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Image de la semaine | 15/01/2024

Promenade géologique dans la vallée de l'Agly, Pyrénées-Orientales – 1/ Écailles tectoniques, brèches, serpentines et autres silicates de magnésium

15/01/2023

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Brèches polygéniques permettant d’illustrer l’histoire des Pyrénées.


Gros plans sur une brèche polygénique à éléments majoritairement anguleux blancs et gris, Ansignan, vallée de l'Agly, Pyrénées-Orientales

Figure 1. Gros plans sur une brèche polygénique à éléments majoritairement anguleux blancs et gris, Ansignan, vallée de l'Agly, Pyrénées-Orientales

Ces éléments sont constitués de marbre (calcaire métamorphique), avec un métamorphisme datant de 90 à 100 Ma (début du Crétacé supérieur). Les protolithes de ces marbres sont des calcaires (plus ou moins dolomitiques) datant du Jurassique ou du Crétacé inférieur. Le ciment liant les blocs entre eux est un ciment calcaire (parfois légèrement argileux) non métamorphisé. La taille et la morphologie des éléments montrent que cette brèche s'est déposée au pied de reliefs relativement importants, après un très faible transport. On peut comparer cette brèche avec un poudingue (éléments arrondis à cause d'un transport important, comme par exemple dans Les Pénitents des Mées (Alpes de Haute Provence) : des figures d'érosion étonnantes mais classiques dans les conglomérats indurés). Cette brèche est attribuée au Paléocène (66 à 56 Ma).

Localisation par fichier kmz de l'affleurement de brèche polygénique du Paléocène sur le bord de la D619, Ansignan, vallée de l'Agly, Pyrénées-Orientales.


Vue rapprochée sur une brèche polygénique à éléments majoritairement anguleux blancs et gris, Ansignan, vallée de l'Agly, Pyrénées-Orientales

Figure 2. Vue rapprochée sur une brèche polygénique à éléments majoritairement anguleux blancs et gris, Ansignan, vallée de l'Agly, Pyrénées-Orientales

Ces éléments sont constitués de marbre (calcaire métamorphique), avec un métamorphisme datant de 90 à 100 Ma (début du Crétacé supérieur). Les protolithes de ces marbres sont des calcaires (plus ou moins dolomitiques) datant du Jurassique ou du Crétacé inférieur. Le ciment liant les blocs entre eux est un ciment calcaire (parfois légèrement argileux) non métamorphisé. La taille et la morphologie des éléments montrent que cette brèche s'est déposée au pied de reliefs relativement importants, après un très faible transport. On peut comparer cette brèche avec un poudingue (éléments arrondis à cause d'un transport important, comme par exemple dans Les Pénitents des Mées (Alpes de Haute Provence) : des figures d'érosion étonnantes mais classiques dans les conglomérats indurés). Cette brèche est attribuée au Paléocène (66 à 56 Ma).


Brèche polygénique à éléments majoritairement anguleux blancs et gris, Ansignan, vallée de l'Agly, Pyrénées-Orientales

Figure 3. Brèche polygénique à éléments majoritairement anguleux blancs et gris, Ansignan, vallée de l'Agly, Pyrénées-Orientales

Ces éléments sont constitués de marbre (calcaire métamorphique), avec un métamorphisme datant de 90 à 100 Ma (début du Crétacé supérieur). Les protolithes de ces marbres sont des calcaires (plus ou moins dolomitiques) datant du Jurassique ou du Crétacé inférieur. Le ciment liant les blocs entre eux est un ciment calcaire (parfois légèrement argileux) non métamorphisé. La taille et la morphologie des éléments montrent que cette brèche s'est déposée au pied de reliefs relativement importants, après un très faible transport. On peut comparer cette brèche avec un poudingue (éléments arrondis à cause d'un transport important, comme par exemple dans Les Pénitents des Mées (Alpes de Haute Provence) : des figures d'érosion étonnantes mais classiques dans les conglomérats indurés). Cette brèche est attribuée au Paléocène (66 à 56 Ma).


