Image de la semaine | 07/09/2020
Le granite de Saint-Julien-la-Vêtre (Loire), un granite hercynien ordinaire mais riche d'enseignements
07/09/2020
Résumé
Magmatisme de collision à granites et diorites montrant des participations crustale et mantellique, mélanges, enclaves réciproques et feldspaths rapakivi.
Le granite de Saint-Julien-la-Vêtre est un des très nombreux granites de France, mais sans doute bien peu de lecteurs en connaissaient l'existence, contrairement aux vedettes que sont les granites de Flamanville, de la Margeride… Pourtant ce granite a beaucoup d'atouts. Citons quatre de ces atouts.
(1) Ce granite fait partie des granites viséens (Carbonifère inférieur, environ −340 Ma) très fréquents dans le Nord-Est du Massif Central, et contemporains des éruptions rhyolitiques et des filons hypovolcaniques (microgranites) les ayant alimentés (cf. Des rhyolites aux granites d'anatexie : le volcanisme hercynien acide de la région de Roanne (Loire et Rhône), un exemple de volcanisme de zone de collision). Les études géochimiques montrent qu'en plus d'être contemporains, ces granites sont cogénétiques avec ces rhyolites, dont la grande majorité de la masse est née de la fusion partielle de la croute continentale. On a donc dans une même région des roches plutoniques à structure grenue, des roches volcaniques à structure microlitique et leurs filons d'alimentation à structure microgrenue. C'est un peu l'équivalent de l'association gabbros, cortège filonien et basaltes des ophiolites.
(2) Cette région fait le lien entre le volcanisme des zones de collision (le grand oublié des programmes et des médiateurs) et les granites de ces mêmes zones de collision, beaucoup plus “populaires”.
(3) On peut “facilement” prouver sur le terrain qu'il y a une participation mantellique dans la genèse de ce granite, participation minoritaire mais bien présente.
(4) Ce granite a donné lieu à des exploitations et a servi pour les constructions et monuments locaux, mais a aussi été exporté dans la France entière et a servi à la décoration de bâtiments prestigieux.
Nous allons vous montrer des photographies prises dans cette même carrière de Saint-Julien-la-Vêtre ou à son voisinage immédiat (figures 1 à 9), des photographies prises dans 2 autres sites du même massif granitique (figures 10 et 11 pour le site 2, et figures 13 à 24 pour le site 3), et enfin des photographies montrant l'usage de ce granite (figures 26 à 29).
Source - © avant 1930 Jousse | |
À 3 km au Nord de la carrière de Saint-Julien-la-Vêtre, au sein du massif de granite, on trouve un petit corps de diorite d'environ 1 km de diamètre : la diorite de Piolard. Rappelons que les diorites sont des roches basiques, équivalents grenus des andésites. Elles proviennent le plus souvent de la différenciation et/ou d'une contamination d'un magma basaltique issu de la fusion du manteau, soit en contexte classique de subduction, soit en condition de collision (cf. Filons d'andésite et les intrusions de diorite oligocènes (post-subduction) d'Italie du Nord, témoins magmatiques d'un détachement lithosphérique également à l'origine des andésites des Alpes françaises), soit en contexte d'extension. Les conditions d'affleurement sont mauvaises et on ne trouve que quelques boules de diorite isolées dans les champs, les bois et en bord de chemin. Les contacts granite/diorite ne sont pas directement et/ou facilement visibles.
