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Image de la semaine | 20/05/2024

Les bois silicifiés de Biot – Villeneuve-Loubet (Alpes Maritimes)

20/05/2024

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Troncs silicifiés dans des pyroclastites andésitiques et rôle de la géologie locale sur l’activité humaine (pierres à four, poteries et jarres).


Vue d'ensemble d'une tranche polie de bois silicifié provenant de niveaux sédimentaires intercalés dans les dépôts pyroclastiques andésitiques de l'Oligocène supérieur (≈ 30 Ma) de Biot – Villeneuve-Loubet (Alpes Maritimes)

Nous avons vu la semaine dernière que des éruptions volcaniques oligocènes avaient recouvert la région de Biot – Villeneuve-Loubet de 100 à 200 m de niveaux pyroclastiques andésitiques (cf. Le volcanisme andésitique oligocène de Biot – Villeneuve-Loubet (près d'Antibes) et du Cap d'Ail (près de Monaco), Alpes Maritimes). Des niveaux sédimentaires déposés entre deux éruptions sont intercalés dans la série. Trois de ces niveaux contiennent des fossiles de végétaux, en particulier des bois silicifiés. La notice de la carte géologique à 1/50 000 de Grasse-Cannes décrit ces niveaux comme suit.

Les niveaux à végétaux fossiles. On trouve à la base de certains niveaux volcaniques des bois carbonisés dont l'étude par spectroscopie infrarouge montre qu'ils ont été portés à des températures de 350° à 400°C. Trois niveaux particuliers à végétaux fossiles, pour la plupart non carbonisés, sont intercalés dans la formation (Rostan, 1981 ; Frölich et al., 2001). Le premier, sédimentaire et d'épaisseur métrique, est situé dans la partie inférieure de la formation ; il contient des débris de bois et des feuilles fréquemment pliées. Le second, également sédimentaire, épais de 20 m, est assez continu pour être représenté sur la carte. Il est situé à la partie moyenne de la formation et peut être considéré comme un horizon stratigraphique repère. Il contient de nombreux troncs ou fragments de troncs d'arbres silicifiés (originellement, longueur dépassant 12 m pour 1,2 m de diamètre), dont certains en position de vie, ainsi que beaucoup de débris végétaux. Le troisième, situé vers le sommet de la formation, est représenté par des fragments de troncs et de plantes silicifiés ou carbonisés, disséminés à la base d'un niveau d'agglomérat. En dehors des bois silicifiés, cantonnés à des niveaux particuliers, les phénomènes de silicification se marquent par des remplissages siliceux de fractures sous forme de veines et veinules d'opale noire ou vert-bleue (Frölich et al., 2001). Du chrysocolle (silicate de cuivre hydraté) lui est associé (Giraud, 1983).

On peut expliquer la silicification du bois de la façon suivante. Une fois ensevelis par des cendres volcaniques et préservés des xylophages et autres moisissures, les constituants organiques de ces arbres (lignine et cellulose principalement, voire carbone quasi pur en cas de recouvrement par des cendres très chaudes) ont très lentement été décomposés (par des bactéries) et/ou dissous/oxydés (par les eaux très siliceuses et acides circulant dans les cendres volcaniques (cf. figure 21 de Le volcanisme andésitique oligocène de Biot – Villeneuve-Loubet (près d'Antibes) et du Cap d'Ail (près de Monaco), Alpes Maritimes). Dès que de la place, si minime soit-elle, était libérée par la disparition des composés carbonés, cette place était occupée par de la silice précipitant à partir des eaux circulantes, silice qui remplaçait donc, micromètre cube après micromètre cube, le matériel carboné. Ce type de silicification est suffisamment fin et progressif pour préserver la structure du bois. La silice qui a remplacé le bois est principalement sous forme d'opale (silice quasiment amorphe) et/ou de calcédoine (silice cryptocristalline). Cette silice est souvent colorée (par des oxydes de fer et/ou de manganèse) en brun rouge à brun noir.

Ouvert en 1980, le Musée d'Histoire et de Céramique Biotoises, situé à Biot, était initialement consacré à l'histoire biotoise et à ses céramiques, d'où son nom. Puis, ce musée a pris conscience que le patrimoine local n'était pas « qu'humain et historique », mais aussi géologique. Il a acquis en 2018 ces magnifiques échantillons de bois silicifié (ainsi que d'autres curiosités minéralogiques, voir figures 7 et 8).


Échantillons d’“accidents siliceux” (opale) dans une vitrine du Musée d'Histoire et de Céramique Biotoises

Figure 7. Échantillons d’“accidents siliceux” (opale) dans une vitrine du Musée d'Histoire et de Céramique Biotoises

De tels “accidents siliceux” (opale) sont décrits dans la notice de la carte géologique à 1/50 000 de Grasse-Cannes.

