Article | 30/05/2011
La mine de cuivre du Cap Garonne, le Pradet (Var) : visite de la mine et géologie du gisement
30/05/2010
Résumé
Une mine de cuivre préservée, aménagée, à visiter.
Table des matières
La mine de cuivre du Cap Garonne (Var), abandonnée depuis 1917, est connue des minéralogistes du monde entier par les 139 espèces minérales qui y ont été décrites. Les minéraux les plus visibles sont la malachite (verte), Cu2[(OH)2(CO3)], et l'azurite (bleue), Cu3[(OH)(CO3)], ainsi que de nombreux sels de cuivre associés à d'autres métaux, sels complexes, variés et plus ou moins hydratés. Depuis 1994, une partie de ses galeries est accessible au public, un musée de minéralogie y a été ouvert, et un « parcours découverte » a été aménagé à l'extérieur. En juin 2010, j'ai visité les galeries ouvertes au public et le « parcours découverte » ; j'ai eu l'autorisation de prendre des photos à l'intérieur de la mine pendant cette visite, et les guides du musée et de la mine m'ont aimablement donné copie de certains documents d'époque. Merci à eux. C'est suite à cette visite, et en utilisant aussi le site web du musée de la mine de Cap Garonne que j'ai écrit cet article sans prétention d'exactitude et d'exhaustivité scientifiques, mais simplement pour donner envie aux collègues qui passeraient leurs vacances dans le secteur d'aller visiter cet élément du patrimoine géologique et historique français. Cet article est plus une visite guidée et une suite d'images commentées qu'un article scientifique.
La géologie du Cap Garonne
Le Cap Garonne se trouve à une douzaine de kilomètres au Sud-Est de Toulon. Ce cap est constitué d'une masse de pélites et grès rouges du Permien, interstratifiés avec des basaltes également permiens, et surmontée en concordance par du Trias inférieur. Permien et Trias inférieur sont constitués de roches détritiques continentales d'origine fluviatile (grès, pélites, conglomérats…). L'ensemble est chevauché par le Paléozoïque légèrement métamorphique du socle provençal, dit socle des Maures / Cap Sicié.
L'entrée de la mine
Les galeries et les piliers
L'exploitation de la mine était théoriquement assez simple : la couche minéralisée, de 1 à 3-4 mètres d'épaisseur, est à peu près horizontale, et n'est recoupée que par une faille majeure unique. Le travail de l'exploitant consistait simplement à enlever cette couche de minerai et à l'expédier vers une usine de traitement. La couche minéralisée couvrant une surface de plusieurs hectares, il était indispensable que le toit de la couche (les grès blancs du Trias) soit soutenu par des étais, constitués le plus souvent de quelques mètres carrés de la couche de minerai laissés en place, ou encore de piliers en maçonnerie. Parfois, pour empêcher l'effondrement du toit, on remblayait les cavités excavées par déblais et stériles. Les 11 figures qui suivent montrent une coupe de la mine datant du XIXème siècle et 10 photographies montrant galeries, salles, piliers, parois et plafonds diversement colorés par des sels de cuivre.
Études sédimentologiques et tectoniques
L'étude de la couche conglomératique minéralisée est beaucoup plus facile dans la mine qu'à l'extérieur, vu la qualité des affleurements et l'absence de sol et de couverture végétale. Comme très souvent (pour ne pas dire toujours) dans les sédiments détritiques fluviatiles, il y a d'importantes variations latérales de faciès d'une extrémité de la mine à l'autre. On y trouve des conglomérats vrais, des grès conglomératiques, des grès fins, à stratifications planes ou obliques, des silts… La figure ci-dessous montre deux logs stratigraphiques relevés sur 2 parois, ce qui montre bien la variation latérale de faciès sur quelques dizaines de mètres. Les 11 figures suivantes représentent diverses observations « sédimentologiques » visibles sur les parois.
Les bonnes conditions d'affleurement internes à la mine permettent aussi de faire des observations tectoniques. Si la Grande Faille Est-Ouest n'est pas accessible par le parcours ouvert à la visite guidée, on voit néanmoins le long de ce denier des failles, tant à composante verticale qu'à composante décrochante.
