Article | 28/11/2018
Quelques déformations des roches globalement tabulaires du plateau du Colorado (États-Unis d'Amérique)
28/11/2018
Résumé
Un plateau très légèrement chahuté avec plissement à grand rayon de courbure, failles et astroblème.
Table des matières
Le plateau du Colorado est une région géologique homogène qui s'étend sur 340 000 km2 environ, à cheval sur les états du Four Corner : Utah, Nouveau Mexique, Colorado et Arizona, au Sud-Ouest des États-Unis d'Amérique.
Source - © 2018 D'après Arizona Dream, modifié
Ce désert d'altitude entrecoupé de rares forêts présente la plus forte concentration de parcs nationaux du pays, et présente des caractéristiques structurales assez frappantes. Malgré une altitude importante (1 600 m en moyenne), les variations de reliefs sont faibles à l'exception des canyons qui entaillent le plateau, et le sous-sol est formé d'un empilement sédimentaire remarquablement tabulaire, quasi-continu du Cambrien à l'Éocène, et très conservé latéralement d'une extrémité à l'autre du plateau. Peu de déformations (failles, plis, chevauchements…) ont affecté les roches déposées depuis près de 600 Ma pour les plus vieilles, ce qui explique les coupes naturelles exceptionnelles créées par l'érosion (notamment au niveau du Grand Canyon, des falaises du Grand Staircase…) et contraste fortement avec les régions voisines plus perturbées, telles que la province du Basin and Range à l'Ouest, ou les montagnes Rocheuses à l'Est.
On consultera au sujet du plateau du Colorado les précédents articles de Planet-Terre : Les discordances du Grand Canyon du Colorado (Arizona, USA), Monument Valley : grès et argiles, diaclases, érosion, mésas et buttes témoins, anciens volcans…, Le Parc national de Canyonlands, la vallée de Betatakin… : reculées et mini-canyons du plateau du Colorado (USA), Bryce Canyon (Utah, USA), un musée des formes d'érosion torrentielle dans des argiles gréseuses plus ou moins indurées, Habitations en bois silicifié dans l'Arizona et le Dakota du Sud (USA) , Coulées de laves anciennes de type aa (en gratons) : Arizona, Canaries, Islande et Chaîne des Puys .
Tout ce qui constitue maintenant le plateau du Colorado a donc subi une surrection “en bloc”, dont l'ampleur atteint 2000 à 3000 m. Elle a débuté il y a environ 30 Ma, a été maximale de −20 à −6 Ma, et durerait encore. La chronologie des différents stades de cette surrection et son origine, en lien avec l'orogenèse du Laramide, sont encore l'objet d'études et de débats. Quoi qu'il en soit, ce changement d'altitude a entrainé une reprise d'érosion créant canyons, cuestas, buttes témoins et autres formes d'érosion spectaculaires…
Comme nous l'avons vu dans une série d'articles précédents portant sur cette province (voir notamment Le Grand Canyon du Colorado vu du ciel (Arizona, USA) pour un bel exemple de déformation cassante et de flexure à grand rayon de courbure au niveau du Grand Canyon), on trouve cependant quelques traces de déformations structurales à plus ou moins grande échelle affectant le plateau. Dans le présent article, nous nous proposons d'en observer quelques autres, pour le plaisir des yeux et la curiosité intellectuelle, sans prétendre à une quelconque forme d'exhaustivité ou même de représentativité dans le choix arbitraire des objets étudiés.
Ces déformations ont plusieurs origines tectoniques connues.
- D'abord, l'orogenèse laramienne (ou du Laramide), entre −90 et −50 Ma environ, avec un paroxysme autour de −60 Ma, qui a entrainé une compression de direction Est-Nord-Est/Ouest-Sud-Ouest. Cette orogenèse est due à la convergence entre les plaques tectoniques Nord-Américaine à l'Est et Farallon à l'Ouest, cette dernière passant en subduction avec un angle très faible sous la plaque Nord-Américaine. Ce faible angle est généralement interprété comme la conséquence d'une subduction rapide (plus de 10 cm/an) d'une jeune plaque océanique encore chaude et/ou à croute particulièrement épaisse, deux raisons diminuant la densité de la plaque subduite et donc entrainant une résistance à l'enfoncement dans le manteau asthénosphérique. Ce régime de convergence tectonique est à l'origine de la formation des montagnes Rocheuses et de la plupart des grandes chaines de reliefs de l'Ouest de l'Amérique du Nord, de l'Alaska au Mexique.
- Ensuite, au Miocène, autour de −20 Ma, lorsque la vitesse de subduction a été divisée par deux par rapport à l'époque Laramide, en association avec un retrait vers l'Ouest de la subduction et un retour à un angle de plongement plus fort. Ce retour a une subduction plus “classique” a été associé avec un magmatisme qui a percé le plateau du Colorado (laccolithes, dômes et autres structures volcaniques des montagnes Henry et Marysvale notamment) et déformé les secteurs voisins.
- Enfin, l'extension de la province du Basin and Range à l'Ouest (voir à ce sujet Le lac Mono, un site d'intérêt exceptionnel pour les naturalistes et Les évaporites de la Vallée de la Mort (Californie)), depuis −15 Ma jusqu'à nos jours, associée à quelques plis et failles normales recoupant le plateau du Colorado.
D'autres phénomènes plus ou moins originaux peuvent se rajouter aux précédents : magmatisme à différentes périodes, tectonique salifère (cf. Pourquoi y a-t-il tant d'arches dans le Parc national des Arches (Utah, États-Unis d'Amérique) ?), et même impacts météoritiques.
