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Image de la semaine | 29/02/2016

Filons d'andésite et les intrusions de diorite oligocènes (post-subduction) d'Italie du Nord, témoins magmatiques d'un détachement lithosphérique également à l'origine des andésites des Alpes françaises

29/02/2016

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Détachement lithospéhrique (lithospheric breakdown ou lithospheric breakoff) dans les chaînes de collision et magmatisme calco-alcalin post-collision. Exemple des Alpes franco-italo-suisses.


Réseau de filons d'andésite recoupant des gneiss éclogitiques de la zone Sésia, à Lillianes (Val d'Aoste, Italie), image brute

Figure 1. Réseau de filons d'andésite recoupant des gneiss éclogitiques de la zone Sésia, à Lillianes (Val d'Aoste, Italie), image brute

Ces filons d'andésite sont datés d'environ 30 Ma. Ils recoupent des gneiss éclogitiques dont le métamorphisme date de 70 Ma (Crétacé supérieur). Cette zone Sésia correspondrait à un fragment de croûte continentale apulienne entrainée en profondeur par la subduction de l'océan liguro-piémontais durant le Crétacé supérieur et remontée au début du tertiaire. Ces gneiss éclogitiques étaient déjà remontés et refroidis lorsque le magma andésitique les a fracturés et injectés il y a 30 Ma.

On peut localiser précisément ces filons sur Google Earth avec le fichier 523-filons.kmz.


Réseau de filons d'andésite recoupant des gneiss éclogitiques de la zone Sésia, à Lillianes (Val d'Aoste, Italie), image interprétée

Figure 2. Réseau de filons d'andésite recoupant des gneiss éclogitiques de la zone Sésia, à Lillianes (Val d'Aoste, Italie), image interprétée

Ces filons d'andésite sont datés d'environ 30 Ma. Ils recoupent des gneiss éclogitiques dont le métamorphisme date de 70 Ma (Crétacé supérieur). Cette zone Sésia correspondrait à un fragment de croûte continentale apulienne entrainée en profondeur par la subduction de l'océan liguro-piémontais durant le Crétacé supérieur et remontée au début du tertiaire. Ces gneiss éclogitiques étaient déjà remontés et refroidis lorsque le magma andésitique les a fracturés et injectés il y a 30 Ma.

On peut localiser précisément ces filons sur Google Earth avec le fichier 523-filons.kmz.


À Lillianes, charmant petit village du Val d'Aoste (Italie), le torrent (la Lys), affluent de la Dora Baltea qui coule du Mont Blanc jusqu'au Po, fait affleurer dans de très bonnes conditions le substratum de la zone Sésia. Cette zone est classiquement interprétée comme un fragment de la croûte continentale apulienne (africaine) entrainée en profondeur par la subduction de l'océan alpin durant le Crétacé supérieur, et métamorphisée sous le faciès éclogite. La zone Sésia serait remontée lors des phénomènes de collision ayant débutés vers -50 à -40 Ma. Le lit du torrent de la Lys permet de voir que ces gneiss éclogitiques sont recoupés, ici et dans d'autres secteurs de cette même zone, par des filons d'andésite et autres roches calco-alcalines datées d'environ 30 Ma. Ces filons d'andésite sont donc postérieurs à la subduction alpine. Indépendamment des résultats radiochronologiques, on peut facilement déduire par l'observation de terrain que ces filons sont postérieurs au métamorphisme et au refroidissement de ces gneiss : ils ne sont pas eux-mêmes schistosés ni métamorphisés, et ils recoupent clairement la schistosité/foliation de ces gneiss.

En plus de ces filons d'andésite nombreux mais difficiles à voir du fait de leur petite taille, la zone Sésia en particulier, et les autres zones austro-alpines (lithosphère apulo-africaine) sont intrudées de plutons dioritiques et granodioritiques contemporains des filons d'andésite, dont les quatre massifs les plus connus sont (1) la diorite de Traversella, (2) la diorite de Biella, (3) la diorite de Bergell et (4) la diorite d'Adamello. La partie "africaine" (apulienne) de l'arc alpin est donc affectée d'un magmatisme calco-alcalin à l'Oligocène inférieur (≈30 Ma), donc largement postérieur à la fin de la subduction. Rappelons que ce magmatisme calco-alcalin existe aussi sur la partie européenne des Alpes (cf. Un volcanisme français ignoré voire interdit : le volcanisme andésitique oligocène de la plaque européenne des Alpes franco-suisses), où il est non seulement post-subduction comme ses équivalents italiens, mais également disposé « du mauvais côté de la suture » si on interprète "classiquement" le magmatisme calco-alcalin comme une conséquence de la subduction.

