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Image de la semaine | 27/05/2024

Chauve-souris calcitisée et autres curiosités géologiques (et biologiques) des grottes de Thouzon, commune du Thor (Vaucluse)

27/05/2024

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Chevelus racinaires, silex mamelonnés, brèche de faille dans des grottes présentant aussi des spéléothèmes “classiques” (stalactites, stalagmites, fistuleuses, colonnes, draperies et gours)


Cadavre de chauve-souris partiellement recouvert de calcite, grottes de Thouzon (Le Thor, Vaucluse)

Figure 1. Cadavre de chauve-souris partiellement recouvert de calcite, grottes de Thouzon (Le Thor, Vaucluse)

Ce quasi-fossile de chauve-souris mesure environ 4 à 5 cm dans sa grande dimension. Ce cadavre de chauve-souris est là depuis “longtemps”, du moins « un certain temps ». En effet, il a eu le temps de se faire recouvrir par quelques millimètres de calcite. De plus, lors de sa découverte par un tir de mine dans une carrière en 1902, cette grotte était totalement inconnue, complètement fermée, et aucun animal n'y vivait. Par contre du guano de chauve-souris présent ici ou là, ainsi que quelques ossements, attestent de la présence d'animaux dans un passé relativement lointain. L'entrée par où pénétraient ces mammifères volants a dû être obstruée par des éboulements quelques siècles à quelques millénaires avant que la grotte ne soit réouverte par l'exploitation de la carrière.

Localisation par fichier kmz des grottes de Thouzon (Thor, Vaucluse). 818-grottes-Thouzon.kmz


Zoom arrière sur la chauve-souris calcitisée montrant la position du cadavre avant le début du dépôt de calcite

Figure 2. Zoom arrière sur la chauve-souris calcitisée montrant la position du cadavre avant le début du dépôt de calcite

Ce cadavre était “posé” sur le bord d'une cavité secondaire creusée dans une paroi latérale de la galerie principale, celle ouverte aux touristes. Cette cavité a très vraisemblablement été creusée par de l'eau courante et “tourbillonnante”, à une époque où cette galerie était creusée et parcourue par une rivière souterraine active, rivière source d'une érosion mécanique et aussi vraisemblablement chimique par de l'eau sous pression chargée en CO2.


Zoom avant sur la chauve-souris calcitisée des deux photos précédentes, grottes de Thouzon (Le Thor, Vaucluse)

Figure 3. Zoom avant sur la chauve-souris calcitisée des deux photos précédentes, grottes de Thouzon (Le Thor, Vaucluse)

Lors des visites organisées pour les touristes, on ne peut pas s'approcher très près de ce quasi-fossile, et on ne le voit que sous un seul angle. On ne peut pas en particulier le regarder “par l'arrière”, par exemple avec un miroir ou un smartphone. La figure suivante correspond à une proposition d'interprétation, sans aucune garantie d'exactitude vu les conditions d'observation.


Proposition d'interprétation du quasi-fossile de chauve-souris, grottes de Thouzon (Le Thor, Vaucluse)

Figure 4. Proposition d'interprétation du quasi-fossile de chauve-souris, grottes de Thouzon (Le Thor, Vaucluse)

On peut le comparer avec le schéma d'une chauve-souris vivante (en haut à droite). La partie en grisé du schéma n'est pas visible dans la grotte, et le membre antérieur de gauche du cadavre aurait été “tourné” (flèche courbe sur le schéma) par rapport au schéma de référence.


Les grottes de Thouzon, commune du Thor (Vaucluse), sont les seules grottes ouvertes aux touristes dans le département du Vaucluse. Ces grottes ont été creusées par la karstification de calcaires barrémiens (125 à 130 Ma, un des deux étages du Crétacé inférieur constituant l'Urgonien provençal – cf. fig 27 à 30 de Découvrir les rudistes en parcourant les rues de Saint-Sébastien (Pays basque espagnol) et en visitant le musée d'Orgon (Bouches du Rhône)). Outre les éléments classiques des grottes (stalagmites, stalactites, fistuleuses, colonnes, gours… – voir figures 21 à 25), cette cavité recèle des curiosités géologiques (ou biologiques) très originales, uniques ou très rares dans les grottes ouvertes aux touristes : cadavre de chauve-souris calcitisé, chevelus racinaires, silex mamelonnés, brèches de faille… Nous allons voir quelques-unes de ces curiosités.

La surface du sol n'est qu'à quelques mètres au-dessus du plafond de la grotte. Certains arbres poussant en surface ont des racines qui s'enfoncent profondément, atteignent la grotte, et s'y développent avec une morphologie originale, en y captant l'humidité permanente qui y règne. Planet-Terre a déjà montré de telles racines développées dans des grottes (cf. Des stalactites originales : quand des racines d'arbres pénètrent dans des grottes).

