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Article | 02/04/2015

Le lac Mono, un site d'intérêt exceptionnel pour les naturalistes

02/04/2015

Matthias Schultz

Professeur de SVT, Lycée H. de Chardonnet, Chalon sur Saône

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Un lac de caldeira endoréique d'origine volcanique, son environnement menacé et ses tufas, (bio)constructions hydrothermales rappelant les fumeurs des fonds océaniques.


Un lac salé de la province géologique du Basin and Range

Le lac Mono est un lac salé situé en Californie, dans la province géologique du Basin and Range. Cette vaste région est caractérisée par une extension continentale à l'origine de blocs basculés définissant des chaînes de reliefs parallèles (horsts) séparées par de profondes vallées (grabens). On y trouve donc à peu de distance de hauts sommets (par exemple le Mont Whitney, 4 421 mètre, dans la Sierra Nevada) et des dépressions marquées (notamment le point le plus bas du continent Nord-américain, Badwater, 85  m sous le niveau de la mer, dans la Vallée de la Mort).

Toute la région du Grand Bassin (Great Basin) au cœur du Basin and Range est endoréique. Les précipitations y sont très faibles (climat continental aride), du fait des reliefs orientés Nord-Sud qui retiennent les masses d'air humides venues de l'océan Pacifique, à l'Ouest. C'est dans ce cadre géologique que l'on trouve, par exemple, les sliding stones (pierres qui glissent) de Racetrack Playa.

Le lac Mono est alimenté par de rares précipitations (moins de 30 cm/an), par des cours d'eau qui descendent des reliefs de la Sierra Nevada, et par des eaux d'infiltration qui peuvent alimenter des sources à l'intérieur du lac. En l'absence d'exutoire, l'eau s'échappe par évaporation (environ 120 cm/an). La salinité du lac varie donc en fonction des apports d'eau plus ou moins chargée en éléments dissous et des exports d'eau distillée par évaporation. Cette salinité élevée a oscillé entre 42 et 100 g/L d'après les relevés effectués au cours du XXème siècle, avec une moyenne actuelle à 82 g/L, soit deux à trois fois plus que la salinité moyenne des océans (30 à 40 g/L). On trouve principalement des chlorures, des sulfates et des carbonates, du sodium et du potassium, ainsi que des borates. Le pH est proche de 10. Ces paramètres autorisent la baignade, avec une flottabilité inhabituelle, des risques d'irritation sur les muqueuses et les plaies, le fait que la peau devienne vite glissante, car "savonneuse" (en effet, le savon est obtenu par action d'une base sur les acides gras des lipides de la peau), et l'apparition rapide de dépôts de sels sur la peau lors de la sortie du lac. Le paysage et les espèces vivantes, décrites plus bas, renforcent l'impression d'étrangeté d'une telle baignade.

Le lac Mono (Californie) au sein du Grand Bassin

Situation du lac Mono (Californie)

Figure 2. Situation du lac Mono (Californie)

Le lac Mono (punaise jaune) est dans le Grand Bassin qui est séparé de la verdoyante plaine centrale de Californie par la Sierra Nevada. Il est à environ 300 km à l'Est de San Francisco (Californie) et 200 km au Sud de Reno (Névada).


Le lac Mono (Californie)

Figure 3. Le lac Mono (Californie)

On distingue la grande île claire, Pahoa, et la petite île sombre, Negit. À l'Ouest du lac, les premiers reliefs de la Sierra Nevada.

La punaise jaune localise le mont Panum d'où ont été prises des photos proposées ci-après.


La formation du lac Mono

Le lac occupe une caldeira assez récente (éruption datée de 760 000 ans). Ses abords immédiats sont également volcaniques, avec une série d'édifices datés des quarante derniers milliers d'années. Le Mont Panum, au Sud du lac, est un dôme de rhyolithe (principalement sous forme d'obsidienne et de ponces) âgé de seulement 700 ans. Il a été largement utilisé par les amérindiens comme source de matériau pour leur d'outils (pointes de flèches, par exemple).

Les petites îles présentes dans le lac ont également des origines volcaniques. La plus petite, Negit, est formée de trois coulées de dacite sombres datées de 2 000 ans. La plus grande, Pahoa, est constituée d'argiles et de carbonates comme la majeure partie du fond du lac Mono, mais ces sédiments ont été portés à la surface par un bombement volcanique. Cet épisode éruptif limité a eu lieu il y a environ 350 ans, et a été associé à des fumeroles, sources chaudes et autres volcans de boue qui ont valu son nom à l'île. Paoha dérive en effet du terme des amérindiens locaux pour désigner les esprits présents dans les vapeurs et fumées volcaniques.