Dans un premier temps, nous observerons deux de ces filons d'andésite de la vallée de la Lys. Puis nous vous montrerons un affleurement et une roche du secteur de Biella. Et enfin nous visiterons (rapidement) une intrusion dioritique, la diorite de Traversella située une quinzaine de kilomètres plus au Sud. Puis nous discuterons (toujours rapidement) de l'origine de ce magmatisme calco-alcalin qui a l'outrecuidance de désobéir à la version (trop) simplifiée de la tectonique des plaques.



Vue d'ensemble sur le filon andésitique principal, sur la rive droite de la Lys, Lillianes (Val d'Aoste, Italie)

Figure 5. Vue d'ensemble sur le filon andésitique principal, sur la rive droite de la Lys, Lillianes (Val d'Aoste, Italie)

Les 5 photos suivantes correspondent à des zooms photographiés le lendemain, alors que le niveau de la Lys (niveau dépendant des ouvrages hydrauliques en amont) était légèrement plus bas.


Le filon andésitique principal de la rive droite de la Lys, Lillianes (Val d'Aoste, Italie)

Figure 6. Le filon andésitique principal de la rive droite de la Lys, Lillianes (Val d'Aoste, Italie)

On voit nettement que la roche du filon (andésite à structure doléritique) n'est pas schistosée et que le filon recoupe nettement la schistosité/foliation de l'encaissant gneissique.


Vue sur la pointe Est du filon andésitique principal, Val d'Aoste, Italie

Figure 7. Vue sur la pointe Est du filon andésitique principal, Val d'Aoste, Italie

On voit nettement que la roche du filon (andésite à structure doléritique) n'est pas schistosée et que le filon recoupe nettement la schistosité/foliation de l'encaissant gneissique.


Zoom sur la pointe Est du filon andésitique principal, Val d'Aoste, Italie

Figure 8. Zoom sur la pointe Est du filon andésitique principal, Val d'Aoste, Italie

On voit nettement que la roche du filon (andésite à structure doléritique) n'est pas schistosée et que le filon recoupe nettement la schistosité/foliation de l'encaissant gneissique.


Vue sur le centre du filon andésitique principal, Val d'Aoste, Italie

Figure 9. Vue sur le centre du filon andésitique principal, Val d'Aoste, Italie

On voit nettement que la roche du filon (andésite à structure doléritique) n'est pas schistosée et que le filon recoupe nettement la schistosité/foliation de l'encaissant gneissique.


Zoom sur le centre du filon andésitique principal, Val d'Aoste, Italie

Figure 10. Zoom sur le centre du filon andésitique principal, Val d'Aoste, Italie

On voit nettement que la roche du filon (andésite à structure doléritique) n'est pas schistosée et que le filon recoupe nettement la schistosité/foliation de l'encaissant gneissique.


Sill d'andésite sub-horizontal injecté dans les gneiss éclogitiques dont la foliation locale est elle aussi sub-horizontale, Val d'Aoste (Italie)

Figure 11. Sill d'andésite sub-horizontal injecté dans les gneiss éclogitiques dont la foliation locale est elle aussi sub-horizontale, Val d'Aoste (Italie)

Ce sill est localisé 4 km au Nord du dyke précédent, à Fontainemore. Il est localisable sur Google Earth avec le fichier 523-sill.kmz.


Zoom sur un sill d'andésite sub-horizontal injecté dans les gneiss éclogitiques dont la foliation locale est elle aussi sub-horizontale, Val d'Aoste (Italie)

Figure 12. Zoom sur un sill d'andésite sub-horizontal injecté dans les gneiss éclogitiques dont la foliation locale est elle aussi sub-horizontale, Val d'Aoste (Italie)

Ce sill est localisé 4 km au Nord du dyke précédent, à Fontainemore. Il est localisable sur Google Earth avec le fichier 523-sill.kmz.


