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Image de la semaine | 07/12/2020

Les gogottes des Sables de Fontainebleau et d'ailleurs, de rares beautés naturelles qui ont séduit le Roi Soleil

07/12/2020

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Grésification partielle dans des sables siliceux très purs, formation de concrétions de tailles et de formes très variées devenues objets de collection.


Avertissement

Cette image de la semaine, suite logique des gogottes du Bas Dauphiné, contrairement à l'habitude, ne contient que cinq photos “privées”, les autres ayant été empruntées au web. Si des collègues (notamment franciliens) pouvaient nous envoyer des photos, en particulier des images de gogottes de la région de Fontainebleau in situ dans le sable, celles-ci seraient les bienvenues.

La gogotte du Natural History Museum de Londres, acquise en juin 2017

Figure 1. La gogotte du Natural History Museum de Londres, acquise en juin 2017

La taille, la blancheur et la “perfection” de cette gogotte sont exceptionnelles. La fiche explicative au pied de la vitrine indique : Gogotte – a rare natural beauty. Paris Basin, Early Oligocene (33-28 million years ago). Millions of years ago in northern France, sand dunes deposited pure sand that subsequently formed sandstone. The contours and creases of this gogotte are the result of later geological processes where water rich in silica gradually filtered through the loose, pure sand. The silica then cemented the sand together to form the gogotte's fluid line. Today, gogotte are prized as rare pieces of natural art – each one possessing its own unique and anusual shape.

On peut traduire ce texte de la façon suivante : « Gogotte - une beauté naturelle rare. Bassin de Paris, Oligocène inférieur (33-28 millions d'années). Il y a des millions d'années, dans le Nord de la France, du sable pur a formé des dunes, sable pur qui a ensuite été transformé en grès. Les contours et les ondulations de cette gogotte sont le résultat de processus géologiques plus tardifs où de l'eau riche en silice a lentement progressé à travers le sable meuble et pur. La silice a alors cimenté le sable pour former la surface ondulée de la gogotte. Aujourd'hui, les gogottes sont appréciées comme de rares pièces d'art naturel - chacune possédant sa propre forme unique et atypique. »

Le reflet partiel du photographe sur la vitrine et la flèche à gauche donne l'échelle de cette gogotte.


Cette gogotte a été acquise par le Natural History Museum de Londres en 2017. À cette occasion le musée a publié sur son blog un billet «Sir David Attenborough unveils our latest acquisition» https://naturalhistorymuseum.blog/2017/06/05/sir-david-attenborough-unveils-our-latest-acquisition-curator-of-petrology/) d'où sont extraites les trois figures qui suivent (fig. 2, 3 et 4 ).


Zoom sur le centre de la photo précédente

Figure 3. Zoom sur le centre de la photo précédente

On remarque la finesse et la régularité des grains de sable, et l'absence quasi-totale d'autres minéraux que le quartz. Il s'agit d'un grès extrêmement pur.


Pour fixer cette grosse gogotte sur son socle, les techniciens du Muséum de Londres ont foré sa base et ont extrait une carotte du trou ainsi formé. Des plaques taillées dans cette carotte ont été examinées avec un microscope électronique à balayage (MEB), en combinaison avec de la microanalyse à rayons X dispersive en énergie (EDX). On obtient alors l'image de la figure 4 qui montre les cristaux jointifs avec une porosité extrêmement réduite, et qui donne aussi la composition élémentaire des différentes plages de la surface étudiée.

Image d'une surface taillée dans une carotte extraite de la base de la gogotte du Muséum de Londres

Figure 4. Image d'une surface taillée dans une carotte extraite de la base de la gogotte du Muséum de Londres

Cette image montre des cristaux jointifs, avec une porosité extrêmement réduite. De la silice a recristallisé autour des grains de sable initiaux et a rempli tous les interstices. Cette image montre aussi la composition chimique (composition en éléments) des différentes plages de la surface étudiée. Cette surface contient presque exclusivement un minéral très riche en silicium (teintes bleu vif et bleu-vert sombre : du quartz), et très peu d'“impuretés” comme le fer, le magnésium, le calcium.