La semaine dernière, nous avons étudié la charnockite d'Ansignan, granite (à pyroxène) hercynien du massif de l'Agly, dans la zone Nord-pyrénéenne. (cf. Un granite à grenat et pyroxène : la charnockite d'Ansignan (hameau des Albas, Pyrénées-Orientales)). Pendant trois autres semaines, nous allons remonter le cours de l'Agly, rivière qui a donné son nom au massif paléozoïque éponyme. Cette semaine, tout en restant à l'intérieur de ce massif de l'Agly, nous allons voir des failles internes au massif hercynien, mais ayant joué lors de l'orogenèse pyrénéenne. Ces failles mettent en contact “socle” hercynien et terrains mésozoïques ou cénozoïques. La brèche des figures 1 à 3 est ainsi décrite dans la notice de la carte géologique de Rivesaltes (texte légèrement modifié) : « eBr. Ces brèches sont formées d'une accumulation polygénique de blocs calcaires et dolomitiques métamorphiques de taille décimétrique, dont l'origine est généralement très locale. Les brèches paraissent ainsi souvent « passer » à la roche mésozoïque en place, ce qui rend parfois particulièrement difficile leur individualisation. Ces brèches, dont certaines paraissent résulter de remplissages karstiques, sont postérieures au métamorphisme « pyrénéen » puisque les éléments remaniés sont métamorphiques alors que le ciment ne l'est pas. Ce ciment calcaire, parfois légèrement argileux, est de teinte très variable, souvent rouge, jaune, blanc, parfois noir. On attribue aux brèches un âge paléocène qui reste cependant sujet à discussions. »

Ce site des brèches est juste à la limite de deux cartes géologiques à 1/50 000 : Rivesaltes (à l'Est), et Saint-Paul-de-Fenouillet (à l'Ouest) hélas non encore disponible en ligne (publiée fin 2023). Cette non disponibilité en ligne est à l'origine de difficultés d'interprétation des photographies aériennes et du caractère “tronqué” des figures 15, 17 et 18.

Vue globale sur la partie Sud-Est de l'affleurement de brèche polygénique du bord de la D619, Ansignan (Pyrénées-Orientales)

Figure 4. Vue globale sur la partie Sud-Est de l'affleurement de brèche polygénique du bord de la D619, Ansignan (Pyrénées-Orientales)

On reconnait bien la structure de la brèche là où des travaux récents ont “rafraichi” l'affleurement. Par contre la roche ressemble à un simple calcaire “gris” là où elle a subi des dizaines d'années d'altération qui l'ont “patinée”.


À 50 m au Sud-Ouest de l'affleurement de la figure 4, toujours sur le bord de la D619, une très ancienne petite carrière déjà abandonnée en 1983 montre une face plane, verticale et presque polie (car coupée à la scie par les carriers) permettant de voir des minéraux de métamorphisme dans certains blocs de marbre, ou plus précisément de méta-calcaire marneux. On peut y voir des scapolites (Ca4(AlSiO4)6CO3, silicate à la fois calcique et carbonaté), silicates métamorphiques de haute température et basse pression qui cristallisent dans le système tétragonal (également appelé quadratique) et forment des prismes allongés à base carrée. On peut y voir que ces scapolites ne sont pas présents dans le ciment emballant les blocs de marbre, et sont même recoupés/recouverts par ce ciment. On peut ramasser des blocs de brèche dans cette vieille carrière, les ramener au laboratoire, les couper et les examiner en détail. On voit des joints stylolitiques (cf. Les stylolites de la pierre de Villebois (Ain) à la Carrière des Meules) affectant certains blocs de marbre mais n'affectant pas le ciment. D'autres joints affectent blocs et ciment. Il y a donc deux générations de joints stylolitiques. Tout cela constitue un bel exercice de chronologie relative !

Vue de la droite de l'ancienne carrière située 50 m au Sud-Ouest de l'affleurement de brèche de la figure 4

Figure 5. Vue de la droite de l'ancienne carrière située 50 m au Sud-Ouest de l'affleurement de brèche de la figure 4

L'extrémité droite de la face verticale plane et presque polie (derrière des buissons) est indiquée par la flèche rouge. En 1983, cette face plane était beaucoup plus facile à observer et à photographier.


