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Article | 07/11/2018

Le magmatisme des Vosges septentrionales, traceur de l'évolution géodynamique d'un segment de la chaine varisque - Généralités

07/11/2018

Hervé Bertrand

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon - Université Lyon 1

Anne-Sophie Tabaud

Czech Geological Survey, Prague (République Tchèque)

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Les épisodes magmatiques successifs de l'orogenèse varisque visibles dans les Vosges septentrionales.


Cet article fait suite à la préparation par le premier auteur du stage d'été 2016 de l'UPA (association des professeurs scientifiques des classes préparatoires biologiques et géologiques BCPST, TB et ATS-Bio). Il reprend et complète le guide introductif réalisé à cette occasion.

Le magmatisme des Vosges du Nord est traité en deux parties :

  • une présentation générale de la chaine varisque et des Vosges suivie d'une chronologie des évènements magmatiques au cours de l'évolution de la chaine varisque dans les Vosges septentrionales (cet article) ;
  • la description d'une sélection d'affleurements pour une excursion sur le magmatisme des Vosges septentrionales permettant la reconnaissance de roches dans des contextes magmatiques variés (second article Excursion, description d'affleurements).

Cadre géodynamique de la chaine varisque

En Europe, la chaine varisque s'étend sur près de 3000 km du Massif de Bohème jusqu'à la péninsule ibérique. Les témoins de cette chaine affleurent au sein de différents massifs, tels que le Massif Ibérique, les Pyrénées, le Massif Central, la Corse, la Sardaigne, les Maures, les massifs cristallins externes des Alpes, le Massif Armoricain, le Sud de l'Angleterre, les Ardennes, les Vosges-Forêt Noire et le Massif de Bohème (figure 1).

La chaine varisque en Europe

Figure 1. La chaine varisque en Europe

La Corse, la Sardaigne, les Maures et les Alpes ne sont pas représentées.


Les structures tectoniques et les évènements métamorphiques et magmatiques observés en Euope de l'Ouest durant le Paléozoïque résultent d'ouvertures/fermetures de domaines océaniques et de la collision entre trois continents : la Laurentia et la Baltica au Nord, le Gondwana au Sud. Des microcontinents sont également impliqués au centre : l'Armorica, l'Avalonia et le Léon, détachés du Gondwana (figures 1, 2, 3). La chaine calédonienne, d'abord, résulte de la convergence entre la Laurentia, la Baltica et l'Avalonia au cours de l'Ordovicien et du Silurien. L'amalgame de ces trois blocs forme le continent Laurussia. La chaine varisque, ensuite, résulte de la convergence entre la Laurussia nouvellement formée, le Gondwana et les microblocs Armorica et Léon, essentiellement au cours du Dévonien et du Carbonifère (figures 2 et 3). Cette convergence participe à la formation du supercontinent Pangée.



Au final, les orogenèses calédonienne puis varisque amalgament les cinq principaux blocs continentaux (Laurentia, Baltica, Avalonia, Armorica et Gondwana) dont les sutures sont représentées figure 4.

Position des chaines calédonienne et varisque et des continents amalgamés à la fin du Paléozoïque

Figure 4. Position des chaines calédonienne et varisque et des continents amalgamés à la fin du Paléozoïque

Notez que la chaine varisque se prolonge également en Afrique (Mauritanides) et en Amérique du Nord (Appalaches).


Les Vosges au sein de la chaine varisque

Conséquence de la fermeture de domaines océaniques et du collage des continents, la chaine varisque est classiquement subdivisée en quatre domaines lithotectoniques, soit du Nord au Sud (figure 1  :

  1. Le domaine rhénohercynien correspond à la marge Sud de la Laurussia (c'est-à-dire l'Avalonia) ;
  2. Le domaine Mid-German Crystalline High correspond aux vestiges du microcontinent Léon ;
  3. Le domaine saxothuringien correspond au microcontinent Armorica ;
  4. Le domaine moldanubien correspond à la marge Nord du Gondwana.