Ces deux filons sont très facilement accessibles, à moins de 5 minutes à pied d'une route très praticable par un bus, route située à moins de 10 km de l'autoroute reliant Turin au tunnel du Mont-Blanc, un des itinéraires d'accès possible au Chenaillet quand on vient du Nord de la France. D'autres filons sont perdus dans les montagnes mais peuvent être spectaculaires, comme l'est le filon ci-dessous.

Filon d'andésite recoupant de façon spectaculaire la série métamorphique de la zone Sésia (Italie) juste au niveau d'une lentille très riche en épidote

Quinze kilomètres au Sud de ces filons d'andésite, de l'autre côté de la Dora Baltea, affleure la plus occidentale des intrusions de diorite oligocènes d'Italie du Nord, la diorite de Traversella (Traverselle en français). Sa composition varie d'une diorite sensu stricto à des granodiorites et à quelques rares monzonites à quartz. Différents âges ont été trouvés, variant de 31±1 Ma pour les diorites à 26±3 Ma pour les monzonites à quartz. La diorite a été exploitée et l'est encore pour les pierres de tailles et la "marbrerie" (pavés, dalles ornementales, pierres tombales…). On peut se promener dans ce massif et rencontrer des paysages typiques des granitoïdes ; ne serait-ce que le relief et la végétation, on pourrait se croire en Bretagne ! De nombreux amas et filons hydrothermaux riches en hématite (Fe2O3) sont fréquents autour de l'intrusion et ont été exploités comme minerai de fer. On peut encore trouver de beaux échantillons d'hématite dans les déblais des mines quand ceux-ci ne sont pas classés en réserves naturelles et/ou archéologiques. On peut visiter un musée « du fer et de la diorite » à Traversella, ce qui montre que les Italiens portent un intérêt certain à leur patrimoine géologique et industriel. Si les Français portaient le même intérêt à leur patrimoine, on aurait un musée du granite et du plomb à Huelgoat (Finistère), un musée du granite et du tungstène à Salau (Ariège)…

Cette intrusion de Traversella a beau être en Italie, elle est suffisamment proche de la frontière française pour être parfaitement visible (malgré sa petite taille) sur la carte géologique de France au 1/1 000 000 (granitoïde numéroté 23) et sur la carte géologique Annecy au 1/250 000 (notée gσ). Les plutons de Biella et de Bergell sont également visible sur la carte au 1/1 000 000, et celui de Biella sur la carte Annecy au 1/250 000.


Une carrière de diorite dans le massif de Traversella (Piémont, Italie)

Gros plan sur un échantillon de la diorite de Traversella (Val d'Aoste, Italie)

Figure 16. Gros plan sur un échantillon de la diorite de Traversella (Val d'Aoste, Italie)

Il s'agit ici d'un faciès assez clair, transition entre une diorite sensu stricto et une granodiorite. Les deux minéraux les plus abondants sont l'amphibole (noire) et le plagioclase (blanc à gris, ressemblant parfois à du quartz). On peut y trouver quelques rares biotites et quelques rares quartz.


Lame mince en lumière polarisée non analysée (LPNA) de la diorite de Traversella

Figure 17. Lame mince en lumière polarisée non analysée (LPNA) de la diorite de Traversella

On voit très bien des amphiboles (verdâtres) et des biotites plutôt brunes au sein d'un ensemble blanc (feldspath et/ou quartz assez difficiles à distinguer sur cette photo).


Lame mince en lumière polarisée analysée (LPA) de la diorite de Traversella

Figure 18. Lame mince en lumière polarisée analysée (LPA) de la diorite de Traversella

Dans l'ensemble incolore en LPNA, on voit très bien que la majorité des minéraux sont des feldspaths plagioclases. On voit aussi deux quartz plus limpides (sans macles et moins altérés) : un assez gros dans le quart supérieur gauche et un plus petit juste au-dessus de la barre d'échelle. On est à la limite diorite/granodiorite.