Vue d'une partie de l'ancienne surface coupée dans la vielle carrière de la figure précédente, dans son état de 1983, Ansignan (Pyrénées-Orientales)

Figure 6. Vue d'une partie de l'ancienne surface coupée dans la vielle carrière de la figure précédente, dans son état de 1983, Ansignan (Pyrénées-Orientales)

Il s'agit de la même brèche (attribuée au Paléocène) que dans les figures 1 à 4, avec moins de ciment. Le gros bloc détaillé dans les figures 7 à 9 correspond au gros bloc gris en bas à gauche du genou du personnage qui donne l'échelle.


Vue globale sur un bloc gris de la brèche de l'ancienne carrière près d'Ansignan, Pyrénées-Orientales

Figure 7. Vue globale sur un bloc gris de la brèche de l'ancienne carrière près d'Ansignan, Pyrénées-Orientales

Le bloc gris est celui situé en bas à gauche du genou du personnage de la figure précédente.

On devine des minéraux (ou leur empreinte) à l'intérieur de la roche. Le manche du marteau donne l'échelle. Les deux photos suivantes correspondent à des détails de la partie supérieure de ce bloc.


Gros plan sur le bloc de la figure précédente montrant des scapolites, carrière d'Ansignan (Pyrénées-Orientales)

Figure 8. Gros plan sur le bloc de la figure précédente montrant des scapolites, carrière d'Ansignan (Pyrénées-Orientales)

Quand les scapolites sont présentes, elles forment des baguettes (plus ou moins allongées) ou des carrés blancs. Les scapolites sont des minéraux très altérables et ont parfois “disparus”. Il ne reste alors plus que leur empreinte en creux, mais qui permet de reconnaitre la forme du cristal. Des empreintes en creux de forme carrée sont bien visibles en haut de l'échantillon et des baguettes blanches en bas à gauche. Dans ce quart inférieur gauche, on voit très bien que les baguettes de scapolite sont recoupées par la limite bloc de marbre/ciment, et ne pénètrent pas dans le ciment. Le métamorphisme est donc antérieur à la formation de la brèche.


Zoom sur le bloc de la figure précédente montrant des scapolites, carrière d'Ansignan (Pyrénées-Orientales)

Figure 9. Zoom sur le bloc de la figure précédente montrant des scapolites, carrière d'Ansignan (Pyrénées-Orientales)

On reconnait des sections carrées (coupes perpendiculaires à l'allongement du cristal), des sections losangiques (coupes obliques à l'allongement) et des baguettes (coupes parallèles à l'allongement. On voit très bien que les cristaux de scapolite sont recoupés par le bord du bloc de marbre et ne pénètrent pas dans le ciment. Le métamorphisme est donc antérieur à la formation de la brèche.


Échantillon de brèche polygénique de la vallée de l'Agly (Pyrénées-Orientales)

Figure 10. Échantillon de brèche polygénique de la vallée de l'Agly (Pyrénées-Orientales)

On voit très nettement des blocs de marbre s'interpénétrer (cf. Les galets impressionnés (ou cupulés) et cisaillés du poudingue triasique basque, route d'Oiartzun au col d'Elurretxe, Pays basque espagnol). Cette interpénétration semble être “soulignée” par un liseré orangé (couleur du ciment) qui ressemble à un joint stylolitique avec de petits pics stylolitiques (flèches rouges). Un de ces joints se poursuit dans le ciment (flèche jaune, en bas à gauche). Un (ou des) évènement(s) tectonique(s) à basse température a (ont) donc eu lieu après le dépôt de la brèche, après le Paléocène.


Autre échantillon de brèche polygénique de la vallée de l'Agly (Pyrénées-Orientales)

Figure 11. Autre échantillon de brèche polygénique de la vallée de l'Agly (Pyrénées-Orientales)

