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Image de la semaine | 18/03/2024

La plus grande exposition de sidérites (météorites de fer) du monde en Namibie

18/03/2024

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Fragments de la météorite de Gibeon installés sur le Post Street Mall à Windhoek (Namibie). Sidérites, figures de Windmanstätten, regmaglyptes et ellipses de dispersion de météorites.


Exposition de 29 fragments de la météorite de fer nommée Gibeon à Windhoek (Namibie)

Figure 1. Exposition de 29 fragments de la météorite de fer nommée Gibeon à Windhoek (Namibie)

Les 29 fragments sont installés sur le Post Street Mall, une place au centre de Windhoek, capitale de la Namibie.

Localisation par fichier kmz de l'exposition de fragments de la météorite de Gibeon sur une place de Windhoek (Namibie).


Fragments de la météorite de fer nommée Gibeon à Windhoek (Namibie)

Figure 2. Fragments de la météorite de fer nommée Gibeon à Windhoek (Namibie)

Ce sont 29 fragments qui sont installés sur le Post Street Mall, une place au centre de Windhoek, capitale de la Namibie.


Vue aérienne du Post Street Mall, une place de Windhoek (Namibie), au centre de l'image

Figure 3. Vue aérienne du Post Street Mall, une place de Windhoek (Namibie), au centre de l'image

Les petites taches noires au centre de la place correspondent aux 29 fragments de la météorite de Gibeon.


En 1836, un explorateur anglais ramassa quelques échantillons de ce qu'il supposait être des météorites dans la région de la Fish River (cf. Le canyon de la Fish River, Namibie : discordance, failles, dykes, stromatolites…), dans le Sud de l'actuelle Namibie. Après analyses, l'astronome et chimiste anglais John Herschel (1792-1871, fils de William Herschel, 1738-1822, le découvreur de la planète Uranus en 1781) confirma qu'il s'agissait bien d'une météorite, une météorite métallique que l'on appelle maintenant sidérite. Les habitants de cette région, qui font partie du peuple Nama, connaissaient ces morceaux de fer depuis “toujours” et s'en servaient pour façonner pointes de flèches et autres objets bien avant leur découverte par les européens. L'âge de la chute de ces fragments de météorites est inconnu. Même les légendes namas n'en font jamais état ; la chute doit dater de plusieurs milliers d'années. Soixante-quinze ans après la découverte initiale, juste avant la Première Guerre Mondiale, 33 gros fragments de cette météorite furent collectés dans la région de Gibeon et furent ramenés à Windhoek la capitale de ce qui était alors le Sud-Ouest-Africain, une colonie allemande. Ces fragments pesaient entre 195 et 506 kg. D'autres volumineux fragments furent rapportés à Windhoek et certains, avec de nombreux fragments plus modestes, prirent le chemin de divers laboratoires, universités, musées et marchands de curiosités d'Europe, d'Amérique… Ces morceaux issus d'une même chute sont souvent et simplement appelés « Gibeon ». Cette météorite brisée “en 1000 morceaux” est une météorite métallique (= sidérite), de la classe des octaédrites parce que sa structure cristalline interne (quand elle est visible) forme des octaèdres. Chimiquement, la météorite de Gibeon est composée (en masse) de fer (91,8 %), de nickel (7,7 %), de cobalt (0,5 %), avec un peu de phosphore (0,04 %)…

Tous ces fragments ont été trouvés au sein d'une région plus ou moins elliptique de 390 km de long sur 120 km de large (les chiffres varient un peu avec les références), région centrée sur la ville de Gibeon, d'où le nom donné à tous ces fragments d'une même météorite. Cette disposition des nombreux fragments sur une ellipse est interprétée comme le résultat de la rupture d'un gros objet en de très nombreux fragments au cours de sa traversée de l'atmosphère terrestre. La genèse de ce qui est appelée une « ellipse de dispersion » (strewn field en anglais) sera discutée à la fin de cet article. L'ellipse de dispersion dans laquelle on trouve les fragments de la météorite de Gibeon est la plus grande connue sur Terre.