Origine du cuivre et des minéralisations
Les principaux minéraux cuprifères du Cap Garonne sont de deux types :
- des sulfures dont les principaux sont la chalcocite (Cu2S), la covellite (CuS) et la tennantite (Cu, Fe)12As4S13), difficiles à voir dans les galeries lors de la visite ;
- des carbonates et autres minéraux oxydés, de loin les plus visibles.
On trouve aussi des sulfures d'autres métaux (surtout de la galène, sulfure de plomb de formule PbS).
Les carbonates et les autres minéraux oxydés proviennent sans aucun doute de l'oxydation secondaire des sulfures, qui sont alors considérés comme les phases primaires. Cette oxydation / hydratation / carbonatation a pu se faire à chaque fois que les sulfures primaires étaient en contact avec une nappe phréatique oxydante plus ou moins riche en HCO3-. Cette arrivée d'eaux oxydantes était favorisée par la présence de failles de tous âges, abondantes dans ce secteur de la Provence, et par la porosité / perméabilité des grès et conglomérats. Les ions cuivre étaient alors partiellement mis en solution, circulaient le long des fractures et de la porosité de la roche, où ils pouvaient re-précipiter. De tels épisodes d'oxydation - mise en solution - circulation - précipitation ont pu avoir lieu à plusieurs reprises dans l'histoire provençale, en particulier pendant les périodes où la Provence était émergée (au milieu du Crétacé, et pendant la majeure partie du temps depuis le début du Cénozoïque). Les périodes récentes, où le Trias basal était proche de la surface ont dû être particulièrement favorables à ces épisodes. Et la porosité des grès et conglomérats était particulièrement favorable à cette précipitation. La formation d'encroûtements de divers sels de cuivre sur les parois, et de stalactites de carbonates de cuivre au plafond des galeries de la mine, formation qui a eu lieu en moins de 160 ans, prouve que ces phénomènes de dissolution - précipitation peuvent être très rapides.
La vraie question est l'origine de ces sulfures initiaux.
Claude Jean GUILLEMIN, dans sa thèse soutenue en 1951 et sur la base d'observations d'échantillons et de lames minces, propose que les sulfures initiaux se sont mis en place en deux temps. Dans un premiers temps, des sulfures détritiques auraient été amenés à l'emplacement du Cap Garonne, amenés par des rivières et provenant de l'érosion de filons sulfurés abondants dans la chaîne hercynienne. Le Cap Garonne aurait été un placer triasique. Dans un deuxième temps, ces sulfures détritiques auraient été remobilisés, auraient légèrement migré pour imprégner et cimenter grès et conglomérats.
Cette interprétation, vieille de 60 ans, n'est pas sans poser un énorme problème : les sulfures sont très instables (car très oxydables) dans les eaux fluviatiles à haute énergie, donc aérées (et donc oxydantes). Or les eaux transportant les galets pluri-centimétriques du conglomérat du Cap Garonne étaient des eaux à haut niveau d'énergie. Les sulfures détritiques, s'ils sont abondants à l'Archéen quand l'atmosphère ne contenait pas d'O2 libre, sont exceptionnels depuis 2 Ga, depuis qu'il y a de l'02 libre dans l'atmosphère. En attendant de nouvelles observations pétrologiques confirmant ou infirmant les interprétations de Claude Jean GUILLEMIN, on peut proposer une nouvelle interprétation, qui « se passe » de l'épisode des sulfures détritiques.
Le Trias (et même le Jurassique inférieur) de tout le Sud-Est de la France est fréquemment imprégné de sulfures (souvent de plomb) et aussi de sulfates (comme la barytine). Cette imprégnation est surtout stratoïde, mais parfois sous forme de filons ou de sills. À la fin de l'histoire hercynienne, cette chaîne de montagne s'est effondrée, et a été affectée de multiples failles normales (et aussi décrochantes). Dans le Sud-Est de la France, cette extension tardi-hercynienne a perduré au début du Mésozoïque, en relation avec les « phénomènes alpins ». Pendant tout le Permien et le début du Mésozoïque, des eaux (chaudes) circulaient par ces failles dans le socle hercynien, s'y chargeaient de sulfures divers, et imprégnaient les couches poreuses de la couverture sus-jacente. Il n'est pas exclu que cette circulation ait continué après le Jurassique inférieur, bien que les niveaux minéralisés ne dépassent pas ce Jurassique inférieur.
