Image de la semaine | 13/09/2021
Mini-zones de cisaillement (shear zones) dans des granites et autres roches
13/09/2021
Résumé
Cisaillement et mylonitisation à l'échelle décimétrique.
On peut classer les multiples types de déformations existant dans la nature de différentes manières. On peut ainsi séparer (1) les déformations cassantes et discontinues (failles, fentes…, cf., par exemple, Failles normales et extension dans une zone de convergence (chaîne de collision) : exemple au Ladakh (Inde), Himalaya et Fentes en échelons dans les Alpes, les Pyrénées et le Sahara) et (2) les déformations continues (plis, schistosité/foliation…, cf., par exemple, Les migmatites micro-plissées de la Sand River, Afrique du Sud). Dans les déformations continues, on peut séparer les déformations homogènes ou hétérogènes, mais cela dépend de l'échelle d'observation. Dans ces mêmes déformations continues, on peut aussi distinguer (1) l'aplatissement/élongation sans mouvement tangentiel, “officiellement” appelé “cisaillement pur” (pure shear en anglais) et (2) le “cisaillement simple” (simple shear en anglais) qui possède une composante tangentielle, cf. Plan d'aplatissement, plans de schistosité (plans S) et plans de cisaillement (plans C). Toutes les associations peuvent exister entre ces différentes catégories (association pli/faille, plis/schistosité, cisaillement/schistosité…). Toutes les relations géométriques entre ces catégories peuvent être étudiées (position de la schistosité dans un cisaillement simple…).
C'est cette dernière relation schistosité/cisaillement simple que nous vous montrons cette semaine dans le cas de déformations hétérogènes, à l'échelle de quelques centimètres. Nous présenterons des “petits” cisaillements simples affectant des granites, des marbres ou des gneiss plus ou moins migmatitiques. Dans un premier temps, nous regarderons ce cisaillement affectant une dalle de salle de bain (figures 1 à 7), puis un cisaillement affectant un filon de granite dans le massif de l'Agly (figures 8 à 13), puis six cisaillements provenant du Tyrol italien (figure 14), puis un cisaillement dans un marbre des Corbières (figures 15 et 16), puis des cisaillements dans des gneiss de Namibie (figures 17 à 22), et enfin des cisaillements affectant des migmatites d'Inde (figures 23 et 24). Certains de ces mini-cisaillements ont été découverts tout à fait par hasard, car visibles là où on ne les recherchait pas, à savoir dans des dalles polies de salle de bain, de tables de bar, d'un hall d'aéroport… Pensez-y quand vous irez à l'hôtel, au café, prendre l'avion… Par contre, les échantillons bruts issus des Pyrénées ou du Tyrol italien n'ont été trouvés que parce qu'on les cherchait.
Dans le cas d'un cisaillement ductile, il y a deux extrêmes possibles, avec tous les intermédiaires : une déformation homogène sur un grand volume de roche (figure 6) ou une déformation hétérogène et localisée (figure 7). En théorie, des contraintes anisotropes mais “homogènement anisotropes” doivent engendrer une déformation homogène et régulière si le matériel est lui-même homogène. Par contre si le matériel est hétérogène, avec par exemple une zone moins résistante, cette zone moins résistante localise la déformation qui se concentre dans une bande étroite : une zone de déformation (shear zone). Or, une zone déformée voit la taille de ses cristaux diminuer, ce qui diminue la résistance de cette zone à la déformation, ce qui y concentre encore plus la déformation… C'est pour cela qu'à toutes les échelles (de l'échelle de la lithosphère à celle de l'échantillon) la déformation se concentre souvent dans des zones localisées, des zones de cisaillements (shear zones).
Dans les figures précédentes, que ce soit dans la dalle de granite de la salle de bain ou dans les schémas théoriques, les cristaux initiaux ont changé de géométrie et de taille, mais sont encore reconnaissables. Le granite est devenu orthogneiss. Si les plans de schistosité sont très rapprochés (mais les minéraux encore reconnaissables (du moins à l'œil nu), on passe progressivement d'un orthogneiss à une roche nommée mylonite. Si la déformation est encore plus intense, la taille des cristaux est encore réduite, et les cristaux ne sont plus reconnaissable, du moins à l'œil nu, et on parle alors d'ultramylonite.
On peut parfois sur un même affleurement voir de nombreuses mini-zones de cisaillement, certaines montrant une très faible déformation et d'autres une très forte déformation allant jusqu'à l'ultramylonite. C'est le cas en amont du Lago de Neves (Tyrol, Italie) où le travail de Philippe Goncalves (2014) décrit des dizaines de mini-cisaillements visibles sur des polis glaciaires affectant des granodiorites, polis glaciaires récemment dégagés par le recul d'un glacier. La figure 14 montre 6 photographies de 6 mini-zones de cisaillement, allant d'une granodiorite à peine déformée à des bandes d'ultramylonite de plusieurs centimètres de large.
Source - © 2014 D'après P. Goncalves (fig. 21 p.50), modifié
Les mini-cisaillements ductiles n'affectent évidemment pas que les granites, mais tout type de roche. Mais ces zones de cisaillement et leur déformations croissantes sur quelques centimètres ne sont bien visibles à l'œil nu que si la roche contient des éléments aux couleurs contrastées visualisant la déformation, que ce soit des granitoïdes comme dans les photographies précédentes, des gabbros comme dans Un gabbro déformé, ophiolite hercynienne de Chamrousse (38), ou des calcaires à rudistes comme dans les deux figures suivantes.
Souvent, il faut chercher ces mini-zones de cisaillement, comme dans le massif de l'Agly, près du lac de Neves, dans les Corbières… Et quand on cherche, on trouve comme le dit l'Évangile (Matthieu 7:7-11). Mais parfois, c'est par hasard qu'on tombe sur des mini-cisaillement “hors sol”, comme celui de la salle de bain d'un hôtel du Dakota du Sud. Combien de clients se sont brossé les dents dans cette même chambre d'hôtel sans remarquer qu'il se brossaient les dents devant un décrochement senestre ; « ils ont des yeux mais ils ne voient pas » comme le dit le prophète Jérémie.
Voici deux exemples de mini-cisaillements ductiles affectant des gneiss migmatitiques photographiés “hors sol” au hasard de voyages en Namibie ou en Himalaya.
Les mots mylonites, ultramylonites… ont souvent été utilisés dans cet article. Jusque dans les années 1970, on appelait mylonite une roche “broyée” par des mouvements tectoniques. Depuis les années 1970, les termes de mylonite et d'ultramylonite sont réservés aux roches intensément déformées en conditions de déformation ductile, quand la déformation s'accompagne d'une recristallisation, c'est-à-dire en conditions métamorphiques (haute température et/ou haute pression). Dans le cas d'un “broyage” en domaine de tectonique cassante, on parle depuis les années 1970 de “brèche de faille”, ou de “cataclasite”, ou encore de “gouge” (voir par exemple les figures 8 et 9 de Miroir de faille décrochante : faille du Vuache, la Petite Balme, Sillingy (Haute Savoie)).
Deux origines à ce mot “mylonite” ont été proposées. L'étymologie majoritairement admise vient du grec mulôn (μυλών) = moulin. Une autre origine est parfois évoquée. Le mot mylonite viendrait du nom de l'athlète grec du 6e siècle av. JC, Milon de Crotone (figure ci-dessous).
Source - © ~1540 Niccolo Boldrini, coll. du LACMA