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Le volcanisme andésitique oligocène de Biot – Villeneuve-Loubet (près d'Antibes) et du Cap d'Ail (près de Monaco), Alpes Maritimes
13/05/2024
Résumé
Coulées pyroclastiques provençales et volcanisme calco-alcalin oligocène dans l’arc alpin franco-italo-suisse en lien avec un détachement lithosphérique.
Le volcanisme andésitique oligocène des Alpes Maritimes est l’un des volcanismes “récents” les plus méconnus de France, et pourtant, il est riche d'enseignements. La notice de la carte géologique à 1/50 000 de Grasse-Cannes décrit les affleurements du secteur d'Antibes comme suit.
g1E(α). Dépôts d'écoulements pyroclastiques andésitiques. Ils forment d'importants affleurements dans les secteurs de Biot – Villeneuve-Loubet (le Terme Blanc, les Aspres, la Vanade, le Jas Madame) et du Cap d'Antibes (0,5 x 2,5 km), ainsi que d'autres affleurements isolés de taille très réduite, à Roquefort-les-Pins, à l'Est de la Gaude (Chapelle Sainte-Pétronille) et près de Saint-Vallier-de-Thiey (Villa Maure). L'affleurement de Biot – Villeneuve-Loubet, le plus étendu (5 x 5 km), se présente comme une ample structure synclinale d'axe N140. La puissance maximale observée y atteint 200 m. C'est celui qui, en raison de bonnes conditions d'observation dues à une urbanisation encore limitée, se prête le mieux à la description des caractères de cette formation.
Âge. Les formations volcaniques reposent le plus souvent sur les marnes bleues priaboniennes (e7-6, ≈ 35 Ma) […]. La formation andésitique est recouverte localement par les argiles pliocènes. Des galets et des blocs d'andésite sont remaniés dans le conglomérat basal de la molasse burdigalienne (m1, ≈ 20 Ma) de Vence, ce qui fournit une limite supérieure pour l'âge du volcanisme. Des datations radiométriques relativement anciennes par la méthode K/Ar (Baubron, 1974 ; Baubron,1980, inédit ; Bellon et Brousse, 1971 ; Bellon et Giraud, 1978, inédit) ont fourni un spectre d'âges assez large allant de 50 à 22 Ma (Giraud, 1983). Cependant H. Bellon (1981) restreint ce spectre à 32,5-30,8 Ma pour les affleurements de Biot – Villeneuve-Loubet – Antibes, […]. Par ailleurs, des datations récentes (Féraud et al., 1995) par la méthode 40Ar/ 39Ar des intrusions d'estérellite (feuille Fréjus-Cannes) et des volcanites andésitiques de Saint-Antonin (feuille Roquesteron), dont la contemporanéité avec cette formation est admise et qui présentent les mêmes caractères pétrochimiques, ont fourni un âge moyen de 31 Ma. Ainsi, ces données, tant stratigraphiques que radiométriques, indiquent un âge oligocène inférieur pour ce volcanisme. […]
Caractères. La formation andésitique, grossièrement stratifiée, est constituée d'alternances de niveaux métriques à décamétriques de cinérites, de tufs à lapillis ponceux ou scoriacés, d'agglomérats ou de brèches, et de quelques niveaux sédimentaires ou volcano-sédimentaires. Les cinérites, à texture fine, sont constituées de fragments vitreux compactés et souvent dévitrifiés, de cristaux automorphes éclatés à enveloppe vitreuse et, parfois, de quelques lapilli scoriacés ou ponceux. Certains niveaux sont très riches en cristaux automorphes (« cristal lapilli »), principalement des plagioclases. On trouve souvent à la partie supérieure des niveaux cinéritiques des fentes de dessication (mud-craks) témoignant d'une mise en place aquatique sous faible tranche d'eau. Les agglomérats, brèches et tufs contiennent des éléments volcaniques vésiculés ou massifs, anguleux comme arrondis, parfois fluidaux et striés, pouvant dépasser le m3. D'aspect chaotique, ils présentent un caractère strictement monogénique. Le ciment contient une phase vitreuse abondante, montrant parfois une soudure à chaud. […] La présence de filons ainsi que de necks d'andésite démantelés dans les secteurs du Terme Blanc et des Hauts de Vaugrenier est révélée par des alignements d'amas de blocs et attestée par des mesures géophysiques. Dans l'affleurement du Cap d'Antibes, plusieurs filons ont été reconnus, dont celui de la Pointe du Crouton qui est accessible.[…]. Et on trouve à la base de certains niveaux volcaniques des bois carbonisés dont l'étude par spectroscopie infrarouge montre qu'ils ont été portés à des températures de 350° à 400°C.
