Image de la semaine | 22/06/2009
Mine d'antimoine, de plomb et d'argent de la Rodde, Ally (Haute Loire)
22/06/2009
Résumé
Une ancienne mine à visiter en Haute Loire.
C'est l'avant-dernière « image de la semaine » avant les grandes vacances 2009. Peut-être allez vous passer ces vacances dans le Midi, et peut-être emprunterez vous l'autoroute A75 (La Méridienne) qui mène de Paris à Béziers (et réciproquement) en traversant le Massif Central. Peut-être aurez vous envie d'une pause culturelle au milieu de ces kilomètres de bitume agrémentés de bouchons. Juste au niveau de Massiac, à la limite du Cantal et de la Haute Loire, vous passerez à 20 km d'Ally, petit village célèbre pour ses anciens moulins à vent, sa centrale d'éoliennes, et ses anciennes mines d'antimoine, de plomb et d'argent, mines ouvertes à la visite (guidée). Arrêtez vous-y ; ce tourisme « géologico-industriel » en vaut la peine.
Replaçons la mine dans son contexte géologique local.
Il y a d'innombrables filons tardi-hercynien (Carbonifère à Trias inférieur) dans tout le Massif Central (ainsi que dans le Massif Armoricain, les Vosges…). Ces filons sont d'anciennes fractures dans lesquelles ont circulé des fluides hydrothermaux chargés de substance dissoutes, principalement de la silice (SiO2, cf. quartz géant de Saint Paul la Roche), du sulfate de baryum (barytine = baryte = BaSO4, cf. barytine et fluorine ) et du fluorure de calcium (fluorine = CaF2, cf. pyrite et fluorine et cristallisations de fluorine).
Silice, sulfates et fluorures sont parfois exploités pour eux-mêmes (minerais de fluor, de baryum…). Parfois, ils constituent la gangue de minerais plus rares. Disséminés dans cette gangue, on peut trouver des sulfures ou des oxydes métalliques, comme des oxydes de fer ou des sulfures de fer, des sulfures de plomb (galène), de zinc (blende ou sphalérite)...
Dans la région de Massiac, aux confins du Cantal et de la Haute Loire, il y a des centaines de systèmes filoniens à gangue siliceuse ou barytée contenant des sulfures, principalement des sulfures d'antimoine, élément chimique de numéro atomique 51, de symbole Sb. Une trentaine d'anciennes mines ont exploité cet antimoine, surtout dans la deuxième moitié du XIXème siècle. Le principal minerai des mines de cette région est la stibine, un sulfure d'antimoine (Sb2S3). La mine de la Rodde est l'une de ces 30 mines. Elle a exploité un champ de 7 filons tardi-hercyniens verticaux de direction approximative E-O. La gangue est principalement constituée de SiO2 et de BaSO4 que les mineurs rejetaient. Ce que recherchaient les mineurs, c'étaient les sulfures d'antimoine, de plomb et surtout l'argent contenu comme « impureté » dans ces sulfures.
Les deux principaux sulfures de la mine de la Rodde sont en effet la stibine (Sb2S3) et la semseyite (Pb9Sb8S21). C'est la semseyte qui contient de l'argent à l'état de trace ; elle est régionalement beaucoup plus rare que la stibine, mais abondante à la Rodde. Cette mine fut exploitée du temps des Romains, puis aux XIVème et XVème siècles, puis à la fin du XIXème siècle, jusqu'en 1907. La production totale cumulée est estimée à 2 550 tonnes de plomb (Pb), 1 350 tonnes d'antimoine (Sb), et 12 tonnes d'argent (Ag).
Maintenant, en 8 photographies, visitons cette mine.
Il est maintenant très difficile de trouver à Ally, comme dans les autres mines de la région de Massiac, de beaux échantillons de stibine et autres minerais d'antimoine. Les beaux cristaux se trouvaient dans les parties épaisses et riches des filons, parties qui ont été exploitées. La plupart des galeries sont maintenant inondées ou éboulées. Mais les anciennes collections locales permettent de voir de très beaux échantillons datant de l'époque de l'exploitation. Les 3 photographies qui suivent sont celles d'un échantillon qui m'a été donné, et dont j'ignore la provenance Vieil échantillon auvergnat, ou échantillon récent provenant de Chine ou de Roumanie ?
