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Image de la semaine | 19/11/2018

Waterpockets, potholes, et taffonis… superbes alvéoles érosives dans les grès du plateau du Colorado (États-Unis d'Amérique)

19/11/2018

Matthias Schultz

Professeur de SVT, Lycée H. de Chardonnet, Chalon sur Saône

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Marmites de géants, poches d'eau et taffonis : abrasion, dissolution, export en proportions variables sous l'action d'eau vive, stagnante voire de l'humidité.


Poches d'eau (waterpockets) à la surface de grès rouges de la formation Moenkopi, dans le Parc national de Capitol Reef, Utah

Figure 1. Poches d'eau (waterpockets) à la surface de grès rouges de la formation Moenkopi, dans le Parc national de Capitol Reef, Utah

Ces poches d'eau temporaires présentent une fragilité (sensibilité aux polluants humains tels que les huiles solaires…) et un intérêt écologique majeur : lieu de reproduction de plusieurs espèces (insectes, amphibiens…), source transitoire d'eau potable pour d'autres, lieu de vie pour des nostocs (cf. figures 15 à 17 de Un exemple de petit lapiaz : le lapiaz de Loulle (Jura))… Elles sont très abondantes en surface des divers grès qui affleurent sur le plateau du Colorado.


Le Waterpocket Fold est un pli emblématique du Parc national de Capitol Reef (Utah, États-Unis d'Amérique) qui tient son nom d'un de ses flancs monoclinal riche en waterpockets, dénomination locale de poches d'eau temporaires creusées dans les grès, très fréquentes dans la région.

Une première interprétation serait de considérer les waterpockets comme des marmites de géant (potholes), structures déjà largement abordées sur Planet-Terre (cf. Les marmites de géant de Bourke le chanceux (Bourke's Luck Potholes), canyon de la Blyde River, Afrique du Sud, Les marmites de géant de la cascade du Sautadet, La Roque-sur-Cèze, Gard, Les pertes de la Valserine (Ain) et de l'Ain (Jura), Les paléomarmites de géant de Pointe-au-Pic (Québec), des marmites verticalisées par un impact).

En effet, malgré le climat aride qui domine sur le plateau du Colorado, l'eau liquide reste la force majeure d'altération et d'érosion dans la région. Les mois de juillet à septembre correspondent notamment à une période de “mousson” pendant laquelle la totalité des précipitations annuelles peut tomber en un seul ou quelques événements orageux. Ces violentes précipitations entrainent alors des crues éclairs dans le lit des arroyos (ou oueds : cours d'eaux temporaires), en particulier dans les étroits canyons aux parois verticales élevées. Fort courant et forte charge sédimentaire causent alors une puissante érosion mécanique. Le mécanisme classique impliqué dans la formation des marmites de géants peut jouer à plein : abrasion mécanique par les sables et graviers tourbillonnants, piégés au fond de dépressions ainsi peu à peu approfondies.

L'observation des poches d'eau temporaires ainsi formées sur le plateau du Colorado montrent qu'elles sont plus nombreuses dans les (divers) grès que dans toute autre formation rocheuse. Il est aisé d'imaginer que les argiles et autres roches tendres ne présentent pas la résistance suffisante pour que l'action érosive de l'eau courante puisse former de telles structures pérennes et à bords assez raides. Cela n'explique cependant pas pourquoi les waterpockets n'apparaissent pas, ou très rarement, dans d'autres roches dures telles que les granitoïdes et roches volcaniques qui sont occasionnellement présentes à l'affleurement dans la région. Le second mécanisme impliqué dans la formation des marmites de géant (notamment discuté dans l'article Les paléomarmites de géant de Pointe-au-Pic (Québec), des marmites verticalisées par un impact) peut alors être évoqué : dissolution des roches, lorsque leur nature chimique le permet (évaporites, calcaires…), préférentiellement au niveau des zones de tourbillons. En période sèche, l'eau qui perdure plus longtemps au fond des marmites qu'ailleurs poursuit cette dissolution préférentielle. Ce second mécanisme, qui fait donc intervenir des processus d'altération chimique plus que d'érosion mécanique, s'attaque ici au ciment calcaire des grès, et dissocie peu à peu les grains de sables. Ces grains individualisés peuvent alors être emportés par l'eau, ou par le vent quand les cours d'eau sont à sec (soit la majeure partie de l'année).

