Article | 06/03/2019
Les mines de cuivre de Chessy-les-Mines, (Rhône) : des azurites parmi les plus belles du monde formées par interaction de grès carbonatés triasiques avec un amas sulfuré quasi-ophiolitique dévonien – Comparaison avec l'amas sulfuré voisin de Sain-Bel
06/03/2019
Résumé
Gitologie du cuivre : un gisement primaire de type ophiolitique et un gisement secondaire dans un ensemble carbonaté par remobilisation et circulation de fluides. Minéraux variés à métaux, soufre et carbonates.
Table des matières
- L'histoire de l'exploitation minière à Chessy-les-Mines (Rhône)
- Le contexte géologique régional et local des gisements de Chessy-les-Mines
- Les gisements de Chessy-les-Mines
- Échantillons et affleurements de sulfures
- Les échantillons de la Mine Bleue
- Que peut-on voir en 2019 quand on va à Chessy-les-Mines (et à Sain-Bel) ?
- D'autres gisements de substances utiles sur Planet-Terre
Géologue, ex-collaborateur externe du BRGM, F. Gaudry est actuellement président de l'AMAC, Association Minéralogique de l'Arbresle Chessy-Les-Mines.
Quand on visite les galeries de minéralogie des grands musées d'histoire naturelle du monde (Londres, New-York…), on peut presque toujours admirer certaines pièces venant des mêmes gisements de France, et même d'Auvergne-Rhône-Alpes, car c'est là qu'on a trouvé des spécimens de telles ou telles espèces minérales parmi les plus belles et caractéristiques de la planète. On peut citer les quartz (SiO2) de l'Oisans (en particulier les quartz de La Gardette), les barytines miels (BaSO4) d'Auvergne (en particulier les barytines de la Côte d'Abot, cf. La barytine de la Côte d'Abot (Puy de Dôme) et autres barytines jaune miel d'Auvergne), les lussatites de Limagne (cf. Un gisement d'hydrocarbures vu de l'intérieur et un trésor du patrimoine géologique français : la mine de bitume de Dallet (Puy de Dôme), dite « Mine des Rois ») et les azurites [Cu3(CO3)2(OH)2] de Chessy-les-Mines, dans la grande banlieue de Lyon (Rhône).
L'histoire de l'exploitation minière à Chessy-les-Mines (Rhône)
Les gisements de cuivre de Chessy ont sans doute été exploités depuis l'époque celte (province ségusiave), puis romaine, mais on n'a pas de traces écrites ou archéologiques certaines de cette exploitation. On a par contre des témoignages écrits (actes royaux, concessions…) depuis la fin du Moyen-Âge, avec la (re)mise en exploitation des mines sous l'impulsion de Jacques Cœur (1444). Avec des hauts et des bas, trois mines principales ont été exploitées, principalement pour le cuivre, mais aussi pour le soufre et l'acide sulfurique extraits de la pyrite (FeS2) très présente dans le gisement. Deux mines exploitaient des sulfures et des oxydes de cuivre : la Mine Jaune exploitait surtout de la chalcopyrite (CuFeS2) et la Mine Noire exploitait des argiles et brèches de failles riches en oxyde de cuivre (ténorite, CuO). Ces deux mines fermèrent en 1877. Entre le XVe et le XIXe siècle, la production de cuivre métal de ces deux mines s'élevait de 0,5 à 60 t/a, avec un maximum au début du règne de Louis XVI. Une troisième mine, la Mine Bleue, fut découverte en 1811 et exploitée jusqu'à son épuisement en 1846. Cette mine fut la plus productive, entre 100 et 150 t/a de cuivre métal. Cette mine exploitait de l'azurite et c'est elle qui a fait la réputation de Chessy-les-Mines dans le monde des minéralogistes. Les cristaux d'azurite y étaient remarquables ; il y avait des géodes dans lesquelles un mineur pouvait rentrer selon la légende. À partir de 1825 et jusqu'à 1833, la Mine Rouge a exploité temporairement des oxydes de cuivre sous forme de remarquables cristaux de cuprite confinés dans des argiles rouges coincées dans un miroir de faille sur une épaisseur de 2 à 4 m. Pendant l'exploitation de la Mine Bleue, les mineurs et les contremaitres arrondissaient leur salaire en vendant des échantillons d'azurite aux musées, aux collectionneurs, aux (rares) touristes. Les galeries de ces mines jaune, noire, rouge et bleue sont éboulées, inondées ou condamnées. Les affleurements naturels de surface (de sulfures ou d'oxydes) ont été totalement exploités dès le Moyen-Âge. À part les anciens terrils et déblais, et quelques restes de ruines de bâtiments et travaux miniers, on ne peut plus rien voir du passé minier et des richesses minéralogiques sur place. Dommage !
