Outils personnels
Navigation

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Vous êtes ici : Accueil RessourcesLes carrières souterraines de craie phosphatée de la Malogne (Cuesmes, province du Hainaut, Belgique) et ses restes de mosasaures

Image de la semaine | 28/02/2022

Les carrières souterraines de craie phosphatée de la Malogne (Cuesmes, province du Hainaut, Belgique) et ses restes de mosasaures

28/02/2022

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Un environnement de dépôt particulier à la fin du Crétacé : phosphates et fossiles marins divers.


Dans une galerie des anciennes carrières souterraines de la Malogne (Belgique) creusées dans la craie du Maastrichtien (dernier étage du Crétacé, −72,1 à −66Ma)

Figure 1. Dans une galerie des anciennes carrières souterraines de la Malogne (Belgique) creusées dans la craie du Maastrichtien (dernier étage du Crétacé, −72,1 à −66Ma)

À gauche, visiteurs dans une galerie. À droite, fragment d'une mâchoire de mosasaure avec une dent bien visible (la dent mesure 1 à 2 cm de long) photographiée au plafond d'une autre galerie (cf. photo 21 à 26).

Localisation par fichier kmz des anciennes carrières de la Malogne (Cuesmes, province du Hainaut, Belgique).


Des gisements de craie phosphatée sont connus dans la craie du Crétacé supérieur du Nord-Est du Bassin parisien, en particulier dans la Somme et dans la région de Mons (province du Hainaut, Belgique). Les couches phosphatées sont présentes dans des paléocuvettes d'érosion de dimensions infra-kilométriques (érosion par des courants sous-marins ou, éventuellement, ayant eu lieu lors d'émersions temporaires). Le phosphate est contenu dans des sables ou des nodules inclus dans la craie. Les grains et nodules phosphatés sont constitués de minéraux du groupe des francolites, mélange complexe d'apatite (Ca5(PO4)3(OH,Cl,F) plus ou moins carbonatée et/ou soufrée, et dont la formule générale est (Ca,Mg,Sr,Na)10(PO4,SO4,CO3)6F2-3. Ces phosphates ne proviennent pas d'une précipitation directe à partir de l'eau de mer (la teneur moyenne de la mer en P2O5 est d'environ 0,07 ppm). Les organismes vivants (plancton, animaux et végétaux marins) concentrent le phosphore (la teneur des tissus biologiques peut atteindre 1 % en masse). À la mort des organismes, la décomposition bactérienne libère le phosphore contenu dans les cadavres (ou les fécès) sédimentés au fond ; ce phosphore enrichit la boue du fond et précipite dans des phosphates du groupe des francolites sous forme de petits grains. Ces minéraux phosphatés sont plus denses que les argiles et carbonates de la boue crayeuse. Si le fond est parcouru par des courants, et comporte des “cuvettes” topographiques, ces grains se concentrent dans ces cuvettes qui ont alors signification de placers. La circulation des fluides diagénétiques peut entrainer des concentrations secondaires, des regroupements sous forme de nodules… La teneur des niveaux crayeux ayant été exploités varie de 5 à 20 % de P2O5.

Carte géologique simplifiée du Bassin parisien

Figure 2. Carte géologique simplifiée du Bassin parisien

Les terrains colorés en vert indiquent les zones où le Crétacé supérieur est présent, à l'affleurement ou recouvert de couches cénozoïques. La limite des terrains du Crétacé supérieur ne correspond pas à la limite de la zone de leur sédimentation (qui s'étendait plus à l'Ouest ou à l'Est) mais à une limite d'érosion. Les terrains en bistre représentent les terrains anté-Crétacé supérieur. Les gisements de craies phosphatées correspondent aux cercles gris. Les carrières de la Malogne correspondent au cercle rouge.


La présence de phosphates dans la craie de la région de Mons a été découverte en 1858. En ce milieu du XIXe siècle, les engrais naturels (fumiers, lisier…) ne suffisaient plus à l'agriculture et on a cherché des engrais artificiels, surtout nitrates et phosphates. La craie phosphatée du secteur de Cuesmes (Hainaut, Belgique) a été intensément exploitée de l'année 1877 jusque dans les années 1925. Ces carrières ont été exploitées par la méthode des chambres et piliers abandonnés. Il en résulte un réseau de galeries plus ou moins orthogonales, dites "chambres" (environ 4 m de largeur), laissant en place des massifs inexploités d'environ 4×4 m ("piliers"). La hauteur des chambres varie avec l'épaisseur de la couche phosphatée du Maastrichtien : d'environ 2 m à plus de 9 m. Le site des carrières souterraines de la Malogne cumulait environ 175 km de galeries. Une bonne part de ces anciennes galeries est maintenant inondée, mais certaines parties sont encore accessibles.

