Image de la semaine | 07/10/2019
Le Parc-Musée de la Mine du puits Couriot, Saint-Étienne (Loire) et des affleurements, hélas maintenant disparus, situés près de l'ancien puits Pigeot, La Ricamarie (Loire)
07/10/2019
Résumé
Un musée de la mine “classique”, sans géologie, à proximité d'un site rare d'affleurement de Stéphanien fertile à charbon dans son bassin historique de définition, site malheureusement comblé et inaccessible.
Table des matières
Les débuts attestés de l'exploitation du charbon dans le bassin carbonifère de la Loire, dit Bassin de Saint-Étienne (de Firminy à Rive-de Giers) datent du Moyen-Âge. C'étaient des exploitations artisanales ou semi-industrielles, qui devinrent industrielles vers 1810.
L'extraction du charbon dans ce secteur de l'agglomération stéphanoise s'est développée à partir du développement du chemin de fer vers 1840. L'exploitation était assurée par diverses compagnies privées. Trois puits furent forés et mis en service dans le secteur occupé actuellement par le musée et le parc, chaque nouveau puits remplaçant ou complétant l'ancien : Châtelus 1 (1850), Châtelus 2 (1870) et Couriot (1919), baptisé du nom d'Henry Couriot, président de la Société Anonyme des Mines de la Loire. Le puits Couriot avait une profondeur de 727 m. La mine et toutes les installations de surface attenantes furent nationalisées juste après la Seconde Guerre Mondiale (1946) comme toutes les mines de charbon françaises. Au maximum de son rendement, le puits Couriot fournissait 900 000 tonnes de charbon par an. Il y avait 22 000 mineurs dans tout le bassin houiller de Saint-Étienne en 1948. Le premier des deux crassiers (= terrils) qui dominent le site fut “mis en service” en 1938 ; il est relayé par un deuxième en 1948. Rappelons que les crassiers (terme du Sud de la France, appelé terrils au Nord) correspondent aux tas des déblais et autres déchets (principalement des grès dans les bassins houillers carbonifères) que l'on est obligé de sortir de la mine en même temps que le charbon.
L'exploitation du puits Couriot cessa progressivement de 1965 à 1973. La mine est définitivement fermée en avril 1973. La dernière mine du bassin houiller de Sain-Étienne (le puits Pigeot, à la Ricamarie) ferme en 1983. Juste avant cette fermeture, d'anciens “employés” des mines eurent l'idée de sauvegarder ce qui pouvait encore l'être et de garder des traces de ce riche passé industriel et humain. Ils sensibilisèrent des industriels et des élus stéphanois à l'idée d'un musée installé dans (ou immédiatement sous) les installations de surface du puits Couriot. La première pierre est posée en 1988 par le maire de Saint-Étienne. Le Musée de la mine est ouvert en 1991, le site est classé monument historique en 2011, le Parc Joseph Sanguedolce et les espaces actuels d'exposition sont ouverts en 2013 et 2014. Le Parc-Musée de la Mine à un site web qui donne, entre autres, toutes les informations pratiques utiles.
Cet extrait du site de la ville de Saint-Étienne résume ce qu'on voit dans le musée :
La visite libre ou guidée fait découvrir la plupart des espaces parcourus quotidiennement par les mineurs : l'impressionnant lavabo, la lampisterie mais aussi la salle de la machine d'extraction, la salle des compresseurs et le chevalement, élégante tour de métal de 35 mètres de haut. Le parcours dans les bâtiments du puits permet de découvrir le travail des hommes et leur vie quotidienne. Simplement aménagées, les salles semblent avoir juste été abandonnées par les mineurs.
La galerie minière souterraine reconstituée peut seulement être découverte lors des visites guidées, accessibles sans réservation. Les départs des visites guidées ont lieu toutes les 30 minutes environ. Une fois emprunté l'ascenseur qui simule la descente à 700 mètres de profondeur, les visiteurs cheminent dans un univers minutieusement reconstitué avec l'aide d'anciens mineurs. Après avoir voyagé avec le petit train de la mine, ils découvrent le travail et la vie des hommes au fond. Comme dans une vraie mine, il faut serpenter dans la pénombre entre les étais : un vrai moment d'exploration qui enchante petits et grands.
Depuis décembre 2014, la visite de Couriot s'est considérablement enrichie avec l'ouverture de 1 000 m² de nouvelles salles d'exposition, dans une architecture et une scénographie résolument contemporaines : la figure du mineur, la grande histoire de Couriot, six siècles d'aventure houillère de Saint-Étienne et de son territoire. Les visiteurs peuvent notamment y observer le grand plan-relief du bassin présenté à l'Exposition universelle de 1889, profiter du théâtre animé qui fait revivre la transformation du paysage de Couriot, mais aussi découvrir des affiches, des objets du quotidien...