Dans les années 1978-1980, le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), profitant de la compréhension de l'origine de gisements de ce type et du développement des méthodes géophysiques, repris l'exploration du secteur, en particuliers grâce à des relevés gravimétriques et des mesures électromagnétiques aéroportées. Il a ainsi découvert une énorme “anomalie” située 200 à 300 m sous les gisements anciens de Chessy-les-Mines, plus profondément que n'étaient jamais allés les mineurs du XVe au XIXe siècle. Des forages, une descenderie et des galeries de reconnaissances furent effectués de 1983 à 1986, et découvrirent un énorme amas de sulfures, principalement pyrite (FeS2), mais aussi chalcopyrite (CuFeS2) et blende (ZnS, également appelée sphalérite). Les réserves de cuivre et de zinc y sont énormes (une production de l'ordre de 5000 t/a sur 15 à 20 ans était envisagée) et le nouveau gisement de Chessy pourrait produire en 1 à 2 ans la totalité de la production locale cumulée de cuivre du Moyen-Âge à 1877. Des raisons économiques (les cours du cuivre et du zinc étaient assez bas dans les années 1990) et politico-écologiques (les Français “aiment” consommer beaucoup de métaux, dont du cuivre à la base de circuits électriques et électroniques, mais à condition qu'ils soient produits « chez les autres ») font que ce nouveau gisement n'a pas été mis en exploitation. La descenderie et les galeries d'exploration furent obstruées, et ce gisement profond est maintenant totalement inaccessible.
Il est à noter qu'à côté du cuivre, les sulfures de Chessy (et ceux du gisement voisin de Sain Bel) ont été à la base de la production d'acide sulfurique, grâce au procédé industriel mis au point en 1833 par le lyonnais Claudius Marius Perret : 4 FeS2 + 9 O2 → 2 Fe2O3 + 4 SO3, suivi de 4 SO3 + 4 H2O → 4 H2SO4. L'acide sulfurique étant à la base de nombreux procédés chimiques industriels, Lyon est devenu la capitale française de la chimie, du fait de la proximité des gisements de sulfures de Chessy et de Sain Bel. Quand, en sortant du tunnel de Fourvière (côté Sud) pour aller en vacances, vous longerez les usines chimiques du « couloir de la chimie », pensez aux gisements de Chessy et de Sain Bel.
Le zinc, pourtant très présent à Chessy, ne fut jamais exploité ni valorisé.
Nous vous montrons 6 “tableaux” (compilés par l'un d'entre nous, Frédéric Gaudry) racontant l'histoire ancienne des mines de Chessy et ses potentialités futures.
Le contexte géologique régional et local des gisements de Chessy-les-Mines
Les gisements de Chessy-les-Mines sont situés à cheval sur deux unités géologiques, séparées par une faille normale dont le jeu majeur est oligocène. Il y a deux types de gisements à Chessy, un type de chaque côté de la faille : un gisement primaire de sulfures sur le compartiment Ouest, et, sur le compartiment Est, un gisement secondaire (principalement des carbonates), gisement par substitution, le cuivre provenant de l'altération du gisement primaire. À l'Ouest de cette faille, on est dans le socle hercynien, ici majoritairement constitués de méta-sédiments et de méta-roches volcaniques remplissant un « bassin en extension » d'âge dévonien supérieur, le bassin de la Brévenne. Ce bassin, à croute continentale amincie voire absente recoupe des terrains tectono-métamorphisés au Silurien terminal – Dévonien inférieur. Ce bassin a la signification d'un bassin d'arrière-arc. C'est dans ce bassin profond marin que se sont épanchés d'importants niveaux volcaniques acides (des rhyolites, les « cornes » des mineurs) et basiques interstratifiés avec des sédiments. Ces roches volcaniques basiques ont quasiment la signification d'ophiolites. Les amas sulfurés comme celui de Chessy se sont mis en place grâce à un important hydrothermalisme sous-marin contemporain de ce volcanisme dévonien. L'ensemble, dont les amas sulfurés, a été de nouveau tectono-métamorphisé au Carbonifère inférieur, et intrudé de granites au Carbonifère moyen (granite de Saint-Laurent-de-Chamousset), causes de métamorphismes de contact. Tous ces évènements carbonifères ont fait recristalliser les sulfures au Carbonifère supérieur et au Permien, l'ensemble a été transformé en pénéplaine à cause de l'effondrement gravitaire de la chaîne hercynienne et de son érosion. À partir du Trias inférieur, cette pénéplaine se recouvre de grès issu de l'érosion, puis de calcaires et de marnes suite à l'ennoyement de la région durant tout le Trias et le Jurassique (de l'Hettangien au Bathonien). La région émerge au Jurassique supérieur.
