Image de la semaine | 31/03/2014
Le stratovolcan des Sept Cités (Sete Cidades, Açores) : anatomie et composition interne
31/03/2014
Résumé
Coulées, pyroclastites, dômes, dykes... Observation en coupe du stratovolcan des Sept Cités, île de Sao Miguel, Açores (Portugal).
Le volcan des Sept Cités sur l'île de Sao Miguel (Açores) est l'un des trois stratovolcans avec caldeira de cette île. Ce volcan, très récent, est très peu entaillé par des vallées. Les remparts de sa caldeira sont très végétalisés, et il est difficile d'étudier sa structure interne. Heureusement, l'érosion marine y taille de belles falaises de 100 à 200 m de hauteur, qui permettent de voir la structure des 200 mètres les plus superficiels. Les falaises étudiées ici se situent à l'extrême Ouest de l'île. Les photos ont été prises depuis la Ponta do Escalvado (Pointe des Esclaves).
Au moins 5 types de "roches" et/ou structures peuvent être distingués dans la falaise. Mais attention, l'interprétation proposée ci-dessous a été faite aux jumelles (également appelées « marteau suisse ») et est donc à prendre avec réserve.
- La partie inférieure de la coupe semble constituée de hyaloclastites palagonitisées, ou du moins des dépôts phréato-magmatiques (la différence n'est pas facile à faire vu de loin), de couleur beige à ocre orangée, stratifiées. Résultat d'éruptions volcaniques ayant lieu soit sous une faible tranche d'eau (éruptions dite surtseyennes), soit dans un terrain gorgé d'eau (éruptions dites phréato-magmatiques). La semaine prochaine sera entièrement consacrée à ce niveau.
- Des coulées basiques (CB), très vraisemblablement basaltiques, dont le nombre varie d'un bout à l'autre de la coupe.
- Des pyroclastites acides (PA), vraisemblablement trachytiques, mises en place lors de phases pliniennes ou péléennes du volcan (cf. Les ponces phonolithiques de Santo Antão, Cap-Vert). On peut distinguer au moins cinq de ces niveaux clairs (notés PA 1 à PA 5 sur la vue interprétée).
- Un dôme fait d'une lave assez claire (probablement un trachyte) qui semble recouper les hyaloclastites mais être recouvert de la nappe de ponces PA 3.
- Un dyke sombre (vraisemblablement basaltique).
- Des pyroclastites sombres, noires ou rouges, non indexées sur la figure interprétée et situées entre les nappes de ponces et les coulées basaltiques.
Hyaloclastites, pyroclastites acides et basiques, coulées basaltiques forment un empilement de "strates", d'où le nom de « stratovolcan » donné à ce genre d'édifice. Ces strates sont injectées et/ou percées de filons et intrusions divers. La coexistence dans un même volcan de niveaux clairs (trachytiques) et sombre (basaltiques) montre que la notion de volcan rouge et volcan gris est à prendre avec réserve. Il serait préférable de parler d'éruptions rouges et d'éruptions grises.
Les très belles falaises de la Ponta do Escalvado (Pointe des Esclaves) nous montre la structure et la pétrologie des 200 premiers mètres les plus superficiels de ce volcan des Sept Cités. Ces affleurements posent deux questions :
- Comment est-ce en dessous ?
- Pourquoi cette alternance de roches basiques et acides ?
Une réponse (partielle) à ces deux questions est apportée en allant à la Ponta de Ferraria, autre cap situé à deux kilomètres au Sud-Ouest. Ce cap est extrêmement récent et daterait de 1713, dernière éruption historique du secteur. En 1713, d'après les chroniques historiques, a eu lieu une éruption de type strombolien. Un petit cône, le Pico das Camarinhas s'est formé juste en haut de la falaise. Une coulée s'en est échappée et a formé un cap, la Ponta da Ferraria. Cette coulée, de type aa (cf. Front actif d'une coulée de lave de type aa, flanc Sud du Pu'u O'o (Hawaii), juillet 2001 et Coulées de laves anciennes de type aa (en gratons) : Arizona, Canaries, Islande et Chaîne des Puys ) contient de très nombreuses enclaves qui correspondent à autant d'échantillons récoltés dans la profondeur du volcan. La plupart de ces enclaves sont grenues. Elles ont donc cristallisé en profondeur. Ce sont très vraisemblablement des fragments d'une (ou de plusieurs) ancienne(s) chambre(s) magmatique(s) interne(s) au volcan des Sept Cités, déjà cristallisée(s), et traversée(s) par une nouvelle injection de basalte (magma"primaire") remontant du manteau, sans doute en 1713. On trouve assez facilement une grande variété de roches en enclave, allant des ultrabasites aux gabbros cumulatifs. Quand un magma basaltique cristallise lentement, la cristallisation n'est que partielle au début du processus, et les différents minéraux cristallisent dans un certain ordre qui dépend des températures de fusion-cristallisation de chacun d'eux. En général quand on part d'un basalte alcalin comme aux Açores, il cristallise d'abord de l'olivine, puis du pyroxène, puis du plagioclase. On parle de cristallisation fractionnée. Ces minéraux ne contiennent pas d'alcalin (Na et K) et sont (relativement) pauvre en silice (SiO2). La cristallisation n'étant que partielle, le liquide résiduel, qui n'a pas encore cristallisé, s'enrichit, par différence, en alcalin et en silice. Si on sépare, par exemple par gravité, les ferromagnésiens qui cristallisent et tombent au fond du réservoir, à partir d'une chambre initialement remplie d'un liquide de composition basaltique, on aura, à un moment donné : (1) à la base, un cumulat très riche en ferro-magnésiens (olivine et/ou pyroxène), surmonté (2) d'un mélange pyroxène-plagioclase, surmonté (3) d'un liquide non encore cristallisé, riche en silice et en alcalin, un liquide trachytique par exemple. Si l'éruption a lieu au début du remplissage du réservoir, on aura une éruption basaltique. Si l'éruption a lieu plus tard et que le processus de cristallisation fractionnée / différenciation est déjà bien avancé, on aura une éruption de lave différenciée, riche en silice (acide) et très visqueuse, avec formation de pyroclastites acides (nappes de ponces, coulées pyroclastiques…) et/ou de dômes, de trachyte dans le cas du volcan des Sept Cités. Si, après cristallisation totale ou partielle d'une chambre magmatique, une nouvelle arrivée de magma basaltique non-différencié se produit, ce magma peut échantillonner différents niveaux de l'ancienne chambre, comme il peut aussi échantillonner le manteau (cf. Les nodules péridotitiques "ordinaires" de la coulée basaltique du Ray Pic) ou la croûte (cf. Buchites et enclaves dans les basaltes de la coulée du Ray-Pic). Échantillonner les enclaves de la coulée du Pico das Camarinhas revient à échantillonner différents niveaux d'ancienne(s) chambre(s) magmatique(s) interne(s) au stratovolcan. Et les cumulats ultrabasiques représenteraient la "contrepartie chimique" des trachytes émis sous forme de nappes de ponces ou de dômes.