Image de la semaine | 08/05/2017
Le Briançonnais, peut-être la meilleure région de France pour découvrir les histoires sédimentaires et volcaniques tardives des chaines de collision (chaine hercynienne)
08/05/2017
Résumé
Sédimentation et magmatisme tardi-orogéniques, le cas de la chaine hercynienne dans les Alpes.
Depuis des décennies, la région du Briançonnais est, à juste titre, le cadre d'innombrables excursions géologiques qui étudient les ophiolites, les témoins de la subduction alpine, les plis et les charriages… Pour les géologues, le nom de Briançonnais est également celui une zone paléogéographique particulière des Alpes, et, là aussi, de nombreuses excursions géologiques vont voir son Trias épais, son Jurassique condensé (la fameuse « ile briançonnaise »…). Mais seul un faible pourcentage des excursions géologiques s'intéresse au substratum des sédiments mésozoïques. Et ceux qui ne s'y intéressent pas ont bien tort ! Dans la région de Briançon, le substratum anté-triasique du Briançonnais (au sens géologique) est majoritairement constitué de Carbonifère moyen et supérieur, et d'un peu de Permien. Ces terrains carbonifères permettent, en étudiant les sédiments et les roches hypo-volcaniques qu'ils contiennent, d'étudier l'histoire tardive d'une chaine de collision, la chaine hercynienne.
Comme partout en France, le Carbonifère moyen et supérieur briançonnais correspond aux phases terminales de la collision hercynienne. En général en France, cela se traduit "tectoniquement" par de grands décrochements (exemple du sillon houiller à l'Ouest du Massif Central) et des grabens subsidents limités par des failles normales ou normales-décrochantes. Cela se traduit "sédimentairement" par le remplissage de ces bassins sédimentaires fluvio-lacustres internes à la chaine hercynienne en cours d'effondrement-étirement gravitaire (exemple des bassins de Saint Étienne, de Blanzy-Montceau les Mines…). Cela se traduit "magmatiquement", entre autres, par du volcanisme dont on retrouve des cendres (et parfois des coulées) inter-stratifiées dans les sédiments, sédiments souvent injectés de sills ou de dykes.
La tectonique carbonifère n'est pas facile à étudier en Briançonnais, à cause de la tectonique alpine qui s'y est superposée. Les histoires sédimentaire et magmatique tardi-hercyniennes, par contre, s'y voient très bien. Dans une première partie, nous verrons 18 photographies illustrant quelques aspects de cette histoire sédimentaire. Puis dans une deuxième partie, nous verrons quelques aspects de ce volcanisme tardi-hercynien, bien qu'il n'entre pas dans la "Sainte Trinité" classique du volcanisme.
Au Carbonifère, le Briançonnais correspondait au plus vaste de ces bassins intra-montagneux français. Il est connu sous le nom de « Zone Houillère Briançonnaise ». Dans cette zone, ce sont déposés des centaines de mètres de sédiments, alternances de conglomérats, de grès et d'argiles résultant de l'érosion des jeunes reliefs voisins, et aussi de charbons. Les conglomérats et les grès dominent largement, ce qui est normal dans ces dépressions internes aux montagnes. L'importance de la sédimentation comblait très rapidement les dépressions, qui étaient plus souvent des plaines d'inondation parcourues de cours d'eau divagants que de vrais lacs. La partie supérieure de ces sédiments contient des quartz rhyolitiques (d'après la notice de la carte géologique de Briançon). Plus au Nord (carte géologique de Névache), ont été trouvés, inter-stratifiés dans ces conglomérats, des niveaux de "tuff volcanique". Ces plaines d'inondation pouvaient être recouvertes de forêts ; les torrents issus des montagnes pouvaient charrier beaucoup de bois mort. Arbres en place ou déposés par les torrents en crue pouvaient être recouverts par des argiles pendant une période de calme, par des sédiments torrentiels lors des crues suivantes… Tout cela a permis le dépôt d'importantes couches de charbons. Ces couches ont été exploitées artisanalement ou semi-industriellement, mais n'ont jamais donné lieu à de grandes exploitations, à cause, entre autre, de la tectonique alpine qui a plissé, faillé… ces couches de charbon. Des livres décrivent les côtés historiques et géologiques de ces exploitations, par exemple Les mines paysannes du Briançonnais. Les fossiles de végétaux trouvés dans les pélites et les couches de charbon permettent de dater précisément cette sédimentation et ce volcanisme de la deuxième moitié du Carbonifère.