Les gogottes montrées dans cet article proviennent des Sables de Fontainebleau (Seine-et-Marne, à une soixantaine de kilomètres au Sud-Sud-Est de Paris), sables ultra-purs utilisés dans la verrerie haut de gamme, l'industrie du silicium… Ces sables ont été déposés à l'Oligocène inférieur (Rupélien, −33,9 à −28,1 Ma, anciennement appelé Stampien) en milieu dunaire, côtier et deltaïque. Ils sont localement transformés en grès, qui forment des grandes dalles chapeautant les reliefs et réputées pour ses rochers, lieux d'escalade favoris des Franciliens. Ces grès ont été très largement utilisés jusqu'au début du XXe siècle, entre autres, pour paver les rues de Paris. Ces sables, qui existent sous divers faciès légèrement différents sont compris entre les calcaires de Brie à leur base et les calcaires d'Étampes à leur sommet. Leur épaisseur, variable, est d'environ 50 m.

Les gogottes de Fontainebleau sont des concrétions gréseuses faites d'un sable siliceux cimenté par un ciment siliceux, dispersées au sein de sable non cimenté. La circulation de fluides phréatiques internes au sable (eau saturée en silice dissoute) est à l'origine de la grésification. Cette circulation est bien sûr due aux écoulements (principalement gravitaires) internes à la nappe phréatique. Dans la région de Fontainebleau, les sables sont très homogènes et ont beaucoup moins guidé les écoulements que dans la molasse du Bas Dauphiné (cf. Les concrétions gréseuses, gogottes et autres poupées de la molasse sableuse miocène du Bas Dauphiné et leur utilisation par le facteur Ferdinand Cheval). Les premières zones localisées où les fluides ont déposé de la silice remplissant les interstices entre les grains de sable ont dû servir de germes de dépôt et/ou de cristallisation de la silice secondaire et ont favorisé ainsi la croissance localisée centrifuge de masses concrétionnées pouvant s'interpénétrer. Ainsi naissent ces masses bizarres, parfois appelées « poupées de grès » et appelées « gogottes » depuis les années 1970.

Il y a précipitation de silice si sa solubilité dans l'eau diminue. Si les eaux de la nappe phréatique se rapprochent de la surface topographique parce qu'elles s'écoulent en direction de la base d'un versant, leur température diminue. La solubilité de la silice diminuant avec une baisse de température, la silice a alors tendance à précipiter, et on aura une concrétion à ciment siliceux. La présence d'un plateau incisé de vallées relativement profondes (comme il y en a dans ce secteur de Fontainebleau) favorisera l'écoulement des nappes vers les points bas. Un fort contraste de température entre une nappe phréatique “tiède” et une surface topographique froide augmentera les gradients de température et favorisera le concrétionnement des sables. Des études faites en particulier par Médart Thiry (voir, par exemple, Les calcites de Fontainebleau : une clé pour dater la silicification des grès ?, 2012, ainsi que Sables et Grès de Fontainebleau : que reste-t-il des faciès sédimentaires initiaux ?, 2013, ou encore Les Calcites de Fontainebleau : occurrence et genèse, 2016) ont prouvé que la grésification des gogottes (et des autres grès) avait surtout eu lieu pendant les périodes froides du Quaternaire. Les sables de Fontainebleau étant particulièrement purs et leur granulométrie étant très fine et très homogène, les gogottes extraites des sables de Fontainebleau sont d'une blancheur parfois parfaite et ont une surface à la fois très lisse et très régulièrement contournée.

Nous vous montrons la photographie d'une carrière (abandonnée) de Sable de Fontainebleau et d'autres de gogottes encore contenues dans des sables, photographies qui auraient pu être prises dans cette carrière.

Une carrière abandonnée de Sable de Fontainebleau

Figure 5. Une carrière abandonnée de Sable de Fontainebleau

C'est dans une telle carrière, pendant sa période d'exploitation, qu'aurait pu être extraite la gogotte des figures 1 à 3 et où auraient pu être prises les deux photos suivantes.