De plus, certains auteurs proposent un rôle complémentaire de la gélifraction pour désolidariser les grains (cycles gel/dégel de l'eau dans les fissures et dépressions des roches, et entre les grains de sable) et plus généralement des importants écarts thermiques de cette région désertique (pouvant dépasser 20°C en 24h). D'autres enfin ajoutent que des climats passés plus humides ont pu laisser une trace érosive dans le paysage aujourd'hui très sec.

Les observations de terrains montrent indéniablement des dépressions qui correspondent à ces deux mécanismes, et qu'on peut donc qualifier de marmites de géant stricto sensu.

Marmites de géant (potholes) creusées dans les grès Navajo du Parc national de Capitol Reef, Utah (secteur de Capitol Gorge)

Figure 2. Marmites de géant (potholes) creusées dans les grès Navajo du Parc national de Capitol Reef, Utah (secteur de Capitol Gorge)

Ces marmites prennent place dans une ravine étroite, lit d'un petit cours d'eau temporaire (arroyo, ou oued), cette localisation est caractéristique d'une érosion (surtout) mécanique et (un peu) chimique par les eaux de ruissellement. Admirez également les stratifications entrecroisées dans ces grès éoliens du Jurassique (ancien erg) et la présence de patine du désert qui fait apparaitre d'un noir métallique certaines surfaces exposées au ruissellement.


Poche d'eau temporaire au fond d'une ravine étroite (lit d'un arroyo), Parc national de Capitol Reef, Utah (secteur de Capitol Gorge)

Figure 3. Poche d'eau temporaire au fond d'une ravine étroite (lit d'un arroyo), Parc national de Capitol Reef, Utah (secteur de Capitol Gorge)

Cette marmite de géant semble s'être formée par élargissement d'une fracture préexistante dans les grès Navajo, fracture perpendiculaire au lit de l'arroyo. Des chutes d'eau temporaires, après un gros orage, depuis la paroi verticale qui surplombe cette marmite jouent sans doute un rôle dans sa formation. Admirez également les stratifications entrecroisées dans ces grès éoliens du Jurassique (ancien erg) et la présence de patine du désert qui fait apparaitre d'un noir métallique certaines surfaces exposées au ruissellement.


Des marmites de géant (potholes) atteignant près de 2 m de diamètre, creusées dans les grès Navajo du Parc national de Capitol Reef, Utah (secteur de Capitol Gorge)

Figure 4. Des marmites de géant (potholes) atteignant près de 2 m de diamètre, creusées dans les grès Navajo du Parc national de Capitol Reef, Utah (secteur de Capitol Gorge)

Leur disposition dans une ravine étroite est caractéristique d'une érosion (surtout) mécanique et (un peu) chimique par les eaux de ruissellement. Admirez également les stratifications entrecroisées dans ces grès éoliens du Jurassique (ancien erg). En fond, les marcheurs donnent l'échelle et rappellent aussi les risques écologiques posés par le tourisme de masse : si certains visiteurs se laissaient tenter par une baignade, une pollution de ce fragile environnement aquatique par les huiles solaires serait à craindre…


Trous d'eau temporaires assimilables à des marmites de géant (potholes), creusées dans les grès Navajo du Parc national de Capitol Reef, Utah (secteur de Cohab Canyon)

Figure 5. Trous d'eau temporaires assimilables à des marmites de géant (potholes), creusées dans les grès Navajo du Parc national de Capitol Reef, Utah (secteur de Cohab Canyon)

Leur disposition dans une ravine étroite, lit d'un petit cours d'eau temporaire (arroyo, ou oued) est caractéristique d'une érosion mécanique et chimique par les eaux de ruissellement. Des sédiments sableux et argileux sont présents dans le fond de l'arroyo, issus de l'érosion des grès environnants et d'un transport par l'eau et le vent. Les argiles en suspension colorent fortement les eaux stagnantes. Notez également les stratifications entrecroisées dans ces grès éoliens du Jurassique (ancien erg).