Des plissements à grand rayon de courbure, relativement fréquents sur le plateau du Colorado
On trouve en de nombreux points du plateau du Colorado des anticlinaux (figure 1) et synclinaux à large rayon de courbure, plus ou moins disséqués par l'érosion. Le climat aride limitant le couvert végétal, ces structures sont aisément observables en vue aérienne, par exemple avec Google Earth.
Assez fréquents également, et tout aussi aisément observables en vue aérienne, sont les structures monoclinales comme Comb Ridge Monocline immédiatement à l'Est de l'anticlinal de Raplee, en direction de la ville de Bluff (fichier kmz de localisation de Comb Ridge Monocline), ou encore le célèbre Waterpocket Fold (figures 2 à 6 et fichier kmz de localisation du Waterpocket Fold dans le Parc national de Capitol Reef). Le Waterpocket Fold s'étend du Nord au Sud sur près de 150 km de long et fait partie des points d'intérêt ayant justifié la création du Parc national de Capitol Reef. Il tient son nom des poches d'eau stagnantes temporaires (waterpockets) creusées à la surface des grès, abondantes dans la région (cf. Waterpockets, potholes, et taffonis… superbes alvéoles érosives dans les grès du plateau du Colorado (États-Unis d'Amérique)). Il est probable que son origine soit la réactivation lors de l'orogenèse du Laramide d'une faille du socle précambrien, enfouie sous les roches sédimentaires plus récentes. La faille ne se serait pas propagée dans ces strates mais les aurait déformées en un long pli à unique flanc quasiment vertical. De part et d'autre de ce monoclinal, les strates rocheuses sont faiblement inclinées, et se rapprochent de l'horizontalité lorsqu'on s'éloigne de l'accident tectonique. Celles du côté Ouest du Waterpocket Fold sont cependant surélevées de plus de 2 000 m par rapport à celles situées à l'Est. À la faveur de la surrection du plateau du Colorado depuis 15 Ma, l'érosion a attaqué les roches constituant le monoclinal et en a disséqué la structure interne, formant canyons, ravins, dômes, falaises abruptes, badlands, pinacles, arches …
Source - © 2018 National Park Service, modifié
Des failles à différentes échelles, moins communes mais néanmoins présentes sur le plateau du Colorado
Diverses failles sont observables sur le plateau du Colorado, associées aux phases tectoniques d'abord compressives puis extensives mentionnées plus haut. À la tectonique régionale s'ajoute parfois une tectonique salifère, comme c'est le cas pour la faille de Moab (cf. Pourquoi y a-t-il tant d'arches dans le Parc national des Arches (Utah, États-Unis d'Amérique) ?). Les failles de grande ampleur sont souvent difficiles à visualiser car elles s'accompagnent de zones broyées, de brèches, sont en réalité souvent composées de plusieurs failles conjuguées, et les décalages de grande ampleur qu'elles produisent sont souvent recouverts d'éboulis. Elles peuvent parfois faciliter le tracé de cours d'eaux ou de routes ultérieures, comme dans le cas de la route US-191 dans la vallée de Moab (fichier kmz de localisation de la faille de Moab, à proximité du Visitor Center du Parc national des Arches). Les failles d'ampleur plus restreinte sont en général plus pédagogiques, plus aisées à visualiser. Elles accompagnent parfois des failles majeures (figures 9 à 11). Toutes ces failles présentent des intérêts pour la migration de fluides, notamment d'hydrocarbures.
D'autres types de déformations plus originales
On trouve également sur le plateau du Colorado d'autres types de déformations plus originales : liées à des intrusions magmatiques, à des diapirs de sels… examinons pour finir le cas d'Upheaval Dome, dans le Parc national de Canyonlands. Il s'agit d'une étrange et spectaculaire structure circulaire, aux strates rocheuses très perturbées au milieu des immenses plateaux tabulaires du parc, qui a suscité longtemps des hypothèses contradictoires à propos de son origine géologique. Bien que des points de vue aménagés permettent son observation depuis le sol, la structure d'ensemble est plus aisément perceptible en vue aérienne (fichier kmz de localisation d'Upheaval Dome).
Source - © 2009 Klarno - CC BY-SA 3.0
Source - © 2009 Jim Stuby
Certains auteurs avaient suggéré que cette structure correspondait à un diapir de sel profondément érodé, dont tout le sel aurait été dissous, ce qui est cohérent avec l'existence d'importants niveaux évaporitiques du Carbonifère (formation Paradox) en profondeur sous le parc mais moins avec l'absence d'observation de ces sels au niveau d'Upheaval Dome lui-même... D'autres avaient évoqué une origine magmatique. D'autres enfin penchaient pour un impact météoritique ancien, là encore largement érodé. Le débat est resté ouvert longtemps (depuis les années 1930 jusqu'aux années 2000), mais l'origine extraterrestre est maintenant bien démontrée. Les principaux arguments reposent sur l'étude détaillée des déformations, des simulations numériques, et surtout la découverte en 2008 de quartz choqués dans les grès de la formation Kayenta, ce qui traduit les très fortes pressions dues aux ondes de choc de l'impact.
Le choc aurait généré des pressions d'environ 10 GPa, se serait produit avec un angle d'impact oblique et alors que les roches déformées aujourd'hui à l'affleurement étaient encore enfouies sous près de 2 000 m de sédiments, par la suite emportés par l'érosion (ce qui permet de penser que l'impact date d'avant la surrection du plateau du Colorado).
Pour aller plus loin sur ce dernier sujet :
E. Buchner, T. Kenkmann, 2008. Upheaval Dome, Utah, USA: Impact origin confirmed, Geology, 36, 3, 227-230