Le lac Mono, Californie, vu depuis le Sud

Figure 4. Le lac Mono, Californie, vu depuis le Sud

On distingue en fond des collines volcaniques de couleur sombre. Notez également la végétation rase qui signe un climat aride.


Le lac Mono et ses îles, Californie, vu depuis le Sud

Figure 5. Le lac Mono et ses îles, Californie, vu depuis le Sud

On distingue une île volcanique de couleur sombre (Negit) de sa voisine (Pahoa) formée de calcaires et argiles plus clairs. La zone centrale présente une végétation plus arborée qui signe la présence d'un cours d'eau alimentant le lac (le Rush Creek).


Collines volcaniques sombres aux alentours du lac Mono, Californie

Blocs d'obsidienne et de ponces au sommet du mont Panum, au Sud du lac Mono

Vue sur le lac Mono, vers le Nord, depuis le mont Panum

Figure 8. Vue sur le lac Mono, vers le Nord, depuis le mont Panum

On distingue à l'Ouest (à gauche sur la photo) les premiers reliefs de la Sierra Nevada.


 

Un écosystème particulier

Compte-tenu de ses caractéristiques physico-chimiques, le lac accueille un écosystème très original, caractérisé notamment par une absence de poissons (l'alcalinité y est trop élevée) et la présence d'espèces rares voire endémiques comme la mouche Ephydra hians, qui pond ses œufs en abondance sous la surface du lac, et la crevette Artemia monica (de 4 à 6.1012 individus dans le lac Mono en été, constituant la seule population connue au monde). Les pupes des mouches sont très nutritives (riches en lipides et protides) et constituaient un mets de choix pour les amérindiens de la région, qui se désignaient eux-mêmes comme Kutzadika'a (littéralement « mangeurs de mouches »). Les pupes contribuent par ailleurs lors de leur métamorphose au dépôt de carbonates bioconstruits au fond du lac selon un mécanisme qui n'est pas sans rappeler la formation des calcaires à phrygane de Limagne (cf. figures 12 à 14 de Un gisement d'hydrocarbures vu de l'intérieur et un trésor du patrimoine géologique français : la mine de bitume de Dallet (Puy de Dôme), dite « Mine des Rois »).

Crevettes et mouches, ces abondantes ressources alimentaires attirent de nombreux oiseaux, marins ou non, qui s'arrêtent en cours de migration ou nidifient sur les îles. Ces millions de goélands, barges, grèbes, chevaliers, phalaropes… font du lac un lieu recherché par les ornithologues.

La zone environnante, également riche faunistiquement et floristiquement, est protégée comme National Forest Scenic Area depuis 1984.

Essaims de mouches Ephydra hians (éléments noirs sur la plage et dans l'eau) sur les rives et dans les eaux du lac Mono

Figure 9. Essaims de mouches Ephydra hians (éléments noirs sur la plage et dans l'eau) sur les rives et dans les eaux du lac Mono

Les Hommes ne sont pas les seuls « mangeurs de mouches », des goélands venus nidifier au bord du lac en sont aussi friands et sont visibles sur ce cliché (voir la photo originale et images complémentaires sur les abords du lac Mono). Les tufas de l'arrière-plan nous rappellent que nous sommes bien sur les bords du lac Mono.


Une crevette Artemia monica mâle

Figure 10. Une crevette Artemia monica mâle

Longueur quelques millimètres. Le nom d'espèce (monica) fait référence au lieu de vie de cette espèce endémique, le lac Mono.


Les tufas, particularité géologique du lac Mono

Le lac Mono est célèbre, enfin, pour ses concrétions atypiques d'argiles et de carbonates appelées « tufas » (qui ne sont ni des tufs volcaniques -ou téphras- ni des tufs calcaires -ou travertins). Ces colonnes d'aspect ruiniforme se sont formées sous l'eau au fond du lac et émergent en certains points du fait d'une baisse de son niveau. Certaines sont accessibles par un sentier de découverte, la zone étant globalement protégée.

L'origine de ces tufas est à rechercher dans la sortie d'eaux d'infiltration, chaudes, sous pression, et riches en ions calcium, au sein des eaux plus froides du lac chargées en dioxyde de carbone. La réaction de formation in situ de carbonates de calcium permet la cimentation de particules argileuses ainsi agglutinées. Avec le temps, la source chaude intermittente se dote de conduits traçants enveloppés par une épaisse carapace de ce "béton" naturel. Les tufas, résistants à l'érosion, subsistent même lorsque les sources ont cessé de fonctionner. Les plus grands atteignent près de 10 mètres de haut.