Lame mince (LPNA) de diorite de Traversella, à cheval sur deux faciès sombre/clair

Figure 20. Lame mince (LPNA) de diorite de Traversella, à cheval sur deux faciès sombre/clair

On retrouve la différence de couleur (plus de minéraux sombres en haut) et on note une différence de taille de grains (plus petits en haut).


Lame mince (LPA) de diorite de Traversella, à cheval sur deux faciès sombre/clair

Figure 21. Lame mince (LPA) de diorite de Traversella, à cheval sur deux faciès sombre/clair

La différence de couleur entre les deux faciès saute moins aux yeux par rapport à la LPNA, on note une différence de taille de grains (plus petits en haut).


De tels affleurements de roches grenues se retrouvent aussi dans la vallée du Cervo (affluent de la Sesia), 30 km plus à l'Est. Les deux photographies suivantes montrent le faciès central de l'intrusion de Biella. Cette intrusion, contemporaine de la diorite de Traversella, montre des faciès allant de la granodiorite pauvre en quartz jusqu'au granite à feldspath potassique, ce qui démontre l'importance des phénomènes de différenciation et/ou de contamination et/ou de mélange avec un magma d'origine crustale dans ce magmatisme oligocène.

Un affleurement du granite de Biella, faciès central le plus différencié de l'intrusion de Biella (Italie)

Figure 24. Un affleurement du granite de Biella, faciès central le plus différencié de l'intrusion de Biella (Italie)

On peut localiser précisément cet affleurement sur Google Earth avec le fichier 523-santuario-San-Giovanni.kmz.


Détail du granite de Biella (Italie)

Figure 25. Détail du granite de Biella (Italie)

La présence de feldspath potassique (rose) montre qu’il s'agit d'un faciès très différencié et/ou contaminé du magma calco-alcalin initial.



Extrait des cartes géologiques de Lyon et d'Annecy 1/250 000

Figure 27. Extrait des cartes géologiques de Lyon et d'Annecy 1/250 000

Les affleurements sur-coloriés en jaune dans le coin supérieur droit correspondent aux roches calco-alcalines oligocène. (F) localise les filons des figures 1 à 12. (T) correspond à la diorite de Traversella, (B) à celle de Biella dont seule une partie est visible sur cette carte française.


On peut résumer l'ensemble des caractéristiques de ce magmatisme calco-alcalin oligocène des Alpes, dont nous avons vu quatre exemples "en image" :les andésites du synclinal de Saint Antonin ((cf. Un volcanisme français ignoré voire interdit : le volcanisme andésitique oligocène de la plaque européenne des Alpes franco-suisses)), les dykes de la vallée de la Lys et des montagnes voisines, le pluton de Traversella et le pluton de Biella (cette semaine).

  • Ce magmatisme calco-alcalin est d'âge oligocène inférieur, c'est-à-dire postérieur à la fin de la subduction alpine, et contemporain de la collision.
  • Il est présent sur les deux plaques, aussi bien sur la plaque "plongeante" (la plaque européenne) que sur la plaque chevauchante (la plaque apulo-africaine).
  • Ce magmatisme est essentiellement représenté par du volcanisme sur la plaque européenne, à l'exception de l'intrusion crypto-volcanique du Dramont (près de Saint Raphaël) ; mais des enclaves de diorite dans les andésites des Alpes Maritimes suggèrent la présence d'autres intrusions profondes non encore dégagées par l'érosion.
  • Sur la plaque apulo-africaine, ce magmatisme a engendré des plutons de diorite et granodiorite dont le plus grand (l'intrusion d'Adamello) mesure 50 x 25 km. Ces intrusions plutoniques sont accompagnées de nombreux dykes et sills de chimie et minéralogie identiques à celles des plutons (principalement des andésites). La mise en place de ces plutons a été influencée par le fonctionnement (contemporain) de la collision, en particulier par le jeu de grands décrochements, comme la ligne insubrienne.
Extrait de la carte géologique de France au 1/1 000 000 montrant les emplacements des principaux affleurements de roches calco-alcalines oligocènes des Alpes occidentales

Figure 28. Extrait de la carte géologique de France au 1/1 000 000 montrant les emplacements des principaux affleurements de roches calco-alcalines oligocènes des Alpes occidentales

On voit que ces affleurements se trouvent aussi bien sur l'ancienne plaque européenne que sur l'ancienne plaque apulo-africaine.