Les minerais d'antimoine sont connus depuis l'Antiquité. Trois origines sont proposées pour l'étymologie du nom antimoine. Selon la première hypothèse, ce nom viendrait des mots grecs anti et monos qui signifie jamais et seul, car l'antimoine et très souvent associé à d'autres métaux. La deuxième origine proposée viendrait de l'arabe al-uthmud, qui veut dire brillant, par référence à l'aspect brillant de la stibine. Enfin, on propose que ce nom viendrait d'un empoisonnement collectif de moines au Moyen-Âge, moines auxquels l'alchimiste Basil Valentin administrait de l'antimoine comme médicament. La stibine, minerai d'antimoine le plus fréquent, était appelé stibium par les romains, nom à l'origine du symbole Sb de cet élément.
Dans l'Antiquité et au Moyen-Âge, l'antimoine était utilisé pour des vertus médicinales (c'est un vomitif) et cosmétique (les premiers mascaras étaient à base de plomb et/ou d'antimoine). Les principaux usages actuels sont (1) les alliages plomb-antimoine et étain-antimoine qui servent pour les accumulateurs et les soudures, (2) des composés antifrictions, (3) des retardateurs de flammes à base d'oxydes d'antimoine et (4) l'industrie des semi-conducteurs.
Mais l'usage le plus « prestigieux » de l'antimoine est souvent ignoré. Cet usage mériterait que l'on parle de « l'âge de l'antimoine » comme on parle de l'âge du cuivre, du bronze et du fer, tant un usage particulier de l'antimoine a « révolutionné » le monde : l'antimoine fut à la base d'une des deux idées majeures qui permirent à Gutenberg de « découvrir » l'imprimerie en 1440 (à Strasbourg). Le principe de l'imprimerie (utiliser une empreinte gravée « à l'envers » qu'on enduit d'encre et qu'on peut appliquer sur plusieurs feuilles pour reproduire de nombreuses fois le même motif) était connu depuis longtemps, en particulier en Chine. Mais cette technique consistait à graver de façon définitive lettres et symboles sur une plaque, ce qui rendait son usage difficile : il fallait 300 plaques pour un livre de 300 pages. L'une des deux idées de Gutenberg fut la « typographie mobile », c'est-à-dire la technique qui consiste à graver une fois pour toute un nombre suffisant de symboles ou lettres élémentaires « à l'envers » , puis de les assembler autant de fois que l'on veut pour recomposer des textes différents. L'autre difficulté venait de la composition des caractères. Le plomb et l'étain étaient trop mous et s'écrasaient ; le cuivre se coulait mal ; le fer était trop dur et déchirait le papier. Gutenberg eu l'idée d'utiliser un alliage plomb-antimoine, l'antimoine durcissant le plomb pur et le plomb enlevant à l'antimoine pur son caractère cassant.
La production mondiale d'antimoine est d'environ 150 000 tonnes/an. La Chine à elle seule en produit 80%. Si la France ne produit plus d'antimoine, elle en fut le premier producteur mondial fin XIXème - début XXème siècles : environ 70 000 tonnes/an, dont 40 000 tonnes produites par les 30 mines de la région de Massiac, et 30 000 tonnes par la seule mine de La Lucette (Mayenne).
Il y a dans presque toutes les régions minières françaises (Nord-Pas de Calais, Lorraine, région stéphanoise…) des musées de la mine. Les anciennes mines sauvegardées, sécurisées et ouvertes aux visites guidées sont plus rares, mais il en existe dans certaines régions touristiques. Propoosons un début de liste, bien sûr non exhaustive. Si pendant vos vacances du tourisme géologico-industriel vous tente...
- En Alsace, les mines de plomb, argent… de Sainte Marie aux Mines (Haut Rhin).
- En Val de Loire, les mines d'ardoise de Noyant la Gravoyère (Maine et Loire).
- Dans les Alpes, les mines d'argent de L'Argentière-la Bessée ( Hautes Alpes).
- Dans les Pyrénées, les mines de manganèse de la Veille Aure à Saint Lary Soulan (Hautes Pyrénées).
- En Languedoc, les mines de cuivre de Cabrières (Hérault).
- En Provence, la mine de cuivre -musée du Cap Garonne (Var) entre Hyères et Toulon.
Deux regrets avant de conclure :
- Les anciennes mines sauvées, protégées, aménagées… sont rares, trop rares et de très nombreux trésors du patrimoine géologique français sont en train d'être irrémédiablement perdus (voir par exemple les mines de Dallet.
- Souvent, lors des visites, les guides insistent beaucoup plus sur l'histoire humaine de la mine (vie des mineurs, techniques d'extraction…) que sur son aspect et son histoire géologiques. Une mine, c'est des mineurs ET du minerai ! C'est, là, une preuve que les sciences de la nature en général, et de la Terre en particulier, ne font pas partie des centres d'intérêt de la population. Un échec collectif de notre profession d'enseignant de SVT !