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Article | 28/09/2006

Les karsts d'Espiritu Santo, archipel du Vanuatu

28/09/2006

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Les principales formations karstiques visitées par les chercheurs de la mission Santo 2006.


Parmi les milieux de vie étudiés sur l'île Espiritu Santo (ou Santo), lors de la mission Santo 2006, figurent les karsts et plus particulièrement les réseaux souterrains. Après un bref apeçu sur les conditions générales de formation d'un karst, nous effectuerons une visite virtuelle des karsts de Santo grâce aux photographies des scientifiques de la mission, puis nous envisagerons les informations sur l'histoire de l'île contenues dans ces karsts.

Le contexte de formation des karsts

Les figures karstiques résultent de l'érosion chimique des roches les plus solubles : roches carbonatées et salines. Pour les roches carbonatées, qui nous concernent plus particulièrement ici, la dissolution est rendue possible par l'acidification de l'eau. La végétation, le sol et ses acides humiques sont donc des facteurs importants pour la formation d'un karst.

Un autre élément fondamental pour la karstification est l'existence d'un écoulement de l'eau non seulement de surface mais aussi souterrain. Le drainage permet l'exportation de la matière dissoute et laisse des formes typiques dans la roche. La formation carbonatée doit donc se situer au-dessus du niveau de base de la nappe phréatique ou de l'écoulement souterrain pour être bien drainée.

En surface, les figures les plus classiques sont des rigoles de dissolution, appelées lapiaz, formées par le ruissellement. Liées à la connexion avec un écoulement souterrain, on peut observer des dolines, entonnoir dont le centre peut aboutir à un gouffre ouvert. Autre figure impressionnante : la perte d'un cours d'eau. Elle correspond au passage de la rivière de son lit aérien au réseau souterrain en se "perdant" dans un gouffre.

En profondeur, l'eau se fraie un chemin parmi le réseau des fractures existantes. Petit à petit, les chemins les plus aisés deviennent les principaux conduits du réseau karstique. La rencontre, par exemple, de masses plus imperméables, moins solubles, ralentit l'écoulement et aboutit à la formation de cavités plus importantes jusqu'à ce qu'un exutoire évacue l'eau plus rapidement. Les variations du niveau de la nappe expliquent l'existence possible de plusieurs réseaux souterrains successifs et plus ou moins connectés correspondant chacun à un état d'équilibre à une époque donnée. Ainsi, dans un réseau actuel, certaines parties sont totalement exondées car elles correspondent à une période de niveau plus élevé de la nappe : la baisse du niveau les a vidées suite à la reprise vers le bas de la formation du réseau souterrain. D'autres parties du réseau peuvent être totalement inondées et aboutissent parfois à des résurgences sous le niveau de la nappe. C'est ce qui peut explique la présence de résurgences d'eau douces dans certains océans bordés de karsts lorsque le niveau actuel des océans est plus élevé que le niveau de base de l'époque de formation du réseau. Si la charge de la colonne d'eau douce est suffisante, l'eau douce y circule toujours mais, au lieu de former une résurgence à l'air libre, l'eau ressort dans la mer.

Les karsts de Santo : principales formations

Une première photographie fixe le cadre : forêt tropicale sur des montagnes de faible altitude à proximité de l'océan.

Paysage vers la localité de Fiora

Canyons et trous bleus

Dans ces montagnes calcaires, les rivières sont encaissées, formant des canyons parfois durs à franchir pour les équipes de scientifiques qui savent garder le sourire en toutes circonstances.

Canyon, région de Fiora

Parmi les karsts visités, certains avaient une entrée à sec (entrée par une partie exondée), alors que pour d'autres l'accès s'est fait les pieds dans l'eau.

Entrée de grotte près de la localité de Fapon

Des résurgences sous le niveau de l'océan sont observées près des côtes, parfois au large ou légèrement à l'intérieur des terres : ce sont les trous bleus.