Avec l'apparition des détecteurs de métaux, de nombreux autres fragments de Gibeon ont été découverts, ce qui fait des Gibeons les plus abondantes (et les moins chères) des météorites métalliques du “marché”. Tapez “Gibeon” sur votre moteur de recherche favori et vous aurez un grand choix de pierres brutes, de pendentifs et autres cabochons, de « porte-bonheur énergisant » pour qui y croit, de montres (cf. Montre taillée dans une sidérite (météorite de fer))… Depuis quelques années, la Namibie règlemente fortement la sortie de météorites de son territoire et les prix risquent de monter. À titre indicatif, en ce début de l'année 2024, un fragment de Gibeon de 400 g se vend environ 2 000 € au marché légal.

Après la Première Guerre Mondiale, le Sud-Ouest-Africain passa sous contrôle britannique puis Sud-africain et devint enfin une république indépendante en 1990. Pendant toutes ces années, les 33 gros « fragments historiques » furent d'abord installés dans un parc botanique, puis dans un ancien fort allemand devenu muséum, puis ils furent rassemblés au centre d'une place publique en plein cœur de Windhoek où j'ai pu les admirer en 2017. Quatre de ces fragments “disparurent” au cours de ces transferts (vols probables), et il n'y en a plus que 29 exposés dans la rue. Des socles laissés volontairement vides rappellent ces disparitions.

Sur cette place de Windhoek, on peut très bien voir la nature et la structure de la surface de ces météorites, en particulier la croute de fusion et de très beaux regmaglyptes. Les regmaglyptes sont des creux et des cupules qui affectent la majorité des surfaces des météorites au-delà d'une taille voisine ou supérieure au décimètre. Ces dépressions sont creusées lorsque la météorite, entrant dans les couches de la haute atmosphère, subit un frottement très important générant une haute température qui fait fondre (voire vaporise) sa surface. Par contre, à part sur une petite coupe de quelques centimètres de côté, coupe ni polie ni attaquée à l'acide, on ne peut pas découvrir l'intérieur de ces météorites.

Vue d'ensemble sur l'installation présentant les fragments de la météorite de Gibeon sur le Post Street Mall, Windhoek (Namibie)

Figure 4. Vue d'ensemble sur l'installation présentant les fragments de la météorite de Gibeon sur le Post Street Mall, Windhoek (Namibie)

La surface, appelée « croute de fusion », est très sombre (couleur due au fer oxydé par la haute température régnant pendant la traversée de l'atmosphère), sans aspérités anguleuses érodées pendant cette traversée… Les regmaglyptes sont particulièrement visibles.


Vue partielle sur l'installation présentant les fragments de la météorite de Gibeon sur le Post Street Mall, Windhoek (Namibie)

Figure 5. Vue partielle sur l'installation présentant les fragments de la météorite de Gibeon sur le Post Street Mall, Windhoek (Namibie)

La surface, appelée « croute de fusion », est très sombre (couleur due au fer oxydé par la haute température régnant pendant la traversée de l'atmosphère), sans aspérités anguleuses érodées pendant cette traversée… Les regmaglyptes sont particulièrement visibles.


Un fragment de la météorite de Gibeon servant de perchoir temporaire sur le Post Street Mall, place au centre de Windhoek (Namibie)

Figure 6. Un fragment de la météorite de Gibeon servant de perchoir temporaire sur le Post Street Mall, place au centre de Windhoek (Namibie)

La surface, appelée « croute de fusion », est très sombre (couleur due au fer oxydé par la haute température régnant pendant la traversée de l'atmosphère), sans aspérités anguleuses érodées pendant cette traversée… Les regmaglyptes sont particulièrement visibles.

L'oiseau est très vraisemblablement un Rufipenne nabouroup (Onychognathus nabouroup).


Un fragment de la météorite de Gibeon exposé sur le Post Street Mall, Windhoek (Namibie)

Figure 7. Un fragment de la météorite de Gibeon exposé sur le Post Street Mall, Windhoek (Namibie)

La surface, appelée « croute de fusion », est très sombre (couleur due au fer oxydé par la haute température régnant pendant la traversée de l'atmosphère), sans aspérités anguleuses érodées pendant cette traversée… Les regmaglyptes sont particulièrement visibles.


Fragment de la météorite de Gibeon exposé sur le Post Street Mall, Windhoek (Namibie)

Figure 8. Fragment de la météorite de Gibeon exposé sur le Post Street Mall, Windhoek (Namibie)

La surface, appelée « croute de fusion », est très sombre (couleur due au fer oxydé par la haute température régnant pendant la traversée de l'atmosphère), sans aspérités anguleuses érodées pendant cette traversée… Les regmaglyptes sont particulièrement visibles.