Comme souvent en montagne, et surtout dans les Alpes du Sud, les affleurements sont de qualité, certains facilement accessibles (bord de route ou courtes marches sur des chemins bien entretenus…). Des sentiers aménagés avec panneaux explicatifs permettent à tout un chacun de découvrir certains de ces sites (par exemple, avec le Géoparc des Alpes cottiennes ou la Société géologique et minière du Briançonnais (SGMB) pour le site de la Combarine qui est l'objet de la première partie de cet article). D'autre sites nécessitent des marches de plusieurs centaines de mètres de dénivelé mais pas plus que pour aller au Chenaillet.
Pour les photographies de terrain, nous nous contenterons aujourd'hui d'affleurements facilement accessibles. Nous compléterons ces images de terrain par des images Google Earth quand c'est nécessaire.
Lors de crues, ces cours d'eau charriant sable et graviers inondaient parfois des arbres bien vivants et ensevelissait leur base dans plusieurs décimètres de sable et graviers, tout en laissant cette base de tronc en position de vie. La partie de l'arbre non ensevelie mourrait et disparaissait ; des argiles fines ou des bancs de sable pouvaient recouvrir ces bancs de graviers contenant des restes de troncs d'arbre en place. Le cours d'eau pouvait aussi charrier des arbres morts qui se déposaient "à plat" sur les bancs de graviers ou de sable lors de la fin de la crue. Là aussi, des argiles fines ou du sable pouvaient recouvrir ces bancs de graviers contenant des restes de troncs d'arbre couchés. Ces arbres ont ainsi pu se faire fossiliser, et on peut en trouver de fort beaux en se promenant dans le Carbonifère briançonnais, comme on peut aussi en voir ailleurs en position de vie, par exemple dans le Carbonifère des bassins d'Alès (Une souche de Sigillaire en position de vie dans des grès, Tronc en charbon en position de vie dans des grès), ou couchés, par exemple dans le bassin de Graissessac (Fossiles de troncs d'arbres dans une couche de charbon).
Comme tout le monde devrait le savoir, le volcanisme est relativement abondant dans les chaines de collision, en particulier pendant leurs phases tardives, même s'il est moins abondant que dans les chaines de subduction ou le long des dorsales et de ce fait absent de la doxa habituelle (cf. Le plus méconnu des volcanismes, le volcanisme des zones de collision, et son volcan actif le plus emblématique : le Mont Ararat (Turquie orientale)).