À l'Oligocène et au Miocène, la région, comme tout le Massif Central, la Bourgogne et le système Vosges-Alsace subit une extension avec jeux de failles normales, qui font probablement rejouer d'anciennes failles tardi-hercyniennes, ayant sans doute déjà rejoué au Mésozoïque. Dans le secteur de Chessy, une faille normale abaisse relativement le compartiment Est par rapport au compartiment Ouest, ce qui met au contact les méta-roches volcaniques dévoniennes à l'Ouest et les sédiments gréso-carbonatés triasiques à l'Est. Les mines jaune et noire, ainsi que l'amas profond découvert dans les années 1980 par le BRGM, sont encaissés dans les roches volcaniques et sédimentaires hercyniennes. La Mine Bleue exploitait des bancs gréso-carbonatés du Trias situés à l'Est de cette faille, bancs gréso-carbonatés imprégnés d'azurite.
Source - © 2016 D'après BRGM / RGF-Massif Central Français, modifié
Source - © 2016 D'après BRGM / RGF-Massif Central Français, modifié
Cette histoire géologique (faille normale cénozoïque séparant le socle hercynien d'une couverture sédimentaire méso-cénozoïque) est banale et se retrouve sur toute la bordure Est du Massif Central, du Morvan aux Cévennes. Ce qui fait la particularité du secteur de Chessy-les-Mines, c'est (1) que le socle hercynien est ici constitué majoritairement de roches volcaniques acides et basiques sous-marines dévoniennes, mises en place dans un bassin d'extension à signification de bassin d'arrière-arc, bassin constitué de croute continentale amincie et/ou de croute océanique (qui a donc actuellement presque la signification d'ophiolite), et (2) que ces roches volcaniques dévoniennes contiennent des amas de sulfures (Chessy et Sain-Bel) et d'autres amas sulfurés (plus petits) également présents dans les terrains volcano-sédimentaires du Carbonifère inférieur. De plus, à Chessy, (3) la tectonique oligocène a presque juxtaposé amas sulfuré dévonien et carbonates mésozoïques. C'est cette quasi-juxtaposition improbable qui, comme on le verra, est à l'origine des extraordinaires minéraux de la Mine Bleue.
Les minéralisations de sulfures (pyrite, chalcopyrite, blende…) de Chessy-les-Mines et de Sain-Bel sont des dépôts hydrothermaux, associées à ce volcanisme sous-marin principalement dévonien. Des études in situ dans les océans, des études dans des massifs ophiolitiques (cf. Les ophiolites en 180 photos – 7/7 L'hydrothermalisme), dans d'ancienne zones de rifting avec un volcanisme sous-aquatique peu modifiées par des évènements tectoniques postérieurs… ont permis de faire le “portrait-robot” des gisements de sulfures massifs volcanogènes (VMS, en anglais, pour Volcanogenic Massive Sulfides) dus à l'interaction entre une circulation hydrothermale localement anormalement importante et un plancher volcanique sous-marin. Les gisements de ce type sont souvent appelés « de type Kuroko », du nom d'un gisement japonais qui sert de référence. Un cours de métallogénie de Georges Beaudoin de l'Université Laval (Québec) traite entres autres de ce type de gisement (cf. pp. 69-81 de Gîtologie et métallogénie).