Comme dans l'échantillon précédent, on voit très nettement des blocs de marbre s'interpénétrer (cf. Les galets impressionnés (ou cupulés) et cisaillés du poudingue triasique basque, route d'Oiartzun au col d'Elurretxe, Pays basque espagnol) et cette interpénétration semble se faire par des joints stylolitiques (flèches rouge). Un (ou des) évènement(s) tectonique(s) à basse température a (ont) donc eu lieu après le dépôt de la brèche. Mais le “gros” blocs de marbre du centre semble affecté par des joints stylolitiques de couleur gris sombre, qui ne pénètrent pas dans le ciment. Ce joint “inta-marbre” n'est pas sans rappeler celui qui traverse le David de Michel Ange sculpté dans du marbre de Carrare (cf. figure 28 de Le marbre de Carrare et ses carrières (Toscane, Italie)). Un (ou des) évènement(s) tectonique(s) à relativement basse température a (ont) donc eu lieu après le métamorphisme HT-BP mais avant l'érosion du marbre qui a généré les brèches.


Vue globale sur la partie Nord de l'affleurement de brèche immédiatement adjacent à celui photographié sur la figure 4, bord de la D619, Ansignan (Pyrénées-Orientales)

Figure 12. Vue globale sur la partie Nord de l'affleurement de brèche immédiatement adjacent à celui photographié sur la figure 4, bord de la D619, Ansignan (Pyrénées-Orientales)

À gauche, la roche massive ressemble à un simple calcaire gris : il s'agit de la brèche (attribuée au Paléocène) avec sa patine d'altération. À droite, la roche est beaucoup plus altérée, moins dure et plus claire. Il s'agit du socle granitique hercynien. Une faille post- (ou syn-)paléocène recoupe donc le secteur.


Mosaïque de 6 images Google Earth Street View montrant l'ensemble de l'affleurement

Figure 13. Mosaïque de 6 images Google Earth Street View montrant l'ensemble de l'affleurement

En bas l'image brute, en haut l'image interprétée, avec la faille séparant la brèche paléocène et le socle hercynien. Au fond de la vallée de l'Agly, le long de la D 619, cet affleurement de brèche est très limité (quelques dizaines de mètres de large au maximum).


Vue aérienne oblique (brute et interprétée) prise en direction de l'Ouest (comme la figure 13)

Figure 14. Vue aérienne oblique (brute et interprétée) prise en direction de l'Ouest (comme la figure 13)

L'affleurement de brèche est localisé par la flèche orange, au niveau d'une faille (trait rouge de droite). Cet affleurement de brèches est en fait “collé” (par un contact qui ne se voit pas en bord de route) à une barre de marbre, moins altérable que le socle hercynien et mise en relief par l'érosion. Quand on peut voir le contact brèche/marbre, on voit que ces brèches reposent sur une surface karstique entaillant le marbre, provenant lui-même d'un métamorphisme datant du milieu du Crétacé, métamorphisme affectant des carbonates du Jurassique et du Crétacé inférieur. Cette barre de marbre (localement recouverte de brèches) est limitée au Nord comme au Sud par des failles (traits rouges) la séparant du socle hercynien. Le tracé de cette barre calcaire n'est quasiment pas dévié par la vallée de l'Agly. Cette barre (et les failles qui la limitent) est donc quasi-verticale (règle du V dans les vallées).


Carte géologique (quand elle existe) en vue oblique (vue orientée vers l'Est, sens inverse de la figure 14) localisant l'affleurement de brèches polygéniques (flèche rouge)

Figure 15. Carte géologique (quand elle existe) en vue oblique (vue orientée vers l'Est, sens inverse de la figure 14) localisant l'affleurement de brèches polygéniques (flèche rouge)

J'ai renforcé en jaune la couleur de ces brèches polygéniques pour en augmenter la visibilité. On voit que les affleurements limités des brèches semblent “posés” sur des marbres jurassiques et crétacés (diverses teintes de bleu et de gris). La flèche verte localise l'affleurement des figures 18 à 21 associé à une autre barre de carbonates (Jurassique inférieur non métamorphisé).


Vue aérienne oblique avec la même orientation et la même obliquité que sur la figure précédente

Figure 16. Vue aérienne oblique avec la même orientation et la même obliquité que sur la figure précédente

L'affleurement de brèches polygéniques est localisé par la flèche rouge, celui des figures 18 à 21 par la flèche verte.


