Image de la semaine | 21/03/2022
La plage aux ptérosaures de Crayssac (Lot)
21/03/2022
Résumé
Pistes fossiles de ptérosaures, reptiles volants, et de dinosaures théropodes sur plages fossiles à fentes de dessiccation. Reconstitution du déplacement au sol des ptérosaures grâce à des pistes à empreintes tridactyles (membres antérieurs) et tétradactyles (membres postérieurs).
Source - © 2021 Pierre Thomas – Plage Ptérosaures Crayssac
La région de Crayssac (près de Cahors, Lot) est connue régionalement et depuis longtemps pour ses carrières de calcaire tithonien (anciennement appelé Portlandien, Jurassique terminal, −152 à −145 Ma), exploitées pour obtenir des pierres plates utilisées pour la fabrication de dallages. La notice de la carte BRGM à 1/50 000 de Puy-l'Évêque (1986), décrit ainsi ce faciès : « j9b. Portlandien supérieur probable (formation de Cazals) : dolomicrite à laminations parallèles, calcaire micritique en bancs, dolomie cristalline (100 m). Au Nord de la vallée du Lot, la formation de Cazals constitue l'ossature des causses de Crayssac et de Montgesty. Ce corps sédimentaire très hétérogène présente à sa base la lithologie suivante : des dolomicrites et des calcaires en lamines, fissiles en dalles ou en plaquettes, présentant des surfaces oxydées aux belles teintes grises à beiges, très riches en figures sédimentaires (fentes de dessiccation, traces de gouttes de pluie, etc.) et des dendrites noires ou brunes formées par des cristaux microscopiques d'oxyde de manganèse ou de fer. Aux environs de Crayssac, cette formation forme des niveaux asynchrones : on observe un niveau (1,5 m) exploité au Sud du plateau et jusqu'à 3 niveaux séparés par des calcaires micritiques et à pellets au Nord (10 m). […] Ce calcaire portlandien supérieur (formation de Cazals, pierre de Cahors ou de Crayssac) affleure largement au Nord-Ouest de Cahors formant les petits causses de Crayssac et de Montgesty. Les multiples carrières de Crayssac exploitent un ou des niveaux bien particuliers (calcaire dolomitique en "lamines") destinés essentiellement à la production de pierres plates pour dallage ; en outre les parties plus massives sont exploitées comme pierre à bâtir et pour la fabrication de cheminées. »
Au Jurassique terminal, la paléogéographie locale correspondait à une lagune marine, genre vasière littorale boueuse, inondée à marée haute, où des animaux venaient chercher leur nourriture. En effet, en plus des traces de fentes de dessiccation, de gouttes de pluies fossiles (cf. La carrière de Cerin (commune de Marchamp, Ain) et ses faciès sédimentaires) et autres figures sédimentaires décrites par la carte géologique, une des carrières contient des empreintes de divers animaux (crustacés, vers… et surtout reptiles). Les premières traces ont été découvertes par un amateur en 1987. En collaboration avec le propriétaire de la carrière, des fouilles scientifiques débutèrent en 1995 et se poursuivent après la fin de l'exploitation “industrielle” de la carrière. Depuis la fin de 2021, ces fouilles sont interrompues pour quelques années afin de permettre de travailler sur la masse des données déjà recueillies, d'en faire des études détaillées et une monographie, et ce avant de découvrir et d'étudier de nouvelles traces fossiles lors de la reprise des recherches programmées pour 2024-2025. En effet, des traces de nombreuses espèces ont été trouvées sur ce site : crocodiles, tortues, crustacés, dinosaures théropodes (ce qui somme toute est “classique”)… mais surtout ptérosaures. Ce sont ces traces de ptérosaures qui font la rareté et la célébrité du gisement. Rappelons que les ptérosaures sont des reptiles volants (et non des dinosaures) qui ont vécu du Trias supérieur (230 Ma) jusqu'à la limite “KT” (−66 Ma).
À côté de ces fouilles, un énorme travail de protection et de valorisation a été entrepris par associations et collectivités locales (1) pour protéger ce qui avait été dégagé, (2) pour mettre en valeur et ouvrir au tourisme ces pistes uniques au monde, et (3) pour permettre la continuation des fouilles dans de bonnes conditions. À cet effet, un bâtiment métallique à la fois fermé, léger et à énergie positive (panneaux solaires) protège le gisement des pilleurs et des intempéries. L'intérieur du bâtiment est complètement obscur, et les dalles à traces fossiles ne sont éclairées que par un éclairage rasant. Que ce soit pour les touristes ou les chercheurs, c'est ce type d'éclairage qui permet de bien voir les empreintes, qui seraient très difficiles à remarquer et à identifier en pleine lumière. La centrale photovoltaïque, qui appartient à EDF énergies nouvelles, a permis de compléter le plan de financement.