Les sources hydrothermales sous-marines (au niveau des dorsales, des volcans sous-marins type point chaud, des volcans de bassins d'arrière-arc immergés…) émettent des fluides (H2O) chauds et riches en ions sulfure (S2−). Le fer, le cuivre, le zinc… sont des éléments « thiophiles » (= qui aiment le soufre). On peut noter que les géologues préfèrent le terme « chalcophile » (= qui aime le cuivre) au terme thiophile, car les éléments ayant des affinités avec le soufre ont aussi des affinités avec le cuivre, et comme les amis de nos amis sont nos amis…
Ces eaux chaudes riches en soufre remontant à travers les roches volcaniques (basalte au niveau des dorsales “normales”, basalte et rhyolite à Chessy-les-Mines et à Sain-Bel) et lessivent les éléments thiophiles qu'elles contenaient. En arrivant à la surface, la baisse de pression et surtout de température insolubilisent beaucoup les sulfures qui étaient solubles dans les fluides chauds. Ces sulfures (et sulfates), devenus insolubles, précipitent au niveau et autour des points de sortie des fluides. Il se dépose alors au fond de la mer sulfures de fer (pyrite FeS2, pyrrhotite FeS), sulfures de fer et de cuivre (chalcopyrite, CuFeS2), sulfures de zinc (blende également appelé sphalérite ZnS), sulfures de plomb (galène PbS) et sulfates de baryum (barytine, BaSO4)… Ces sources hydrothermales sous-marines déposent aussi souvent de la silice interstratifiée avec les sulfures.
Les eaux des sources hydrothermales sous-marines sont très riches en soufre, et ce pour deux raisons. (1) Les fluides volcaniques sont naturellement riches en soufre réduit (S2−, ion nommé sulfure en français, sulfide en anglais). (2) Les eaux de mer sont riches en soufre oxydé (SO42−, ion nommé sulfate, ion sulfate qui est le deuxième anion de la mer en abondance après Cl−). Au début de leur cheminement dans les roches volcaniques, ces ions sulfates sont largement réduits en sulfures par les ions Fe2+ des silicates comme l'olivine, le pyroxène… Ces néo-ions sulfures s'ajoutent aux sulfures d'origine purement magmatique, ce qui explique la richesse en sulfures des sources hydrothermales volcaniques sous-marines.
Source - © 2016 D'après Colín-García et al.
Les études géologiques dans l'Est du Massif Central ont identifié 7 amas sulfurés inclus dans ces séries volcaniques dévoniennes (et carbonifères inférieures), amas assez semblables à celui de Chessy (mais non recoupés par une faille oligocène, et donc ne se trouvant pas au contact avec les séries sédimentaires mésozoïques). Trois de ces amas ont donné lieu à une importante exploitation minière : Chessy-les-Mines et Sain-Bel (gisement à cheval sur trois communes : Sain-Bel, Sairt-Pierre-la-Palud et Sourcieux-les-Mines) dans le Rhône, et Chizeuil en Saône et Loire.
Source - © 1987 D'après BRGM / Chessy (Rhône) Cuivre – Zinc Rapport de synthèse, partiellement colorisé
Les gisements de Chessy-les-Mines
Les gisements (souterrains) de Chessy-les-Mines sont inaccessibles en 2019 (galeries inondées, éboulées, ou fermées) et étudier le gisement en place est impossible. Pour reconstituer la géométrie et la minéralogie des gisements, il faut se référer aux travaux des mineurs anciens et à ceux du BRGM, qui ont fait des kilomètres de galeries dans les mines jaune, noire et bleue ainsi que dans l'amas sulfuré profond découvert (et non exploité) dans les années 1980. On peut aussi se référer aux échantillons présents dans les collections et à ceux qu'on peut trouver dans les terrils.
Tous ces travaux ont montré que la Mine Jaune exploitait un diverticule latéral (remonté par une faille d'âge non déterminé avec certitude, tardi-hercynien et/ou cénozoïque) de l'amas principal. La Mine Noire exploitait des argiles et des brèches riches en cuivre (surtout sous forme de ténorite, CuO) le long de cette même faille, oxyde de cuivre déposé dans ces argiles et brèches de faille par des fluides venant de l'amas principal. La Mine Bleue, qui fait l'originalité et la célébrité de Chessy-les-Mines, exploitait des bancs de grès triasique à ciment carbonaté, bancs mis au contact des roches volcaniques paléozoïques par une faille normale oligocène recoupant l'amas principal situé 150 à 200 m plus bas. Des fluides acides (acide sulfurique dû à l'oxydation des sulfures) riches en cuivre circulaient le long de cette faille. En arrivant au niveau des grès à ciment carbonaté, les eaux acides ont partiellement dissout les carbonates de calcium et/ou magnésium et le cuivre s'est substitué au calcium ou a précipité dans les vides ainsi crées sous forme de carbonate de cuivre (azurite, malachite) ou de zinc (smithsonite, ZnCO3) dans les niveaux plus dolomitiques. L'azurite remplissait des fissures, formait des couches contenant de grosses masses cristallisées géodiques, et surtout avait cristallisé dans la masse des grès, en partant de centres de nucléation. Cela faisait des concrétions plus ou moins sphériques, des « rognons » (ou des sphérolites) d'azurite cristallisée cimentant des grains de quartz ou de feldspath résiduels du grès initial. Les mineurs appelaient ces cristallisations sphériques des « fleurs de mine ». Trois couches principales avaient chacune une épaisseur de 50 cm d'azurite !