Carte géologique et vue aérienne dans le secteur non encore couvert par la carte récente de Saint-Paul-de-Fenouillet, en vue verticale

Figure 17. Carte géologique et vue aérienne dans le secteur non encore couvert par la carte récente de Saint-Paul-de-Fenouillet, en vue verticale

Les 4/5 Sud de l'image correspondent au socle hercynien, avec des teintes rose, vert intense, marron clair, violet pale (la charnockite d'Ansignan). La barre de carbonates des figures 18 à 21, bleu, est localisée par la flèche verte. La flèche rouge localise l'affleurement de brèches polygéniques (en jaune) reposant sur des marbres (gris et bleu clair). Au Nord, le synclinal de Saint-Paul-de-Fenouillet à cœur de d'Albien (≈ 105 Ma) que nous traverserons la semaine prochaine.


Cet affleurement de brèches d'Ansignan (et d'autres situés dans le même secteur) est un bon résumé de l'histoire complexe des Pyrénées. Sur le socle hercynien érodé se dépose une série sédimentaire allant du Trias jusqu'au milieu du Crétacé (Aptien, ≈ 110 Ma). Puis, pendant l'Albien-Cénomanien (≈ 100 Ma), et cela continue plus lentement jusqu'au Campanien (≈ 75 Ma), la rotation du bloc ibérico-corso-sarde entraine l'ouverture du golfe de Gascogne, le fonctionnement d'une faille transformante senestre (la future faille Nord-pyrénéenne), une tectonique complexe avec ici la formation de zones plissées, là de nombreux grabens en extension et leur remplissage sédimentaire (invisible dans ce secteur), un métamorphisme HT-BP, du volcanisme (cf. Un volcanisme bien méconnu et pourtant si riche d'enseignement : le volcanisme du Crétacé supérieur du Pays Basque, ses pillow-lavas et la salinité de l'eau de mer) et même localement l'exhumation de manteau (lherzolites, cf. Les conglomérats calcaro-péridotitiques de Lers (Ariège), une clé pour comprendre la mise en place des lherzolites pyrénéennes). Le métamorphisme HT-BP qu'on retrouve dans les éléments de la brèche (marbre) est dû à cet évènement thermo-tectonique du milieu du Crétacé. Une dénudation (tectonique et érosive) amène ces marbres à l'affleurement et crée des reliefs. Les stylolites affectant le marbre (mais pas le ciment de la brèche) pourraient être dus à cet évènement. Ces reliefs sont la proie d'une érosion localement karstique génératrice des brèches, sans doute au Paléocène. Socle hercynien, couverture mésozoïque (localement métamorphisée), brèche paléocène… subissent la compression et le raccourcissement pyrénéens dont le paroxysme date du Lutétien (40 à 50 Ma) qui se traduisent par des plis, des failles inverses (qui réutilisent souvent des failles dues aux mouvements crétacés)… La faille visible sur la figure 13 séparant la brèche du socle granitique est due (au moins pour partie) à ce dernier évènement tectonique. C'est sans doute aussi le cas de la deuxième génération de stylolites affectant marbre et ciment. Nous verrons la semaine prochaine, toujours dans la vallée de l'Agly, d'autres effets de cette compression pyrénéenne éocène.

À deux kilomètres au Nord de l'affleurement de brèches, toujours dans la vallée de l'Agly, la D619 recoupe une deuxième barre calcaire, des calcaires dolomitiques non métamorphiques datant du Jurassique inférieur. Cette barre calcaire se voit bien dans le paysage (et sur les photographies aériennes). Par contre, les affleurements au fond de la vallée et en bord de route sont de qualité très médiocre. Par chance, la vallée recoupe cette barre dans la zone cartée, à 600 m de la limite Ouest de la carte de Rivesaltes.