C'est l'exploitation (peu onéreuse car en carrières à l'air libre) des phosphates d'Afrique du Nord et de Floride qui entraina l'arrêt de l'exploitation des carrières souterraines de craie phosphatée, comme cela arrêta l'exploitation des phosphotières du Quercy (cf. Le Cloup d'Aural (Lot), les phosphatières du Quercy et leurs “trésors” paléontologiques).

Log stratigraphique du Crétacé supérieur et du Paléocène dans les carrières de la Malogne (Belgique)

Figure 3. Log stratigraphique du Crétacé supérieur et du Paléocène dans les carrières de la Malogne (Belgique)

La craie phosphatée maastrichtienne repose par l'intermédiaire d'un poudingue et d'un hard-ground sur la craie blanche campanienne (craie blanche de Spienne). Elle est surmontée (par l'intermédiaire d'un autre conglomérat et d'un autre hard-ground) par le tuffeau de Ciply datant du Danien. La présence de ces conglomérats et de ces hard-grounds montre que le Crétacé terminal était localement une période d'instabilités sédimentaires, très favorables aux dépôts de phosphates. Le hard-ground supérieur, épais de 0,30 à 1,2 m est très résistant ; il a permis de se passer de soutènement sur une bonne partie du toit des galeries.


L'Association Sans But Lucratif ASBL Malogne a été créée au sein du Service de Géologie Fondamentale et Appliquée de la Faculté Polytechnique de Mons. Elle a pour objet l'étude, la sauvegarde et la préservation des sites géologiques du bassin de Mons ; elle organise des visites de terrain pour le public et la diffusion auprès du public des résultats de ses études. Quel dommage que de telles associations soient bien moins développées en France que chez nos amis belges. C'est piloté par des membres de cette association que j'ai pu visiter en 2013 quelques centaines de mètres des galeries de la Malogne. Merci à eux.

Nous vous présentons dans la suite 25 photographies prises dans ces chambres et galeries. Il est très difficiles de reconnaitre à l'œil nu les minéraux phosphatés dans les parois des galeries, phosphates qui sont sous forme de petits grains de sable non distinguables par un non spécialiste de grains détritiques (quartz…). Nous ne vous montrerons pas de phosphates identifiables, qui sont pourtant présent à hauteur de 5 à 20 %, nous vous montrons des photographies de l'exploitation et de ses conséquences (figures 4 à 6), des images de figures sédimentaires et tectoniques (figures 7 à 10) et surtout des images de fossiles (figures 11 à 28).




Vue sur le hard-ground et le conglomérat compris entre (1) la craie (tuffeau) de Ciply (Paléocène), en haut, et (2) la craie phosphatée du Maastrichtien, en bas

Figure 7. Vue sur le hard-ground et le conglomérat compris entre (1) la craie (tuffeau) de Ciply (Paléocène), en haut, et (2) la craie phosphatée du Maastrichtien, en bas

La très célèbre limite KT se trouve quelque part entre ces deux niveaux de craie. Soit il n'y a eu aucun dépôt pendant cet évènement (courants forts, ou émersion transitoire), soit les dépôts contemporains de cet évènement ont été érodés avant le dépôt du tuffeau de Ciply.


Banc “graveleux” contenu dans la craie phosphatée maastrichtienne

Figure 8. Banc “graveleux” contenu dans la craie phosphatée maastrichtienne

Des stratifications obliques et des biseaux sédimentaires montrent l'importance des courants pendant le dépôt de la craie phosphatée.


Failles normales affectant la craie phosphatée

Figure 9. Failles normales affectant la craie phosphatée

Les niveaux inférieurs sont affectés par les failles ; il semble que les niveaux supérieurs ne le soient pas (ou moins). Ces failles seraient donc (au moins en partie) synsédimentaires. Ces mouvements tectoniques du Crétacés terminal seraient responsables de la formation de cuvettes et de hauts fonds à l'origine de la sédimentation “perturbée”.


Miroir de faille avec ses stries bien visibles

Plafond d'une chambre creusée dans la craie phosphatée exceptionnellement riche en fossiles de bivalves, carrières de la Malogne (Belgique)

Figure 11. Plafond d'une chambre creusée dans la craie phosphatée exceptionnellement riche en fossiles de bivalves, carrières de la Malogne (Belgique)

Chaque “point blanc” (de 1 à 2 cm de diamètre) correspond à un fossile de petit bivalve. L'abondance de coquilles est compatible avec des courants marins ayant concentré les fossiles dans des sites précis (thanatocénose).