Dans cette même faille, séparant socle hercynien et couverture sédimentaire triasique, la Mine Rouge a exploité brièvement la cuprite (Cu2O, oxyde cuivreux avec l'ion Cu+) dans une argile rouge formant une bande verticale de 2 à 4 m de large.
Si Chessy est unique dans tout le Massif Central, c'est à cause de cette faille tardive, oligocène, qui a presque mis en contact un amas sulfuré riche en cuivre et des grès riches en carbonates. Les autres amas sulfurés de la région (Chizeuil, Sain-Bel…) n'ont pas eu cette “chance” et on n'y trouve que des sulfures.
Source - © 2019 D'après BRGM / Chessy (Rhône) Cuivre – Zinc Rapport de synthèse, colorisé et modifié
Il ne reste aucun affleurement à l'air libre des gisements de Chessy. Les sulfures de la Mine Jaune qui affleuraient à l'époque romaine ont été totalement exploités depuis longtemps. Les galeries des XVe au XIXe siècles sont actuellement inaccessibles, et l'entrée de la descenderie du BRGM a été condamnée. Aucune photographie de la Mine Bleue et de ses extraordinaires géodes ne semble exister ; il est vrai que la mine a fermé en 1846 alors que la photographie n'a été “popularisée” par Daguerre que 7 ans plus tôt (1839). Malgré cela, on peut avoir une idée de ce à quoi ressemblaient Mine Jaune et amas principal d'une part, et Mine Bleue d'autre part.
Échantillons et affleurements de sulfures
On peut savoir à quoi ressemblaient les roches de l'amas principal et quel était leur agencement. Certaines archives du BRGM sont disponibles. Par exemple, le rapport de synthèse BRGM / Chessy (Rhône) Cuivre – Zinc écrit : « l'horizon principal montre fréquemment une zonalité verticale avec au sommet un minerai à alternance de rubans tantôt riches en blende, tantôt riches en pyrite et chalcopyrite, et présentant des figures de sédimentation (slumps, plis d'écoulement…). Il surmonte un minerai plus massif, peu ou pas rubané et très pyriteux . » Et pendant que le BRGM creusait descenderie et galeries dans les années 1980, des tonnes d'échantillons étaient entreposés en vrac près de la sortie de la descenderie, dans un terrain non clos. L'un de nous (Pierre Thomas) a pu en ramasser quelques échantillons en 1989 (ils sont maintenant dans la collection de l'ENS de Lyon) avant que le BRGM ne les évacue.
Et on peut imaginer à quoi pouvaient ressembler les affleurements de la Mine Jaune pendant son exploitation, et à quoi pourrait ressembler l'amas principal profond si celui-ci était exploité à l'air libre. En effet, à 12 km au Sud de Chessy-les-Mines, on trouve à un amas sulfuré au moins aussi important que celui de Chessy (mais bien moins riche en cuivre). Cet amas, connu sous le nom d'amas de Sain-Bel, a été exploité pour la pyrite (matière première servant à la fabrication d'acide sulfurique) de 1825 à 1971, et a fourni au total 20 millions de tonnes de pyrite. Si les galeries sont actuellement inaccessibles, il existe un intéressant musée de la mine qui expose une belle collection de minéraux dont des minéraux de Chessy et de Sain-Bel, des plans et du matériel de l'exploitation, la reconstitution d'une galerie de mine… Mais surtout, il existe une ancienne carrière à ciel ouvert où le front de taille affleure, n'est pas trop végétalisé et expose une coupe de l'amas sulfuré : la carrière de Saint-Antoine. Cette ancienne carrière sert maintenant de station d'épuration par lagunage, et est clôturée. Mais la mairie autorise des visites sous certaines conditions (au moins jusqu'en 2014). Nous vous montrons 11 photographies d'affleurements (ou d'échantillons) prises dans cette carrière Saint Antoine, analogue de ce que pouvait être la Mine Jaune et de ce qu'est encore (mais à 200 m sous terre, et inaccessible, le BRGM ayant renoncé à la concession de la Ronze) l'amas principal de Chessy.