Eau stagnant temporairement dans une ravine creusée par un arroyo dans les grès Navajo du Parc national de Capitol Reef, Utah (secteur de Capitol Gorge)

Figure 6. Eau stagnant temporairement dans une ravine creusée par un arroyo dans les grès Navajo du Parc national de Capitol Reef, Utah (secteur de Capitol Gorge)

Des sédiments sableux et argileux sont présents dans le fond de l'arroyo, issus de l'érosion des grès environnants et d'un transport par l'eau et le vent. Notez également la présence de patine du désert qui fait apparaitre d'un noir métallique certaines surfaces exposées au ruissellement, notamment sur la droite de l'image ; et les écoulements riches en oxydes de fer qui laissent des dépôts de couleur rouille sur ce même flanc de la ravine.


Contexte des marmites de géant situées sur des petits arroyos, affluents du cours d'eau temporaire principal de Capitol Gorge, Parc national de Capitol Reef

Figure 7. Contexte des marmites de géant situées sur des petits arroyos, affluents du cours d'eau temporaire principal de Capitol Gorge, Parc national de Capitol Reef

Cet arroyo a creusé un canyon imposant dans les grès Navajo, canyon qui était autrefois une voie de traversée de la barrière rocheuse (reef) et de pénétration dans la région pour les amérindiens et les pionniers… à condition de ne pas y être surpris lors d'un orage ! Le fond du canyon est occupé par des dépôts sableux issus de l'érosion des grès et du transport par l'eau (et secondairement le vent). Les grès Navajo, restes d'un ancien erg (désert de dunes) jurassique, apparaissent blancs, massifs, avec de superbes stratifications éoliennes entrecroisées, et une morphologie caractéristique en dôme qui a donné son nom au Parc national de Capitol Reef (car elle évoquait pour les pionniers le dôme du Capitole).


Contexte des marmites de géant situées sur des petits arroyos, affluents du cours d'eau temporaire principal de Capitol Gorge, Parc national de Capitol Reef

Figure 8. Contexte des marmites de géant situées sur des petits arroyos, affluents du cours d'eau temporaire principal de Capitol Gorge, Parc national de Capitol Reef

Cet arroyo a creusé un canyon imposant dans les grès Navajo, canyon qui était autrefois une voie de traversée de la barrière rocheuse (Reef) et de pénétration dans la région pour les amérindiens et les pionniers… à condition de ne pas y être surpris lors d'un orage ! Le fond du canyon est occupé par des dépôts sableux issus de l'érosion des grès et du transport par l'eau (et secondairement le vent). Une piste y demeure empruntable et donne une échelle à ces falaises gréseuses hautes de plusieurs centaines de mètres. Notez les stratifications éoliennes entrecroisées dans les grès, la présence de patine du désert sombre là où des écoulements temporaires ont lieu, ainsi que la présence de taffonis.


Contexte des marmites de géant situées sur des petits arroyos, affluents du cours d'eau temporaire principal de Capitol Gorge, Parc national de Capitol Reef

Figure 9. Contexte des marmites de géant situées sur des petits arroyos, affluents du cours d'eau temporaire principal de Capitol Gorge, Parc national de Capitol Reef

Cet arroyo a creusé un canyon imposant dans les grès Navajo, canyon qui était autrefois une voie de traversée de la barrière rocheuse (reef) et de pénétration dans la région pour les amérindiens et les pionniers… à condition de ne pas y être surpris lors d'un orage ! Le fond du canyon est occupé par des dépôts sableux issus de l'érosion des grès et du transport par l'eau (et secondairement le vent). Une piste y demeure empruntable et donne, avec le véhicule photographié, une échelle à ces falaises gréseuses hautes de plusieurs centaines de mètres. Notez les stratifications éoliennes entrecroisées dans les grès, la présence de patine du désert sombre là où des écoulements temporaires ont lieu, ainsi que la présence de taffonis.