Ce phénomène géothermal, bien que particulièrement spectaculaire au niveau du lac Mono, n'est pas unique : on le rencontre dans plusieurs lacs salés du Grand Bassin, et il peut être rapproché (bien que la chimie soit très différente) du mode de formation des fumeurs noirs et fumeurs blancs sur les fonds océaniques (cf. Serpentinisation océanique et vie primitive pour les fumeurs noirs et blancs, et plus généralement Hydrovolcanologie appliquée à la phase hydrothermale: fumeroles, solfatares, geysers, lacs acides, mofettes, sources chaudes…).

Le caractère organique ou inorganique de ces formations a été discuté. Ici, l'intrication fine entre éléments minéraux et films cyanobactériens mais aussi la chimie particulière des carbonates (très magnésiens) plaident en faveur d'une origine organique. Ces tufas ne sont donc pas de simples supports pour les organismes. On retrouve donc ici la formation de calcaires "cyanobactériens" dans un environnement atypique de lac endoréique, comme pour les stromatolithes de la Laguna Amarga (cf. Stromatolithes actuels en Patagonie du Sud).

Tufas totalement émergés du lac Mono, Grand Bassin, Californie

Tufas totalement émergés du lac Mono, Grand Bassin, Californie

Tufas émergés sur les rives du lac Mono, Grand Bassin, Californie

Figure 13. Tufas émergés sur les rives du lac Mono, Grand Bassin, Californie

Les visiteurs donnent l'échelle.


Tufas émergés du lac Mono, Grand Bassin, Californie


Rives verdoyantes du lac Mono avec tufas émergés, Grand Bassin, Californie

Figure 16. Rives verdoyantes du lac Mono avec tufas émergés, Grand Bassin, Californie

Notez la présence de nombreux oiseaux sur la plage.



Tufas émergés du lac Mono formant un îlot, Grand Bassin, Californie

Figure 18. Tufas émergés du lac Mono formant un îlot, Grand Bassin, Californie

Notez la présence de nombreux oiseaux. Les îlots formés par les tufas offrent des sites de nidification préservés des prédateurs terrestres.


Tufas émergés du lac Mono, Grand Bassin, Californie

Figure 19. Tufas émergés du lac Mono, Grand Bassin, Californie

Le lac Mono, tufas et reliefs enneigés de la Sierra Nevada.


Tufas émergés du lac Mono, Grand Bassin, Californie

Figure 20. Tufas émergés du lac Mono, Grand Bassin, Californie

Cette photo rappelle les colonnes hydrothermales océaniques.


Îlot de tufas émergés, lac Mono, Grand Bassin, Californie

Figure 21. Îlot de tufas émergés, lac Mono, Grand Bassin, Californie

Au premier plan, le couleur et l'aspect trouble indique la présence de tapis cyanobactériens.


Un milieu fragile et menacé

En 1941, la ville de Los Angeles en pleine croissance commença à détourner les cours d'eau descendant de la Sierra Nevada pour son alimentation en eau potable – un problème récurrent en Californie, l'état le plus peuplé des USA étant situé en grande partie en climat méditerranéen voire aride. L'eau fut ainsi transportée vers le Sud par aqueduc sur plus de 550 km, privant le lac Mono de ses principaux apports. Le niveau du lac chuta alors rapidement (cette baisse avait atteignit 15 m en 1994) et la salinité doubla. L'impact sur l'écosystème fut considérable : la productivité primaire des algues commença à baisser, limitant à son tour la prolifération des Artemia, etc. Les îles, transformées en péninsules, furent plus facilement accessibles aux prédateurs terrestres (coyotes notamment), menaçant les sites de nidification. Des particules arrachées aux fonds exposés du lac provoquèrent des tempêtes de poussière.

Face à cette situation, le Mono Lake Committee fut fondé en 1978, rassemblant plus de 20 000 personnes déterminées à protéger le lac et à en faire découvrir les richesses. Son action militante a été reconnue par le législateur, qui limite aujourd'hui les prélèvements dans les cours d'eau, et le niveau du lac Mono remonte progressivement.

Des tufas du lac Mono tels que visibles en 1962

Figure 22. Des tufas du lac Mono tels que visibles en 1962

Deux sommets de tufas sont visibles.


Les mêmes tufas du lac Mono, en 1968

Figure 23. Les mêmes tufas du lac Mono, en 1968

Six ans plus tard, la baisse du niveau du lac expose entièrement ces tufas.


Les mêmes tufas du lac Mono en 1995

Figure 24. Les mêmes tufas du lac Mono en 1995

Avec le temps, la végétation a envahi le fond émergé du lac.


Alimentation en eau de l'agglomération de Los Angeles (zone métropolitaine de Californie du Sud)

Figure 25. Alimentation en eau de l'agglomération de Los Angeles (zone métropolitaine de Californie du Sud)

En rouge, le bassin versant naturel de la grande zone urbaine de Los Angeles - San Diego. Le lac Mono, à l'extrémité Nord de l'aqueduc de Los Angeles, est signalé par un cadre jaune.