La notice de la carte géologique de Noirétable publiée en 1989 d'après des travaux réalisé en 1983 par Bernard Barbarin donne la réponse à ce problème des relations granite/diorite : « Les relations entre cette énorme enclave dioritique et le granite porphyroïde varient d'un point à un autre (Barbarin, 1983). Elles résultent de la conjonction des classiques transferts d'éléments par diffusion entre matrice et enclave, et de mélange entre magma basique et magma acide liquides en même temps. Le brassage mécanique des phases minérales des deux formations conduit parfois à la constitution de roches hybrides caractérisées par des cristaux à bordures réactionnelles (ocelles de quartz avec blindage de hornblende, feldspaths rapakivis). Le magma hybride qui contenait parfois lui-même des enclaves dioritiques mélanocrates, a pu à son tour être fragmenté par le granite et repris en enclaves. Ce granitoïde hybride à minéraux réactionnels ainsi que l'essaim d'enclaves sombres d'aspect très varié, peuvent être observés au niveau d'un grand parking sur la N89. »
Depuis 37 ans, la N89 a été doublée par une autoroute, a été dénationalisée et est devenue la D1089 ; les affleurements de bord de route ont été partiellement colonisés par mousses, lichens, cyanobactéries et ronces… mais permettent encore de belles observations qui montrent macroscopiquement comment ont été tirées les conclusions publiées il y a 37 ans. Ces observations avaient été effectuées lors de travaux d'élargissement de la N89 et de la réalisation d'un parking (en fait un virage recoupé), et ont bien sûr été accompagnées, à l'époque, de lames minces, d'analyses chimiques… Nous allons vous montrer 12 photographies prises en 2020 en bord de route, 200 m à l'Est et à l'Ouest du parking qui existe toujours (Bord de la D 1089.kmz). Ces affleurements sont situés à 2 km de la carrière de Saint-Julien-la-Vêtre et à 1 km de la diorite de Piolard.
Ce phénomène de mélange de magmas acide et basique, qui montre une participation mantellique dans la genèse de ce type de granites d'origine crustale, est beaucoup plus fréquent qu'on ne le croit. Planet-Terre l'a déjà abordé à plusieurs reprises : Des magmas acides et des magmas basiques qui coexistent, se recoupent, se mélangent…,Quand les crapauds des granites égyptiens démontrent le mélange de magmas à Paris et à Lyon, Les « pillows gabbro » de Sainte Anne, granite de Ploumanac'h, Trégastel, Côtes d'Armor…
Comme il est dit dans la notice de la carte géologique de Noirétable, diffusion et mélange mécanique conduisent parfois à la constitution de magmas, puis de roches hybrides, intermédiaires entre roches acides et basiques, avec une richesse en amphiboles, intermédiaires entre le granite et la diorite, et caractérisées par des cristaux à bordures réactionnelles (ocelles de quartz avec blindage de hornblende, feldspaths rapakivis). Ces roches hybrides ne se rencontrent qu'au voisinage de la diorite de Piolard (moins de 1,5 km). On trouve sur le bord de la D1089 de tels faciès intermédiaires avec des minéraux à bordure différente du cœur. On trouve en particulier des faciès riches en amphibole et à petits feldspaths de couleur rose-orangé foncée. Il s'agit probablement de plagioclases anormalement riches en Fe3+, mais l'examen macroscopique sur le terrain ne permet pas de les distinguer avec certitude d'un feldspath potassique riche en Fe3+ (il faudrait une étude en laboratoire). Cette roche contient aussi de gros microclines classiques de couleur rose pâle entourés d'une couronne rose-orangée foncée (plagioclase très riche en Fe3+ probable, mais on ne peut exclure que la couronne foncée soit constituée de feldspath potassique anormalement riche en Fe3+). Le cœur du cristal de feldspath avait déjà commencé à cristalliser dans un magma acide “normal”. Puis, l'arrivée d'un magma basique a enrichi le liquide en calcium et en fer, et les feldspaths potassiques préexistants ont “continué leur croissance” sous forme d'une auréole de plagioclase. Une telle structure s'appelle la structure rapakivi, du nom d'un granite finlandais (cf. Granites à texture rapakivi et Feldspath à texture rapakivi).
Source - © 2020 D'après M. Faure, colorisé
Ce granite de Saint-Julien-la-Vêtre a été abondamment utilisé localement dans les maisons, églises et autres monuments, régionalement comme à Saint-Etienne, et même nationalement.