Des ressources pédagogiques sont mises en ligne pour que les enseignants puissent préparer leur visite avec des élèves, avec 3 niveaux de dossiers concernant la géologie, cycle 3, cycle 4 et lycée/post-bac.
J'ai visité ce musée en juillet 2019. Qu'y ai-je vu et pas vu ?
Ce qu'on y voit
Voici quelques photographies de la galerie reconstituée, de l'intérieur restauré, des installations de surface, de salles du musée, de l'extérieur…
En plus du chevalet et de la galerie reconstituée, les intérieurs de certains bâtiments ont été restaurés et se visitent. Ce sont les “espaces patrimoniaux” dont nous vous montrons deux exemples : les lampisteries et le grand lavabo.
En plus des espaces patrimoniaux où les volumes intérieurs de bâtiments miniers ont été restaurés dans l'état où ils étaient avant la fermeture, d'autres bâtiments d'époque ont été complètement réaménagés et transformés en salles d'exposition. On y voit des objets et affiches d'époque, des spectacles-montages audiovisuels, des photographies d'époque… montrant le travail des mineurs, la vie en surface, des évènements historiques…
La grande absente du musée dans son état actuel (2019) : la géologie
On ne peut que se féliciter que des initiatives privées puis publiques aient permis de sauver une partie importante du patrimoine “industriel et social” de Saint-Étienne en permettant (1) que certains des bâtiments et installations minières échappent à la destruction, et (2) que des objets et des archives soient valorisés dans le musée. Ce n'était pas acquis d'avance car beaucoup à Saint-Étienne voulaient « du passé faire table rase » et souhaitaient effacer les stigmates d'un passé regretté et le souvenir de fermetures douloureuses.
Le Musée de la Mine de Saint-Étienne est conforme à la définition de “musée de la mine” de Wikipédia : « Un musée de la mine est un espace muséographique, écomusée, centre d'interprétation consacré aux aspects historiques, techniques, sociologiques, culturels et patrimoniaux d'une exploitation minière. Il peut être installé directement dans des sites liées à la mine (site d'extraction, logements ouvriers) ou dans un bâtiment spécialement construit . » Cette définition correspond bien ce qu'on voit à Saint-Étienne et dans les autres musées de la mine de France, mais aussi, hélas, à ce qu'on ne voit pas (ou très peu et/ou très rarement) : la composante géologique. Or il n'y a des mines que parce que des circonstances géologiques particulières ont accumulé à une époque et en un lieu donnés une substance utile, du charbon au Carbonifère supérieur dans le cas de Saint-Étienne. Comment s'est fait le charbon, quel était le type de vie à Saint-Étienne au moment de la formation de son charbon, pourquoi s'est-il accumulé 1000 m de sédiments gréso-carbonés à Saint-Étienne et pas à Roanne ou à Annonay au Nord ou au Sud du département, pourquoi cette accumulation a eu lieu il y a 300 millions d'années et pas avant ou après ? Autant de questions qui ne sont pas (ou très peu) abordés dans le Musée de la Mine en 2019, ou qui, si elles le sont, le sont dans des salles discrètes, non signalées, fermées, non signalées sur le site web en 2019. Pourquoi ne sont pas exposer des roches, des fossiles, des documents originaux des différentes compagnies (puis des Charbonnages de France) ayant exploité les mines dans le bassin carbonifère stéphanois et même plus simplement (et provisoirement en attendant mieux) les documents que le musée propose sur son site de ressources pédagogiques ? Manque d'argent ou/et manque d'intérêt ?
Des partenariats avec le Musée des Confluences de Lyon, les universités locales (Lyon, Saint-Étienne), le(s) dépositaire(s) des archives des Charbonnages de France, et bien sûr avec l'École nationale des mines de Saint-Étienne permettraient de belles améliorations. Sur le site parlant des collections de l'École nationale des mines de Saint-Étienne, on trouve la description alléchante suivante : « Collections de paléontologie animale et végétale, avec en particulier un ensemble de fossiles végétaux servant à la définition de l'étage européen du Stéphanien (à la fin du Carbonifère ; nommé Gzhélien dans la classification internationale). Les collections du houiller sont multiples, avec en particulier un dépôt de divers sondages des bassins français par la Société des Houillères HBCM. » Ce même site écrit encore : « Ces collections sont vivantes (accueil de visites, prêts, participation à des expositions, etc.) », mais sans préciser les modalités de ces visites, qui doivent sans doute se faire au cas par cas, vraisemblablement par manque de moyens financiers, matériels (locaux) et humains.