J'ai visité ce site en août 2021 en suivant une visite pour le grand public, donc non détaillée (pas de noms latins d'animaux ou de jargon scientifique, pas de considération aérodynamique sur le vol des ptérosaures…). Très vraisemblablement, des visites plus poussées peuvent être proposées aux groupes d'étudiants, aux associations de géologues… Sans entrer dans des détails qui n'était pas fournis lors de cette visite grand public estivale, nous vous montrons quelques images sur le contexte du site, sur le bâtiment, sur les panneaux explicatifs (extérieurs au bâtiment). Puis nous entrerons dans le bâtiment lui-même pour voir ces fameuses traces. En plus d'une piste de théropode et de traces de tortues, nous verrons surtout des traces de ptérosaures. Ces traces sont de morphologies variées, car (1) il y avait plusieurs espèces de reptiles volants qui se sont posés et ont marché sur l'ancienne plage, (2) il y avait des adultes mais sans doute aussi des juvéniles, (3) il y a un dimorphisme entre les pattes arrière (les pieds) et les pattes avant (les “mains”) qui faisaient partie de l'aile. La monographie qui est en train d'être rédigée pendant l'interruption des fouilles devrait nous permettre d'en savoir beaucoup plus d'ici 2 à 3 ans.
La plage aux ptérosaures fait partie de la Réserve naturelle géologique du Lot. Cette plage aux ptérosaures fait également partie du réseau des Paléonautes, réseau qui regroupe huit sites archéologiques et paléontologiques du Quercy. Parmi ces huit sites, Planet-Terre a déjà présenté le Musée de l'Homme de Néandertal (cf. L'Homme de la Chapelle-aux-Saints (Corrèze) : la première preuve d'inhumation chez les Néandertaliens), la grotte de Foissac (cf. La grotte de Foissac (Aveyron) : vestiges d'une occupation néolithique et belles concrétions) et les phosphatières du Cloup d'Aural (cf. Le Cloup d'Aural (Lot), les phosphatières du Quercy et leurs “trésors” paléontologiques). Huit bonnes raisons de passer par le Quercy !
Source - © 2021 Paléonautes.fr |
Les premiers fossiles de ptérosaures ont été découverts en Allemagne (à Solhnhofen) à la fin du XVIIIe siècle. Ils ont été interprétés comme des reptiles volants dans la première moitié du XIXe siècle ; c'est Cuvier qui, en 1801, proposa pour la première fois cette hypothèse. Le plus grand des ptérosaures, Quetzalcoatlus (Crétacé supérieur d'Amérique du Nord), découvert en 1971, avait une envergure voisine de 10 à 12 m ; les plus petits avaient la taille d'un gros pigeon ou d'un corbeau. Les ptérosaures sont un des trois groupes de vertébrés volants. La surface portante de l'aile des oiseaux est constituée par les plumes. Celle des chiroptères (chauve-souris) et des ptérosaures est faite par un patagium (membrane de peau). Le patagium des chauves-souris s'étend entre les membres antérieurs et postérieurs ; il est “soutenu” et “armé” par quatre des cinq doigts de la main qui ont des phalanges hyper-développées (le cinquième doigt, le pouce, leur sert à se suspendre). Le patagium des ptérosaures, lui, est le plus souvent tendu entre le membre postérieur et le seul cinquième doigt, aux phalanges hypertrophiées. Les ptérosaures ont quatre doigts à chaque membre, quatre doigt “normaux” aux membres postérieurs, mais seulement trois doigts “normaux” et un doigt hypertrophié portant le patagium aux membres antérieurs.
Si la capacité au vol des ptérosaures a été rapidement admise, leur mode de locomotion à terre est resté longtemps l'occasion de questions. Si on étudie les deux autres groupes de vertébrés volants, on voit qu'au sol (1) les oiseaux sont très majoritairement bipèdes, bien que certains oiseaux de mer nichant sur des falaises sont quasiment incapables de marcher, et (2) les chiroptères ne marchent quasiment pas, sauf quelques rares espèces qui “marchent à quatre pattes” en de rares occasions, se servant de leurs ailes comme pattes avant. C'est l'étude des pistes comme celles de Crayssac qui ont permis de prouver (1) que les ptérosaures se posaient au sol, on trouve en effet des empreintes à trois doigts (aile faisant office de main) et d'autres à quatre doigts (patte arrière), et (2) que les ptérosaures se déplaçaient au sol en marchant à quatre pattes (quadrupédie). La locomotion au sol des ptérosaures a été prouvée par W. Stokes en 1957, remise en doute par K. Padian en 1984 et confirmée par Logue et Lockeley (1994-1995). Les pistes de Crayssac permettront de mieux comprendre la position des doigts de la main au sol grâce à la qualité exceptionnelle des empreintes. Il existe deux groupes de ptérosaures : les Ramphorhynchoidea et les Pterodactyloidea. La majorité des empreintes de ptérosaures montrées ici auraient été laissées par des Pterodactyloidea.
Source - © 1892 John Romanes, modifié
Source - © 2022 tourisme-lot.com, modifié | Source - © 2014 MaxPPP / francetvinfo.fr |
Source - © 2020 - 2009 magic-dino.com – Pierre Saunier / CNRS |
Il n'y a pas que des traces de dinosaures théropodes et de ptérosaures visibles sur les dalles calcaires de la plage aux ptérosaures de Crayssac. La littérature parle de crustacés, de crocodiles, de tortues… La guide qui menait le groupe de touristes où je me trouvais en aout 2021 nous a montré des petites traces à cinq doigts : des traces de petites tortues, semblables (et quasi-contemporaines) à la petite tortue de Cerin (cf. Les tortues fossiles du Kimméridgien de Cerin (Ain)).