Article | 10/06/2008
Un gisement d'hydrocarbures vu de l'intérieur et un trésor du patrimoine géologique français : la mine de bitume de Dallet (Puy de Dôme), dite « Mine des Rois »
10/06/2008
Résumé
La mine de Dallet (Puy de Dôme) : intérêt géologique et patrimonial.
Table des matières
Introduction
Même en dehors des régions minières, comme le Nord - Pas de Calais ou la Lorraine, la France a longtemps été un pays de tradition minière, au moins depuis les Romains. Au 19ème siècle et pendant la première moitié du 20ème, des dizaines et des dizaines de mines existaient un peu partout en France, allant de petites mines artisanales à de véritables entreprises industrielles. On exploitait ainsi les charbons et lignites, le fer, le plomb, l'argent, le cuivre, l'or, le fluor, le baryum, le zinc, l'antimoine, l'arsenic, le manganèse, l'étain, le tungstène, l'uranium, le soufre…, et aussi des bitumes et hydrocarbures lourds en Alsace, Savoie, Languedoc et Auvergne. Des trésors géologiques ont été trouvés dans ces mines et ont été parfois épargnés du broyage et autres traitements industriels par les ouvriers et ingénieurs travaillant dans ces mines, par des amateurs plus ou moins éclairés, et plus rarement par des équipes universitaires. Une faible partie de ces trésors épargnés se retrouve dans des musées et autres collections publiques. Une majorité dort dans des placards ou des greniers, souvent d'ailleurs les placards et greniers des héritiers d'anciens mineurs ou collectionneurs, quand ceux-ci n'ont pas jeté ces kilos de « cailloux encombrants ».
La totalité de ces mines est maintenant fermée. Déblais et galeries ont été plus ou moins "visitables" par les amateurs jusque dans les années 1970-1980. Puis la végétation a colonisé les déblais, et, pour des raisons légales, ou pour appliquer le « principe de précaution judiciaire » (qui est responsable en cas d'accident ?), les autorités locales (départementales ou communales) ont empêché l'accès des galeries. Parfois les galeries ont été foudroyées sur toute leur longueur, et les objets d'intérêt géologique qu'elles contenaient sont irrémédiablement détruits. Un crime de lèse patrimoine ! D'autres ont été solidement murées, ou bien seules les entrées ont été foudroyées par dynamitage. Dans ces deux derniers cas, les galeries internes ne sont pas détruites, mais sont laissées à l'abandon : les étais se dégradent, des éboulements ont lieu, les galeries inférieures sont noyées.
La Mine des Rois (ou des Roys) de Dallet est dans cette situation. Située sur la rive gauche de l'Allier à une quinzaine de kilomètres à l'Est de Clermont-Ferrand, son exploitation a cessé relativement récemment (en 1984). Ses entrées ont été effondrées par foudroyage quelques années plus tard. Mais les galeries (sauf sans doutes les galeries inférieures noyées) doivent être intactes sur des kilomètres ; et comme la roche calcaire est solide, il n'y a vraisemblablement eu que peu d'éboulements à l'intérieur. La Mine des Rois de Dallet peut encore être sauvée, étudiée par des géologues, mise en valeur ; certaines galeries peuvent être sécurisées et aménagées pour des visites...
Une association « Mur-Allier Nature » a pour objectif la sauvegarde de tout le patrimoine de la région de Dallet et du Puy de Mur en général, de la Mine des Rois en particulier. Mme Chris Daval, membre de cette association, a élaboré un DVD (28 mn, 230 images avec commentaire sonore) parlant de l'histoire géologique mais surtout industrielle de la Mine des Rois. Une version "légèré" de ce DVD peut être téléchargée (Mine des Rois de Dallet, format mp4).
Pourquoi parler de cette mine ? Parce que c'est une occasion unique de voir un gisement d'hydrocarbures de l'intérieur, ce qui n'est pas sans intérêt quand le pétrole dépasse 126 $ le baril. Et parce qu'elle recèle un extraordinaire patrimoine géologique, tant sédimentologique que paléontologique et minéralogique. S'y ajoute un patrimoine industriel (rails, wagonnet, chargeur…) laissé quasiment intact à l'intérieur lors de l'arrêt de l'exploitation.
Le but de cet article, après avoir rapidement raconté l'histoire industrielle et résumé le cadre géologique de cette mine situé au cœur de la Limagne (voir excursion en Limagne, point chaud en Auvergne, excursion en Limagne, volcanisme du Massif Central), est de proposer une visite « en images » de ce que contient cette mine. On y voit en effet :
- Un gisement d'hydrocarbures « vu de l'intérieur », cas quasiment unique en Europe.
- De belles roches sédimentaires et de magnifiques objets sédimentologiques.
- Un ensemble de stromatolithes que les galeries permettent de voir sous tous les angles.
- De très nombreux fossiles, en particulier de vertébrés.