Un trou bleu sur l'île de Santo

Les réseaux souterrains

L'accès à pied sec de certaines grottes a permis l'exploration directe de parties exondées. Ces grottes sont souvent des gîtes pour des animaux tels que les chauves souris. Parfois très nombreuses, elles produisent du guano qui devient un substrat propice à l'installation d'une faune et d'une flore de décomposeurs.

Chauves-souris dans la grotte d'Aore

Les salles sont de taille variable, du "studio" à la "salle de bal", et communiquent parfois par des conduits dans lesquels il faut ramper pour progresser.

Les figures typiques de ces salles sont les stalactites pendant de la voûte et les stalagmites sortant du plancher. Ces figures sont dues à la précipitation de carbonate de calcium. En effet, une partie de l'eau de surface s'infiltre dans le sol et pénètre dans les niveaux calcaires pour rejoindre le niveau de la nappe. Chemin faisant, elle dissout du calcaire selon la réaction :

CaCO3 + H2O + CO2 <---> Ca2+ + 2 HCO3-

C'est donc de l'eau chargée, voire (sur)saturée, en ions hydrogénocarbonates qui arrive au goutte à goutte à la voûte des grottes ou conduits exondés. Plusieurs phénomènes interviennent alors qui engendrent la précipitation de carbonate de calcium. L'eau s'équilibre avec l'atmosphère du réseau karstique ce qui peut entraîner :

  • un dégazage partiel du CO2 ;
  • une évaporation partielle de l'eau, si l'hygrométrie n'est pas à saturation ;
  • l'agitation de l'eau, quand la goutte tombe sur le plancher, accélère ces processus.

Ces réactions déplacent l'équilibre vers la gauche : du carbonate de calcium précipite alors, soit dans la goutte qui pend à la voûte (un stalactite "tombe"), soit dans la goutte tombée (un stalagmite "monte"). Les vitesses de croissance sont de l'ordre du cm/ka, voire beaucoup moins. Vitesse, couleur et forme dépendent du climat et de la nature exacte des roches. La pluviométrie règle la quantité d'eau qui s'infiltre et arrive dans le karst : un climat plus sec limitera la croissance des concrétions. Selon le climat, la végétation plus ou moins abondante génère des acides plus ou moins agressifs pour la roche : l'eau sera plus ou moins saturée à son arrivée dans les chambres exondées. Selon la nature de la roche et sa teneur en "impuretés" (argiles, oxydes), l'eau de percolation se charge en ions divers ou en micro-particules qui peuvent colorer les concrétions. Des voiles bactériens peuvent aussi "guider" la formation des concrétions et participent alors à la grande variété des formes observées.

Stalactites à Butmas-Fapon

Stalactites à digitations, Butmas-Fapon

Figure 9. Stalactites à digitations, Butmas-Fapon

Les gouttes d'eau montrent que ces stalactites sont "actives" : de l'eau arrive encore à cette voûte.


Butmas-Fapon : stalactite "variable"

Figure 10. Butmas-Fapon : stalactite "variable"

Un changement de régime hydrique explique certainement le changement de coloration (impuretés) et de forme (vitesse de croissance) de ce stalactite


Stalagmite à Butmas-Fapon avec "mares à collemboles"

Figure 11. Stalagmite à Butmas-Fapon avec "mares à collemboles"

Lorsqu'une grosse goutte tombe, elle "éclate" et gicle sur les côtés. Le carbonate de calcium se dépose alors sur les bords.


La progression dans le réseau nécessite parfois non seulement de se baisser mais aussi de se mouiller.

Progression dans le karst d' Amarur

Figure 12. Progression dans le karst d' Amarur

On peut avoir de l'eau jusqu'à la taille ...


Progression dans le karst de Fiora

Figure 13. Progression dans le karst de Fiora

Retour à l'air après un petit passage en immersion totale.


Certaines salles hors d'eau ne sont accessibles que par des conduits totalement inondés : un équipement complet de plongée est alors nécessaire.