Les silex sont constitués de silice plus ou moins pure, plus ou moins hydratée, amorphe ou crypto-cristalline. Leur couleur est très variable suivant la pureté de la silice, la présence de micro-inclusions… et va du noir au brun, en passant par le gris, le jaune-orangé… L'origine des silex a longtemps été l'occasion de débats intenses. Les silex ne sont pas des roches sédimentaires au sens strict, en ce sens qu'il n'y a pas eu dépôt de silex comme il y a dépôt de galets, de sable, de carbonate ou de sel. Les masses de silex croissent in situ, pendant la diagenèse, au sein de sédiments carbonatés déjà déposés. Les débats concernent le moment de cette croissance : (1) pendant la diagenèse précoce, au sein de sédiments carbonatés encore meubles faiblement enfouis sous une très faible épaisseur de boue, ou (2), au contraire, pendant une diagenèse plus tardive, au sein de calcaires déjà compactés, assez profondément enfouis sous une pile sédimentaire. Il est probable que les deux situations et tous leurs intermédiaires existent. Les boues sédimentaires sont rarement purement carbonatées, du fait de la présence de silice dissoute dans l'eau de mer et de nombreux organismes planctoniques (diatomées, radiolaires) ou benthiques (spongiaires) à test ou spicules siliceux. Cette silice est en général dispersée (plus ou moins régulièrement) dans la boue sédimentaire. Les eaux circulant dans le sédiment lors de la diagenèse dissolvent localement les tests siliceux dans les niveaux les moins riches en silice, silice qui pourra reprécipiter autour de germes de nucléation, en particulier dans les strates initialement les plus siliceuses, et se substituer au carbonate. Les mécanismes de cette précipitation sont détaillés dans À la découverte géologique des falaises d'Étretat : de la plage du Tilleul (Antifer) à l'anse de la Valaine. Les masses siliceuses croissent ainsi et forment ces masses irrégulières, les rognons de silex. Parfois, la silicification engendre des formes particulièrement mamelonnées, dont la morphologie n'est pas sans rappeler certaines gogottes (cf. Les gogottes des Sables de Fontainebleau et d'ailleurs, de rares beautés naturelles qui ont séduit le Roi Soleil et Les concrétions gréseuses, gogottes et autres poupées de la molasse sableuse miocène du Bas Dauphiné et leur utilisation par le facteur Ferdinand Cheval). C'est le cas de beaucoup des silex des grottes de Thouzon. L'érosion (mécanique et chimique) des calcaires des parois et du plafond des galeries de la grotte par la rivière souterraine à l'origine de ses galeries a partiellement dégagé ces masses siliceuses en révélant leur forme mamelonnée.

Deux rognons de silex partiellement dégagés de leur “gangue” calcaire par l'eau qui parcourait les galeries souterraines à l'époque où ces galeries correspondaient à une rivière souterraine active, grottes de Thouzon (Vaucluse)

Figure 12. Deux rognons de silex partiellement dégagés de leur “gangue” calcaire par l'eau qui parcourait les galeries souterraines à l'époque où ces galeries correspondaient à une rivière souterraine active, grottes de Thouzon (Vaucluse)

L'extérieur de ces silex est constitué de silice microporeuse formant un cortex de couleur très claire. Le rognon de droite mesure une quarantaine de centimètres dans sa plus grande dimension. La taille des “boursouflures” (3 à 5 cm), identique pour tous les rognons de la grotte, sert d'échelle pour les photos suivantes.


Rognon de silex (grottes de Thouzon) et rognon de bœuf

Figure 13. Rognon de silex (grottes de Thouzon) et rognon de bœuf

À gauche, gros plan sur le rognon de silex situé à droite de la figure précédente et sa surface mamelonnée claire. À droite, pour comparaison, un rognon de bœuf. On comprend pourquoi les masses de silex ont été appelées « rognon ».


Rognons de silex, entiers ou fragmentés, silex partiellement dégagés de leu “gangue” calcaire, grottes de Thouzon (Vaucluse)

Figure 14. Rognons de silex, entiers ou fragmentés, silex partiellement dégagés de leu “gangue” calcaire, grottes de Thouzon (Vaucluse)

L'intérieur des rognons est de couleur grise, plus sombre que le cortex périphérique.


Rognons de silex, entiers ou fragmentés, silex partiellement dégagés de leu “gangue” calcaire, grottes de Thouzon (Vaucluse)

Figure 15. Rognons de silex, entiers ou fragmentés, silex partiellement dégagés de leu “gangue” calcaire, grottes de Thouzon (Vaucluse)

L'intérieur des rognons est de couleur grise, plus sombre que le cortex périphérique.


Rognons de silex, entiers ou fragmentés, silex partiellement dégagés de leu “gangue” calcaire, grottes de Thouzon (Vaucluse)

Figure 16. Rognons de silex, entiers ou fragmentés, silex partiellement dégagés de leu “gangue” calcaire, grottes de Thouzon (Vaucluse)

L'intérieur des rognons est de couleur grise, plus sombre que le cortex périphérique.


Rognons de silex, entiers ou fragmentés, silex partiellement dégagés de leu “gangue” calcaire, grottes de Thouzon (Vaucluse)

Figure 17. Rognons de silex, entiers ou fragmentés, silex partiellement dégagés de leu “gangue” calcaire, grottes de Thouzon (Vaucluse)

L'intérieur des rognons est de couleur grise, plus sombre que le cortex périphérique.