Les affleurements en place (croix et barres) sont, du SO au NE : (3) l'esterellite du Dramont, (1) le filon des Beylons, (7) et (8) l'intrusion de Traversella et les filons de la vallée du Lys décrit cette semaine, (9) la diorite de Biella et (10) la diorite de Bergell. Le principal massif dioritique, le Massif de l'Adamello est en dehors de cette carte géologique de la France car situé trop à l'Est. De nombreux autres filons d'andésite existent en Italie mais ne sont pas représentés ici.

Les triangles correspondent aux affleurements principalement volcano-détritiques : (2) les conglomérats de Biot-Villeuneuve Loubet, (1) les conglomérats de Saint Antonin, (4) les grès du synclinal de Barrême, (5) les grès du Champsaur et (6) les nombreux affleurements de grès de Taveyannaz.

On peut noter aussi l'existence d'une vaste zone migmatitique (11), avec métamorphisme de haute température et fusion partielle (datant aussi de l'Oligocène) du matériel continental alpin. Il s'agit des migmatites dites « lépontines » (du nom de la région italo-suisse correspondante).


L'origine de ce magmatisme a fait débat depuis les débuts de la géologie alpine. Les débats se sont accélérés avec l'arrivée de la tectonique des plaques (pendant les années soixante-dix) où la tentation était forte de tout faire entrer dans le paradigme débutant (et donc forcément simplifié) à l'époque. C'est l'enseignement que j'ai reçu il y a bientôt 40 ans (agrégation en 1977) où tout le volcanisme devait rentrer dans la trilogie (1) dorsale et rift, (2) point chaud et (3) subduction. Cette trilogie devenait d'ailleurs une tétralogie quand on y ajoutait les zones de collision avec la fusion partielle de la croûte continentale et ses leucogranites (leucogranites absents des Alpes). Le volcanisme dont on retrouvait des éléments détritiques dans l'Oligocène des Alpes françaises était connu depuis longtemps, mais pas son âge. Et mes professeurs de l'époque en faisaient des éléments détritiques d'un volcanisme du Crétacé supérieur italien (âge et géométrie de la subduction obligent !) érodés, transportés et re-sédimentés à l'Oligocène. On vient de voir cette semaine et la précédente ce qu'il en est : la trilogie/tétralogie des années soixante-dix ne peut pas à elle seule expliquer le magmatisme oligocène des Alpes. Il a fallu attendre la fin des années quatre-vingt-dix pour qu'un (relatif) consensus se fasse quant à l'origine et au contexte géodynamique de ce magmatisme. Et en 2016, beaucoup préfèrent ignorer ce magmatisme plutôt que de modifier (légèrement) le paradigme des années soixante-dix. Ignorance, routine, paresse intellectuelle… quand vous nous tenez…

Pour résumer et expliquer le plus simplement possible le consensus actuel en ce qui concerne le contexte géodynamique et l'origine de ce magmatisme, le plus simple est de reprendre (en le modifiant-simplifiant-complétant légèrement) le résumé d'un article de Maud Boyer et al. (2001) (Nature des sources des composants andésitiques des Grès du Champsaur et des Grès du Taveyannaz. Implications dans l'évolution des Alpes occidentales au Paléogène, disponible en ligne). Les lecteurs qui ont été séduits par les diagrammes géochimiques de l'article Les magmas primaires basaltiques issus de la fusion du manteau y trouveront force diagrammes géochimiques pouvant servir d'illustrations concrètes. D'autres données (cartes, diagrammes…) sont également disponibles gratuitement en ligne sur le site du Journal of the Virtual Explorer (cliquer sur les liens [View full size]).