À l'échelle de la France (figure 5), ces quatre domaines sont représentés respectivement dans les Ardennes (1), à l'extrémité NW de la Bretagne (2), au Nord de la Bretagne et au Nord des Vosges (3), au Sud de la Bretagne, Massif central, Massifs cristallins externes des Alpes, Maures et Corse ainsi que dans les Vosges moyennes et du Sud (4).

Position des Vosges par rapport aux quatre domaines lithotectoniques de la chaine varisque

Figure 5. Position des Vosges par rapport aux quatre domaines lithotectoniques de la chaine varisque

La Corse, les Maures et les massifs cristallins externes des Alpes, appartenant au domaine moldanubien, ne sont pas représentés.


Le massif des Vosges (~3650 km2), divisé en deux parties très inégales par la discontinuité de Lalaye-Lubine, est à cheval sur deux de ces domaines lithotectoniques (figures 5 et 6) : les Vosges septentrionales font partie du domaine saxothuringien (= Armorica), tandis que les Vosges moyennes et méridionales font partie du domaine moldanubien (= Gondwana).

Les Vosges septentrionales sont constituées de séries sédimentaires paléozoïques très peu métamorphisées, associées à du volcanisme et à de volumineuses intrusions granitiques. Les Vosges moyennes sont caractérisées par des séries paléozoïques intensément métamorphisées et par l'abondance de migmatites et de granites. Les Vosges méridionales sont constituées de puissantes séries sédimentaires et volcaniques paléozoïques peu métamorphisées. On y trouve également d'abondantes intrusions granitiques ainsi qu'une ancienne suture océanique, la « ligne des klippes »).


Dans les Vosges septentrionales trois unités sédimentaires sont identifiées du Nord au Sud : série de la Bruche, série de Steige et série de Villé (figures 6 et 7). La série de Villé présente les plus vieux dépôts des Vosges, constitués de pélites cambriennes et ordoviciennes suivies par des dépôts de pélites quartziques. La série est métamorphisée dans le faciès schiste vert. La série de Steige est constituée de pélites d'âge ordovicien à silurien, plus faiblement métamorphisées. Ces deux séries se sont déposées dans un bassin marin peu profond de type environnement de plateforme. La série de la Bruche est majoritairement constituée de grès, conglomérats et grauwackes d'âge dévonien moyen (Givétien) associés à du volcanisme bimodal (laves basiques + laves acides avec pas ou très peu de laves de composition intermédiaire). La série passe graduellement à des pélites au Dévonien supérieur.

Les marqueurs magmatiques de l'évolution de la chaine varisque dans les Vosges septentrionales

Les Vosges septentrionales constituent un secteur privilégié car une grande diversité de formations magmatiques (plutoniques et volcaniques) affleurent sur une surface restreinte (~400 km2). La mise en place de ces formations, échelonnée du Dévonien supérieur (>370 Ma) jusqu'au Permien inférieur (~290 Ma), témoigne d'épisodes successifs qui retracent l'évolution géodynamique d'un segment de la chaine varisque. La distribution géographique de ces affleurements est compatible avec une excursion d'une journée (dense) ou de deux journées qui sera proposée dans un second article (Le magmatisme des Vosges septentrionales, traceur de l'évolution géodynamique d'un segment de la chaine varisque - Excursion, description d'affleurements).

Six ensembles, correspondant à six épisodes magmatiques, ont été identifiés dans les Vosges du Nord, sur la base des relations géométriques, de la pétrographie et de datations U-Pb (figures 7, 8 et 9) :

Au Dévonien :

  • 1- Le volcanisme tholéiitique de Bruche/Schirmeck.

Au Carbonifère :

  • 2- Le volcanisme calco-alcalin de Rabodeau.
  • 3- Le volcanisme calco-alcalin de la « bande médiane », la diorite de Neuntelstein et la granodiorite du Champ du Feu (Hohwald).
  • 4- Les granites “anciens” (Fouday, Belmont, Rothau).
  • 5- Les granites “récents” (Natzwiller, Andlau, Senones).

Au Permien :

  • 6- Le leucogranite de Kagensfels et le volcanisme de Nideck-Donon.
Carte géologique simplifiée des ensembles magmatiques des Vosges septentrionales

Figure 7. Carte géologique simplifiée des ensembles magmatiques des Vosges septentrionales

Les 13 sites décrits dans le second article sont localisés.

