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Image de la semaine | 27/02/2023

Les GSSP (Global boundary Stratotype Section and Point) de Zumaia (Pays Basque espagnol), les limites internationalement reconnues de la base du Thanétien et du Sélandien (Paléocène)

27/02/2022

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Définition d’un étage stratigraphique par ses limites plutôt que par un stratotype (affleurement de référence), les points stratotypiques mondiaux et leurs “clous d’or”.


Un « clou d'or », en fait un piton de bronze (ou d'un autre métal inoxydable), planté au niveau de la limite des strates du Thanétien (à gauche) et du Sélandien (à droite), un des deux GSSP de Zumaia (Pays basque espagnol)

Figure 1. Un « clou d'or », en fait un piton de bronze (ou d'un autre métal inoxydable), planté au niveau de la limite des strates du Thanétien (à gauche) et du Sélandien (à droite), un des deux GSSP de Zumaia (Pays basque espagnol)

Les strates sont quasi-verticales. Thanétien (56 à 59,2 Ma) et Sélandien (59,2 à 61,6 Ma) sont les deux plus jeunes étages du Paléocène, au début du Cénozoïque.


Position du clou d'or (flèche rouge) du GSSP Thanétien/Sélandien sous et à droite du panneau disposé là par les autorités compétentes pour indiquer la position de cette marque

Figure 2. Position du clou d'or (flèche rouge) du GSSP Thanétien/Sélandien sous et à droite du panneau disposé là par les autorités compétentes pour indiquer la position de cette marque

Ce panneau n'est pas fixé à un mur en moellons contrairement aux apparences, mais bien sur une couche de grès calcaire verticalisée et diaclasée.



L'unité de base de l'échelle stratigraphique est l'étage. En géologie, un étage correspond à une “succession” de strates ayant un même contenu fossilifère (vis-à-vis des fossiles stratigraphiques). Historiquement, un étage était défini par un stratotype, affleurement remarquable (ou ensemble d'affleurements) caractéristiques de cet étage. Le stratotype initial est maintenant souvent appelé holostratotype. Un néostratotype peut remplacer l'holostratotype si les conditions d'affleurements ou la “richesse géologiques” s'avèrent y être meilleures. Un exemple de stratotype “historique”, celui du Toarcien, a déjà été présenté dans Le stratotype du Toarcien à Sainte Verge, banlieue de Thouars (Deux-Sèvres).

La tendance actuelle pour définir un étage complet n'est plus une coupe de référence unique et complète. Un étage dure « un certain temps ». Par exemple, le Toarcien dure près de 9 millions d'années, et beaucoup de choses peuvent arriver pendant 9 Ma (arrêt de sédimentation voire érosion, changement paléogéographiques…). On préfère maintenant définir des limites (ou frontières) séparant deux étages, limites forcément plus brèves donc plus précises qu'une importante épaisseur de terrain. La Commission Internationale de Stratigraphie (ICS en anglais) et l'Union Internationale des Sciences Géologiques (IUGS en anglais) définissent ainsi un Global boundary Stratotype Section and Point, les fameux GSSP, appelé parfois Point Stratotypique Mondial (PSM) en français. Un GSSP français a déjà fait l'objet d'une image de la semaine : Les alternances marno-calcaires, les slumps et le GSSP (Global boundary Stratotype Section and Point) de la base de l'Hauterivien (Crétacé inférieur) de La Charce (Drôme). Ces GSSP sont donc des sites remarquables, qui doivent réunir plusieurs conditions : (1) être un dépôt marin, si possible pélagique, (2) être un dépôt continu sans lacune ou surface d'érosion visibles, (3) être un dépôt sans complications sédimentologiques (comme du slumping), sans complications structurales (comme des glissements bancs sur bancs), sans bioturbations et remaniements importants…, (4) permettre la magnétostratigraphie, la chimiostratigraphie… Chaque GSSP, site où a été défini une telle frontière remplissant ces conditions, est matérialisé sur le terrain par un repère artificiel (discret mais permanent), en général un “piton” de bronze classiquement appelé « clou d'or ». Un étage est donc défini par son GSSP basal et par le GSSP basal de l'étage sus-jacent.

