Image de la semaine | 10/06/2019
Les alternances marno-calcaires, les slumps et le GSSP (Global boundary Stratotype Section and Point) de la base de l'Hauterivien (Crétacé inférieur) de La Charce (Drôme)
10/06/2019
Résumé
Rythmicité sédimentaire liée à la précession des équinoxes et stratotype à « clou d'or » (GSSP) pour la base de l'Hauterivien.
La coupe du Serre de l'Âne à La Charce (Drôme) est justement célèbre pour deux raisons principales, qui ont justifié son classement en ENS (Espace Naturel Sensible) et sa reconnaissance internationale comme le GSSP (Global boundary Stratotype Section and Point) de la base de l'Hauterivien (étage du Crétacé inférieur allant de -132,9 à -129,4 Ma) : (1) on voit très bien les alternances marno-calcaires d'origine astronomiques, et (2) la sédimentation continue et la richesse en fossiles (notamment en ammonites) ont permis d'en faire la référence mondiale pour la limite Valanginien / Hauterivien. Ce site est ouvert au public, aménagé avec panneaux et sentier explicatifs depuis 2014. Toute dégradation et tout prélèvement d'échantillon sans autorisation préalable y sont bien sûr interdits.
La régularité des alternances marno-calcaires est due à une alternance régulière des conditions de sédimentation et de tous les paramètres qui contrôlent ces conditions : productivité planctonique, apports détritiques… L'astronomie est le principal “phénomène cyclique” pouvant influencer ces conditions de sédimentation. Les paramètres orbitaux de la Terre varient avec quatre périodes : (1) la précession des équinoxes, avec Ppe ≈ 23 000 ans, (2) la variation d'inclinaison de l'axe de la Terre par rapport à l'écliptique avec Pi ≈ 40 000 ans, (3) la première périodicité de la variation d'excentricité de l'orbite avec Pe1 ≈ 100 000 ans, et (4) la deuxième périodicité de la variation d'excentricité de l'orbite avec Pe2 ≈ 400 000 ans. Quand on a une coupe complète et non perturbée de l'Hauterivien (ce qui n'est pas le cas à La Charce puisqu'on a deux slumps qui perturbent un peu la série (figures 7 et 8), mais est le cas dans d'autres secteurs de la région (figure 17), on peut compter les doublets marne-calcaire. On s'aperçoit alors que pendant la durée de l'Hauterivien (entre −132,9 et −129,4 Ma, soit pendant 3,5 Ma), il y a environ 150 doublets marne-calcaire. Un doublet marne-calcaire correspond donc à 3 500 000 / 150 = 23333 ans, durée très voisine des 23 000 ans théoriques. À moins d'un hasard hautement improbable, la coïncidence entre la durée de dépôt d'un doublet et la période de précession des équinoxes suggère fortement que c'est la précession des équinoxes qui “gouvernait” la sédimentation dans la Drôme centrale à l'Hauterivien.
La précession des équinoxes ne change pas la température moyenne globale ou locale, mais fait varier le contraste des saisons. Elle fait alterner des périodes avec un faible contraste saisonnier (étés pas trop chauds et/ou pas trop humides, hivers pas trop froids et/ou pas trop secs) avec des périodes à fort contraste saisonnier (étés très chauds et très humides et hivers très froids et très secs). L'importance de la sédimentation argileuse dépend, entre autres, de l'importance de l'érosion sur les terres émergées voisines, érosion qui dépend de la pluviométrie et de l'importance du couvert végétal, qui dépendent eux même du climat. L'importance de la production planctonique dépend de la température de la mer, de sa salinité, de sa richesse en nutriments… facteurs dépendants directement ou indirectement du climat. Les conditions locales peuvent, par exemple, faire en sorte que des saisons peu contrastées limitent l'érosion et favorisent la croissance planctonique (dépôt de la couche calcaire) alors que des saisons très contrastées 10 000 ans plus tard favoriseront l'érosion et diminuent la productivité planctonique (dépôt de la couche de marne). À d'autres endroits et/ou à d'autres époques, ces conditions peuvent ne pas être réunies et les paramètres astronomiques n'engendreront pas ces alternances très nettes. Ces cas où l'astronomie se manifeste de façon si évidente et si visible dans la sédimentation et dans la morphologie sont très minoritaires, et c'est pour cela qu'il faut protéger les rares sites où c'est particulièrement visible.
Il existe d'autres sites où cette effet est visible, et même où l'on peut voir l'influence d'autres périodicités astronomiques (souvent la période à 100 000 ans), comme par exemple à Zumaia au Pays Basque espagnol (cf. Failles affectant une série marno-calcaire montrant des cycles astronomiques de type Milankovitch, Zumaia, Espagne).
Tous les calculs des figures 1 à 4 doivent être pris simplement comme pouvant donner des ordres de grandeur et non pas comme des valeurs rigoureuses, et ce pour au moins quatre raisons. (1) Si les doublets marne-calcaire mesurent bien environ 90 cm d'épaisseur sur la figure 1, la figure 4 montre que cette épaisseur peut varier. D'après la notice de la carte BRGM au 1/50 000 de Luc en Diois, cette épaisseur varie de 40 à 90 cm. (2) Je n'ai pas mesuré les distances sur le terrain, mais simplement en me servant des images Google Earth. (3) À gauche de la figure 4, une petite zone boisée interrompt la coupe, et on ne sait pas si la stratification est identique à ce qu'elle est à l'Ouest et à l'Est. (4) La sédimentation n'est pas constante au cours du temps, et il y a deux slumps visibles au centre de la figure 4 et détaillés sur les figures 7 et 8, qui perturbent certainement les épaisseurs des couches.