La pyrite de Sain-Bel contient un certain pourcentage de chalcopyrite, beaucoup plus faible qu'à Chessy-les-Mines, mais non nul. Sous l'effet de l'altération (oxydation, pluie...) qui affecte cette carrière Saint Antoine depuis l'arrêt de l'exploitation, les eaux de ruissellement qui coulent sur les parois de la carrière se chargent en sulfate de cuivre, qui peut cristalliser après évaporation dans les zones à l'abri de la pluie. Des bactéries participent aussi à cette altération des sulfures (cf. fig 11 et 12 de Les extrémophiles dans leurs environnements géologiques – Un nouveau regard sur biodiversité et sur la vie terrestre et extraterrestre).
L'amas de Sain-Bel, comme celui de Chessy-les-Mines, a subi des épisodes de failles, failles tardi-hercyniennes ou cénozoïques. L'un de nous (Pierre Thomas) a eu la chance qu'un ancien mineur lui donne il y a plus de 40 ans un échantillon de pyrite qu'il avait ramassé au fond d'une galerie avant 1972 (année de la fermeture définitive de la mine), échantillon dont l'une des faces est un beau miroir de faille. Merci à lui.
Les échantillons de la Mine Bleue
Pour ce qui est d'imaginer ce que pouvait être la Mine Bleue, on en est réduit à “coller” par la pensée des échantillons sur la paroi d'une galerie virtuelle. Le problème, c'est que les échantillons des musées et des collections privées sont souvent des échantillons remarquables, extraordinaires, et sans doute pas très représentatifs de ce que voyaient les mineurs dans la première moitié du XIXe siècle. Mais l'un d'entre nous (Pierre Thomas) a ramassé quelques échantillons lors d'une rapide visite dans les terrils de Chessy-les-Mines en 1975 de retour de vacances (j'étais étudiant). N'ayant passé que 30 minutes sur ces vieux terrils, sans creuser, et sans avoir le temps de sélectionner-éliminer les échantillons, on peut raisonnablement penser que ces échantillons sont représentatifs des faciès usuels qu'on rencontrait dans les galeries de la Mine Bleue. Nous vous montrons ici quatre de ces échantillons “normaux”, où l'on voit l'azurite remplir une fissure ou imprégner des grès dont les grains de quartz ou de feldspath sont encore apparents.
Mais à côté de ce tout-venant montré par les quatre images précédentes, il y a les échantillons exceptionnels dont certains dorment dans des greniers d'arrières-petits-fils de mineurs, dans des collections privées, et bien sûr dans des musées. Nous vous montrons maintenant 24 échantillons “remarquables”, échantillons de la collection de l'un d'entre nous (Frédéric Gaudry), actuel président de l'AMAC, association propriétaire des terrils de la Mine Bleue et qui fouille les stériles des reliques de terrils laissés à l'abandon depuis 1846. Ces échantillons remarquables forment parfois des groupements où les « fleurs de mines » ne sont pas disjointes, où ces “fleurs” d'azurite ne contiennent plus (ou quasiment plus) d'éléments de grès triasique, où ces azurites sont parfois associées à d'autres minéraux... On peut supposer que ces azurites aux formes et aux cristallisations parfaites ont cristallisé dans des cavités en cours de formation, cavités sans doute dues à la dissolution totale de portions de la couche triasique qui étaient localement totalement calcaire, alors que son faciès usuel est celui d'un grès quartzo-feldspathique à ciment calcaire. Et, à côté des échantillons d'azurite, on peut aussi trouver de la malachite [Cu2CO3(OH)2], de la cuprite (Cu2O), de la ténorite (CuO), de la smithsonite (ZnCO3), de l'aurichalcite [(Zn,Cu)5(CO3)2(OH)6], de l'agardite [(REE[1],Ca)Cu6(AsO4)3(OH)6,3H2O], du gypse (CaSO4,2H2O)… un total de 114 minéraux (espèces valides) listés sur mindat.org.
Que peut-on voir en 2019 quand on va à Chessy-les-Mines (et à Sain-Bel) ?