Ce qui fait la célébrité des carrières de la Malogne, c'est la possibilité, grâce à l'ASBL Malogne, de voir, en place, après un trajet souterrain court et praticable sans aucune difficulté, des os de reptiles géants du Crétacé supérieur, en particulier des os de mosasaures. Les mosasaures (littéralement « lézard de la Meuse ») sont des reptiles marins géants apparentés aux lézards. Ce ne sont pas des dinosaures, bien que la vulgarisation et le grand public les rangent à tort dans le super-ordre des dinosauriens. La prochaine image de la semaine sera d'ailleurs consacrés aux mosasaures.

Plafond d'une chambre montrant, au centre de l'image, deux os en connexion, peut-être un radius et un cubitus

Figure 18. Plafond d'une chambre montrant, au centre de l'image, deux os en connexion, peut-être un radius et un cubitus

Ces os, d'environ 20 cm de long, appartenaient à une nageoire de Mosasaure.


Gros plan sur la nageoire de mosasaure de la figure précédente, carrières de la Malogne (Belgique)

Figure 19. Gros plan sur la nageoire de mosasaure de la figure précédente, carrières de la Malogne (Belgique)

Les gros os en bas à droite correspondraient à l'avant-bras (ou à l'avant-jambe) d'un membre de mosasaure transformé en nageoire. Les petits os en haut à gauche correspondraient à ce qui reste des os du carpe et du métacarpe (ou du tarse et du métatarse) et des phalanges.


Vue globale d'une chambre au plafond de laquelle ont voit deux ensembles de fossiles d'os de reptile, carrières de la Malogne (Belgique)

Figure 20. Vue globale d'une chambre au plafond de laquelle ont voit deux ensembles de fossiles d'os de reptile, carrières de la Malogne (Belgique)

L'ensemble (1) correspond à des ossements de mosasaure (détails sur les photos 21 à 26) et l'ensemble (2) correspond à une carapace de tortue (photos 27 et 28).


Fossiles d'ossements de mosasaures visibles au plafond d'une chambre des carrières de la Malogne

Figure 21. Fossiles d'ossements de mosasaures visibles au plafond d'une chambre des carrières de la Malogne

Ensemble (1) sur la figure 20. À cette échelle, il est difficile de reconnaitre les différents os.


Vue rapprochée sur des fossiles d'ossements de mosasaures visibles au plafond de d'une chambre des carrières de la Malogne

Figure 22. Vue rapprochée sur des fossiles d'ossements de mosasaures visibles au plafond de d'une chambre des carrières de la Malogne

Ensemble (1) sur la figure 20. À cette échelle, il est difficile de reconnaitre les différents os.


Zoom sur la partie inférieure de la figure 22

Figure 23. Zoom sur la partie inférieure de la figure 22

Un non spécialiste a du mal à reconnaitre les différents os.


Zoom sur la partie supérieure de la figure 22

Figure 24. Zoom sur la partie supérieure de la figure 22

Un non spécialiste a du mal à reconnaitre les différents os, sauf l'os allongé le plus haut sur la photo, où on reconnait une dent. Cet os allongé est donc un fragment de mâchoire.


Détail du fragment de mâchoire avec une dent qui mesure 1 à 2 cm de long

Figure 25. Détail du fragment de mâchoire avec une dent qui mesure 1 à 2 cm de long

Située au plafond, inaccessible, cette dent est difficile à mesurer.


Zoom sur le fragment de mâchoire avec une dent qui mesure 1 à 2 cm de long

Figure 26. Zoom sur le fragment de mâchoire avec une dent qui mesure 1 à 2 cm de long

Située au plafond, inaccessible, cette dent est difficile à mesurer.


Les carrières de la Malogne font partie du patrimoine industriel et géologique du Hainaut. Elles font aussi partie de son patrimoine historique. En effet, ses kilomètres de galeries souterraines ont servi de refuge et de cachette aux résistants lors des deux dernières guerres mondiales.

Parking à l'entrée des carrières de la Malogne (Cuesmes, province du Hainaut, Belgique), entrée que l'on voit sur la droite

Figure 29. Parking à l'entrée des carrières de la Malogne (Cuesmes, province du Hainaut, Belgique), entrée que l'on voit sur la droite

Cette entrée est fermée par une porte métallique dont l'ASBL Malogne possède la clé. Sur la gauche de la photo, on voit un monument et une stèle commémorant les résistants qui se réfugiaient dans les galeries pendant les deux occupations allemandes de 1914-1918 et de 1940-1945.