Image de la semaine | 27/03/2017
Du Jurassique au Quaternaire, les ammonites réelles et imaginaires de l'agglomération lyonnaise
27/03/2017
Résumé
Fossiles d'ammonites dans des bâtiments lyonnais et sculptures d'animaux imaginaires inspirés d'ammonites.
Cette semaine (27 mars au 2 avril) est la semaine des canulars et autres "poissons d'avril". Deux "authentiques" ammonites du Quaternaire représentent un "poisson d'avril" original. À Lyon, la cathédrale Saint-Jean actuelle (dite aussi primatiale Saint-Jean) a été construite en plusieurs étapes entre 1175 et 1480. D'après l'archéologue Louis Bégule (1848-1935), la sculpture des médaillons sur la façade Ouest a débuté à partir de 1310. Les principes immuables de la chronologie relative permettent donc de dater ces ammonites entre 1310 et 1480. Une autre source propose un intervalle de sculpture plus réduit (1308 à 1332). Ces ammonites sont contenues dans un calcaire oolitique. Or un tel calcaire provient d'un dépôt de mer peu profonde et agitée, ce qui n'est pas du tout le milieu de vie des ammonites. Rencontrer des ammonites dans un calcaire oolitique, c'est comme rencontrer une sardine dans un lac de montagne. Les sculpteurs ont vraiment voulu nous faire un poisson d'avril !
Pourquoi un (des) sculpteur(s) du XIVème siècle a (ont)-t'il(s) sculpté des ammonites sur la façade de la cathédrale Siant-Jean de Lyon ? Sur les sculptures des façades des cathédrales gothiques, on trouve "de tout". Cela va bien sûr des scènes religieuses, aux scènes de la vie quotidienne (cf. figure 59 du pdf disponible dans Comprendre les variations climatiques à travers les temps géologiques), en passant par des fantasmes à connotation sexuelle (cf. Le centre de la Terre vu aux XIIIème et XVIIème siècles). On trouve d'ailleurs des sculptures assez grivoises dans les médaillons de Saint-Jean. L'imaginaire et les animaux fantastiques sont très largement présents dans les sculptures et autres représentations du Moyen-Age, comme on peut le voir sur les deux figures ci-dessous.
Mais pourquoi représenter des ammonites, ou du moins des animaux inspirés des ammonites ? Les ammonites abondent dans la région lyonnaise, en particulier dans trois niveaux stratigraphiques : (1) les calcaires à gryphées du Sinémurien (190 Ma), (2) les marnes ferrugineuses du Toarcien (180 Ma, cf. Les ammonites calcitisées du Toarcien – Aalénien inférieur des Monts d'Or lyonnais), et (3) le calcaire à pâte fine d'âge bathonien (165 Ma) provenant du Bugey à l'Est de Lyon. Ce dernier calcaire est connu sous le nom local de « choin », ce qui signifierait « pierre de choix ». Plusieurs "explications" étaient proposées quant à ces ammonites et autres coquilles trouvées dans les roches, explications "généralistes" comme le Déluge, ou explication plus spécifique comme la légende de Sainte-Hilda. Selon cette légende anglaise, les ammonites seraient des serpents transformés en pierre par Sainte-Hilda pour en débarrasser une région où ils pullulaient. C'est d'ailleurs en l'honneur de cette sainte qu'une ammonite toarcienne fut nommée Hildoceras bifrons.
Les bâtisseurs de la cathédrale de Lyon ont principalement utilisé deux types de matériaux :
- des roches venant de carrières du Nord des Mont-d'Or et du Sud du Beaujolais, la « pierre de Lucenay », qui est un calcaire oolitique bathonien, pauvre en ammonite, et facile à sculpter ; c'est cette pierre de Lucenay qui a servi à faire les médaillons de la façade.
- divers matériaux récupérés dans les monuments romains en ruine, très nombreux à Lyon, surtout à l'époque. Or les Romains utilisaient beaucoup le « choin du Bugey » (connu aujourd'hui sous le nom de choin de Villebois, ou choin de Montalieu selon le nom du village d'où il est extrait), choin quasi-contemporain de la pierre de Lucenay mais d'un autre faciès, et assez riche en ammonites.
Les travailleurs de la pierre lyonnais comme les compagnons qui voyageaient à travers la France de chantier en chantier connaissaient tous ces ammonites, espèces de gros "escargots" pétrifiés, dont on n'imaginait pas la nature de l'"habitant" qui vivait dans la coquille. Les sculpteurs connaissaient plusieurs types d'animaux vivant dans des coquilles spiralées : des corps d'escargot certes, mais aussi des corps de crabe si ils connaissaient le bord de mer (les bernard-l'ermite, ou pagures). Alors pourquoi pas ce qui ressemble à une tête de lapin ou de chien ?
En plus de ces ammonites quaternaires, beaucoup d'autres ammonites plus "classiques" car datant du Jurassique sont visibles à Lyon et dans les communes limitrophes, en se promenant dans les rues, dans les monuments publics, dans les couloirs et escaliers des vielles maisons lyonnaises… Les dallage d'églises, les marches de bâtiments publicd ou de maisons privées datant d'avant 1850 sont très souvent fait en calcaire à gryphées du Sinémurien, et contiennent de nombreuses ammonites. Les bâtiments officiels, les dallages … plus récents, les parapets des quais du Rhône et de la Saône… sont souvent faits en choin venant du Bugey (60 km en amont de Lyon), parfois riche en ammonites. Et parfois, dans les Monts-d'Or, des ammonites isolées du Sinémurien ou du Toarcien local ont été intégrées dans des façades, à des fins purement décoratives. Visiteurs de Lyon qui venez visiter cette ville inscrite au Patrimoine Mondiale de l'Humanité, n'oubliez pas de regarder les "pierres lyonnaises" ; elles racontent aussi une riche histoire.