On pourrait rêver qu'une nouvelle tranche soit créée au musée, après (1) l'inauguration en 1991, (2) le parc-jardin Joseph Sanguedolce ouvert en 2013, (3) les espaces d'exposition ouverts en 2014. On pourrait même proposer un nom à ces nouvelles salles : les “salles du charbon et du Stéphanien”.
Source - © 1877 - / Médiathèques municipales de Saint-Étienne
La fermeture du puits Pigeot : exemple d'une occasion manquée, voire d'un beau gâchis
L'étage “Stéphanien”, dernier étage du Carbonifère a été proposé en 1878 et adopté en 1893. Il a été défini dans la région de Saint-Étienne. Cet étage et son stratotype ont été officiellement abandonnés, car il s'agit de faciès continentaux, et la définition d'un étage et de son stratotype se doivent d'être marins pour permettre, à priori, de plus amples corrélations. Dans l'échelle stratigraphique actuelle, le Stéphanien correspond au sommet du Moscovien, au Kasimovien, et à la base du Gzhélien (de −304 à −299 Ma). Ce terme Stéphanien est encore très employé en Europe de l'Ouest, en particulier par le BRGM dans ses cartes géologiques. Et, aussi étonnant que cela puisse paraitre, il est très difficile de voir du Stéphanien (surtout du Stéphanien productif) à Saint-Étienne ou dans la région stéphanoise. On peut encore entrevoir des affleurements se dégradant sur des bords d'autoroute, au fond de parkings de supermarché, dans des zones et parcs industriels… Une liste d'affleurements (encore visibles ?) est consultables sur un document du site de la Société Amicale des Géologues Amateurs.
On peut remarquer que la région Auvergne-Rhône-Alpes abrite deux stratotypes (le Bérriasien et le Stéphanien) et qu'aucun d'eux n'est protégé, valorisé… Une honte !
À la fin des années 1980 – début des années 1990, les autorités compétentes (Charbonnage de France, communes, département, région, État, Europe… ?) auraient pu (dû) faire quelque chose pour protéger-valoriser le Stéphanien.
En 1983, le dernier puits, le puits Pigeot, situé à la Ricamarie, ferme définitivement. Toutes les installations de surface finissent rasées. Ce n'est pas gravissime, puisqu'au même moment on commençait à préserver certaines des installations du puits Couriot. Mais avant de tourner définitivement la page “charbon” à la Ricamarie, une découverte (carrière à l'aire libre) fut ouverte juste au Nord du puits, sur des terrains des charbonnages. Cette ouverture pouvait avoir eu deux buts : récupérer à peu de frais quelques milliers de tonnes de charbon facile à exploiter avec des engins de terrassement, et/ou sécuriser le sous-sol pour installer ultérieurement sur ces terrains une zone industrielle. Pendant l'été 1988, je suis allé dans cette découverte. On y voyait des couches de charbon et de grès ainsi que leurs relations stratigraphiques, le pendage des couches parfois redressées à la verticale ce qui est étonnant dans un bassin en extension, des fossiles, d'anciennes galeries de mine recoupées par le front de taille… J'y ai pris quelques diapositives (c'était avant le numérique). Un témoignage de richesses géologiques irrémédiablement perdues, par absence de « volonté politique ».
On aurait pu alors imaginer, à la fin de la courte exploitation de cette découverte, une sécurisation-aménagement des parois, le traçage d'un sentier avec une mise en valeur d'affleurements sédimentologiques, tectoniques, paléontologiques, la sécurisation de l'entrée d'anciennes galeries… À quelques centaines de mètres, le crassier Saint-Pierre (issus des déblais du puits Pigeot), avec ses dépôts de soufre et de sels (cf. Combustion des mines de charbon et des terrils (ou crassiers) : du Germinal d'Émile Zola au Crassier Saint-Pierre à La Ricamarie (banlieue de Saint-Étienne, Loire)) aurait lui aussi pu être aménagé-valorisé. Au lieu de ce rêve, la carrière fut remblayée, et les nouveaux terrains récupérés furent transformés en zone industrielle et/ou artisanale (qui aurait pu être installée quelques centaines de mètres plus loin). Détruire un site géologique unique pour y établir un distributeur de matériel électrique qui aurait pu être installé 300 m plus loin ! Au XXe siècle, préserver le patrimoine, surtout le patrimoine géologique, n'était pas encore entré dans les mœurs ! Les choses ont elles changé ?