« Le magmatisme oligocène (≈30 Ma) est présent en différents points de l'arc alpin, où il s'exprime par des roches d'affinité calco-alcaline, aussi bien sur l'ancienne plaque apulienne que sur l'ancienne plaque européenne : intrusions dioritiques et granodioritiques (avec des filons d'andésite associés) dans les parties internes des Alpes italiennes, volcanisme andésitique remanié (ainsi qu'une intrusion de micro-diorite quartzique) dans les dépôts oligocènes du domaine externe franco-suisse ou l'avant pays provençal. Les analyses géochimiques (éléments en trace) et isotopiques (Sr, Nd, Pb et O) révèlent la contribution de deux sources magmatiques : un composant mantellique (manteau fortement métasomatisé) et un composant crustal (continental). En contexte de collision, cette activité magmatique serait une conséquence directe du détachement d'un panneau lithosphérique subduit (lithospheric breakdown, ou lithosphéric breakoff). Ce détachement de la lithosphère plongeante entraine une remontée asthénosphérique, en particulier de l'asthénosphère sous-apulienne, pour "remplacer" le slab descendant. Cette remontée (donc cette décompression) d'un manteau métasomatisé entraine sa fusion partielle et la production d'un magma calco-alcalin. Cette remontée de l'asthénosphère jusqu'au niveau du Moho continental et l'abondant magma calco-alcalin entrainent une augmentation de température de toute la partie inférieure de la croûte continentale et sa fusion partielle. Le magma mantellique peut éventuellement, au cours de son ascension, se différencier et/ou être contaminé par la traversée de la croûte continentale. Il peut aussi se mélanger au magma provenant de la fusion de la croûte continentale. L'importance relative de ces différentes contributions explique les variations pétrographiques et géochimiques observées sur l'ensemble de l'arc alpin. »

On peut se demander si un tel mécanisme ne pourrait pas expliquer les (certains des) nombreux granitoïdes hercyniens postérieurs à la fin de la subduction, en particulier ceux ayant une tendance granodioritique certaine, et où l'on a la preuve qu'ont coexistés magmas d'origines mantellique et crustale, comme par exemple les célèbres granites de Flamanville ou de Ploumanac'h. Si des études à venir donnent une réponse positive à cette question, le magmatisme lié au lithospheric breakdown cesserait d'être une anecdote expliquant quelques conglomérats et petits plutons alpins, mais un processus majeur expliquant de nombreux granitoïdes, roches emblématiques de la croûte continentale.

Schémas très théoriques et "idéalisés" du phénomène de détachement lithosphérique et de ses conséquences magmatiques dans les zones de collision, ici les Alpes

Figure 29. Schémas très théoriques et "idéalisés" du phénomène de détachement lithosphérique et de ses conséquences magmatiques dans les zones de collision, ici les Alpes

Schémas obtenus grâce à une compilation-superposition de différents schémas/articles (notamment celui de Christian Nicollet) consacrés au détachement lithosphérique (lithospheric breakdown ou lithospheric breakoff).

En haut, schéma classique d'une zone de collision avant le lithospheric breakdown.

En bas, le lithospheric breakdown commence. Un panneau de manteau lithosphérique se décolle et se détache de la croûte en basculant. Du manteau asthénosphérique remonte pour combler le "vide" ainsi produit, surtout sur le côté droit où il s'agit de l'asthénosphère sous-apulienne, fortement métasomatisée par la subduction qui a précédé la collision. Cette remontée entraine la fusion partielle de cette asthénosphère ascendante et la production d'une grande quantité de magma basique calco-alcalin. Une partie de ce magma se plaque sous la croûte. Une autre partie remonte à travers la croûte continentale pour donner intrusions ou volcanisme. La mise en contact de l'asthénosphère (T = 1300°C) avec la base de la croûte continentale, le plaquage sous-crustal d'un important volume de magma basique et la traversée de la base de la croûte par ce magma réchauffent cette base de croûte et entraine sa fusion partielle et la production d'un magma acide. Le magma basique calco-alcalin peut, au cours de sa traversée de la croûte continentale (1) subir une différenciation par cristallisation fractionnée, (2) subir une contamination par le matériel crustal traversé, (3) se mélanger avec le magma acide issu de l'anatexie continentale. L'importance relative de ces différents processus explique les variations pétrographiques et géochimiques observées sur l'ensemble de l'arc alpin.