Cependant, les observations montrent aussi des poches d'eau temporaires qui ne sont pas situées dans le lit d'arroyos, mais au niveau des arrêtes rocheuses, en position haute, ou sur des surfaces planes exposées. Les mécanismes précédents ne peuvent expliquer leur formation : il ne s'agit pas de marmites de géants creusées par l'eau courante. Ces waterpockets, de loin les plus fréquentes sur le plateau du Colorado, sont dues à des eaux de pluie stagnantes. En cela elles ressemblent à des formations karstiques où la dissolution progressive des ciments calcitiques joue seule le rôle d'agrandissement des dépressions.

On consultera à ce sujet les nombreux articles de Planet-Terre : Karst et érosion karstique, Structures rencontrées dans un karst, Un exemple de petit lapiaz : le lapiaz de Loulle (Jura), Le lapiaz de la Pierre Saint Martin (Pyrénées Atlantiques), l'un des plus grands lapiaz de France, Lapiaz à proximité de La Clusaz (73), Le bois de Païolive (Ardèche), un exemple de méga-lapiaz dolomitique, Le Désert de Platé (Haute Savoie), un lapiaz face au Mont Blanc et riche en fossiles, Un des plus beaux karsts tropicaux du monde, le lapiaz des Tsingy de Bemaraha, Madagascar, Ravines de dissolution dans des calcaires, Le karst des Burren (Irlande)

Les grains de sable désolidarisés après la dissolution du ciment seraient emportés par le vent ou par du ruissellement temporaire. Toute dépression initiale, même infime, de la surface exposée des grès tend ainsi à s'approfondir peu à peu par dissolution préférentielle du ciment calcaire au niveau des waterpockets. De plus, même en dehors des périodes de pluie, les arènes qui s'accumulent dans les dépressions constituent un environnement plus humide que la roche nue environnante, ce qui accélère là aussi l'altération chimique. Un sol peut finir par se former, comme au fond des lapiaz en pays calcaire, accélérant encore l'altération (activité bactérienne, présence d'acides organiques et d'humus, production de dioxyde de carbone par les êtres vivants…).

Une différence majeure avec le mode de formation des lapiaz est cependant l'absence de drainage vers des fissures, sauf exception. Où disparait alors l'eau ? Elle perdure dans les dépressions quelques heures à quelques jours en général, puis finit par s'évaporer ou bien s'infiltrer entre les grains de sable, malgré l'absence de fissures macroscopiques. Les grès du plateau du Colorado sont d'ailleurs assez poreux : la porosité des grès Navajo atteint ainsi jusqu'à 30 %, ce qui est comparable à des sables non consolidés.

On observe par ailleurs en certains endroits un passage imperceptible de ces waterpockets au sens strict à des marmites de géant (potholes) stricto sensu, preuve sans doute que les mêmes processus de dissolution chimique, et non d'abrasion mécanique par des sables ou des galets tourbillonnants, jouent un rôle majeur dans la formation des marmites au fond des arroyos comme dans la création des waterpockets en position haute.

Pourquoi ces poches d'eau se forment-elles si fréquemment sur le plateau du Colorado ? Cela tient à l'abondance des grès propices à leur mise en place, et au climat aride ou semi-aride, qui apporte assez de pluie, sur une période restreinte, pour altérer les roches, mais suffisamment peu pour ne pas éroder trop rapidement les surfaces de grès et aplanir et faire disparaitre ces structures temporaires.

Waterpockets au sens strict à la surface des grès Navajo, à proximité de Mexican Water, Arizona

Figure 10. Waterpockets au sens strict à la surface des grès Navajo, à proximité de Mexican Water, Arizona

Ces poches d'eau temporaires ne sont pas situées au fond du lit d'un arroyo, mais en position haute, sur une surface exposée. Certaines sont déjà asséchées (évaporation ? infiltration ?). Une arène résiduelle est bien visible au fond de certaines poches asséchées (premier plan à gauche), favorisant le maintien d'une certaine humidité au contact de la roche-mère.


Waterpocket au sens strict à la surface des grès Navajo, dans le Parc national de Capitol Reef, Utah (secteur de Cassidy Arch)

Figure 11. Waterpocket au sens strict à la surface des grès Navajo, dans le Parc national de Capitol Reef, Utah (secteur de Cassidy Arch)

Cette poche d'eau temporaire n'est pas située au fond du lit d'un arroyo, mais en position haute, sur une surface exposée. Une arène résiduelle est bien visible au fond.


