Program, mais il y en avait beaucoup au Mio-Pliocène… Par contre, le volcanisme de collision est très bien représenté dans beaucoup de chaines anciennes qui intègrent ce volcanisme sur des dizaines de millions d'années, beaucoup plus que les 10 000 ans de l'Holocène. C'est le cas de la chaine hercynienne en France.
(2) Si le volcanisme "habituellement traité" est relativement facile à expliquer (décompression du manteau pour les dorsales et les points chauds, hydratation du manteau pour les subductions), le volcanisme (et plus généralement le magmatisme) des zones de collision est plus difficile à expliquer car il est multifactoriel.
Dans la suite de cet article, nous allons vous montrer :
- Des vues du Mont Ararat et des volcans voisins, vues aériennes, sous la neige et au coucher du soleil et prises par le hublot d'un vol régulier, puis des images Google Earth car le Mont Ararat est un "musée" des morphologies volcanique élémentaires, ainsi que des images vues du sol.
- Des cartes et des schémas (très) simplifiés permettant de visualiser le contexte de ce volcanisme et d'en proposer/discuter l'origine.
- Des cartes et autres documents sur un volcanisme de collision bien français, très important, mais bien peu enseigné, le volcanisme hercynien.
Le Mont Ararat est un stratovolcan qui a émis des laves variées, des laves basiques (basaltes, basaltes andésitiques, andésites…) et des laves acides (trachytes, rhyolites, dacites…). Certaines éruptions ont eu lieu sous ou près des glaciers sommitaux et ont donc un caractère phréatomagmatique. Les éruptions les plus récentes permettent donc de voir les morphologies des édifices élémentaires très variés : cônes stromboliens, coulées de lave, maars phréatomagmatiques, dômes… Mais comme il est difficile de faire faire des allers-retours et des survols rapprochés à un avion de ligne, on est obligé de se "rabattre" sur Google Earth pour visiter ce véritable musée volcanologique.
Source - © 2016 Serouj Ourishian – CC4.0 | |
Source - © 1975 // 2007 Pierre Thomas // Metin Erinc |
Quelle(s) est (sont) l'(les) origine(s) de ce volcanisme moyen-oriental qui n'entre pas dans le cadre de la « Sainte Trinité du volcanisme » et ne correspond pas à la doxa habituelle ? Avant de discuter de ses origines possibles, il faut bien en préciser le contexte structural. Google Earth, dans sa rubrique "Galerie", permet de visualiser tous les volcans actifs durant l'Holocène (de -10 000 ans à aujourd'hui). Des articles disponibles sur le web permettent de trouver facilement des schémas précisant le très complexe contexte géodynamique et les limites de plaques (plaques majeures et micro-plaques) dans tout le domaine méditerranéen et moyen-oriental. Il ne reste plus qu'à rajouter les volcans actifs sur ces schémas pour essayer de caractériser le contexte géodynamique de ce volcanisme.
Le volcanisme du Mont Ararat (et des volcans voisins) est situé géographiquement dans une zone de collision. La lithosphère océanique (faisant partie de la Néotéthys) située entre les plaques arabique et eurasiatique a disparu par subduction, et la collision des deux lithosphères continentales a débuté vers -40 à -35 Ma, avec développement d'une chaine de montagne typique des zones de collision (grands charriages…). Chronologiquement ce volcanisme actuel du Mont Ararat et des volcans voisin a lieu dans une phase assez tardive de la collision, quand la convergence des deux plaques se traduit autant par des expulsions latérales et grands décrochements que par des failles inverses et des chevauchements.
L'origine du volcanisme des zones de collision (celui d'Anatolie comme celui de toutes les chaines de collisions), volcanisme « hors Sainte Trinité », est complexe et encore sujet d'actives recherches et d'hypothèses variées (et pas forcément exclusives). Mais ce n'est pas parce que son (ses) origine(s) est (sont) mal comprise(s) qu'il faut l'ignorer, au moins au niveau universitaire, et qu'il ne faille pas proposer des hypothèses génétiques même si elles risquent de s'avérer un jour incomplètes ou trop simples. Il serait intéressant de savoir comment font les collègues et professeurs de SVT turcs ou arméniens qui doivent enseigner l'origine de "leurs" volcans actifs, volcans qu'il leur est difficile d'ignorer.