Gogottes dans un banc de Sable de Fontainebleau

Figure 6. Gogottes dans un banc de Sable de Fontainebleau

Ce banc de sable très pur et complètement blanc est surmonté par un niveau contenant des accidents calcaires.



On peut se demander quelle est l'origine de ce drôle de nom de “gogotte”. Avant les années 1970, on parlait de grès concrétionné, de concrétions gréseuses, de poupées de grès… Ce nom de “gogotte” qui a fait florès est dû au géologue Claude Guillemin (1923-1994), directeur scientifique du Service Géologique National, puis inspecteur général au BRGM (à Orléans) jusqu'en 1986. La petite histoire dit qu'un soir, grand-père, il lisait des histoires de Babar à ses petits-enfants, et plus précisément Les vacances de Zéphir, le petit singe compagnon du roi Babar. Dans cette histoire, des monstres dont Polomoche, et des Gogottes se cachent derrière des cailloux. Sur un dessin de l'album, ces cailloux lui rappellent ces concrétions gréseuses qu'il connaissait bien, qu'on trouve tout au Nord de son département du Loiret, et dont il avait sans doute des exemplaires chez lui. Pour capter l'attention de ses petits-enfants, il associe ces gogottes imaginaires et ses cailloux. Et l'histoire fit boule de neige dans les milieux de la géologie, d'abord chez les géologues du Bassin Parisien, et maintenant du monde entier (cf. article de La République du Centre).


Les gogottes sont maintenant “à la mode” et recherchées par les géologues amateurs, les vendeurs de curiosités géologiques et leurs clients. Il n'en était pas de même dans les années 1975 quand j'étais étudiant en région parisienne : personne ne s'intéressait à ces concrétions. Je n'en ai ramassé et gardé que deux, dont une à cause de sa petite taille (figure 10). Les collections des ENS de Saint Cloud et de Fontenay n'en possédaient pas, et personne n'en a ramené à Lyon depuis que l'ENS y est établie. Mais comme les gogottes ont maintenant les faveurs des géologues amateurs, il est très facile d'en trouver de très belles photographies sur le web, de toutes les tailles, de toutes les formes, et de tous… les prix.

Stand entièrement consacré aux gogottes au Salon des minéraux de Paris en mars 2018

Figure 11. Stand entièrement consacré aux gogottes au Salon des minéraux de Paris en mars 2018

Ce stand montre bien la variété des formes et des tailles des gogottes de la région de Fontainebleau.


Les gogottes peuvent avoir toutes les formes…

Les gogottes sont devenues tellement à la mode qu'elles peuvent atteindre des prix très élevés lors de ventes aux enchères

Figure 13. Les gogottes sont devenues tellement à la mode qu'elles peuvent atteindre des prix très élevés lors de ventes aux enchères

En témoigne cette gogotte trouvée sur le catalogue de Sotheby's qui a été vendues pour 27 500 $. En plus de son prix, la forme et la taille de cette gogotte sont exceptionnelles, ceci expliquant cela.


Les gogottes sont devenues tellement à la mode qu'elles peuvent atteindre des prix très élevés lors de ventes aux enchères

Figure 14. Les gogottes sont devenues tellement à la mode qu'elles peuvent atteindre des prix très élevés lors de ventes aux enchères

En témoigne cette gogotte trouvée sur le catalogue de Sotheby's qui a été vendues pour 9 375 $. En plus de son prix, la forme et la taille de cette gogotte sont exceptionnelles, ceci expliquant cela.


Les géologues amateurs et les riches collectionneurs ne sont pas les seuls à rechercher des gogottes de Fontainebleau. Ils ont eu d'illustres prédécesseurs. Comme le facteur Cheval avec les gogottes du Bas Dauphiné (cf. Les concrétions gréseuses, gogottes et autres poupées de la molasse sableuse miocène du Bas Dauphiné et leur utilisation par le facteur Ferdinand Cheval), Louis XIV et le concepteur des jardins de Versailles, André Le Nôtre, qui tous deux connaissaient bien Fontainebleau, sa forêt et ses sables, avaient remarqué ces roches aux formes étranges. Ils en ont utilisé de très nombreuses pour aménager certains bassins et fontaines du parc du château de Versailles en construction. Aujourd'hui, après plus de 3 siècles d'aléas historiques, de réfections…, les plus belles gogottes se voient autour des bassins et fontaines du Bosquet des Trois Fontaines et du Bassin de l'Encelade.