La galerie ouverte aux touristes croise une bande étroite faite d'une brèche de blocs calcaires bien visible au plafond. La nature du “ciment” (argile, calcaire réduit en “poudre”, calcite…) liant les éléments de cette brèche n'est pas déterminable par un simple examen “de loin” pendant le laps de temps de la visite touristique. Les éléments de cette brèche et son ciment sont « érodés et polis » comme tout le plafond. Cette brèche est donc très “vieille”, et s'est mise en place avant que la galerie soit engendrée, élargie et parcourue par la rivière souterraine. Une telle bande remplie de brèche peut avoir deux origines. (1) Une fissure ouverte remplie d'éléments calcaires venant de plus haut, depuis la surface ou s'éboulant des parois, une brèche sédimentaire en quelque sorte (cf. Promenade géologique dans la vallée de l'Agly, Pyrénées-Orientales – 1/ Écailles tectoniques, brèches, serpentines et autres silicates de magnésium). (2) Une brèche tectonique engendrée par le mouvement le long d'une faille, qu'on pourrait appeler « brèche de faille », ou encore « cataclasite » (cf. fig. 12 à 14 et 21 à 23 de Les filons de calcite associés à la Faille Nord-pyrénéenne, Sournia, Pyrénées-Orientales ou fig. 8 et 9 de Miroir de faille décrochante : faille du Vuache, la Petite Balme, Sillingy (Haute Savoie) ou aussi Structurothèque – Cataclasites, brèches, gouges). Un examen (forcément rapide pendant la visite, plus approfondi sur des photos) montre des éléments de brèche à peine disjoints et se juxtaposant à la manière des pièces d'un puzzle, ce qui élimine l'hypothèse que cette bande soit due au remplissage d'une fissure ouverte, remplissage par des blocs et éboulis tombés de plus haut. La présence d'une faille affectant des calcaires du Crétacé inférieur n'est pas étonnante, puisque la Provence à subit l'orogénèse pyrénéo-provençale, l'extension oligo-miocène…

Mosaïque de trois photos montrant une bande de brèche au plafond de la galerie ouverte aux touristes, grottes de Thouzon (Vaucluse)

Figure 18. Mosaïque de trois photos montrant une bande de brèche au plafond de la galerie ouverte aux touristes, grottes de Thouzon (Vaucluse)

Les stalactites (verticaux) montrent qu'il s'agit de la photo d'un plafond prise d'en bas. Cette bande de brèche mesure une quarantaine de centimètres de large. Les deux photos suivantes sont des détails de cette bande de brèche et montrent qu'il s'agit d'une brèche tectonique (brèche de faille).


Détail de la bande de brèche de la figure 18, grottes de Thouzon (Le Thor, Vaucluse)

Figure 19. Détail de la bande de brèche de la figure 18, grottes de Thouzon (Le Thor, Vaucluse)

Les petites flèches rouges montrent des éléments de brèches s'emboitant / se juxtaposant à la manière de deux pièces d'un puzzle, ce qui montre qu'il s'agit d'une brèche de faille et non pas d'une brèche sédimentaire remplissant une fissure ouverte.


Zoom sur une partie de la bande de brèche de la figure 18, grottes de Thouzon (Le Thor, Vaucluse)

Figure 20. Zoom sur une partie de la bande de brèche de la figure 18, grottes de Thouzon (Le Thor, Vaucluse)

Les petites flèches rouges montrent des éléments de brèches s'emboitant / se juxtaposant à la manière de deux pièces d'un puzzle, ce qui montre qu'il s'agit d'une brèche de faille et non pas d'une brèche sédimentaire remplissant une fissure ouverte.


Outre ces éléments originaux et assez particuliers à la grotte de Thouzon (chauve-souris calcitisée, chevelus racinaires, silex mamelonnés, brèche de faille), cette cavité mérite d'être visitée par tout touriste amateur de beautés naturelles même s'il n'est pas spécialiste de silex ou de brèche de faille. On y voit en effet toutes les formes et concrétions faisant l'attrait des grottes une fois qu'elles ne sont plus entièrement remplies par une rivière souterraine et qu'ont pu se développer stalactites, stalagmites, gours et autres spéléothèmes… Les cinq figures suivantes montrent la “beauté” de l'intérieur de cette grotte de Thouzon.

Extrait (en vue oblique) du secteur de la carte géologique à 1/50 000 d'Avignon montrant le contexte géologique des grottes de Thouzon (Le Thor, Vaucluse)

Figure 26. Extrait (en vue oblique) du secteur de la carte géologique à 1/50 000 d'Avignon montrant le contexte géologique des grottes de Thouzon (Le Thor, Vaucluse)

Ces grottes sont “creusées” dans un relief principalement constitué d'Urgonien (N4, en vert) avec un peu d'Oligocène et de Miocène (en rose et en jaune), le tout affecté par une faille séparant Crétacé et Oligocène. Ce relief constitue une sorte d'ile entourée d'alluvions quaternaires (en gris) apportées par le Rhône et/ou la Durance.