Waterpockets au sens strict à la surface des grès Navajo, dans le Parc national de Capitol Reef, Utah (secteur de Cassidy Arch)

Figure 12. Waterpockets au sens strict à la surface des grès Navajo, dans le Parc national de Capitol Reef, Utah (secteur de Cassidy Arch)

Ces poches d'eau temporaires ne sont pas situées au fond du lit d'un arroyo, mais en position haute, sur une surface exposée. Certaines sont déjà asséchées (évaporation ? infiltration ?). Une arène résiduelle est bien visible au fond de certaines poches asséchées (premier plan), favorisant le maintien d'une certaine humidité au contact de la roche-mère. Un sol commence à se former dans la dépression au second plan, occupée par des végétaux. L'altération chimique de la roche-mère en est probablement accentuée.


Waterpockets au sens strict à la surface des grès Navajo, dans le Parc national de Capitol Reef, Utah (secteur de Cassidy Arch)

Figure 13. Waterpockets au sens strict à la surface des grès Navajo, dans le Parc national de Capitol Reef, Utah (secteur de Cassidy Arch)

Ces poches d'eau temporaires ne sont pas situées au fond du lit d'un arroyo, mais en position haute, sur une surface exposée. Elles sont asséchées ici (évaporation ? infiltration ?). Un sol s'est formé dans la large dépression de gauche, occupée par des arbustes et buissons. L'altération chimique de la roche-mère en est probablement accentuée. Notez le dôme caractéristique en arrière-plan.


Waterpockets au sens strict à la surface des grès permiens de Cedar Mesa, dans le Parc national de Canyonlands, Utah (secteur de The Needles)

Figure 14. Waterpockets au sens strict à la surface des grès permiens de Cedar Mesa, dans le Parc national de Canyonlands, Utah (secteur de The Needles)

Ces poches d'eau temporaires sont clairement situées en position haute, sur les arêtes rocheuses qui séparent deux canyons. Elles sont asséchées ici (évaporation ? infiltration ?).


Waterpockets au sens strict à la surface des grès permiens de Cedar Mesa, dans le Parc national de Canyonlands, Utah (secteur de The Needles)

Figure 15. Waterpockets au sens strict à la surface des grès permiens de Cedar Mesa, dans le Parc national de Canyonlands, Utah (secteur de The Needles)

Ces poches d'eau temporaires sont clairement situées en position haute, sur les arêtes rocheuses qui séparent deux canyons. Elles sont asséchées ici (évaporation ? infiltration ?). La randonneuse donne l'échelle.


Waterpockets asséchés à la surface des grès rouges de la formation Moenkopi, dans le Parc national de Capitol Reef, Utah

Figure 16. Waterpockets asséchés à la surface des grès rouges de la formation Moenkopi, dans le Parc national de Capitol Reef, Utah

La taille minuscule et la forme irrégulière de certaines dépressions est incompatible avec un mode de formation par abrasion mécanique de type “marmite de géant”. La dissolution des ciments calcaires par les eaux météoriques stagnantes est une meilleure explication.


Waterpockets à la surface des grès rouges de la formation Moenkopi, dans le Parc national de Capitol Reef, Utah

Figure 17. Waterpockets à la surface des grès rouges de la formation Moenkopi, dans le Parc national de Capitol Reef, Utah

Les eaux de pluie se sont presque totalement évaporées ou infiltrées dans la roche, laissant des dépôts gris de sel (calcaire ?) mêlés d'argiles.


Waterpocket à la surface des grès Navajo, dans le Parc national de Capitol Reef, Utah

Figure 18. Waterpocket à la surface des grès Navajo, dans le Parc national de Capitol Reef, Utah

Les eaux de pluie se sont presque totalement évaporées ou infiltrées dans la roche, laissant des dépôts gris de sel (calcaire ?) mêlés d'argiles. Cela montre l'action érosive de ces eaux stagnantes qui dissolvent le ciment calcitique des grès.