Socle de granite, au milieu des piliers d'acier faisant office de supports aux fragments, portant une plaque explicative en gabbro

Figure 9. Socle de granite, au milieu des piliers d'acier faisant office de supports aux fragments, portant une plaque explicative en gabbro

L'histoire de la découverte de la météorite de Gibeon est gravée sur la plaque de gabbro venant probablement d'Afrique du Sud.


Plaque explicative de roche noire (gabbro) posée sur un parallélépipède de granite, Windhoek (Namibie)

Figure 10. Plaque explicative de roche noire (gabbro) posée sur un parallélépipède de granite, Windhoek (Namibie)

Sur cette plaque de gabbro, venant probablement d'Afrique du Sud, est gravée l'histoire de la découverte de la météorite de Gibeon, ainsi que sa structure, sa composition chimique…


Vue sur la deuxième météorite de la figure 4 dont un petit fragment a été découpé, ce qui permet d'en voir l'intérieur, Windhoek (Namibie)

Figure 11. Vue sur la deuxième météorite de la figure 4 dont un petit fragment a été découpé, ce qui permet d'en voir l'intérieur, Windhoek (Namibie)

Hélas, le plan de coupe n'a été ni poli ni attaqué à l'acide, ce qui ne permet pas de voir la structure interne de la météorite.


Gros plan sur le plan de coupe d'un autre fragment de Gibeon exposé au centre de Windhoek, Namibie

Figure 12. Gros plan sur le plan de coupe d'un autre fragment de Gibeon exposé au centre de Windhoek, Namibie

Le plan de coupe n'a été ni poli ni attaqué à l'acide. On voit l'extrême minceur de la croute de fusion (quasi invisible), la trace des coups de scie, mais on ne voit pas la structure interne de la météorite.


Quand on coupe une sidérite et qu'on polit la surface ainsi obtenue, on ne voit aucune structure si ce n'est les rayures dues à un polissage imparfait. Par contre, si on attaque cette surface par de l'acide nitrique dilué, il apparait un réseau de lattes cristallines appelées figures de Widmanstätten, du nom du minéralogiste autrichien Aloïs von Beck Widmanstätten (1754-1849) qui les a décrites. Les météorites de fer sont très majoritairement constituées de deux types de cristaux d'alliage fer-nickel, alliages fer-nickel qui forment une famille de minéraux, allant du pôle taénite (teneur en nickel de 20 à 50 %), au pôle kamacite (teneur en nickel d'environ 5 %). Dans les sidérites, il y a des lattes de taénite, qui enserrent de larges plages de kamacite. La taénite forme des cristaux automorphe car elle a cristallisé en premier dans le noyau de l'astéroïde en cours de solidification. La kamacite, cristallisant plus tard est xénomorphe et comble les vides. La solubilité différentielle de la taénite et de la kamacite en milieu acide révèle cette structure cristalline, ce qui forme les figures de Widmanstätten. Nous vous montrons ici les deux faces d'une même tranche de sidérite, l'une simplement polie, et l'autre attaquée à l'acide nitrique dilué. Cette tranche est très probablement issue d'une Gibeon. Nous vous montrons aussi deux photographies d'une coupe d'une petite sidérite (NWA 859, venant officiellement de Taza, Maroc), l'une avant l'attaque de la coupe polie à l'acide nitrique, l'autre après.



Figures de Windmanstätten sur la surface polie puis attaquée à l'acide nitrique dilué de la tranche de sidérite, très vraisemblablement une Gibeon

Figure 15. Figures de Windmanstätten sur la surface polie puis attaquée à l'acide nitrique dilué de la tranche de sidérite, très vraisemblablement une Gibeon

Les figures de figures de Widmanstätten, et en particulier les lattes de taénite, sont particulièrement visibles. La teinte plus ou moins grises dépend de l'intensité des reflets sur cette surface composite et non pas de la couleur intrinsèque de ces deux alliages.


Figure 16. Vues de la surface polie d'une petite sidérite coupée en deux, avant et après attaque à l'acide nitrique

Ce fragment appartient à un lot de plusieurs sidérites appelés NWA 859, venant “officiellement” de Taza au Maroc.

En haut, le plan de coupe a été poli mais non attaqué à l'acide nitrique diluée.

En bas, photo de la même face prise quelques heures plus tard, après une attaque à l'acide nitrique dilué. Les figures de Widmanstätten sont nettement visibles.