On voit ici des opales noires et bleu-vert. Cette couleur “verte” serait due à des sels de cuivre (fréquents dans les roches volcaniques basiques, cf., par exemple, les figures 11 à 28 de Les ophiolites en 180 photos – 7/7 L'hydrothermalisme), en particulier du chrysocolle, (Cu,Al)2H2Si2O5(OH)4·nH2O.


Échantillon d'opale bleue-vert du Musée d'Histoire et de Céramique Biotoises

Quand on se promène dans les environs de Biot – Villeneuve-Loubet, il est très difficile de voir du bois silicifié en place, ce qu'on ne peut que regretter quand on lit la description qu'en fait la notice de la carte géologique de Grasse-Cannes (« arbres silicifiés, longueur dépassant 12 m pour 1,2 m de diamètre, dont certains en position de vie »). Outre ceux qui sont maintenant “préservés” dans les musées et les collections universitaires, beaucoup de ces bois silicifiés ont été collectés par des amateurs (ce qui n'est pas trop grave s'ils ne sont pas très nombreux) et hélas vandalisés par des “pilleurs de gites” à fin d'échange et de vente. En outre, un dépotoir (pompeusement appelé centre d'enfouissement technique) a été installé sur la commune de Villeneuve-Loubet, juste au-dessus de la zone la plus riche en bois silicifié, m'a-t-on dit. Malgré cette “non sauvegarde”, une amie biotoise m'a montré un morceau de bois silicifié perdu dans des broussailles. Malgré la terre, le voile bactérien…, et même sans un bon brossage, on peut reconnaitre la structure du bois. Décidément, contrairement à de nombreux pays voisins comme l'Espagne (cf., par exemple, la comparaison Espagne / France, figures 25 et 26 de Les trois plus beaux affleurements de la limite K-T en Pays Basque : Bidart, Baie de Loya et Zumaia), la France, les régions, les départements, les communes, les associations de protection de la nature… sont encore très loin d'avoir la volonté et/ou la capacité de protéger et de valoriser leur patrimoine géologique, même si cela commence timidement. Heureusement que la Namibie (cf. Une "forêt pétrifiée" de gymnospermes permiens du Damaraland, près de Khorixas, Namibie) ou les États-Unis (cf. Habitations en bois silicifié dans l'Arizona et le Dakota du Sud (USA)) ont mieux protégé leurs bois silicifiés que les Alpes Maritimes.

À défaut de trouver du bois silicifié in situ, et après avoir visité le musée de Biot, on peut se promener dans les rues de Biot, de Villeneuve-Loubet et des hameaux environnants. En cherchant bien, ou si on est guidé par un habitant sensibilisé au patrimoine géologique de sa région (il y en a), on peut voir, dans certains vieux murs, des fragments de bois silicifié. Nous vous en montrons sept photographies (que nous ne localiserons pas).

Les secteurs de Biot – Villeneuve-Loubet, d'Antibes et du Cap d'Ail ne sont pas les seuls dépôts de pyroclastites andésitiques. Il y a aussi le secteur dit du « synclinal de Saint-Antonin », à 35 km au Nord de Biot (cf. Un volcanisme français ignoré voire « interdit » : le volcanisme andésitique oligocène de la plaque européenne des Alpes franco-suisses). En 2003, lors d'un stage de terrain avec des étudiants, nous avons trouvé un beau morceau de bois silicifié, hélas non en place, mais dans un tas de cailloux résultant de l'éboulement de vieux murs limitant de vieilles terrasses agricoles. Cet échantillon de bois silicifié est maintenant dans les collections de l'ENS Lyon. Nous vous en montrons quatre photographies. Dans le même secteur, nous avons découvert un affleurement de pyroclastites andésitiques contenant un fragment de bois, bois carbonisé et non pas silicifié. Nous vous montrons deux photographies de cet affleurement.

L'une des faces d'un morceau de bois silicifié trouvé en 2003 dans le synclinal de Saint-Antonin (Alpes Maritimes)

Figure 18. L'une des faces d'un morceau de bois silicifié trouvé en 2003 dans le synclinal de Saint-Antonin (Alpes Maritimes)

On distingue très bien la structure du bois, avec en particulier de beaux nœuds.


Détail de l'une des faces d'un morceau de bois silicifié trouvé en 2003 dans le synclinal de Saint-Antonin (Alpes Maritimes)

Figure 19. Détail de l'une des faces d'un morceau de bois silicifié trouvé en 2003 dans le synclinal de Saint-Antonin (Alpes Maritimes)

On distingue très bien la structure du bois, avec en particulier de beaux nœuds.