- De superbes minéralisations siliceuses (quartz et calcédoine).
- Le contact entre la « cheminée » d'un volcan et son encaissant sédimentaire.
- Quelques témoignages des techniques minières de la deuxième moitié du 20ème siècle.
Il y aura deux types de photos :
- Des photos provenant de l'intérieur des galeries. Ces photos ont été prises après l'arrêt de l'exploitation et avant que le foudroyage des entrées ait rendu les galeries inaccessibles.
- Des photos d'échantillons. J'en ai récolté une partie sur les déblais de la mine entre 1966 et 1976 quand, lycéen puis étudiant clermontois, la géologie était un de mes violons d'Ingres. D'autres échantillons (ou photos d'échantillons) m'ont aimablement été prêtés par des collectionneurs locaux.
Merci à eux tous.
Histoire industrielle
La Mine des Rois a été ouverte en 1884, pour exploiter un calcaire bitumineux. C'est la Société des Mines d'Asphalte et de bitume du Centre (la SMAC) qui a exploité ce gisement. Broyée, cette roche formait un asphalte (asphalte = mélange de bitume + poudre de calcaire). Cet asphalte servait à faire des pavés pour les trottoirs, les cours ... Chauffé et plus ou moins séparé du calcaire, le bitume était employé pour l'étanchéité et le revêtement. La mine a employé jusqu'à 55 mineurs, qui exploitaient par galeries deux niveaux horizontaux de calcaire bitumineux. La zone à l'aplomb de la zone exploitée couvre plus de 8 ha ; il y a 5 km de galeries. La mine a fermé après 1 siècle d'exploitation, en 1984. Durant ce siècle d'exploitation, 830 000 tonnes de calcaire bitumineux ont été extraites, ce qui représente 58 000 tonnes de bitume pur, ce qui indique que teneur moyenne du calcaire en hydrocarbures était égale à 7%.
La SMAC existe toujours, et est un des leaders français du revêtement et de l'étanchéité de qualité. Mais combien de clients connaissent de nos jours la signification des initiales S.M.A.C. ?
Source - © 2008 SMAC
Cadre géographique et géologique
La mine des Rois se situe en Limagne, à 15 km de Clermont-Ferrand. La Mine des Rois exploitait deux niveaux de calcaire bitumineux situés en haut de la série sédimentaire de Limagne. La Limagne correspond à un graben oligocène, rempli de plus de 2000 m de sédiments oligocène supérieur là où le graben a le plus subsidé. Il n'y a « que » 750 m de sédiments à l'aplomb de la Mine des Rois. La sédimentation se termine au tout début du Miocène. Au centre du bassin, là où est située la mine, la série sédimentaire est principalement constituée d'argiles, de marnes et de calcaires. Certains niveaux de marnes sont réduits et très riches en matière organique. Au niveau de la mine de Dallet, la lithologie est constituée d'alternances de marnes vertes, de calcaires bioclastiques et de calcaires construits. Toute la pile sédimentaire de Limagne est affectée par des failles, et est percée de nombreuses « cheminées » volcaniques (pipes et diatrèmes pépéritiques). Un tel diatrème a été recoupé par les galeries de la Mine des Rois. Le bitume, mélange d'hydrocarbures lourds légèrement oxydés, imprègne deux niveaux de calcaires poreux (la roche magasin) dans le site de la Mine des Rois. À Dallet, comme ailleurs en Limagne, ces hydrocarbures peuvent provenir de la maturation et de l'expulsion de la matière organique contenue dans les marnes vertes locales (roche mère n° 1), ou provenir de marnes riches en matières organiques situées plus en profondeur (roche mère n° 2) et remontant vers la surface en profitant de failles ou des cheminées volcaniques. Si les suintements naturels de bitume sont très nombreux en Limagne, en particulier à l'Est de Clermont-Ferrand (voir figure 4), les recherches pétrolières, importantes au 20ème siècle n'ont jamais abouti à la découverte de gisements de pétrole exploitables, entre autres à cause du manque de « pièges ».
Visite en images commentées
Roches, contacts et figures sédimentaires
La Mine des Rois montre de nombreux faciès et roches sédimentaires (marnes, calcaires variés), des figures sédimentaires et diagénétiques variées, et le contact « cheminée » volcanique / sédiments de Limagne.
Source - © 2008 William Roston / Olivier Dequincey |
Un festival de stromatolithes
Les principales roches magasins de Dallet sont constituées de stromatolithes, elles-même souvent constituées d'accumulations de tubes de larves de phryganes cimentés par les encroûtements calcaires bactériens. Les tailles des stromatolithes s'échelonnent de quelques centimètres à plus d'un mètre. Une grande proportion des stromatolithes est imprégnée d'hydrocarbures. Les couches sédimentaires situées sous et au-dessus de chaque stromatolithe sont « défléchies ». Cette déflexion peut être d'origine sédimentaire : flexion des couches sous-jacentes par le poids du stromatolithe, et moulage du stromatolithe par les sédiments postérieurs. Cette déflexion peut aussi et même surtout être d'origine diagénétique : les marnes entourant la construction stromatolithique se compactent beaucoup moins que le stromatolithe lui-même, constitué de calcaire induré dès sa formation.