Les limites internationalement reconnues séparant les différents étages géologiques ne correspondent pas à des variations de faciès qui dépendent trop des conditions locales, mais à des variations du contenu paléontologique. Pour cela, on choisit des groupes fossiles à très grande répartition géographique et à évolution rapide. Historiquement (à partir du XIXe siècle) on a défini des stratotypes. Un stratotype est un ensemble de strates d'une certaine épaisseur globale, ensemble de strates formant une couche “étalon”, une couche de référence, caractérisée par un contenu paléontologique différent de celui des couches sous- et sus-jacentes. Ainsi l'Hauterivien a-t-il été défini à Hauterive (sur le bord du lac de Neuchâtel en Suisse). Les roches d'Hauterive correspondent à un calcaire de teinte jaune localement caractéristique. Il y a plusieurs carrières sur la commune d'Hauterive, toutes fermées en 2019. Les fossiles caractéristiques de l'Hauterivien d'Hauterive sont des ammonites (Hoplites radiatus, Crioceras capricornu…), des bivalves (Exogyra Couloni…), et des oursins (Toxaster complanatus).
On préfère maintenant utiliser les GSSP (Global boundary Stratotype Section and Point en anglais, ou Point Stratigraphique Mondial, PSM en français). Ces GSSP sont des lieux précis qui servent de référence, qui définissent les limites existantes entre deux étages géologiques, si on est sûr (1) que cette limite d'étage ne correspond pas à un arrêt de sédimentation et (2) si on est sûr qu'apparition et/ou disparition des fossiles choisis correspond bien à un phénomène évolutif (pas de réapparition ultérieure par exemple) et non pas à une variation paléogéographique et à un changement du milieu de vie. Selon l'usage moderne, la notion de stratotype ne suffit plus. Pour être complètement caractérisé, une unité stratigraphique doit comprendre un GSSP inférieur, un GSSP supérieur et correspondre à un contenu paléontologique dont l'essentiel est contenu dans l'ensemble des couches du stratotype historique, formation qui a donné son nom à l'unité stratigraphique. Souvent, les GSSP sont matérialisés sur le terrain par un clou de bronze sellé dans la roche, clou connu sous le nom de « clou d'or ».
À la Charce, le Valanginien (l'étage situé sous l'Hauterivien) est essentiellement marneux. Le Valanginien supérieur devient progressivement formé d'alternances marno-calcaires, et le Valanginien terminal a un faciès identique à celui de l'Hauterivien basal (cf. le panneau de la figure 9). La variation du contenu paléontologique n'y est donc pas due à un changement de milieu, mais bien à une évolution biologique.
La coupe de La Charce (Drôme) a donc été retenue comme référence mondiale pour la définition de la base de l'Hauterivien. C'est donc le stratotype de limite ou GSSP inférieur de cet étage. Une biostratigraphie a pu être établie grâce à la présence en abondance d'ammonites. La limite entre le Valanginien et l'Hauterivien est associée à un changement de biozone d'ammonite, en particulier de la zone à Criosarasinella furcillata à la zone à Acanthodiscus radiatus.
On ne voit pas beaucoup d'ammonites sur la coupe de La Charce, ce qui est logique car les couches sont surtout vues par la tranche. Mais des panneaux et des moulages expliquent au public ce que sont les ammonites, insistent sur leur abondance et leur variation avec le temps… Pour apprécier la variété des ammonites de l'Hauterivien drômois, voici la liste des ammonites hauteriviennes recensées par la carte géologique de Luc en Diois. Hauterivien basal : Lyticoceras sp. aff. paraplesius, L. amblygonium, Olcostephanus astien, Suboosterella heliacus, Acanthodiscus radiatus (rare), A. ottmeri, Leopoldia castellanensis, L. leopoldi. Hauterivien inférieur : Crioceratites duvali loryi, C. villersianus, Olcostephanus jeannoti, Spitidiscus incertus, Sp. intermedius, Sp. rotula, Dichotomites bidichotomus, « Neocomites » nodosoplicatus. Hauterivien moye : Subsaynella sayni, Crioceratites duvali duvali, Acrioceras meriani, Macrophylloceras winckleri, Phyllopachyceras infundibulum, Ammonoceratites subfimbriatus. Hauterivien supérieur : Plesiospitidiscus ligatus, Pl. pseudoligatus, Balearites balearis, Pseudothurmannia angulicostata, P. picteti, P. morti/leti, Phyllopachyceras infundibulum, Ammonoceratites subfimbriatus.
Mais si on visite le site au printemps après les chutes de pierres de l'hiver (chutes omniprésentes en montagne) juste à la limite de la zone aménagée, là où il n'y a pas de mur protégeant le sentier d'interprétation et où les chutes de pierres atteignent le bord de route, on peut étudier en détail les faciès, et trouver des fossiles de l'Hauterivien.
En se promenant dans la région du centre Drôme, on peut voir d'autres coupes de l'Hauterivien, coupes parfois plus continues que celle de La Charce (sans slump en particulier). C'est ce type de coupe qui doit permettre de compter le nombre de doublets marne-calcaire de l'Hauterivien.
On peut voir d'autres terrains dans le centre Drôme montrant des alternances marno-calcaires semblant aussi réglées par des rythmes astronomiques. C'est le cas par exemple du Kimmeridgien inférieur (J8a-6, dans le Jurassique supérieur) sur le bord du même torrent d'Arnayon que la coupe de l'Hauterivien des deux photographies précédentes. Plusieurs fois durant le Jurassique et le Crétacé, la paléogéographie du bassin vocontien a permis à la sédimentation d'enregistrer les variations cycliques des paramètres astronomiques de la Terre.