Mécanisme chimique de formation des marmites de géants (potholes) et poches d'eau (waterpockets)

Figure 19. Mécanisme chimique de formation des marmites de géants (potholes) et poches d'eau (waterpockets)

Une dissolution préférentielle de la roche, ou plutôt ici du ciment calcaire des grès, a lieu au niveau d'une dépression où tournoie le courant en période de crue temporaire (suite à un orage). De plus, cette dépression reste immergée plus longtemps en période d'assèchement, ce qui assure là aussi une attaque chimique préférentielle. Un mécanisme assez similaire à ce deuxième point (à droite sur l'image) a lieu au niveau des waterpockets, qui restent en eau quelques heures à quelques jours après une pluie, jusqu'à ce que l'eau s'infiltre dans la roche ou s'évapore. Dans le cas des marmites comme des waterpockets au sens strict, la dépression initiale s'amplifie peu à peu par désolidarisation des grains de sables, ensuite aisément emportés par des ruissellements temporaires ou le vent.


Remarquons que les waterpockets peuvent occasionnellement évoluer à la manière d'un réseau karstique grossier, en créant des dépressions de taille croissante, des fissures profondes, voire des cavités souterraines rudimentaires. Dans certains cas, si une telle dépression inhabituellement large se forme en bordure d'une falaise, elle peut finir par en perforer la paroi, générant une arche rocheuse. C'est un mécanisme complémentaire de celui évoqué comme origine des très nombreuses arches du Parc national des Arches pour lesquelles un mécanisme faisant intervenir travées rocheuses préexistantes et tectonique salifère est invoqué, comme nous le verrons la semaine prochaine.

La Cassidy Arch dans les grès Navajo du Parc national de Capitol Reef, Utah

Figure 20. La Cassidy Arch dans les grès Navajo du Parc national de Capitol Reef, Utah

Cette arche, ainsi que plusieurs arches du secteur des Fenêtres dans le Parc national des Arches, pourrait avoir comme origine un waterpocket surdimensionné ayant percé une falaise voisine (paroi du canyon de Grand Wash dans le cas de la Cassidy Arch). Ce mécanisme ne fait pas intervenir de travées rocheuses préexistantes ni de tectonique salifère comme nous le verrons dans Pourquoi y a-t-il tant d'arches dans le Parc national des Arches (Utah, États-Unis d'Amérique) ?.


Remarquons pour conclure que le mécanisme à l'origine des waterpockets – une amplification de l'altération (puis de l'érosion) au niveau de zones initialement légèrement déprimées ou poreuses (petites dépressions…) qui concentrent l'humidité – est assez proche de celui mis en cause pour la formation des taffonis. Ces derniers correspondent, sensu lato, à des alvéoles creusées dans des parois plus ou moins verticales partout où les zones de faiblesse de la roche sont érodées préférentiellement. Plusieurs mécanismes sont invoqués pour expliquer leur formation, certains dépendant directement d'un environnement côtier (taffonis sensu stricto, causés par les embruns), d'autres non.

On pourra relire avec intérêt les multiples articles de Planet-Terre évoquant des taffonis : Les taffonis du Cap de Creus (Espagne), de la côte de Namibie et de l'île d'Elbe, Les taffonis dans les andésites de Terre-de-Bas des Saintes (Guadeloupe), Quand les grès de l'Éocène inférieur (Yprésien) du Pays basque espagnol (Mont Jaizkibel) imitent le gothique flamboyant, Érosion alvéolaire dans des calcaires bioclastiques à Chinon (Indre et Loire) et Uzès (Gard), Les phyllades du fort de Brégançon (Var) et leurs taffonis, Un des plus beaux karsts tropicaux du monde, le lapiaz des Tsingy de Bemaraha, Madagascar, Quand l'érosion alvéolaire fabrique des taffonis géants et emboîtés, et fête la Saint Valentin, Uluru (Australie)...

