Image de la semaine | 01/04/2019
Les lacs de lave du volcan d'Ambrym (Vanuatu)
01/04/2019
Résumé
Un volcan en contexte de subduction avec, aujourd'hui, une lave très fluide et un dynamisme éruptif effusif.
La quasi-totalité des photos présentées ici ont été prises en les 6 et 7 aout 2017 par Christian Deloche. Merci à lui d'avoir autorisé Planet-Terre à utiliser ses photographies.
Après un article sur le, Pinatubo, le prototype « caricatural » des volcans explosifs associés à une zone de subduction (cf. Le Pinatubo (Philippines), vingt-sept ans après), voici un autre article concernant un autre volcan de subduction, mais qui obéit moins à la doxa de la vulgarisation volcanologique et de l'enseignement, le volcan d'Ambrym (Vanuatu), qui émet des laves très fluides et qui contient même des lacs de lave. Ces lacs de lave se trouvent au fond des cratères de deux cônes pyroclastiques qui sont apparus dans une caldeira de 12 km de diamètre, caldeira qui s'est formée à la suite d'une éruption plinienne majeure datant du 1er siècle de notre ère. Ces cônes internes contiennent souvent des lacs de lave pouvant être actifs durant des mois d'affilée, et émettent aussi des coulées tapissant le fond de la caldeira.
Les lacs de lave permanents ou semi-permanents sont rares, contrairement à l'image d'Epinal classique des volcans dans les films et les livres pour enfants. Pour qu'un lac de lave puisse exister en continu plusieurs mois ou plusieurs années, il faut une lave particulièrement fluide, et il faut que le cratère le contenant soit relié à un réservoir magmatique profond par une “plomberie” particulière, permettant des échanges fréquents entre lac et réservoir profond. Durant ces trente dernières années, seuls quelques volcans ont (ou ont eu) des lacs de lave actifs pendant plusieurs mois : le Nyiragongo et l'Erta Ale dans l'Est Africain, l'Érébus en Antarctique, le Kilauea à Hawaii, le Masaya au Niracagua, et, donc, le volcan d'Ambrym au Vanuatu.
Après ces cinq premières photos du Marum au sein de la caldeira du volcan d'Ambrym, nous vous montrons trois autres images du Marum, deux figures montrant le volcan d'Ambrym dans sa globalité, sept photographies prises sur l'autre cône interne à la caldeira avec lac de lave, le Benbow.
Puis nous évoquerons l'histoire éruptive du volcan d'Ambrym et son contexte géodynamique, la subduction dite des Nouvelles Hébrides (Vanuatu).
Enfin nous discuterons des notions bien imparfaites de « volcan rouge versus volcan gris » et des relations trop souvent mal présentées « volcans de subduction = volcans explosifs » et « volcans de rift ou de point chaud = volcans effusifs ».
Source - © 1993 – 2019 Claude Robin et al. – Google Earth
À 4 km à l'Ouest du Marum, également dans la caldeira du volcan d'Ambrym, un autre cône volcanique surbaissé, le Benbow, héberge aussi un lac de lave. Nous vous montrons une vue d'ensemble de ce cône du Benbow, une vue du plancher de la caldeira et de son rempart Sud prise lors de la montée sur le Benbow, et cinq photographies internes à son cratère.
Quelle est l'histoire éruptive de ce volcan d'Ambrym et de ses cônes internes à sa caldeira ?
Voilà la traduction partielle de ce qu'en dit le Global Volcanism Program de la Smithonian Institution dans sa Volcanic Data Base concernant tous les volcans d'âge holocène, ici le volcan d'Ambrym.
Ambrym
- Type volcanique : volcan bouclier pyroclastique, caldeira, cônes pyroclastiques, maars.
- Type de roches : basalte, basalte picritique[1], andésite basaltique, andésite, dacite.
- Contexte géodynamique : zone de subduction ; croûte d'épaisseur intermédiaire (15-25 km).
- Ambrym, un vaste volcan bouclier, principalement basaltique avec une caldeira de 12 km de diamètre, est un volcans les plus actifr de l'arc des Hébrides. Une épaisse séquence de dépôts pyroclastiques, d'abord dacitiques, puis basaltiques, recouvre les coulées pré-caldeira du volcan bouclier. La caldeira fut formée il y a environ 1900 ans durant une éruption plinienne majeure, avec des dépôts pyroclastiques dacitiques. Les éruptions post-caldeira, basaltiques et principalement issues des cônes du Marum et du Benbow (internes à la caldeira), mais aussi de cônes situés sur ses flancs externes, ont partiellement rempli cette caldeira. Elles ont produit des coulées de lave qui en ont inondé le plancher et qui ont parfois débordé par-dessus sa bordure.
