Image de la semaine | 15/02/2010

Miroir de faille décrochante : faille du Vuache, la Petite Balme, Sillingy (Haute Savoie)

15/02/2010

Auteur(s) / Autrice(s) :

  • Pierre Thomas
    Laboratoire de Sciences de la Terre / ENS de Lyon

Publié par :

  • Olivier Dequincey
    ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Stries sur un miroir de faille en décrochement.


Fond de l'ancienne carrière (réhabilitée) de la Petite Balme de Sillingy (Haute Savoie)
Figure 1. Fond de l'ancienne carrière (réhabilitée) de la Petite Balme de Sillingy (Haute Savoie) — ouvrir l’image en grand

L'exploitation de la carrière a dégagé un superbe miroir de faille décrochante. On distingue très bien l'aspect strié du miroir, avec des stries sub-horizontales. Ce miroir, comme de nombreux miroirs, n'est pas plan, mais ondulé. La direction du mouvement est parallèle à la direction d'allongement des ondulations, parfois nommées « cannelures ». Ce miroir de faille s'est bien sur fait « en profondeur ». Mais l'érosion et l'exploitation de la carrière ont partiellement « enlevé » une partie du compartiment de droite, mettant au jour le miroir de faille. Au fond de cette partie de la carrière, le compartiment de droite a été préservé, et on voit le plan de faille pénétrer dans les calcaires.

Apres avoir vu des horsts limités par failles inverses (pop-up) à rejet millimétrique, puis un hort limité par des failles normales à rejet décamétrique voici une faille décrochante avec un rejet, senestre, de 1,5 km.

Les figures 1 à 5 montrent diverses vues plus ou moins rapprochées du miroir de faille et de ses stries. Ces photographies ont toutes été prises dans une ancienne carrière, maintenant réhabilitée, située ai lieu dit la Petite Balme sur la commune de Sillingy (Haute Savoie).

Quand on voit un miroir de faille, et en l'absence de niveau repère visible décalé (ce qui est souvent le cas pour une faille décrochante observée sur un affleurement présentant une paroi verticale), il faut observer les stries tectoniques de très près pour trouver des indices du sens de mouvement et pour savoir si le mouvement (horizontal) est dextre ou sénestre.

relation géométrique entre failles décrochantes et directions d'allongement (A) et de raccourcissement (R) horizontaux
Figure 6. relation géométrique entre failles décrochantes et directions d'allongement (A) et de raccourcissement (R) horizontaux — ouvrir l’image en grand

Les flèches rouges A et R représentent respectivement les directions d'allongement et de raccourcissement horizontaux.

Les stries théoriques sur les miroirs de faille sont figurées par de fins traits bleus. Dans ce cas théorique simple, la direction d'allongement horizontal (A) est parallèle à la contrainte minimale σ3 et la direction de raccourcissement horizontal (R) est parallèle à la contrainte maximale σ1. En théorie, les failles font un angle de 30 à 45° par rapport à la direction de la contrainte maximale, donc 60 à 45° par rapport à la direction de la contrainte minimale. La faille de gauche est dite senestre car un observateur situé sur l'un des deux compartiments séparés par cette faille verrait l'autre compartiment partir vers sa gauche. La faille de droite est dite dextre car un observateur situé sur l'un des deux compartiments verrait l'autre partir vers sa droite.

Quand on observe de près le miroir principal de la faille de la Balme de Sillingy, on ne voit quasiment aucun critère indiscutable indiquant la direction du mouvement. Ce dernier a été tellement important que la roche directement derrière le miroir a été complètement cassée, broyée par le mouvement. Cette roche broyée par la tectonique est appelée « brèche tectonique », « brèche de faille » ou encore cataclasite. Les derniers mouvements n'ont plus cisaillé la roche elle même, mais la brèche tectonique engendrée depuis le début du fonctionnement de la faille. Cette brèche tectonique a été quasiment polie par ces derniers mouvements. Ce polissage a presque complètement oblitéré les critères usuels permettant de déterminer le sens du mouvement sur un miroir de faille (stries stylolitiques, écailles de calcite…).