Vue aérienne oblique (en direction de l'Ouest) et carte géologique correspondante (quand elle existe) sur la deuxième barre de carbonate recoupée par l'Agly dans la traversée du massif paléozoïque éponyme

Figure 18. Vue aérienne oblique (en direction de l'Ouest) et carte géologique correspondante (quand elle existe) sur la deuxième barre de carbonate recoupée par l'Agly dans la traversée du massif paléozoïque éponyme

Cette barre de calcaire dolomitique du Jurassique inférieur non métamorphique (en bleu) est limitée par 2 failles (extrapolées là où n'existe pas de carte géologique à 1/50 000) qui la sépare du socle hercynien (en rose). Barre calcaire et failles traversent la vallée de l'Agly sans être déviées. Elles sont donc quasi-verticales. La flèche verte localise l'affleurement des figures 20 et 21, là où la route recoupe la faille limitant au Sud cette barre calcaire. L'astérisque vert localise un affleurement similaire déjà décrit en 2015 (cf. Chlorite, talc et serpentine dans une brèche de faille : une illustration des circulations de fluides associées à la tectonique cassante).


Vue aérienne rapprochée de l'intersection entre la vallée de l'Agly et la barre de calcaire dolomitique jurassique limitée par ses deux failles

Figure 19. Vue aérienne rapprochée de l'intersection entre la vallée de l'Agly et la barre de calcaire dolomitique jurassique limitée par ses deux failles

La barre calcaire traverse la vallée de l'Agly sans que son tracé ne soit significativement “dévié”. Cette barre calcaire est donc quasi-verticale. La flèche verte localise les deux figures suivantes (20 et 21). L'astérisque vert localise un affleurement similaire déjà décrit en 2015 (cf. Chlorite, talc et serpentine dans une brèche de faille : une illustration des circulations de fluides associées à la tectonique cassante). Ces deux affleurements sont situés sur la commune de Saint-Arnac.


Vue Google Earth Street View de la faille du Sud, entre le calcaire dolomitique jurassique (affleurant bien à droite) et le granite hercynien affleurant très mal à gauche, Saint-Arnac (Pyrénées-Orientales)

Figure 20. Vue Google Earth Street View de la faille du Sud, entre le calcaire dolomitique jurassique (affleurant bien à droite) et le granite hercynien affleurant très mal à gauche, Saint-Arnac (Pyrénées-Orientales)

Sur quelques mètres de large, la limite entre ces deux compartiments correspond à une zone qui, macroscopiquement, ressemble à une serpentine altérée et argilisée.

Localisation par fichier kmz de la faille entre calcaire dolomitique et granite hercynien, Saint-Arnac (Pyrénées-Orientales).


Autre vue Google Earth Street View de la faille du Sud, entre le calcaire dolomitique jurassique (affleurant bien à droite) et le granite hercynien affleurant très mal à gauche, Saint-Arnac (Pyrénées-Orientales)

Figure 21. Autre vue Google Earth Street View de la faille du Sud, entre le calcaire dolomitique jurassique (affleurant bien à droite) et le granite hercynien affleurant très mal à gauche, Saint-Arnac (Pyrénées-Orientales)

Sur quelques mètres de large, la limite entre ces deux compartiments correspond à une zone qui, macroscopiquement, ressemble à une serpentine altérée et argilisée.


Échantillon peu altéré de cette roche verdâtre “coincée” entre la barre de calcaire dolomitique et le socle hercynien

Figure 22. Échantillon peu altéré de cette roche verdâtre “coincée” entre la barre de calcaire dolomitique et le socle hercynien

Macroscopiquement, cet échantillon ressemble à une serpentinite. Celui-ci a été ramassé 550 m plus à l'Ouest du site des figures 20 et 21, sur le bord de la D7, au niveau de l'astérisque vert des figures 16 et 17.


Des analyses rapides (cf. Chlorite, talc et serpentine dans une brèche de faille : une illustration des circulations de fluides associées à la tectonique cassante) montrent que l'affleurement (où a été ramassé l'échantillon de la figure 22) est composé d'un mélange de talc, de chlorite et de serpentine, phyllosilicates très difficiles à distinguer à l'œil nu. Ces trois phyllosilicates ont en commun d'être des silicates de magnésium hydratés, avec plus ou moins de fer, d'aluminium… Quelle peut être l'origine de cet affleurement de phyllosilicates coincés entre un granite hercynien et un calcaire dolomitique jurassique ? On ne peut que reprendre l'explication déjà donnée en 2015. Du côté Nord de la faille, il y a de la dolomie (ou un calcaire plus ou moins dolomitique) contenant de la dolomite MgCa(CO3)2 et de l'autre des roches silicatées. La circulation de fluides dans la faille a dû permettre la mobilisation en solution du magnésium de la dolomie et de la silice des roches silicatées. La réaction entre ces éléments a formé le talc, la chlorite et la serpentine dans la zone de faille. En effet, les failles importantes permettent la percolation des fluides et lorsque ces fluides arrivent en profondeur, ils se réchauffent (surtout si le degré géothermique est important). Ce réchauffement est alors à l'origine de circulations convectives hydrothermales qui augmentent le transport des éléments des roches dans les plans de faille et facilite les réactions minéralogiques.