Vue sur le centre du Bassin de l'Encelade et sur deux des huits fontaines qui l'entourent, parc du château de Versailles

Figure 17. Vue sur le centre du Bassin de l'Encelade et sur deux des huits fontaines qui l'entourent, parc du château de Versailles

Rappelons qu'Encelade est un Géant qui fut tué par Zeus lors de la Gigantomachie. Zeus l'écrasa en jetant sur lui d'innombrables rochers. L‘accumulation de toutes ces roches est devenu l'Etna, dont les éruptions représentent la respiration de ce géant encore vivant dans les profondeurs de la montagne. Le “tas de cailloux” (simulant l'Etna) qui enterre partiellement la statue dorée d'Encelade au centre de son bassin du parc de Versailles est constitué d'une accumulation de gogottes.




Localisation des Sables de Fontainebleau et de Versailles dans le Bassin Parisien

Figure 20. Localisation des Sables de Fontainebleau et de Versailles dans le Bassin Parisien

Localisation par fichier kmz des Sables de Fontainebleau.


Les gogottes et autres concrétions gréseuses ne sont pas exclusives des sables de Fontainebleau, même si ce sont « les plus belles » (et les plus chères), à cause de la pureté et de l'homogénéité du sable local. Mais les concrétions gréseuses sont très fréquentes dans de très nombreuses régions comportant des niveaux de sables anciens, même si elles ne sont pas toutes “gogotomorphes”. Nous avons vu des concrétions gréseuses irrégulières et lobées dans le Miocène du Bas Dauphiné (cf. Les concrétions gréseuses, gogottes et autres poupées de la molasse sableuse miocène du Bas Dauphiné et leur utilisation par le facteur Ferdinand Cheval), des concrétions gréseuses sphériques et non lobées dans l'Éocène du Pays Basque (cf. Les boules gréseuses (paramoudras) de l'Éocène du Jaizkibel (Pays basque espagnol)) et dans le sommet du Crétacé inférieur des Hautes Alpes (cf. Les plus belles boules de France : les sphères de grès de Saint-André-de-Rosans, Hautes Alpes). Et il y en a d'autres, par exemple en Roumanie où ces concrétions sont appelées « trovant ». À Costesti, au centre de la Roumanie, elles datent du Miocène inférieur et ont été à l'origine de la création de la Réserve nationale du musée des trovants. Ces “trovants” ont d'ailleurs donné lieu à de nombreuses légendes et rumeurs plus ou moins farfelues quant à leur origine. La majorité des trovants sont sphériques ou ovoïdes, mais il y en a aussi dont la forme est très similaire aux gogottes de Fontainebleau.

L'un des sites de la réserve nationale du musée des trovants, Costesti, Roumanie

Figure 21. L'un des sites de la réserve nationale du musée des trovants, Costesti, Roumanie

De nombreuses concrétions sphériques ou ovoïdes de belle taille (extraites de la carrière ou de carrières voisines du temps de leur exploitation) ont été placées au bord du chemin.


Front de taille de la carrière précédente, réserve nationale du musée des trovants, Roumanie

Figure 22. Front de taille de la carrière précédente, réserve nationale du musée des trovants, Roumanie

Des concrétions gréseuses sont visibles dans la paroi.


Zoom sur le front de taille précédent, réserve nationale du musée des trovants, Roumanie

Figure 23. Zoom sur le front de taille précédent, réserve nationale du musée des trovants, Roumanie

Des concrétions gréseuses sont visibles dans la paroi.



Localisation de Fontainebleau (France) et de Costesti (Roumanie)

Figure 25. Localisation de Fontainebleau (France) et de Costesti (Roumanie)

Versailles et son parc, ainsi que Londres et son Natural History Museum ont été rajoutés en rouge.

Localisation par fichiers kmz de Fontainebleau et d'une carrière de la Réserve nationale du musée des trovants (Costesti).