Figure 17. Surface polie et attaquée à l'acide nitrique dilué d'une météorite NWA 859

Les figures de Widmanstätten sont nettement visibles.


Figure 18. Zoom sur la surface polie et attaquée à l'acide nitrique dilué d'une météorite NWA 859

Les figures de Widmanstätten sont nettement visibles.



Les météores (on appelle ainsi le phénomène atmosphérique lumineux dû à la traversée de l'atmosphère par un objet extra-terrestre) et les météorites, des « pierres tombées du ciel », sont connues depuis “toujours”. Ces pierres tombaient réellement du ciel et cela avait été maintes fois observé, décrit, commenté (cf. Le 7 novembre 1492, une météorite tombe près de la ville d'Ensisheim (Haut-Rhin)) ; mais d'où venaient-elles ? Jusqu'au début du XIXe siècle, des hypothèses “terrestres” variées avaient les faveurs des naturalistes et des physiciens : pierres crachées par des volcans très lointains, pierres arrachées au sol par des tornades ou des ouragans très lointains, pierres fondues par la foudre à l'endroit même où elles ont été trouvées, concrétions formées dans l'atmosphère (des grêlons de roches en quelque sorte, voir figure 20)… Le débat entre ces diverses hypothèses a duré jusqu'en 1803. En effet, le 6 Floréal de l'an XI (26 avril 1803), une pluie de météorites spectaculaire tomba dans la région de L'Aigle (Orne) : 3 000 pierres tombées du ciel terrorisèrent les habitants. Les plus grosses pesaient jusqu'à environ 8 kg. La nouvelle de l'évènement parvient alors rapidement jusqu'à l'Académie des sciences. Le ministre de l'Intérieur de Bonaparte, Jean Antoine Chaptal (1756-1832, celui qui a introduit et généralisé en France le sucre de betterave pour faire échec au Blocus continental et qui a donné son nom à la chaptalisation) envoya le physicien et astronome Jean Baptiste Biot (1774-1862) pour enquêter à l'Aigle et dans la région. Biot resta plusieurs semaines dans la région, recueillit de multiples témoignages, observa et mesura les dégâts et mini-cratères faits par ces chutes, étudia et analysa de très nombreuses « roches tombées du ciel », qui ne ressemblaient à aucune roche régionale ni même à aucune roche connue (en dehors des autres « pierres tombées du ciel »)… Il cartographia précisément la zone où étaient tombées ces pierres. Elles étaient tombées dans une sorte d'ellipse (dimension de 9x5 km, avec un grand axe orienté NNO-SSE). Il arriva à la conclusion que ces météorites n'avaient pas une origine terrestre, mais venaient de l'espace et qu'un objet de grande taille s'était fragmenté en arrivant dans l'atmosphère de la Terre, les divers morceaux arrivant au sol au niveau d'une ellipse orientée dans le sens de la trajectoire d'arrivée de l'objet extra-terrestre. La qualité des observations et des conclusions de Biot convainquit la communauté scientifique de la validité de cette explication. Les météorites entraient dans le champ disciplinaire de l'astronomie.

Cette météorite de L'Aigle est maintenant classée comme une chondrite ordinaire du groupe L6.

Page de garde d'un livre publié quelques jours avant la chute de la météorite de L'Aigle

Figure 20. Page de garde d'un livre publié quelques jours avant la chute de la météorite de L'Aigle

Ce livre présentait les diverses hypothèses quant à l'origine des météorites et arrivait à la conclusion que les météorites étaient sans doute des « concrétions atmosphériques » (pas de chance pour l'auteur).


Ellipse de dispersion des fragments de météorite tombés à L'Aigle (Orne) en 1803

Figure 21. Ellipse de dispersion des fragments de météorite tombés à L'Aigle (Orne) en 1803

À gauche, localisation de cette ellipse de dispersion sur une vue aérienne de la Normandie et de l'Ile de France.

À droite, carte de Jean Baptiste Biot montrant l'ellipse de dispersion des fragments tombé à L'Aigle (Orne) le 6 Floréal de l'an XI (26 avril 1803). Cette carte fut présentée à l'Académie des sciences en juillet 1803.


Ellipse de dispersion des fragments d'une météorite tombée en 1869 près de Pultusk (Pologne)

Figure 22. Ellipse de dispersion des fragments d'une météorite tombée en 1869 près de Pultusk (Pologne)

À gauche, localisation de l'ellipse de dispersion sur une vue aérienne de la Pologne.