Comment connaître le sens du mouvement le long de ce décrochement ? On pourrait chercher sur le miroir principal des zone ayant échappé au polissage, ou des failles annexes parallèle à la faille principale, failles annexes où le mouvement plus faible a permis la préservation des usuels critères de cinématique.

On peut aussi faire une étude régionale. Ce miroir de faille se trouve sur le flanc NO d'un anticlinal, anticlinal apparemment décalé par un décrochement senestre (figures suivantes), décrochement sans doute complexe et composé de plusieurs failles élémentaires, et appelé « faille du Vuache ». Le rejet de ce décrochement est d'environ 1,5 km.

Il existe une autre méthode pour connaître le sens du mouvement d'un décrochement, lorsque celui-ci est encore actif : étudier le mécanisme au foyer de séismes qui auraient lieu sur cette faille. Il y a justement eu un séisme important (magnitude 5,2, quelques dégâts matériels, aucun mort) le 15 juillet 1996, séisme connu sous le nom de séisme d'Epagny(lien externe - nouvelle fenêtre) (ou d'Annecy). Le mécanisme au foyer de ce séisme est compatible avec le mouvement senestre d'une faille NO-SE.

Bloc diagramme montrant le fonctionnement de la faille du Vuache lors du séisme de magnitude 5,2 du 15 juillet 1996 (Épagny-Annecy)
Figure 15. Bloc diagramme montrant le fonctionnement de la faille du Vuache lors du séisme de magnitude 5,2 du 15 juillet 1996 (Épagny-Annecy) — ouvrir l’image en grand

Ce séisme est connu sous le nom de séisme d'Épagny (commune limitrophe au SE de Sillingy), ou encore séisme d'Annecy.

Le foyer du séisme était localisé à l'aplomb de la faille du Vuache. Le mécanisme au foyer de ce séisme (à gauche) est compatible avec un fonctionnement senestre de cette faille (les cadrans noirs représentent les cadrans en élongation, contenant σ3, et les cadrans blancs représentent les cadrans en raccourcissement, contenant σ1). Ce schéma nécessairement simplifié laisse croire à tort que toute la faille a coulissé, depuis le Jura jusqu'au lac d'Annecy. En fait, seule une portion de 5 km de la faille a coulissé, comme l'a montré l'analyse des répliques. Les plis (anticlinaux) dont la charnière a une direction approximativement N-S sont approximativement perpendiculaires à la direction de raccourcissement, approximativement E-W (flèche rouge de droite). La faille décrochante du Vuache (de direction approximative NO-SE) a bien une direction orientée approximativement à 45° de la direction de raccourcissement.

Les stries visibles sur le miroir de faille des figures 1 à 7 ne résultent bien sûr pas du séisme de 1996. Les stries se font en profondeur, quand les deux compartiments frottent l'un sur l'autre. À la Balme de Sillingy, l'érosion (et les mouvement anciens) ont exhumé cette partie du miroir. Des nouvelles stries ont dû se faire en profondeur lors du séisme de 1996. Peut-être des géologues pourront-ils les étudier à « l'ère Quinquénaire » si l'érosion dégage de nouvelles surfaces profondes de ce miroir.

Si on estime l'âge du pli de la Petite Balme de Sillingy à 10 Ma (ce qui est raisonnable dans le contexte régional), et si on retient l'hypothèse de l'anticlinal cisaillé par un décrochement senestre, on peut calculer la vitesse moyenne du mouvement le long de cette faille. Un déplacement de 1,5 km en 10 Ma, cela correspond à une vitesse moyenne de 0,15 mm/an (1,5 cm/siècle). Il s'agit d'une vitesse environ 50 fois plus lente que celle de la faille d'Enriquillo qui a joué lors du séisme d'Haïti du 12 janvier 2010.