Image de la semaine | 14/10/2019
La forêt carbonifère fossile de Champclauson, commune de la Grand'Combe, Gard
14/10/2019
Résumé
Forêt fossile avec troncs en position de vie, reconstitution d'un environnement de plaine d'inondation à dépôts organiques.
La forêt fossile de Champclauson est une curiosité géologique unique en son genre en France. Une quarantaine de troncs d'arbres du Carbonifère supérieur (Stéphanien, 300 Ma) sont fossilisés en “position de vie” et visibles dans la paroi d'une ancienne tranchée d'une mine de charbon à ciel ouvert. Ce site est, à ma connaissance[1], un des deux seuls sites aménagés en France où l'on peut voir une série stéphanienne avec charbon et fossiles d'arbres (l'autre étant le site de la Combarine près de Briançon, mais qui montre des fossiles d'arbres nettement moins nombreux et moins spectaculaires qu'à Champclauson ; la rareté de la végétation, par contre, fait que l'histoire sédimentaire y est plus visible). Ce site a été classé “trois étoiles” au patrimoine géologique de la France (région Languedoc Roussillon, maintenant Occitanie). Il a été choisi pour représenter le département du Gard dans le livre Patrimoine géologique, inventaire national de Patrick De Wever et al. (2018, EDP Sciences et Muséum).
Comme à Saint-Étienne (cf. Le Parc-Musée de la Mine du puits Couriot, Saint-Étienne (Loire) et des affleurements, hélas maintenant disparus, situés près de l'ancien puits Pigeot, La Ricamarie (Loire)), des mines de charbon du bassin carbonifère d'Alès sont exploitées artisanalement depuis le Moyen-Âge dans la région d'Alès / la Grand-Combe / Bessège (Gard). Comme à Saint-Étienne, les mines exploitaient un charbon du Carbonifère supérieur (Stéphanien) déposé dans un bassin en extension, associé à un grand décrochement (transtension) dans le cas du bassin d'Alès. L'exploitation industrielle débuta au XIXe siècle. Elle culmina en 1958, avec 3,3 millions de tonnes extraites par 20 000 mineurs et ouvriers de surface. La dernière mine souterraine ferma en 1985. L'exploitation perdura une quinzaine d'années par des exploitations à ciel ouvert au Nord et à l'Est de la Grand'Combe, en particulier au Nord du hameau de Champclauson. Puis à partir de 2002, les découvertes furent laissées à l'abandon et/ou réaménagées, c'est-à-dire revégétalisées, recouverte de terre… (en un mot détruites), sans que les Charbonnage de France ou des autorités compétentes aient l'idée, l'envie ou les moyens de préserver une petite partie d'un front de taille pour que la géologie du Carbonifère puisse continuer à s'y lire à livre ouvert. Heureusement, avec l'accord de l'ONF propriétaire des lieux, une association a entrepris de sauver une tranchée particulièrement riche en arbres fossiles encore dressés en position de vie. Elle restaura le site, l'aménagea pour des visites touristiques et/ou pédagogiques, continue à l'entretenir et à le gérer. Un musée est installé dans des bâtiments d'où on part pour visiter la forêt fossile avec un petit train. Des activités sont organisées pour les enfants…
Outre les cinq photographies qui précèdent, nous vous montrons 10 figures traitant du contexte sédimentaire et paléogéographique de la forêt fossile au Stéphanien, 7 images supplémentaires des arbres fossiles, et 3 images prises dans le musée.
L'abondance des troncs fossiles encore droits, la rareté des arbres couchés, contrairement à ce qu'on voit (pour combien de temps encore) dans un autre bassin cévenole à Graissessac (mais “dans la nature” et non pas dans un site protégé-aménagé, cf. Fossiles de troncs d'arbres dans une couche de charbon), et la rareté des souches avec racines comme on en voit dans les bassins littoraux (= paraliques) du Nord – Pas de Calais ou des îles britanniques (cf. Old Postcard Gallery- Interior sur le site Fossil Grove Glasgow) posent encore des questions.