Nous allons vous montrer un site géologique remarquable, les environs de Zumaia (ville du Pays basque espagnol) où deux GSSP matérialisés par deux clous d'or sont distants d'à peine une quarantaine de mètres de part et d'autre d'une petite baie : le GSSP matérialisant la base du Thanétien et le GSSP matérialisant la base du Sélandien, étage immédiatement sous-jacent. Ce GSSP de la base du Sélandien est localisé à la limite Danien/Sélandien, le Danien étant l'étage qui précède le Sélandien.

Danien, Sélandien et Thanétien constituent à eux trois l'ensemble du Paléocène. Le stratotype historique du Thanétien a été défini sur la presqu'ile de Thanet (Kent, Angleterre). Celui du Sélandien a une histoire plus complexe et le nom “Sélandien” (du nom de l'ile danoise de Seeland où se trouve un néostratotype) a remplacé le nom de Montien (du nom de la ville belge de Mons où se trouvait l'holostratotype). Le double holostratotype du Danien est quand-à lui situé à Stevns Klint et Faxe, au Danemark.

Le GSSP de la base du Thanétien est défini par la base du chron géomagnétique normal 26n.

Le GSSP de la base du Sélandien correspond à la deuxième radiation d'un groupe des coccolithophoridés, les Fasciculithaceae, à une baisse du niveau de la mer, et au début d'une variation isotopique du carbone.

Nous allons vous montrer d'autres images de cette petite baie de Zumaia, images au Nord de la baie là où se situe le GSSP Sélandien/Thanétien, puis images prises au Sud de la baie, près du GSSP Danien/Sélandien.

Affleurement du GSSP Sélandien/Thanétien, Zumaia (Pays basque espagnol)

Figure 4. Affleurement du GSSP Sélandien/Thanétien, Zumaia (Pays basque espagnol)

Les alternances entre des niveaux gréso-calcaires et des niveaux marno-calcaires traduisent l'origine de ces dépôts, cf. Les flyschs du Crétacé-Tertiaire du Pays Basque : slumps et méga-slumps, turbidites et méga-turbidites..., souvent des turbidites, parfois des sédiments pélagiques.


Vue générale de l'affleurement du GSSP Sélandien/Thanétien, Zumaia (Pays basque espagnol)

Figure 5. Vue générale de l'affleurement du GSSP Sélandien/Thanétien, Zumaia (Pays basque espagnol)

Les alternances entre des niveaux gréso-calcaires et des niveaux marno-calcaires traduisent l'origine de ces dépôts, cf. Les flyschs du Crétacé-Tertiaire du Pays Basque : slumps et méga-slumps, turbidites et méga-turbidites..., souvent des turbidites, parfois des sédiments pélagiques.


Le flanc Nord de la petite baie de Zumaia (Espagne) où se trouvent 2 GSSP

Figure 6. Le flanc Nord de la petite baie de Zumaia (Espagne) où se trouvent 2 GSSP

Un groupe de professeurs de SVT examine le GSSP Sélandien/Thanétien.


Le flanc Nord de la baie de Zumaia (Espagne), vu de plus loin

Figure 7. Le flanc Nord de la baie de Zumaia (Espagne), vu de plus loin

On devine le panneau indiquant le GSSP Sélandien/Thanétien au tiers gauche de la photo. Les strates sous la maison et au premier plan correspondent au Danien. Ce Danien est détaillé dans Failles affectant une série marno-calcaire montrant des cycles astronomiques de type Milankovitch, Zumaia, Espagne. La rythmicité des strates daniennes correspond à des cycles de Milankovitch (23 000 ans).


Vue globale de la petite baie de Zumaia (Pays basque espagnol), où affleurent 2 GSSP

Figure 8. Vue globale de la petite baie de Zumaia (Pays basque espagnol), où affleurent 2 GSSP

On voit les deux panneaux blancs indiquant les GSSP, celui indiquant le GSSP Sélandien/Thanétien (petit rectangle au tiers gauche) et le GSSP Danien/Sélandien visible à droite sur la dalle de grès.