Les sédiments carbonifères du Briançonnais permettent de mettre en évidence ce volcanisme. Comme indiqué plus haut, d'après la notice de la carte géologique de Briançon, la partie supérieure de ces sédiments carbonifères contient des quartz rhyolitiques. Des rhyolites étaient en cours d'érosion dans la périphérie du bassin au Carbonifère supérieur. Plus au Nord (carte géologique de Névache), ont été trouvés, interstratifiés dans ces conglomérats, des niveaux de "tuff volcanique" prouvant là aussi l'existence d'un volcanisme actif au Carbonifère supérieur. Ces deux témoins du volcanisme carbonifère briançonnais sont discrets. Ce qui est par contre extrêmement visible, c'est que ce Carbonifère est injecté de dykes et surtout de très nombreux sills. Quand ces roches hypo-volcaniques sont proches de niveaux de charbons, elles les métamorphisent et les transforment en graphite, qui a été exploité. La notice de la carte de Névache décrit ainsi le gisement du Chardonnet (figures 24 et 25, plus bas) : « La mise en place des laves stéphaniennes (microdiorites), puis le métamorphisme alpin ont pu transformer localement le charbon en graphite (“plombagine” ) ; le processus a été suffisamment développé près du Col du Chardonnet pour donner un gisement exploitable (fin XIXe – début XXe siècle) ; l'entrée du travers-banc principal se situait à 2655 m sous l'arête du col et un câble acheminait la roche extraite jusqu'au pont de l'Alpe (RN91). Le produit a servi à la fabrication de crayons, balais de dynamo, creusets, graisses, huiles... »
Du point de vue de la chronologie relative, ces laves sont syn- ou post-Carbonifère supérieur. Quelques filons ont été datés dans la Zone Houillère Briançonnaise entre 270 et 280 Ma (Permien inférieur,cf. Late orogenic evolution of the Variscan lithosphere: Nd isotopic constraints from the western Alps, S. Cannic, H. Lapierre, P. Monié, 2002). Ces roches font partie de la série calco-alcaline (prouvant une fois de plus que le volcanisme calco-alcalin peut être produit en dehors d'un contexte de subduction), et leur nature s'échelonne entre des dolérites (= microgabbro, SiO2 = 50%), des micro-diorites (SiO2 = 57%), des micro-granodiorites (SiO2 = 62%) et des micro-granites (SiO2 = 70%). La notice de la carte géologique de Briançon d'où sont extraites les analyses ci-dessous précise : « Ces roches intrusives possèdent un caractère calco-alcalin bien marqué. Elles résulteraient de processus de cristallisation fractionnée [d'un magma basique] contrôlés par une forte teneur en eau du magma (non-participation du pyroxène et de l'olivine) et une forte fugacité d'oxygène (cristallisation précoce de la titanomagnétite). De telles conditions, cohérentes avec une contamination crustale, doivent être mises en relation avec l'existence d'une croûte continentale épaisse ». L'érosion a fait disparaitre tous les édifices volcaniques qui devaient exister au Carbonifère supérieur – Permien inférieur. Le volume des filons sous-jacents à ces volcans laisse supposer que ceux-ci devaient être très importants. On retrouve en Briançonnais ce qu'on avait vu en Anatolie Orientale, en pays Roannais, dans la chaine panafricaine, en Armorique… : les zones de collision, et en particulier lors des phases tardives, sont le lieu d'un magmatisme important (plutonisme, bien connu, mais aussi volcanisme plus méconnu), magmatisme faisant intervenir de la croûte (phénomène désormais classique) mais aussi du manteau, et ce pour de multiples et complexes raisons (extension lithosphérique entrainant une remontée de l'asthénosphère, détachement ou délamination lithosphériques…).
On peut remarquer que le département des Hautes-Alpes (avec en plus le canton de Bourg d'Oisans qui se trouve dans l'Isère) permet de retracer tous les stades de l'histoire d'une chaine de montagne, de sa naissance à sa mort, car une chaine jeune dont les dernières phases n'ont pas encore eu lieu (les Alpes) s'est installée sur une chaine ancienne (la chaine hercynienne) dont les phases tardives sont visibles. Les Alpes permettent de voir le rifting pré-ouverture océanique, une marge passive, un fond océanique, les manifestations tectono-métamorphiques de la subduction, les manifestations tectoniques et magmatiques superficielles de la collision. Mais les manifestations profondes tectono-métamorpho-magmatiques liées à la collision ne sont que très peu à l'affleurement, et l'histoire tardi-tectonique, en particulier l'extension tardive, qui a à peine débuté. Heureusement, ces stades profonds et/ou tardifs très peu visibles dans les Alpes sensu stricto affleurent dans la partie hercynienne des Alpes, dans les Massif Cristallins Externes (Les Écrins) pour les effets profonds de la collision, et dans le Briançonnais pour l'expression superficielle des évènements tardifs.