Les observations qu'on peut faire dans la tranchée de Champclauson confirment toutes les observations faites dans les mines et les carrières à ciel ouvert du temps de leur exploitation. On peut alors proposer le scénario suivant pour expliquer le bassin d'Alès en général et la position des fossiles de Champclauson en particulier. Au Stéphanien, la région d'Alès / La Grand-Combe correspondait à une plaine d'inondation deltaïque envahissant un piedmont dans une dépression interne à la chaine hercynienne, dépression dont le fond pouvait être occupé par un lac temporaire. Cette plaine d'inondation était traversée par des rivières divagantes, avec nombreux chenaux fluviatiles au bord desquels se déposaient graviers et parfois galets. Une riche végétation forestière (la France était située à l'équateur au Carbonifère) se développait entre ces chenaux, sur un sol argileux plus ou moins marécageux colonisé par la végétation alluviale. La végétation croissait plus vite qu'elle ne se décomposait, et de la matière organique s'accumulait dans ces sols marécageux. En période de crues, les rivières débordaient, le niveau du lac montait, et l'eau envahissait ces forêts marécageuses. Il pouvait alors s'y déposer du sable qui recouvrait les parties basses de la forêt, parfois sur 1 à 3 mètres d'épaisseur (mais en combien de temps ?), et souvent sans déraciner ni renverser les arbres. Quand la base des troncs était enfouie sous quelques mètres de sable, les arbres mourraient. Le haut de l'arbre tombait, les 1 à 3 mètres du tronc enfouis dans le sable restaient droit. Le cœur du tronc fait de lignine et de cellulose se dégradait lentement. L'écorce, principalement faite de subérine, substance encore plus difficilement dégradable que la lignine, subsistait. Le bois du tronc enfoui dans le sable (sauf son écorce) a doucement été décomposé et la cavité ainsi générée s'est fait remplir par du sable. On a ainsi obtenu un moulage interne d'un tronc en grès, moulage limité à sa périphérie par une enveloppe charbonneuse, l'ancienne écorce.
Ce scénario explique bien la plupart des observations faites à Champclauson, mais pas parfaitement tout. Par exemple, cela n'explique pas la rareté des souches avec départ de racines.
Pour le plaisir, nous vous montrons sept autres photographies de troncs, parmi les plus beaux et/ou les plus originaux de la forêt fossile de Champclauson. La majorité de ces troncs sont des sigillaires, appartenant à l'ordre des lycopodiales.
En plus de la forêt fossile elle-même, il y a un musée à Champclauson. C'est d'ailleurs de là que partent les petits trains pour aller sur le site fossilifère qui est clos par une grille et où on ne peut accéder que si on est accompagné par quelqu'un du musée. Dans ce musée, sont exposés des roches et fossiles du Carbonifère supérieur local, des schémas interprétatifs expliquant la genèse du charbon… Il y a aussi des reconstitutions de la flore et de la faune du Carbonifère et du Permien (la période qui débute juste après le Stéphanien). Il y a aussi, et c'est plus étonnant, des animaux du Mésozoïque, dont les fameux dinosaures. Pourquoi mettre des dinosaures dans un musée consacré au Carbonifère alors que les dinosaures n'apparaissent qu'au Trias ? Deux raisons peuvent expliquer la présence de dinosaures dans ce musée. (1) Les dinosaures sont très populaires. Et de même que “des gens” vont au Louvre voir la Joconde, le public va dans des musées de géologie pour voir des dinosaures. Et une association, pour vivre, et vue la faiblesse des subventions, doit attirer des visiteurs pour ne pas être déficitaire. (2) Champclauson est situé au Nord du département du Gard, département limitrophe de l'Ardèche et de la Lozère. Or à 60 km au Nord-Est dans l'Ardèche et à 40 km à l'Ouest-Nord-Ouest en Lozère, il y a deux sites avec traces et empreintes de dinosaures fossiles faciles à visiter (cf. Les empreintes et les pistes de dinosaures du Sud-Est du Massif Central : Ucel et Payzac (Ardèche), Saint-Laurent-de-Trèves (Lozère)). Mettre des dinosaures dans le musée est une invitation pour les visiteurs à continuer leur visite par ces sites ardéchois et lozérien.
[1] Si certains d'entre vous connaissent d'autres sites (faciles d'accès, aménagés ou non) où affleurent dans de bonnes conditions du Carbonifère “productif” riche en charbon, en fossiles et en données sédimentologiques, merci de nous les signaler