Falaise avec le GSSP Danien/Sélandien, son panneau explicatif et son clou d'or, Zumaia (Pays basque espagnol)

Figure 9. Falaise avec le GSSP Danien/Sélandien, son panneau explicatif et son clou d'or, Zumaia (Pays basque espagnol)

Le Sélandien est à gauche, le Danien à droite. La base du Sélandien est plus rouge, car plus riche en argiles riches en Fe3+ ce qui traduit une plus grande proximité de la côte de l'époque.


Affleurement montrant le GSSP Danien/Sélandien, son panneau explicatif et son clou d'or, Zumaia (Pays basque espagnol)

Figure 10. Affleurement montrant le GSSP Danien/Sélandien, son panneau explicatif et son clou d'or, Zumaia (Pays basque espagnol)

Le Sélandien est à gauche, le Danien à droite. La base du Sélandien est plus rouge, car plus riche en argiles riches en Fe3+ ce qui traduit une plus grande proximité de la côte de l'époque.


Le GSSP Danien/Sélandien, son clou d'or et son panneau explicatif, Zumaia (Pays basque espagnol)

Figure 11. Le GSSP Danien/Sélandien, son clou d'or et son panneau explicatif, Zumaia (Pays basque espagnol)

Le Sélandien est à gauche, le Danien à droite. La base du Sélandien est plus rouge, car plus riche en argiles riches en Fe3+ ce qui traduit une plus grande proximité de la côte de l'époque.


Le clou d'or Danien/Sélandien, Zumaia (Pays basque espagnol)

Figure 12. Le clou d'or Danien/Sélandien, Zumaia (Pays basque espagnol)

Le Sélandien est à gauche, le Danien à droite. La base du Sélandien est plus rouge, car plus riche en argiles riches en Fe3+ ce qui traduit une plus grande proximité de la côte de l'époque.




Deux autres limites stratigraphiques font la renommée de Zumaia dans le monde de la géologie : la limite Paléocène/Éocène qui n'affleure pas dans des conditions “spectaculaires”, et la limite Crétacé/Paléocène (la fameuse limite “KT”) qui, elle, affleure dans des conditions exceptionnelles (cf. figures 17 à 23 de Les trois plus beaux affleurements de la limite K-T en Pays Basque : Bidart, Baie de Loya et Zumaia). Et, en Espagne, pays où la géologie est mise en valeur autant que faire ce peut, contrairement à la France (cf. figure 17), des panneaux explicatifs localisent ces deux limites stratigraphiques, en plus des deux GSSP bien sûr. La figure 15 montre l’un de ces panneaux, dans son état de 2013.

Panneau placé sur la plage de Zumaia, là où vont les touristes à priori non intéressés par la géologie

Figure 15. Panneau placé sur la plage de Zumaia, là où vont les touristes à priori non intéressés par la géologie

En Espagne, les autorités compétentes essayent d'intéresser population et visiteurs aux sciences de la Terre. Si la France prenait exemple sur sa voisine… On peut cependant regretter que les auteurs de ce panneau n'aient pas inversé les initiales des périodes géologiques. Par exemple, la limite Crétacé-Tertiaire est notée K/T (K à gauche T à droite) alors que, sur le panneau, le Crétacé est à droite et le Tertiaire à gauche. T/K aurait été plus judicieux.


Vue sur le flanc Nord de la baie de Zumaia, Pays basque espagnol

Figure 16. Vue sur le flanc Nord de la baie de Zumaia, Pays basque espagnol

La limite Sélandien/Thanétien est indiquée par la flèche violette, la limite Danien/Sélandien par la flèche bleue. La limite Crétacé/Tertiaire (Maastrichtien/Danien) serait en dehors de la photo, à droite. La flèche rouge indique (approximativement) la limite Éocène/Paléocène (Thanétien/Yprésien).