Ce texte nous rappelle que le magma primaire à l'origine des volcans zones de subduction est de nature basaltique (cf. Les magmas primaires basaltiques issus de la fusion du manteau) et que ce n'est que par différenciation, contamination, mélange… qu'il évolue souvent vers des termes plus acides (andésite, dacite, rhyolite…), mais que cette évolution est loin d'être obligatoire et générale ; elle est même minoritaire sur l'ile d'Ambrym.
Source - © 1993 Claude Robin et al., JVGR
Source - © 2004 D'après Taylor et al., 1995, dans Christova et al., modifié | |
Source - © 2019 wikimapia |
Cet exemple d'un dynamisme éruptif majoritairement (mais non exclusivement) effusif de l'ile d'Ambrym est l'occasion de discuter de deux simplifications/raccourcis trop couramment faits : (1) les notions de volcans rouges versus volcan gris, et (2) les relations volcans de subduction/dynamisme explosif et volcans de rift ou de point chaud/ dynamisme effusif.
Simplifier est une nécessité quand on enseigne ou quand on fait de la vulgarisation-médiation. Encore faut-il adapter ces simplifications à leurs buts et à leurs publics, et surtout avoir conscience que ce qu'on énonce n'est qu'une simplification et non pas une vérité absolue.
La notion de volcans rouges ou gris est très utilisée, commode, mais elle est parfois (souvent) fausse. Le volcan d'Ambrym était gris il y a 2000 ans, il est rouge maintenant. Les exemples abondent. En leur temps, les volcans du Cantal et des Monts-Dore en Auvergne étaient rouges et gris, tout comme la célèbre province volcanique de la Chaîne des Puys (cf., par exemple, Les dépôts pyroclastiques du Puy Chopine visibles dans la carrière du Puy de Lemptégy). Les grands volcans des Canaries (cf. Le stratovolcan des Sept Cités (Sete Cidades, Açores) : anatomie et composition interne) et des Açores (cf. La caldeira de Faial (Açores) et les limites de la (trop) "populaire" notion de volcan rouge / volcan gris) sont parfois rouges, parfois gris. Le plus célèbre des volcans du monde, le Vésuve, alterne les éruptions explosives et effusives. Depuis 2000 ans, on a compté 11 éruptions explosives, 27 éruptions effusives, 25 éruptions mixtes, et 6 éruptions mal caractérisées (source Wikipédia). Le seul volcan dont parle la Bible (volcan qui n'est ni de subduction, ni de rift-dorsale, ni de point chaud, mais un volcan de zone de collision) montre aussi et des coulées fluides, et des dômes, manifestations de lave visqueuse (cf. Le plus méconnu des volcanismes, le volcanisme des zones de collision, et son volcan actif le plus emblématique : le Mont Ararat (Turquie orientale)). Plutôt que de parler de volcans rouges ou gris, on devrait parler d'éruptions rouges ou grises, et encore, une même éruption peut changer d'explosivité pendant son déroulement, comme la célèbre éruption de l'Eyjafjöll en 2010 (cf. Éruption de l'Eyjafjöll sous l'Eyjafjallajökull, Islande).
On associe trop souvent subduction/volcanisme explosif, et rift ou point chaud/volcanisme effusif. Il est vrai que la différenciation magmatique (qui produit des laves visqueuses et des éruptions explosives) est plus fréquente et abondante dans les volcans de subduction que dans ceux de rift ou de point chaud. Mais cette différenciation n'est pas “obligatoire” sous les arcs insulaires, comme le montre son absence aujourd'hui sous le volcan d'Ambrym. Cette différenciation peut exister dans le volcanisme de dorsale-rift et de point chaud, comme ce fut le cas par exemple en mars 1875 pour le volcan Askja en Islande (point chaud sous dorsale) qui a émis 2,5 km3 de pyroclastites et ponces rhyolitiques.
Comme on est le 1er avril, on peut raconter une histoire (qui hélas n'est pas un poisson mais est bien véridique) qui illustre de façon caricaturale ce qui peut se passer si on oublie qu'une simplification n'est qu'une simplification et non pas une vérité absolue. L'histoire se passe dans un collège de la région de Clermont-Ferrand il y a une trentaine d'années (il y a donc prescription). Un maitre auxiliaire (c'est comme ça qu'on appelait les enseignants vacataires à l'époque) préparait le CAPES interne. À Clermont-Ferrand, on ne peut pas ignorer la coexistence de volcans explosifs en dôme et de volcans avec lave fluide avec cône et coulée, puisqu'on les voit par la fenêtre du collège. Ayant en tête les relations subduction/explosif et rift/effusif, et devant faire rentrer la réalité dans ses simplifications qu'il pensait forcément toujours vraies, cet ex-futur professeur a ainsi expliqué la dualité des volcans de la Chaîne des Puys : la Chaîne des Puys correspond à un rift avorté (sans doute pensait-il à la Limagne) associé à une ancienne zone de subduction (la subduction hercynienne ?). On ne peut qu'espérer que ce jeune homme ait pu améliorer ses connaissances géologiques avec le temps.