Affleurement de pyroclastites andésitiques dans le synclinal de Saint-Antonin (Alpes Maritimes)

Figure 22. Affleurement de pyroclastites andésitiques dans le synclinal de Saint-Antonin (Alpes Maritimes)

On voit un morceau de bois carbonisé juste au-dessus du marteau.


Détail d’un morceau de bois carbonisé inclus dans les pyroclastiques andésitiques du synclinal de Saint-Antonin (Alpes Maritimes)

Figure 23. Détail d’un morceau de bois carbonisé inclus dans les pyroclastiques andésitiques du synclinal de Saint-Antonin (Alpes Maritimes)

Les fibres du bois sont parfaitement visibles. Quel dommage qu'il n'ait pas été silicifié !


Le Musée d'Histoire et de Céramique Biotoises expose surtout des témoignages de l'histoire et de l'artisanat et industrie locales. Et cette histoire a été fortement influencée par la géologie en générale, et par les pyroclastites andésitiques en particulier. Certains niveaux de cendres fines et de granulométrie homogène (cendres appelées cinérites dans ce cas) ont été exploités en carrière à cause de leur bonne tenue mécanique et de leur résistance au feu. Elles ont principalement été exploitées aux XVIIIe et XIXe siècles. Elles servaient à faire des fours à pain, des fourneaux de cheminées, et surtout des fours de potier, et étaient de ce fait appelées « pierres à four ». Le musée expose des morceaux de four, des outils d'époque et des photographies d'ouvriers travaillant ces cinérites.

Pièce d'un four taillée dans des cinérites et outils utilisés par les carriers et les tailleurs, musée de Biot (Alpes Maritimes)

Figure 24. Pièce d'un four taillée dans des cinérites et outils utilisés par les carriers et les tailleurs, musée de Biot (Alpes Maritimes)

Les photos suivantes montrent des détails des photos attachées au mur du fond.


Affiche du musée expliquant ce qu'est la « pierre à four » de Biot


Une autre particularité géologique (qui n'a aucun rapport avec le volcanisme oligocène) a rendu cette région très célèbre : ce sont ses argiles à poterie et à céramique. Les céramiques de Vallauris sont connues dans le monde entier ; elles étaient élaborées principalement avec des argiles du Jurassique (Bathonien moyen et supérieur, j3b). Mais ce sont les jarres qui ont fait la célébrité de Biot, comme l'indique le site du musée et les panneaux exposés qu'on peut voir sur les figures 28 et 29, ci-dessous. Pour leurs jarres, les potiers de Biot utilisaient, eux, des argiles de l'Éocène, et surtout du Pliocène supérieur (Plaisancien), Pliocène que l'on trouve juste à l'Est et au Sud-Est de Biot. La proximité géographique entre les cinérites pour confectionner les fours à poterie, de l'argile pour les poteries elles-même, et des vignes et oliveraies pour “remplir” les jarres avec vin et huile explique (en partie) le développement des jarres de Biot. Pour la glaçure et l'étanchéité interne, les potiers de Biot utilisaient l'alquifoux, mélange de sulfure de plomb (75 %), de sable et d'argile qui, après cuisson, se transforme en alumino-silicate de plomb imperméable et étanche. Bonjour la toxicité ! Au XXIe siècle, on n'emploie heureusement plus de sels de plomb pour les récipients alimentaires (toxicité), mais on continue à employer de nombreux pesticides sur les vignes et les oliviers.

Et on ne peut que regretter que le musée, s'il détaille à juste titre la technique d'élaboration de ces jarres, l'histoire de cet artisanat et de ce commerce… ne dise mot ni de l'origine (géographique et géologique) des argiles, ni de celle du sulfure de plomb (galène, PbS)…

Jarres de Biot exposées au Musée d'Histoire et de Céramique Biotoises (Alpes Maritimes)

Figure 27. Jarres de Biot exposées au Musée d'Histoire et de Céramique Biotoises (Alpes Maritimes)

Au-dessus, des panneaux (détaillés sur les figures suivantes) racontent l'histoire de ces jarres.


Panneau explicatif racontant l'histoire des jarres de Biot (Alpes Maritimes)


Localisation des principaux gisements de pyroclastites andésitiques oligocènes des Alpes Maritimes

Figure 30. Localisation des principaux gisements de pyroclastites andésitiques oligocènes des Alpes Maritimes

Pyroclastites du Cap d'Ail, de Biot – Villeneuve-Loubet et du synclinal de Saint-Antonin. Les affleurements de Biot – Villeneuve-loubet et du synclinal de Saint-Antonin sont “riches” en bois fossiles.