Panneau (côté français) situé là ou devrait se trouver un panneau indiquant la limite KT à Bidart (croix rouge)

Figure 17. Panneau (côté français) situé là ou devrait se trouver un panneau indiquant la limite KT à Bidart (croix rouge)

On peut s'interroger sur la présence de ce panneau d'interdiction à la place d'un panneau indiquant où se trouve cette limite, et quel est son intérêt ? Il y a deux types de réponses. (1) Nous, enseignants français de géologie, et pour diverses raisons, n'avons pas pu ou pas su faire aimer la géologie aux Français. Qu'avons-nous mal fait ou pas fait ? (2) À cause de lois “mal rédigées” et de leur très (trop ?) stricte application par les tribunaux, toutes les autorités (des autorités municipales à l'administration des établissements d'enseignement) appliquent le principe de précaution judiciaire, ouvrent leur parapluie et interdisent ! Comme on le voit, ce panneau n'empêche personne de passer, ne protège aucun promeneur en indiquant précisément où ne pas s'installer pour bronzer à cause de risques d'éboulement (quelques dizaines de mètres sur les kilomètres de plage). Comme les gens passent, ce panneau ne “sauve” aucune vie, mais il protège le maire d'un éventuel procès que ferait un vacancier imprudent qui aurait été égratigné par un petit caillou reçu sur le crâne pendant une séquence de bronzette sous un surplomb rocheux. En 2019, sur un site français d'intérêt équivalent (la Charce dans la Drome, cf. Les alternances marno-calcaires, les slumps et le GSSP (Global boundary Stratotype Section and Point) de la base de l'Hauterivien (Crétacé inférieur) de La Charce (Drôme)), des panneaux explicatifs avaient été installés. Espérons que la même chose a été faite à Bidart depuis 2015, année où j'ai pris cette photo.


Le secteur de Zumaia montre d'autres curiosités et merveilles géologiques que ces deux clous d'or :

Nous vous montrons deux autres curiosités géologiques qu'on peut voir “en passant” quand on se dirige de la plage vers les clous d'or. On peut citer la schistosité qui se développe dans les lits argilo-marneux situés entre les lits gréseux des flysch paléocènes, et des figures d'altération de ces mêmes bancs gréseux.

Falaise avec alternances gréso-calcaires / marnes argileuses du Thanétien, juste au Nord du GSSP Sélandien/Thanétien, Zumaia (Espagne)

Figure 18. Falaise avec alternances gréso-calcaires / marnes argileuses du Thanétien, juste au Nord du GSSP Sélandien/Thanétien, Zumaia (Espagne)

Les bancs argilo-marneux, incompétents, sont affectés par une belle schistosité, schistosité absente des bancs gréso-calcaires, beaucoup plus compétents.


Alternance de bancs gréso-calcaires et de marnes argileuses du Thanétien, juste au Nord du GSSP Sélandien/Thanétien, Zumaia (Espagne)

Figure 19. Alternance de bancs gréso-calcaires et de marnes argileuses du Thanétien, juste au Nord du GSSP Sélandien/Thanétien, Zumaia (Espagne)

Les bancs argilo-marneux, incompétents, sont affectés par une belle schistosité, schistosité absente des bancs gréso-calcaires, beaucoup plus compétents.


Schistosité dans les marnes de l'alternance grès calcaires / marnes argileuses du Thanétien, juste au Nord du GSSP Sélandien/Thanétien, Zumaia (Espagne)

Figure 20. Schistosité dans les marnes de l'alternance grès calcaires / marnes argileuses du Thanétien, juste au Nord du GSSP Sélandien/Thanétien, Zumaia (Espagne)

Les bancs argilo-marneux, incompétents, sont affectés par une belle schistosité, schistosité absente des bancs gréso-calcaires, beaucoup plus compétents.




Vue aérienne sur une des baies de Zumaia (Pays basque espagnol), presque à marée basse

Figure 23. Vue aérienne sur une des baies de Zumaia (Pays basque espagnol), presque à marée basse

La punaise verte correspond au clou d'or Sélandien/Thanétien ; la punaise rouge localise le clou d'or Danien/Sélandien. La punaise jaune localise le plus bel affleurement local de la limite KT.

Localisation par fichier kmz de la baie de Zumaia (Pays basque espagnol) avec ses deux clous d'or (ou GSSP, ou PSM).