Pour Chessy-les-Mines, la première réponse est (hélas) : pas grand-chose. Mais il faut nuancer cette réponse assez décourageante de prime abord. À Chessy, aucun affleurement de minerai n'est visible. Par contre, il existe un sentier avec panneaux explicatifs, le « sentier des mines », qui parcourt ce qu'on voit encore des anciennes installations minières (restes de bâtiments détruits, terrils, galeries d'évacuation des eaux...). On peut aussi voir les installations qui traitent aujourd'hui les eaux sortant des anciennes galeries, eaux dites d'exhaure, eaux acides et riches en métaux. En se promenant dans les environs, on peut voir des affleurements de roches volcaniques acides ou basiques, avec parfois des pillows.
On voit beaucoup plus de choses à Sain-Bel qu'à Chessy-les-Mines, parce que l'exploitation n'y a cessé qu'en 1972 (les dernières mines de Chessy ont, elles, définitivement fermé en 1877), et qu'en 1972, on était beaucoup plus sensibilisé à la conservation des patrimoines naturel et industriel qu'en 1877. Certains des bâtiments et installations minières n'ont pas été détruits, et un sentier (avec panneaux explicatifs) parcourt le secteur. Peu de temps après la fermeture, une association (dont font partie de nombreux anciens mineurs) a créé le Musée de la mine, qui expose entre autres une belle collection de minéraux (dont des minéraux de Chessy-les-Mines et de Sain-Bel), des plans et du matériel de l'exploitation, la reconstitution d'une galerie de mine… Et, avec l'autorisation de la mairie qui peut faire ouvrir les portes sous certaines conditions, des groupes d'adultes peuvent accéder au front de taille de la carrière Saint-Antoine où se trouve maintenant une station d'épuration-lagunage.
Source - © 2019 Musée de la mine, Saint-Pierre-la Palud | Source - © 2019 Musée de la mine, Saint-Pierre-la Palud |
Source - © 2019 Musée de la mine, Saint-Pierre-la Palud | Source - © 2019 Musée de la mine, Saint-Pierre-la Palud |
Et, depuis avril 2018, il existe un Géopark du Beaujolais labélisé par UNESCO. Chessy-les-Mines est sur le territoire de ce Géopark, Sain-Bel (hélas) ne l'est pas. Dès 2019, et cela va croitre au cours du temps, des “géosites” vont être aménagés sur le territoire du Géopark, des médiateurs accompagneront-encadreront des sorties scolaires et des visites géologiques… On ne peut qu'espérer que ce qui reste à Chessy-les-Mines soit valorisé, que des affleurements de pillow lavas et autres roches volcaniques soient débrousaillés, sécurisés et mis en valeurs. Il faudrait aussi que les animateurs (et leur visiteurs) puissent franchir les “frontières” du Géopark pour parcourir le sentier pédestre qui fait le tour des installations encore debout à Sain-Bel / Saint-Pierre-la-Palud. On peut aussi souhaiter que le Géopark passe des accords (1) avec le Musée de la mine et de la minéralogie de Saint-Pierre-La-Palud afin que ce musée soit inclus dans certains parcours géologiques proposés par le Géopark, et, surtout, (2) avec la municipalité de Saint-Pierre-la-Palud pour que les animateurs du Géopark puissent amener les visiteurs à la carrière Saint-Antoine pour découvrir un objet géologique unique en France en 2019 : un amas sulfuré encore visible « de l'intérieur ».
Et dans un monde idéal où il n'y aurait pas de problèmes d'argent, on pourrait rêver à une réhabilitation-sécurisation de certaines galeries non éboulées à Chessy-les-Mines et/ou à Sain-Bel, et il en existe.
Les amas sulfurés de Chessy et de Sain-Bel ainsi que leur annexe géologique (la Mine Bleue) font partie du patrimoine géologique, historique, industriel… d'Auvergne-Rhône-Alpes et de la France.
Sauvons et valorisons ce qui peut encore l'être !
Pour en savoir plus sur le gisement de Chessy.
R. Ascençao Guedes et al., 2003, Mines et minéraux de Chessy, Le Règne minéral, Hors série n° IX, pp. 88 (230 photographies)
Frédéric Gaudry, 2017. Mines de cuivre et minéraux de Chessy-les-Mines, Bulletin du club Minéralogique de Chamonix, du Mont-Blanc et des Alpes du Nord, n°67
Musées français dans lesquels admirer des spécimens remarquables de Chessy, « époque mine ».
- Musée des Confluences, Lyon ;
- Musée de la mine et de la minéralogie, Saint-Pierre-La-Palud ;
- Musée des cristaux de Chamonix.