Dans la région, de très nombreuses failles ont été “créées” et ont rejoué plusieurs fois. Les principaux mouvements ont eu lieu au milieu du Crétacé, mouvement senestre dû à la rotation du bloc ibérique, avec failles décrochantes annexes, associées à des failles normales (horst, graben, pull appart…). Ces failles ont recoupé le socle et la couverture sédimentaire antérieure au milieu du Crétacé. Des sédiments ont pu se déposer au Crétacé supérieur dans certains des grabens. À partir du Crétacé terminal, et jusqu'à l'Éocène supérieur, la convergence Ibérie-Europe a fait rejouer ces failles (avec une composante inverse) en “écrasant” le socle et sa couverture “prédécoupés” en lanières. Ainsi sont nées les deux barres de calcaire au niveau de la vallée de l'Agly. Les phyllosilicates magnésiens ont été générés au niveau d'une faille qui mettait en contact socle silicaté et calcaire dolomitique. Cette néoformation a sans doute eu lieu au milieu du Crétacé car le degré géothermique y était fort, mais il n'est pas exclu qu'elle ait pu avoir lieu aussi lors des rejeux de l'Éocène.

Carte montrant que les deux lames “tectoniques” limitées par des failles verticales vues dans les figures précédentes (flèches rouge et verte) ne sont pas les seules dans ce secteur de la zone Nord-pyrénéenne

Figure 23. Carte montrant que les deux lames “tectoniques” limitées par des failles verticales vues dans les figures précédentes (flèches rouge et verte) ne sont pas les seules dans ce secteur de la zone Nord-pyrénéenne

Sur le schéma structural (légèrement modifié) de la carte de Rivesaltes à 1/50 000, schéma situé en bas de la version imprimée de la carte géologique, on voit que le massif de l'Agly est découpé par de très nombreuses failles de direction générale Est-Ouest et globalement verticales. Le long de la limite Ouest de la carte de Rivesaltes (ligne pointillée verticale de gauche) entre la Faille Nord-Pyrénéenne et le Front Nord-Pyrénéen (entre les deux flèches noires), on peut compter dix blocs-lanières, dont deux ayant encore une morphologie de synclinal. La limite Nord (approximative) du métamorphisme dit pyrénéen (≈ 90-100 Ma) affectant la Zone Nord-pyrénéenne est figurée par des tiretés jaunes. Nous traverserons la semaine prochaine le synclinal Nord, le synclinal de Saint-Paul-de-Fenouillet.


Bref résumé de l'histoire des Pyrénées en deux coupes

Figure 24. Bref résumé de l'histoire des Pyrénées en deux coupes

Ces deux coupes sont localisées au niveau du profil “ECORS Pyrénées” datant de 1985, situé une centaine de km plus à l'Ouest. Le schéma inférieur montre la situation au milieu du Crétacé. L'Ibérie coulisse vers l'Est (décrochement senestre) par rapport à l'Europe. Ce décrochement est associé à un amincissement crustal (responsable d'un métamorphisme HT-BP) affectant ce qui deviendra la zone Nord-pyrénéenne et à de très nombreuses failles normales et décrochantes qui découpent en “lanières” le Sud de la plaque Europe. Le schéma supérieur montre la situation actuelle (post-Lutétien). Ce qui est maintenant la zone Nord-pyrénéenne (rectangle rouge) correspond à la zone amincie au Crétacé. Le “découpage” en lanières durant le Crétacé explique la géométrie actuelle, avec ses barres de calcaire séparées du socle par des failles verticales.


Localisation du massif de l'Agly (punaise jaune) sur la carte géologique de France