Les origines proposées pour ce volcanisme moyen-oriental et celui des autres chaines de collision doivent satisfaire et à la pétrologie/géochimie des laves, et à leur contexte géodynamique, ainsi qu'au fait que ce volcanisme est moins continu dans l'espace et dans le temps que le classique volcanisme de subduction. Cette origine serait à rechercher dans une combinaison (avec des proportions variables) (1) de phénomènes de fusion partielle profonde affectant un manteau "normal" (série à tendance alcaline) - ce manteau peut être un manteau asthénosphérique, ou un manteau lithosphérique en cours de réchauffement, (2) de la fusion partielle d'un manteau métasomatisé et hydraté, par exemple par la subduction qui a précédé la collision (série à tendance calco-alcaline), (3) d'une importante contribution de la croûte continentale que ce soit par contamination, ou hybridation d'un magma basique avec un magma d'origine crustal, et (4) de l'arrivée en surface d'un magma d'origine purement crustal qui peut donner des rhyolites sans contribution mantellique. La variation de l'importance relative de ces processus dans les différentes chaines de collision, ou leur variation au cours du temps dans une même chaine explique la grande variabilité chimique et pétrologique de ce volcanisme (et du magmatisme en général si on y inclut les plutons et autres intrusions). Le magmatisme de subduction qui a précédé la collision complique encore la situation.
Sous une zone de collision, les isothermes mantelliques sont perturbés, avec des zones froides au-dessous de leur profondeur "habituelle" et des zonez chaudes au-dessus. Tout cela engendre des mouvements de chaleur et de matière. Les plus fréquemment évoqués de ces mouvements seraient dus au moins en partie aux phénomènes de lithospheric break-off (ou lithospheric break-down) et/ou de lithospheric delamination (en français, rupture ou délamination lithosphérique). Il peut y avoir rupture (sous son propre poids) de la lithosphère océanique plongeante froide, une fois la collision des croûtes continentales réalisée, mais qui est restée "attachée" un certain temps à la lithosphère continentale. Il peut y avoir aussi la délamination / le détachement (sous son propre poids) du manteau lithosphérique épaissi situé sous la croûte continentale elle aussi épaissie. Tout cela va entrainer des mouvements mantelliques, et en particulier des remontées du manteau asthénosphérique, parfois précédemment hydraté. Cette remonté de manteau provoque sa décompression et donc sa fusion partielle pour donner des magmas primaires basiques. La délamination lithosphérique peut se faire au sein du manteau lithosphérique qui va se trouver réchauffé par du manteau asthénosphérique plus chaud qui a remplacé le manteau froid plongeant. Asthénosphère et manteau lithosphérique réchauffés peuvent fondre partiellement. La délamination peut se faire au niveau du Moho comme s'est dessiné sur la figure 19. L'asthénosphère (chaude) arrive alors au contact du Moho continental, ce qui pourra entrainer une fusion partielle de la base de la croûte continentale. Il pourra donc arriver en surface des magmas basiques "primaires" variés, des laves issues de la différenciation de ces magmas basiques primaires, des laves issues de la contamination/hybridation (lors de la traversée de la croûte continentale épaissie) des magmas primaires basiques, et même des laves issues directement de la fusion anatectique.
Et à côté de ces phénomènes où le manteau intervient directement ou indirectement, il peut y avoir fusion et anatexie crustale pour des raisons purement "crustales" sans intervention mantellique. Il peut y avoir sous-charriage d'une croute inférieure chaude et anhydre par une croute supérieure hydratée se déshydratant, remontée et donc décompression de la base de la croûte continentale lors de l'effondrement gravitaire tardi- ou post-collisionnel...
Et si tous ces magmas peuvent arriver en surface et donner du volcanisme (thème de cet article), ils peuvent aussi bien sûr ne pas arriver en surface et donner des intrusions grenues.
Cette extrême complexité intervient aujourd'hui dans les chaines de collision active comme la zone Turquie-Arménie-Iran, et est intervenue dans le passé dans les paléo-chaines de collision, comme la chaine hercynienne, en particulier en France.
Nous vous présentons deux schémas inspirés/modifiés de ceux (1) de Christian Nicollet et (2) de Esmaeil Shabanian et al. (2012, Tectonics, 31, TC3013) résumant certains de ces phénomènes, ceux où intervient le manteau et pouvant expliquer au moins partiellement ce volcanisme moyen-oriental (et, pourquoi pas, une partie du volcanisme et autres magmatismes hercyniens).