Les différentes galeries, leurs parois, leurs plafonds, les éboulements qui y ont eu lieu … offrent un véritable festival stromatolithique.
Un gisement d'hydrocarbures vu de l'intérieur
Les hydrocarbures de Dallet imprègnent les calcaires poreux, que se soient les sables bioclastiques, les stromatolithes ou les calcaires à phryganes. Quand les galeries recoupent ces niveaux poreux contenant des hydrocarbures, les calcaires paraissent noirs et mats (lorsqu'ils contiennent relativement peu d'hydrocarbures) ou noirs et brillants (hydrocarbures purs et abondants qui suintent). Quand les galeries recoupent des niveaux particulièrement riches en hydrocarbures, les parois sont recouvertes de coulées de bitume, et des stalactites gluantes pendent au plafond.
Des fossiles très variés
En plus des larves d'insectes, des cyanobactéries et autres unicellulaires bâtisseurs de stromatolithes, des organismes abondants et variés vivaient à l'Oligocène dans l'environnement géologique de Dallet. On trouve dans les galeries des fossiles de branches d'arbres, de gastéropodes, de mammifères, d'oiseaux, de crocodiles, de tortues… Tous ces végétaux et animaux ont été souvent remarquablement fossilisés et constituent un des intérêts scientifiques majeurs de la Mine des Rois de Dallet.
La lussatite, une exceptionnelle calcédoine bleue, et les quartz
Comme assez fréquemment en Limagne, le volcanisme de Dallet fut associé à des circulations hydrothermales qui déposèrent de la silice dans certaines fractures et cavités. La silice peut s'y être déposée sous forme amorphe et hydratée (opale), micro-cristalline (calcédoine) ou cristallisée (quartz). On trouve en quelques sites de Limagne, et en particulier à Dallet, une variété de calcédoine souvent bleutée (parfois brun-rouge), dont les microcristaux regroupés forment souvent des gouttes bleues tapissant des fissures. On nomme lussatite cette variété de calcédoine, du nom du village de Lussat (situé quelques kilomètres au Nord) où elle fut découverte pour la première fois. Outre les gouttes, la lussatite forme des encroûtements mamelonnés, des « calices », et même des « fleurs » quand elle est associée au quartz. La lussatite peut également remplir partiellement ou totalement les cavités internes des fossiles (phrygane, hélix…).
Installations minières (état à la fin des années 1980 – début des années 1990)
Quand l'exploitation s'est arrêtée en 1984, il était moins cher (vu le prix de la ferraille à l'époque) de laisser en place le matériel d'exploitation que de le sortir et de le livrer à un ferrailleur. On trouve ainsi dans les galeries tout un échantillonnage des outils et engins d'exploitation minière utilisés dans les années 1960-1980.
Conclusion
Ces 71 figures étaient destinées à montrer n exemples des « merveilles géologiques » que l'on trouve dans la Mine des Rois de Dallet, merveilles géologiques dont l'intérêt paléontologique, sédimentologique, minéralogique… et pédagogique est évident. S'y ajoute un intérêt concernant le patrimoine industriel et historique d'une époque et d'une région. La Mine des Rois de Dallet doit être sauvée, mise en valeur, être l'objet de recherche paléontologiques…
Le cas de Dallet n'est pas unique. Il existe en France des centaines de mines et carrières souterraines dont le patrimoine géologique (et industriel) est exceptionnel, mais qui risquent d'être à jamais perdu. S'il y a des centaines de mines intéressantes, il y a des milliers de professeurs de SVT, répartis dans toute la France, en particulier dans les Vosges, le Massif Armoricain, le Massif Central et le Morvan, les Pyrénées, la Provence, les Alpes… régions particulièrement riches en vieilles mines. Un peu partout en France, des associations (souvent au moins autant intéressées par le patrimoine industriel que par les richesses géologiques, mais qui ne demandent qu'à élargir leurs centres d'intérêts) militent pour sauver ce qui peut l'être. Un peu partout en France, des amateurs, des anciens mineurs ou leurs descendants possèdent des trésors géologiques dans leurs greniers. Si vous avez connaissance de telles associations, aidez-les. Et avec l'aide de telles associations, de tels amateurs ou anciens mineurs, et si vous pouvez/souhaitez faire un article ayant un intérêt géologique du genre de celui-ci (même plus petit, tous les gisement ne sont pas aussi riches que Dallet, et 71 figures représentent une borne "haute"), n'hésitez pas à nous faire parvenir une proposition. Planet-Terre se fera une joie de l'étudier et un devoir de la publier si elle est riche d'enseignements pour la communauté des naturalistes.