Or les grès du plateau du Colorado présentent en de nombreux endroits de spectaculaires taffonis. On peut donc voir les waterpockets comme une situation intermédiaire dans un continuum érosif qui irait des marmites de géant sensu stricto aux taffonis sensu lato, c'est-à-dire d'une abrasion chimio-mécanique essentiellement assurée par des eaux courantes (généralement intermittentes) à une altération presque purement chimique surtout causée par l'humidité ambiante…

Taffonis sensu lato dans les grès blancs du membre Shinarump de la formation Chinle, dans le Parc national de Capitol Reef (secteur de Chimney Rock)

Figure 21. Taffonis sensu lato dans les grès blancs du membre Shinarump de la formation Chinle, dans le Parc national de Capitol Reef (secteur de Chimney Rock)

L'érosion alvéolaire est visible à différentes échelles, centimètrique (au sommet du banc de grès blanc) à plurimétrique (à sa base). On observe en arrière plan les argilites grises du reste de la formation Chinle et les falaises rouges de grès Wingate. La proximité de la mer n'est pas nécessaire à la formation de ces cavités (et même si des lacs salés sont présents dans l'Utah, leur existence ne semble guère liée à la formation des taffonis visibles ici).


Taffonis sensu lato dans les grès Navajo du Parc national de Capitol Reef, au fond du canyon de Capitol Gorge

Figure 22. Taffonis sensu lato dans les grès Navajo du Parc national de Capitol Reef, au fond du canyon de Capitol Gorge

L'érosion alvéolaire souligne les différences de porosité, de cimentation, de résistance à l'érosion… des grès, et met ici en valeur les strates éoliennes entrecroisées.


Taffonis sensu lato dans les grès Navajo du Parc national de Capitol Reef, au fond du canyon de Capitol Gorge

Figure 23. Taffonis sensu lato dans les grès Navajo du Parc national de Capitol Reef, au fond du canyon de Capitol Gorge

L'érosion alvéolaire souligne les différences de porosité, de cimentation, de résistance à l'érosion… des grès, et met ici en valeur les strates éoliennes entrecroisées fortement pentées.


Taffonis sensu lato dans un bloc de grès Wingate tombé de la falaise en arrière-plan, dans le Parc national de Capitol Reef (secteur de Chimney Rock)

Multiples taffonis sensu lato dans une paroi de grès Navajo, dans le Parc national de Capitol Reef (entrée du canyon de Grand Wash)

Figure 25. Multiples taffonis sensu lato dans une paroi de grès Navajo, dans le Parc national de Capitol Reef (entrée du canyon de Grand Wash)

L'érosion alvéolaire souligne les différences de porosité, de cimentation, de résistance à l'érosion… des grès, et met ici en valeur les superbes strates éoliennes entrecroisées.


Multiples taffonis sensu lato dans une paroi de grès Navajo, dans le Parc national de Capitol Reef (entrée du canyon de Capitol Gorge)

Figure 26. Multiples taffonis sensu lato dans une paroi de grès Navajo, dans le Parc national de Capitol Reef (entrée du canyon de Capitol Gorge)

L'érosion alvéolaire souligne les différences de porosité, de cimentation, de résistance à l'érosion… des grès, et met en valeur les superbes strates éoliennes entrecroisées.


Taffonis sensu lato à la base d'une vertigineuse paroi de grès Navajo, dans le Parc national de Capitol Reef (canyon de Capitol Gorge)

Figure 27. Taffonis sensu lato à la base d'une vertigineuse paroi de grès Navajo, dans le Parc national de Capitol Reef (canyon de Capitol Gorge)

Les superbes strates éoliennes entrecroisées sont aisément observables sur toute la paroi, affectée ou non par les taffonis. Admirez aussi la désquamation « en pelure d'oignon » sur la partie haute de ce dôme de grès massif comme on peut aussi en voir à la surface de granites peu diaclasés (cf. La desquamation “en grand” des granites). Notez, en bas de l'image, les trainées noirâtres dues à des écoulements, et constitués d'oxydes (de Fe ou de Mn) et/ou de voiles bactériens.



Une référence pour en savoir plus sur les processus érosifs du plateau du Colorado :

A.D. Howard, R. C. Kochel, 1988. Introduction to cuesta landforms and sapping processes on the Colorado Plateau, in Sapping Features of the Colorado Plateau, A.D. Howard, R.C. Kochel, H.R. Holt (eds), NASA SP‑491, 6‑56