Source - © 2016 Inspriré de Christain Nicollet | Source - © 2017 Inspiré de la fig. 13 de Esmaeil Shabanian et al. (2012) |
La quasi-absence de ce volcanisme de collision dans l'enseignement français peut s'expliquer en partie par sa relative discrétion dans les Alpes occidentales. Mais si on peut (à la rigueur) le négliger dans les Alpes française (cf. Un volcanisme français ignoré voire « interdit » : le volcanisme andésitique oligocène de la plaque européenne des Alpes franco-suisses), c'est plus difficile dans les Alpes italiennes (cf. Filons d'andésite et les intrusions de diorite oligocènes (post-subduction) d'Italie du Nord, témoins magmatiques d'un détachement lithosphérique également à l'origine des andésites des Alpes françaises) et c'est carrément impossible dans la chaîne hercynienne. Et pourtant…
Le volcanisme hercynien est abondamment représenté sur la carte géologique de la France au 1/1 000 000, bien qu'il soit moins visible que ses équivalents plutoniques quand on regarde la carte de loin. En effet, les granites sensu lato hercyniens sont représentés en couleurs vives, mais les roches volcaniques ne le sont que par des surcharges discrètes ajoutées sur les terrains du Paléozoïque supérieur représentés en couleurs "ternes" (gris, brun…). Ce volcanisme devient plus évident si, sur cette carte au 1/1 000 000, on remplace les couleurs ternes de ces roches volcaniques (majoritairement d'âge carbonifère) par d'autres couleurs plus vives pour les distinguer des granites et/ou des roches sédimentaires de même âge. Ce volcanisme est également évident si on consulte la légende de cette carte. Cette légende détaille très bien ce volcanisme paléozoïque présent dans la chaine hercynienne, et même le sépare en quatre stades : (stade 1) le volcanisme des ophiolites hercyniennes, bien sûr anté-collision, (stade 2) le volcanisme associé à la subduction précédent la collision hercynienne et à d'éventuels bassins d'arrière arc, (stade 3) le volcanisme contemporain de la collision et des décrochements hercyniens, et (stade 4) le volcanisme associé à l'extension continentale tardi-hercynienne.
Le volcanisme du Mont Ararat et des volcans voisins pourrait être l'équivalent du stade 3, et éventuellement du stade 4.
Il serait donc bon de se rappeler qu'à côté du magmatisme (volcans et plutons) lié à la subduction qui a précédé la collisions, qu'à côté des plutons granitiques et autres intrusions "profondes" liés aux différentes phases de la collision, il y a aussi du volcanisme dans les zones de collision anciennes (en particulier dans la chaine hercynienne en France), et qu'il devait être bien plus important que ce qui est visible aujourd'hui, l'érosion en ayant sans doute fait disparaitre la majorité.
Les notices des cartes géologiques au 1/50 000 permettent, surtout pour les plus récentes d'entre elles qui sont bien plus qu'une simple description des terrains, d'avoir des compléments sur ce volcanisme qui s'étale du Dévonien supérieur au Permien inférieur. La notice et la légende de la carte de Roanne (Loire), par exemple, montre très bien la complexité de la réalité géologique, et indique très bien la coexistence de volcanismes basique, intermédiaire et acide (dominant) au Viséen (Carbonifère inférieur). Cette notice nous indique très bien que, si le volcanisme basique est forcément d'origine mantellique, une partie au moins du volcanisme acide a une origine anatectique (fusion partielle de la croûte continentale) comme le montrent les deux extraits suivants.
On y distingue des roches basiques, intermédiaires et acides. La diversité des textures et des compositions minéralogiques est grande. Il existe aussi quelques variations importantes d'ordre géochimique.
[ ... ]
Du grenat proche du pôle almandin a été observé en de nombreux endroit dans les magmas acides. Une étude détaillée (Bertaux, 1981) a montré que ce grenat représentait des xénocristaux, reliques d'une fusion anatectique du socle métamorphique à l'origine du magmatisme acide du Viséen supérieur.
Ce volcanisme hercynien français est vraiment une source d'affleurements et de sorties de terrain, de données et de documents… pour faire prendre conscience à des étudiants de l'importance du volcanisme de collision, à défaut de pouvoir organiser des excursions géologiques dans des pays lointains.
[1] doxa : du grec ancien δοξα = "opinion" : ensemble, plus ou moins homogène, de préjugés populaires, de présuppositions généralement admises sur lesquelles se fonde toute forme de communication (Wiktionnaire).