Pétrographie des laves. Les andésites s.l. de couleur brune à gris brun sont des laves microlitiques très porphyriques, parfois vésiculées. Les phénocristaux sont des plagioclases zonés (bytownite à labrador), des clinopyroxènes (augite) et souvent aussi de l'orthopyroxène (hypersthène), ainsi que parfois de l'amphibole (hastingsite à édenite). Ils sont associés à des microlites de plagioclases en baguettes (labrador) et à des microcristaux de pyroxène dans une mésostase vitreuse. Les minéraux accessoires sont des opaques (titanomagnétite et magnétite), de l'apatite et du zircon. On trouve dans ces roches des enclaves homéogènes de même composition et à texture grenue. Dans la nomenclature de A. Peccerillo et S.R. Taylor (1976), basée sur le diagramme K2O/SiO2, ces roches correspondent à des basaltes, des andésites basaltiques, des andésites et des dacites. Les andésites basaltiques et les andésites sont prédominantes, les basaltes peu représentés et les dacites très rares. Les basaltes (SiO2 < 52 %) et les andésites basaltiques (52 % < SiO2 < 56 %) sont à plagioclase et clinopyroxène ou deux pyroxènes, avec dans un seul cas de l'olivine. Les andésites (56 % < SiO2 < 63 %) sont à plagioclase, clinopyroxène ou deux pyroxènes, et parfois amphibole. Les données géochimiques montrent que ces roches, alumineuses et moyennement à fortement potassiques, sont à hypersthène et quartz normatifs et qu'elles constituent une série magmatique calco- alcaline. Les andésites du gisement de la Villa Maure se distinguent toutefois par une plus grande richesse en K2O.
Tout cela montre que le volcanisme était important, avec un caractère explosif marqué et que les centres émissifs étaient proches des actuels affleurements de brèches, puisque que celles-ci contiennent des blocs de plusieurs mètres cubes et se sont déposées à haute température avant d'avoir eu le temps de refroidir. Ce ne sont pas des brèches résultant de l'érosion et du transport de matériel issu de massifs volcaniques lointains déjà "refroidis", mais, au moins localement, de véritables coulées pyroclastiques. Ces brèches volcaniques, épargnées par l'érosion, ont été émises dans les Alpes Maritimes et non pas beaucoup plus loin à l'Est ou au Sud.
Ce volcanisme andésitique oligocène inférieur pose une question géologique majeure. Chronologiquement, il se place bien après la fin de la subduction alpine (subduction terminée au Crétacé supérieur / Paléocène), au milieu de la phase de collision (Éocène à actuel), et bien avant la phase d'ouverture de la Méditerranée occidentale (rotation du bloc corso-sarde) qui a débuté vers 20 Ma (Miocène inférieur). La nature andésitique du volcanisme pourrait faire penser à une subduction, mais il n'y a pas de subduction oligocène inférieur dans le voisinage. Alors, quel est l'origine de ce volcanisme ? Nous le verrons à la fin de cet article après avoir vu d'autres affleurements dans le secteur de Biot – Villeneuve-Loubet et dans le secteur du Cap d'Ail, 25 km plus à l'Est, à proximité de Monaco.
Source - © 2024 BRGM / Infoterre, modifié – Giraud (1983) / geocaching
Source - © 1993 Jacques Guarinos
Ces affleurements et ces roches posent un certain nombre de questions fondamentales quant à l'origine de ces nuées ardentes et coulées pyroclastiques andésitiques à l'Oligocène inférieur dans les Alpes Maritimes. Mais avant de discuter de l'origine locale de ces andésites provençales, on doit remarquer qu'il existe d'autres affleurements semblables (bien que discrets) tout au long de l'arc alpin, des Alpes Maritimes (et de l'Est du Var) au Valais suisse, avec le même âge, la même chimie (cf. Un volcanisme français ignoré voire « interdit » : le volcanisme andésitique oligocène de la plaque européenne des Alpes franco-suisses) sous forme de pyroclastites ou de filons et sills… Et “coexistant” avec des filons d'andésites, il existe des équivalents grenus (même âge et même chimie) plus à l'Est, en Italie (cf. Filons d'andésite et les intrusions de diorite oligocènes (post-subduction) d'Italie du Nord, témoins magmatiques d'un détachement lithosphérique également à l'origine des andésites des Alpes françaises). L'origine que l'on proposera pour ce volcanisme provençal devra aussi expliquer tout ce magmatisme calco-alcalin oligocène alpin.
Face à ce problème, j'ai constaté plusieurs attitudes chez les collègues et chez les étudiants.
- La première attitude consiste à (faire semblant d') ignorer ce magmatisme. C'est assez facile pour les non provençaux, car ces affleurements sont de (relativement) petite taille, et il faut regarder de très près la carte géologique à 1/1 000 000 pour les voir. C'est plus difficile à ignorer quand on habite dans les Alpes Maritimes.
- La deuxième attitude consiste à penser : « andésite = subduction ». Alors, ce volcanisme provençal serait une manifestation de la subduction de l'ancien océan alpin. Cette interprétation se heurte à deux problèmes : (1) à l'Oligocène, on est en pleine phase de collision, et la subduction alpine est finie depuis longtemps, et (2) ce magmatisme se trouve aussi bien sur la plaque européenne que sur la plaque africaine (apulienne) contrairement au volcanisme de subduction qui n'affecte que la plaque “supérieure” (“chevauchante”).