S-type granite” = granite issu de la fusion partielle de croute continentale.


Coupe géologique simplifiée des ensembles magmatiques des Vosges septentrionales

Figure 8. Coupe géologique simplifiée des ensembles magmatiques des Vosges septentrionales

Les 13 sites décrits dans le second article sont localisés.

S-type granite” = granite issu de la fusion partielle de croute continentale.



La combinaison des données pétrologiques, géochimiques, structurales et géochronologiques sur ces ensembles permet de reconstituer l'histoire magmatique des Vosges septentrionales en relation avec l'évolution géodynamique de ce segment de chaine varisque. Le détail de l'argumentation ne peut être développé ici, mais il est consultable dans la thèse d'Anne-Sophie Tabaud (2012).

Épisode 1. Dévonien supérieur, 375-360 Ma. Extension arrière-arc. Volcanisme tholéiitique de Bruche-Schirmeck

Le retrait (roll-back) de la subduction rhénohercynienne (figure 3, 3ème coupe) a permis l'ouverture, loin de la zone de subduction, d'un bassin arrière-arc (à croute encore continentale, mais amincie) où se mettent en place les tholéiites continentales du massif de Schirmeck en même temps que le dépôt des sédiments dévoniens de la Bruche. Ce volcanisme bimodal est constitué de basaltes, parfois mis en place en domaine subaquatique (voir second article, site 1b) et de rhyolites (voir second article, site 1a). Des arguments géochimiques suggèrent une signature de manteau enrichi alors que le manteau sous-continental appauvri ne participerait que faiblement à ce volcanisme.


Épisode 2. Carbonifère inférieur (Viséen inférieur), 340 Ma. Extension arrière-arc. Volcanisme calco-alcalin de Rabodeau

La croute continentale rhénohercynienne rentre dans la zone de subduction, ce qui entraine une diminution de l'angle de pendage du plan de subduction, qui entraine un report plus loin sous la plaque chevauchante de la zone de fusion mantellique par hydratation. Le bassin d'arrière-arc se retrouve alors à l'aplomb de cette zone de fusion. Il s'en suit une évolution du volcanisme vers des compositions calco-alcalines, toujours en contexte d'arrière-arc (volcanisme de Rabodeau, voir second article, site 2). Le manteau source est enrichi et métasomatisé par des fluides expulsés de la zone de subduction.


Épisode 3. Carbonifère inférieur (Viséen supérieur), ~330 Ma. Subduction. Volcanisme calco-alcalin de la « bande médiane », diorite de Neuntelstein et granodiorite du Champ du Feu (Hohwald)

Le magmatisme calco-alcalin se poursuit dans le bassin arrière-arc, par la mise en place a) du volcanisme de la « bande médiane », constitué d'andésites (voir second article, site 3a et site 3b) et de rhyolites (ignimbrite de Saint Nabor, datée à 334 Ma par la méthode U-Pb). Progressivement la croute continentale rhénohercynienne avance dans la zone de subduction, entrainant la fermeture du bassin arrière-arc. Se mettent alors en place b) les diorites de Neuntelstein (voir second article, site 3c) puis c) les granites calco-alcalins du Champ du Feu, dont la granodiorite du Hohwald, datée à 329 Ma (voir second article, site 3d). La source est encore le coin de manteau enrichi et métasomatisé par des fluides expulsés de la zone de subduction.

La granodiorite du Hohwald est en outre un cas d'école historique depuis l'étude pionnière de Harry Rosenbusch (1877) qui décrivit l'auréole de métamorphisme développée dans les schistes de Steige au contact de la granodiorite, lors de son intrusion (voir second article, site 3d).