Les mines de sulfures imprégnant - recoupant des roches détritiques du Trias abondent dans le quart Sud-Est de la France. Citons les mines de Largentière - la Bessée dans les Hautes Alpes, où la mine se visite, les mines de Largentière dans l'Ardèche, fermées en 1982, les mines de Macot-La Plagne en Savoie dont des échantillons et des outils de mineurs sont exposés au Musée d'Aime…
On peut enfin se demander pourquoi les sulfures du Cap Garonne sont majoritairement cuprifères, alors que ce sont les sulfures de plomb et de zinc qui sont les plus fréquents dans les gisements de sulfures supra-hercynien du Sud-Est de la France. La présence de basaltes (plus riches en cuivre que les granites) dans le substratum permien local n'est sans doute pas étrangère à cette richesse en cuivre.
La visite de la mine ne montre quasiment pas de sulfures, mais surtout des carbonates, sulfates et autres minéraux oxydés. On ne peut donc pas se faire une opinion de visu sur l'origine des sulfures. On peut par contre se rendre compte de la migration des sels de cuivre oxydés le long des fractures ou des niveaux poreux, ainsi que de la rapidité des phénomènes de dissolutions - précipitation.
L'histoire de la mine et de son exploitation
La demande de concession pour l'exploitation du gisement fut faite et accordée en 1857. L'exploitation commence immédiatement. Cette exploitation ne fut jamais très rentable. La très grande dureté du minerai (un conglomérat siliceux) et sa relative pauvreté en cuivre expliquent cette non rentabilité chronique de la mine. La mine fut exploitée soit pour produire du cuivre métal, soit pour produire du sulfate de cuivre, abondamment utilisé dans la viticulture locale. L'exploitation s'est arrêtée à trois reprises (avec changements de propriétaires) et a définitivement cessé en 1917, soixante ans après l'ouverture de la mine. Pendant ces 60 ans de fonctionnement, on a extrait 40 000 tonnes de minerais, ce qui a permis de produire environ 1 200 tonnes de cuivre métal, ainsi que 100 tonnes de plomb.
Après sa fermeture, les salles et galeries furent utilisées épisodiquement comme champignonnières, là encore sans succès, ce qui aurait dû être prévisible, les sels de cuivre étant connus pour leur propriété de fongicide. Jusqu'en 1984, les galeries étaient laissées à l'abandon, ouvertes à l'exploitation raisonnée mais aussi au pillage de la part de minéralogistes amateurs et/ou autres marchands de minéraux. Pour préserver son exceptionnel patrimoine minéralogique (et aussi sous prétexte de sécurité), la mine fut fermée en 1984, mais, heureusement, les autorités compétentes (en particulier les communes du Pradet, de Carqueiranne et de la Garde) n'ont pas commis l'irréparable en détruisant / foudroyant salles et galeries. En 1994, sous l'impulsion des trois communes concernées, le site fut protégé, aménagé, avec ouverture d'une partie des salles et galeries au public et installation d'expositions historiques et minéralogiques dans certaines salles.
Des détails de cette histoire peuvent être trouvés sur le site du Musée de la Mine de Cap Garonne.
Nous vous présentons ici quelques documents retraçant cette histoire et dont la mine nous a aimablement donné copie.
Les aménagements muséographiques et le musée de minéralogie
Dans les galeries, sur le trajet emprunté par les visiteurs, quelques scènes de la vie des mineurs ont été reconstituées. Avant de pénétrer dans les galeries, une rapide exposition sur les usages du cuivre est présentée. Avant la sortie des galeries, on traverse un musée de minéralogie où des vitrines exposent des échantillons de minéraux cuprifères, beaucoup venant de la mine elle-même. Une liste des minéraux de la Mine de Cap Garonne ainsi qu'un « musée virtuel » des minéraux de la Mine de Cap Garonne sont consultables sur le site de la mine.
Après cette visite virtuelle de la mine de Cap Garonne, rappelons la possibilité de visiter la mine d'antimoine, de plomb et d'argent de la Rodde, Ally (Haute Loire), et regrettons que ne soient encore aménagées à ce jour ni les anciennes mines de cuivre, argent et barytine du secteur Padern-Montgaillard (Aude), ni la mine de bitume de Dallet (Puy de Dôme), dite « Mine des Rois ».