Progression dans le karst de Loren

Figure 14. Progression dans le karst de Loren

Équipement de plongée pour continuer l'exploration.


Progression dans le karst inondé de Loren

Figure 15. Progression dans le karst inondé de Loren

Passage obligé pour rejoindre les salles suivantes


Les karsts de Santo, marqueurs de l'histoire géologique de l'île

L'île de Santo est une île volcanique, aujourd'hui inactive, liée à la subduction de la plaque Pacifique sous la plaque australienne. Le blocage local de la subduction et son inversion au Miocène supérieur ont formé un nouvel arc actif plus à l'Est, lié cette fois à la subduction de la plaque australienne sous la plaque Pacifique.

Les roches calcaires dans lesquelles se forment les karsts se sont formées sur les bords de l'île. L'exploration du karst, et donc du cœur de la roche, permet de retrouver l'origine marine peu profonde des dépôts. Des fragments d'édifices coralliens ont été retrouvés. Les îles tropicales sont souvent ceinturées de coraux, animaux construisant un édifice calcaire, qui habitent les eaux peu profondes, chaudes et lumineuses. Ces coraux abritent une flore et une faune variées et isolent souvent une frange d'eau peu profonde, entre le large et la côte, dans laquelle de nombreux organismes coquilliers ou non de développent. Les coraux et les organismes associés sont à l'origine du sédiment puis de la roche calcaire.

Coraux dans la paroi, grotte d'Amarur

Parmi les organismes marqueurs de ces milieux marins tropicaux peu profonds, des fossiles de bénitiers ont été trouvés. Les bénitiers actuels vivent en Mer Rouge et dans les océans Indien et Pacifique. Leurs couleurs vives en font des animaux recherchés par les aquariophiles.

Un bénitier fossile, détaché de la roche dont il faisait partie (Amarur)

Figure 17. Un bénitier fossile, détaché de la roche dont il faisait partie (Amarur)

Les bénitiers sont des Mollusques Bivalves. Ils développent généralement des symbioses avec des zooxanthelles.


La formation de coraux aujourd'hui accessibles après une ascension dans des collines puis de niveaux de karst exondés ou inondés indiquent de fortes variations du niveau marin relatif.

Tout d'abord, l'île elle-même a changé d'altitude au cours de son histoire. Cet édifice volcanique fut d'abord sous-marin, puis sa croissance l'a fait émergé et atteindre sa taille maximale. Une fois devenu inactive, une île volcanique s'enfonce progressivement sous l'effet de la contraction thermique et d'effondrements gravitaires. L'érosion de surface accélère la disparition de la partie émergée. Un exemple classique pour montrer cet enfoncement progressif est l'alignement des îles volcaniques liées au point chaud actuel d'Hawaï. En remontant vers le Nord-Est, les îles sont de plus en plus vieilles et de moins en moins élevées, puis de plus en plus immergées.

L'autre facteur important, ici, est la variation du niveau global des océans. Ces variations sont très importantes (plus ou moins 200 m) et rapides (quelques milliers d'années) par rapport à l'enfoncement progressif des îles volcaniques (plusieurs millions d'années). Les variations les plus rapides sont dues aux variations du volume des glaces continentales. En période glaciaire, la dernière glaciation remonte à seulement 18000 ans, le stockage d'eau sur les continents sous forme de glace fait baisser le niveau des océans. Les périodes les plus chaudes engendrent une fonte des glaciers et une élévation du niveau des océans.

À Espiritu Santo, l'existence de coraux fossiles en altitude montre que le niveau marin actuel est bien plus bas qu'à l'époque de leur formation, mais qu'il est plus élevé actuellement qu'à l'époque de formation des parties aujourd'hui inondées et situées sous le niveau de l'océan.

Quelques références à consulter

  1. Site Planet-Terre, rechercher "karst" pour trouver, entre autres, les articles de Michel Bakalowicz, Pierre Thomas, etc.
  2. Site Santo 2006 : partie "grand public" et partie "éducative".