Les minéraux cités dans cet articles, par ordre d'apparition dans le texte :
- azurite – Cu3(CO3)2(OH)2
- cuprite – Cu2O
- malachite – Cu2CO3(OH)2
- pyrite – FeS2
- chalcopyrite – CuFeS2
- ténorite – CuO
- blende (sphalérite) – ZnS
- pyrrhotite – FeS
- galène – PbS
- barytine – BaSO4
- smithsonite – ZnCO3
- aurichalcite – (Zn,Cu)5(CO3)2(OH)6
- agardite – (REE,Ca)Cu6(AsO4)3(OH)6,3H2O
- gypse – CaSO4,2H2O
- lampadite – hydroxyde de Mn et Cu
D'autres gisements de substances utiles sur Planet-Terre
Depuis la fin du Néolithique, l'Homme extrait du sous-sol puis transforme des “minerais” pour ses besoins. Cela a commencé par des métaux usuels (cuivre, fer, plomb…), puis a continué par des substances énergétiques (charbon, pétrole…), puis par des matières premières pour la chimie (halite, soufre…) et l'agriculture (potasse, phosphate…), puis par des “métaux modernes” pour des usages technologiques (lithium pour les batteries, platinoïdes pour la catalyse…). Sans ces ressources géologiques, les civilisations humaines, dont la notre en 2019, ne seraient pas ce qu'elles sont. Bien peu de politiques, de décideurs, de médiateurs… en ont conscience. Mis à part charbon, pétrole et gaz, la genèse et la gitologie de ces “minerais” utiles sont très peu abordées dans les enseignements à l'université, et, par “ruissellement”, encore moins abordées dans l'enseignement secondaire.
Face à cette problématique des ressources minérales, le Français est plus un consommateur ignorant qu'un citoyen “sachant” et responsable.
À défaut d'avoir écrit 92 séries d'articles (un article par type de gisement pour les 92 éléments de la table périodique de Mendeleïev), Planet-Terre vous a déjà présenté quelques articles sur tels ou tels gisements, ou tels ou tels minerais. Par ordre alphabétique, et sous forme d'un inventaire à la Prévert, citons :
- Antimoine : Mine d'antimoine, de plomb et d'argent de la Rodde, Ally (Haute Loire) ;
- Asphalte : Un gisement d'hydrocarbures vu de l'intérieur et un trésor du patrimoine géologique français : la mine de bitume de Dallet (Puy de Dôme), dite « Mine des Rois » ;
- Barytine : Les filons de barytine (BaSO4) du Beaujolais (Rhône) ;
- Cuivre : La mine de cuivre du Cap Garonne, le Pradet (Var) : visite de la mine et géologie du gisement ;
- Diamant : L'origine des diamants ;
- Émeraude : Cristaux d'émeraude de Colombie ;
- Fer (BIF) : Les fers rubanés ( Banded Iron Formation) de l'Archéen de Barberton, groupe de Fig Tree (-3,26 à -3,22 Ga), Afrique du Sud ;
- Fer : Allevard, Belledonne et le fer ;
- Fluorine : Les mines de fluorine (CaF2) du Beaujolais (Rhône) ;
- Or alluvionnaire : Deux mines d'or romaines en Espagne : Las Médulas (Castille et Léon) et Montefurado (Galice) ;
- Or en filon : Les mines d'or du district de Saint-Yrieix-la-Perche et la Maison de l'Or en Limousin au Chalard (Haute-Vienne) ;
- Sel : Les mines de sel de Bex, canton de Vaud (Suisse) : anhydrite, gypse et sel.
[1] REE siginifie Rare Earth Elements, nom anglais des terres rares, éléments chimiques maintenant indispensables dans les technologies de l'électronique, de l'informatique, des énergies renouvelable… À l'heure où on commence à se plaindre et à prendre conscience du “monopole” chinois des terres rares, monopole qui nous rend dépendants d'un pays dont la démocratie et les bonnes intentions sont discutables (la Chine), on voit qu'il y a des terres rares ailleurs qu'en Chine, et que le “monopole” chinois actuel est un monopole capitalisto-économique et non pas un monopole géologique. Mais que ne feraient pas états, industriels, actionnaires, usagers, nous tous… pour vendre ou acheter des portables et des tablettes qu'on change au bout d'un an, et qu'on veut fabriquer ou acheter pour le moins cher possible ?