Épisode 4. Carbonifère supérieur (Namurien), ~320 Ma. Collision. Granites “anciens”

On est en régime de collision. La croute continentale rhénohercynienne arrive dans la zone de fusion. La rupture de la lithosphère océanique rhénoherynienne (slab break-off) permet la remontée de manteau asthénosphérique. La fusion de ce manteau, dont le magma est enrichi par des produits de fusion issus de la croute continentale subduite (présence de zircons hérités d'âge dévonien), produit des magmas calco-alcalins potassiques. Ces magmas donnent les “granites anciens” : granite de Belmont et de Fouday-Waldersbach, qui a été daté à 319 Ma (voir second article, site 4).


Épisode 5. Carbonifère supérieur (Westphalien), ~310 Ma. Collision. Granites “récents”

On est toujours en régime de collision. La croute continentale rhénohercynienne est sous-plaquée au niveau du Moho sous la plaque saxothuringienne et participe à la fusion, en plus du manteau. Des magmas calco-alcalins potassiques et magnésiens sont produits, donnant les granites “récents” : granites de Natzwiller, de Senones (voir second article, site 5a, site 5b, site 5c ) et d'Andlau, qui se mettent en place en massifs circonscrits qui recoupent les granites “anciens”. Le granite de Senones a été daté à 314 Ma.


Épisode 6. Permien inférieur, ~290 Ma. Effondrement de la chaine et anatexie. Leucogranite de Kagenfels et volcanisme de Nideck-Donon

C'est le stade final de l'orogenèse varisque, avec une relaxation des forces de volume, dans toute la chaine qui entraîne un effondrement de l'orogène. Le contexte d'extension ainsi créé favorise une remontée asthénosphérique qui, combinée à l'apport de chaleur au sein de la croute sur-épaissie (désintégration de K, U, Th radioactifs et intrusion des granites antérieurs), provoque l'anatexie de cette dernière. Les magmas acides ainsi produits sont les seuls d'origine purement crustale. Ils se mettent en place a) sous forme de leucogranites (granite de Kagenfels, voir second article, site 6a) qui recoupe tous les granites antérieurs), et b) sous forme de rhyolites (volcanisme de Nideck-Donon, voir second article, site 6b).


En conclusion

Le tableau ci-dessous récapitule la chronologie des évènements magmatiques, les lithologies mises en place, les sources mantelliques impliquées et l'évolution du contexte géodynamique des Vosges septentrionales au cours de l'orogenèse varisque.

Tableau 1. Tableau récapitulatif des évènements magmatiques dans les Vosges septentrionales et de leur signification géodynamique

Âge

Lithologie

Source

Contexte géodynamique

Site

Dévonien moyen, >370Ma

Tholéiites

Basaltes-rhyolites

Manteau appauvri contaminé par des fluides de subduction

Extension de type bassin arrière-arc

Schirmeck

Carbonifère inf., 334 Ma (U-Pb)

Volc. calco-alcalin

Andésites-rhyolites

Manteau enrichi par des fluides profonds

Subduction lithosphère océanique sous marge continentale

Rabodeau, Bande médiane

Carbonifère inf.

Calco-alcalin

Diorite

Manteau enrichi par des fluides profonds

Subduction lithosphère océanique sous marge continentale

Neuntelstein

Carbonifère inf., 329 Ma (U-Pb)

Calco-alcalin

Granodiorite

Manteau enrichi + contamination crustale

Entrée en subduction marge continentale

Fermeture bassin arrière-arc

Hohwald

Carbonifère sup., 319 Ma (U-Pb)

Calco-alcalin K

Granites anciens

Manteau enrichi + croute continentale subduite

Collision

Belmont, Fouday

Carbonifère sup., 314 Ma (U-Pb)

Calco-alcalin Mg-K

Granites récents

Manteau + fusion croute continentale sous-plaquée

Collision

Natzwiller, Andlau

Permien, ~290 Ma

Leucogranite, rhyolite

Croute continentale épaissie et surchauffée

Effondrement de l'orogène

Kagenfels, Nideck-Donon


Quelques références et liens bibliographiques pour en savoir plus

Cyrille Delangle, 2016. Vosges, Guides géologiques, Omniscience, BRGM éditions, 256p

Site de l'académie de Strasbourg : http://www.lithotheque.site.ac-strasbourg.fr/

Site de l'académie de Nancy-Metz : http://www4.ac-nancy-metz.fr/base-geol/index.php