À droite, carte de l'ellipse de dispersion des fragments de la météorite tombée le 30 janvier 1869 près de la ville de Pultusk, en Pologne. Cette chute fut observée par des milliers d'habitants. Les traces lumineuses des bolides observées par les habitants indiquaient un trajet allant du SSO au NNE. On estime le nombre de fragments à plusieurs milliers, dont la masse allait de quelques fractions de grammes à 9 kg. L'ellipse de dispersion mesure 20×9 km. Elle est orientée dans la direction des trajectoires déterminées par les observations faites pendant la chute. Il s'agit d'une des plus importantes « pluie de météorites » bien observée et bien documentée “en direct”. La météorite de Pultusk correspond à une chondrite ordinaire H5.


Le site meteorite-recon comporte un dossier consacré à la météorite de Gibeo. On trouve dans ce dossier de très nombreuses données, dont une carte inspirée de Vagn F. Buchwald (1975) dans son Handbook Of Iron Meteorites, vol. 2, carte qui utilise elle-même (entre autres) des données issues d'un rapport de R. Citron (1967), On the distribution of the Gibeon meteorites of South-West Africa (disponible sur le site de la NASA). Sur cette carte sont localisés une trentaine de points de chute, la masse des fragments qui y ont été récoltés… J'ai repris cette carte, tracé “à la main” une ellipse contenant tous les points de chute, coloré les points de chute en fonction de la masse du plus gros fragment qui y a été trouvé… L'ellipse de dispersion ainsi tracée mesure 400×200 km, chiffres voisins de ceux classiquement cités dans la littérature. Cette ellipse de dispersion est la plus grande connue sur Terre. Elle est par exemple 20 fois plus grande que celle ville de Pultusk, en Pologne (figure 22). On pourrait (au moins partiellement) expliquer cette grande taille par la nature de la météorite. Les ellipses de dispersion les plus fréquentes sont associés à des chondrites, météorites de loin les plus fréquentes, de densité d'environ 3,5 à 4. Ce sont des météorites “fragiles” et aisément fragmentées lors de leur entrée dans l'atmosphère. Les plus grosses chondrites dépassent rarement quelques dizaines de kilogrammes. La météorite de Gibeon est une sidérite. Ces météorites de fer sont denses (densité voisine de 8) et beaucoup moins “fragmentables” que les chondrites. Le plus gros fragment connu de la météorite de Gibeon a une masse de 650 kg (météorite conservée au musée du Cap, Afrique du Sud). Un fragment de météorite de grande masse possède, toute choses égales par ailleurs, une plus grande énergie cinétique qu'une météorite de petite masse, et pourra parcourir une plus grande distance dans l'atmosphère avant d'atteindre le sol. Les météorites sont freinées pendant la traversée de l'atmosphère, et ce freinage dépend de la surface (plus la surface de la météorite est grande, plus le freinage est efficace). Les météorites de fer, denses, ont, pour une masse donnée, une plus petite surface que les chondrites. Masse des fragments plus forte, surface plus petite pour une masse donnée… Cela est-il suffisant pour expliquer la grande taille de l'ellipse de dispersion des météorites de Gibeon ? De plus, dans une ellipse de dispersion “classique”, il y a un tri dans la masse des fragments trouvés au sol, les gros fragments allant plus loin que les petits, plus efficacement freinés. On ne trouve pas une telle répartition de la masse des fragments de Gibeon dans l'ellipse de dispersion. La chute de Gibeon est loin d'avoir livré tous ses secrets.

Ellipse de dispersion des fragments de la météorite de Gibeon (Namibie)

Figure 23. Ellipse de dispersion des fragments de la météorite de Gibeon (Namibie)

À gauche, code de couleur indiquant la masse des fragments et localisation de l'ellipse de dispersion sur une image aérienne de l'Afrique.

À droite, carte modifiée localisant 34 points de chute de fragments de la météorite de Gibeon, indiquant leur masse… J'ai tracé “à la main” une ellipse contenant tous les points de chute, et cerclé de couleur les points de chute en fonction de la masse du plus gros fragment qui y a été trouvé (la masse est inconnue pour les points non cerclés de couleur). Cette carte modifiée montre la très grande taille de l'ellipse de dispersion (400×200 km), la répartition apparemment aléatoire de la masse des fragments. On ne peut donc pas savoir si la météorite initiale tombée il y a des milliers d'années venait du NO ou du SE.