Image de la semaine | 27/05/2024
Chauve-souris calcitisée et autres curiosités géologiques (et biologiques) des grottes de Thouzon, commune du Thor (Vaucluse)
27/05/2024
Résumé
Chevelus racinaires, silex mamelonnés, brèche de faille dans des grottes présentant aussi des spéléothèmes “classiques” (stalactites, stalagmites, fistuleuses, colonnes, draperies et gours)
Source - © 2024 Pierre Thomas – Émile Deyrolle |
Les grottes de Thouzon, commune du Thor (Vaucluse), sont les seules grottes ouvertes aux touristes dans le département du Vaucluse. Ces grottes ont été creusées par la karstification de calcaires barrémiens (125 à 130 Ma, un des deux étages du Crétacé inférieur constituant l'Urgonien provençal – cf. fig 27 à 30 de Découvrir les rudistes en parcourant les rues de Saint-Sébastien (Pays basque espagnol) et en visitant le musée d'Orgon (Bouches du Rhône)). Outre les éléments classiques des grottes (stalagmites, stalactites, fistuleuses, colonnes, gours… – voir figures 21 à 25), cette cavité recèle des curiosités géologiques (ou biologiques) très originales, uniques ou très rares dans les grottes ouvertes aux touristes : cadavre de chauve-souris calcitisé, chevelus racinaires, silex mamelonnés, brèches de faille… Nous allons voir quelques-unes de ces curiosités.
La surface du sol n'est qu'à quelques mètres au-dessus du plafond de la grotte. Certains arbres poussant en surface ont des racines qui s'enfoncent profondément, atteignent la grotte, et s'y développent avec une morphologie originale, en y captant l'humidité permanente qui y règne. Planet-Terre a déjà montré de telles racines développées dans des grottes (cf. Des stalactites originales : quand des racines d'arbres pénètrent dans des grottes).
Les silex sont constitués de silice plus ou moins pure, plus ou moins hydratée, amorphe ou crypto-cristalline. Leur couleur est très variable suivant la pureté de la silice, la présence de micro-inclusions… et va du noir au brun, en passant par le gris, le jaune-orangé… L'origine des silex a longtemps été l'occasion de débats intenses. Les silex ne sont pas des roches sédimentaires au sens strict, en ce sens qu'il n'y a pas eu dépôt de silex comme il y a dépôt de galets, de sable, de carbonate ou de sel. Les masses de silex croissent in situ, pendant la diagenèse, au sein de sédiments carbonatés déjà déposés. Les débats concernent le moment de cette croissance : (1) pendant la diagenèse précoce, au sein de sédiments carbonatés encore meubles faiblement enfouis sous une très faible épaisseur de boue, ou (2), au contraire, pendant une diagenèse plus tardive, au sein de calcaires déjà compactés, assez profondément enfouis sous une pile sédimentaire. Il est probable que les deux situations et tous leurs intermédiaires existent. Les boues sédimentaires sont rarement purement carbonatées, du fait de la présence de silice dissoute dans l'eau de mer et de nombreux organismes planctoniques (diatomées, radiolaires) ou benthiques (spongiaires) à test ou spicules siliceux. Cette silice est en général dispersée (plus ou moins régulièrement) dans la boue sédimentaire. Les eaux circulant dans le sédiment lors de la diagenèse dissolvent localement les tests siliceux dans les niveaux les moins riches en silice, silice qui pourra reprécipiter autour de germes de nucléation, en particulier dans les strates initialement les plus siliceuses, et se substituer au carbonate. Les mécanismes de cette précipitation sont détaillés dans À la découverte géologique des falaises d'Étretat : de la plage du Tilleul (Antifer) à l'anse de la Valaine. Les masses siliceuses croissent ainsi et forment ces masses irrégulières, les rognons de silex. Parfois, la silicification engendre des formes particulièrement mamelonnées, dont la morphologie n'est pas sans rappeler certaines gogottes (cf. Les gogottes des Sables de Fontainebleau et d'ailleurs, de rares beautés naturelles qui ont séduit le Roi Soleil et Les concrétions gréseuses, gogottes et autres poupées de la molasse sableuse miocène du Bas Dauphiné et leur utilisation par le facteur Ferdinand Cheval). C'est le cas de beaucoup des silex des grottes de Thouzon. L'érosion (mécanique et chimique) des calcaires des parois et du plafond des galeries de la grotte par la rivière souterraine à l'origine de ses galeries a partiellement dégagé ces masses siliceuses en révélant leur forme mamelonnée.
La galerie ouverte aux touristes croise une bande étroite faite d'une brèche de blocs calcaires bien visible au plafond. La nature du “ciment” (argile, calcaire réduit en “poudre”, calcite…) liant les éléments de cette brèche n'est pas déterminable par un simple examen “de loin” pendant le laps de temps de la visite touristique. Les éléments de cette brèche et son ciment sont « érodés et polis » comme tout le plafond. Cette brèche est donc très “vieille”, et s'est mise en place avant que la galerie soit engendrée, élargie et parcourue par la rivière souterraine. Une telle bande remplie de brèche peut avoir deux origines. (1) Une fissure ouverte remplie d'éléments calcaires venant de plus haut, depuis la surface ou s'éboulant des parois, une brèche sédimentaire en quelque sorte (cf. Promenade géologique dans la vallée de l'Agly, Pyrénées-Orientales – 1/ Écailles tectoniques, brèches, serpentines et autres silicates de magnésium). (2) Une brèche tectonique engendrée par le mouvement le long d'une faille, qu'on pourrait appeler « brèche de faille », ou encore « cataclasite » (cf. fig. 12 à 14 et 21 à 23 de Les filons de calcite associés à la Faille Nord-pyrénéenne, Sournia, Pyrénées-Orientales ou fig. 8 et 9 de Miroir de faille décrochante : faille du Vuache, la Petite Balme, Sillingy (Haute Savoie) ou aussi Structurothèque – Cataclasites, brèches, gouges). Un examen (forcément rapide pendant la visite, plus approfondi sur des photos) montre des éléments de brèche à peine disjoints et se juxtaposant à la manière des pièces d'un puzzle, ce qui élimine l'hypothèse que cette bande soit due au remplissage d'une fissure ouverte, remplissage par des blocs et éboulis tombés de plus haut. La présence d'une faille affectant des calcaires du Crétacé inférieur n'est pas étonnante, puisque la Provence à subit l'orogénèse pyrénéo-provençale, l'extension oligo-miocène…
Outre ces éléments originaux et assez particuliers à la grotte de Thouzon (chauve-souris calcitisée, chevelus racinaires, silex mamelonnés, brèche de faille), cette cavité mérite d'être visitée par tout touriste amateur de beautés naturelles même s'il n'est pas spécialiste de silex ou de brèche de faille. On y voit en effet toutes les formes et concrétions faisant l'attrait des grottes une fois qu'elles ne sont plus entièrement remplies par une rivière souterraine et qu'ont pu se développer stalactites, stalagmites, gours et autres spéléothèmes… Les cinq figures suivantes montrent la “beauté” de l'intérieur de cette grotte de Thouzon.