- La troisième attitude consiste à relier ce volcanisme à l'ouverture de la Méditerranée occidentale et à rotation du bloc corso-sarde. Cette interprétation se heurte aussi à deux problèmes : (1) cette ouverture ne commence qu'à l'Oligocène-terminal / Miocène inférieur, et (2) le volcanisme associé à l'ouverture d'un bassin océanique génère des basaltes (alcalins et/ou tholéiitiques) et non pas des andésites (cf., par exemple, Les slumps et les pillow lavas crétacés d'Armitza, Pays basque espagnol).
- La quatrième attitude consiste à faire “rentrer de force” ce volcanisme provençal dans la doxa de l'Éducation nationale et des médias. Puisque les andésites sont “forcément” liées à une subduction, cherchons une subduction oligocène pas trop loin. Et ça tombe bien, il en existe très vraisemblablement une à l'Oligocène inférieur, au Sud du bloc corso-sarde (alors “collé” à la Provence), subduction ancienne dont la subduction éolienne actuelle serait un “reste” (cf. figure 6 de Le volcanisme d'Auvergne, un point chaud ?). Cette interprétation, à la rigueur possible pour le volcanisme situé sur la Côte d'Azur, ne peut pas expliquer l'existence d'un magmatisme calco-alcalin beaucoup plus au Nord et à l'Est (jusque dans le Valais Suisse ou la région des grands lacs italiens). Rappelons que la nature n'a pas à “obéir” aux programmes, mais que c'est aux programmes de décrire et d'expliquer la nature.
Quelle origine propose-t-on pour ce magmatisme en ce premier quart du XXIe siècle ? On explique ce magmatisme par le phénomène dit de rupture de panneau plongeant ou de détachement lithosphérique (en anglais lithospheric breakdown appelé aussi slab breakoff) qui fut proposé pour la première fois en 1995 par von Blanckenburg et Davies[1], et exposé sur Planet-Terre dès 2002 (cf. Le volcanisme andésitique dans les Alpes). Un tel magmatisme est actuellement en cours en Anatolie (cf. Le plus méconnu des volcanismes, le volcanisme des zones de collision, et son volcan actif le plus emblématique : le Mont Ararat (Turquie orientale). En contexte de collision alpine, cette activité magmatique calco-alcaline serait une conséquence directe du détachement d'un panneau lithosphérique “européen” subduit. Ce détachement de la lithosphère plongeante entrainerait une remontée asthénosphérique, pour "remplacer" le fragment de slab détaché descendant. Cette remontée (donc cette décompression) d'un manteau asthénosphérique métasomatisé entraine sa fusion partielle et la production d'un magma calco-alcalin. Cette remontée de l'asthénosphère jusqu'au niveau du Moho continental et l'abondant magma calco-alcalin entrainent aussi une augmentation de température de toute la partie inférieure de la croute continentale et son éventuelle fusion partielle. Le magma mantellique peut éventuellement, au cours de son ascension, se différencier et/ou être contaminé par la traversée de la croute continentale. Il peut aussi se mélanger au magma provenant de la fusion de la croute continentale. L'importance relative de ces différentes contributions explique les variations pétrographiques et géochimiques observées sur l'ensemble de l'arc alpin. Dans le cas du magmatisme provençal où les termes acides sont très minoritaires, différenciation, contamination et hybridation n'ont eu lieu que très marginalement.
Source - © 2016 Pierre Thomas
Ce massif volcanique andésitique est bien sûr constitué de terrains silicatés, peu fréquents dans cette région d'Antibes majoritairement calcaire. C'est à l'origine d'une végétation particulière dans le secteur, végétation parfois dite « silicicole », ce qui a entrainé le classement de certains secteurs de la zone en site Natura 2000. On trouve dans les dossiers officiels la justification de ce classement, comme, par exemple, pour le site NATURA 2000 Dôme de Biot. Les principaux enjeux de ce site “Dôme de Biot” correspondent à la présence de plusieurs espèces et habitats naturels d'intérêt communautaire (mares temporaires méditerranéennes, parcours sub-steppiques et forêt alluviale). Le site abrite également 4 espèces de faune d'intérêt communautaire, notamment 3 espèces de chiroptères. Le site revêt aussi une importance particulière pour les reptiles, amphibiens et insectes patrimoniaux. Protéger une surface significative de ce secteur est une excellente chose dans cette région à l'urbanisation “débridée”.
Mais, dans les divers documents concernant ce site Natura 2000, la place de la nature géologique de cette zone est souvent minime. Et pourtant, nous verrons la semaine prochaine qu'il y aurait beaucoup plus rare à protéger et à valoriser dans cette zone de Biot – Villeneuve-Loubet que quelques espèces de chauve-souris ou de xérophytes, et même que des pyroclastites andésitiques, fussent-elles les plus belles de France métropolitaine.
[1] F. von Blanckenburg, J.H. Davies, 1995. Slab breakoff: A model for syncollisional magmatism and tectonics in the Alps, Tectonics, 14, 1, 120-131 [Full Access]