Image de la semaine | 11/09/2023
Les mammifères miocènes du gisement paléontologique de Béon, Montréal du Gers (Gers)
11/09/2023
Résumé
Une couche à os (bone bed) très riche avec une extraordinaire variété de vertébrés fossiles dans un site en cours de fouille qu’il est possible de visiter.
L'image de cette semaine correspond au compte-rendu d'une visite (d'une durée de 1h15) effectuée le 6 aout 2023 sur le gisement miocène de Béon, commune de Montréal du Gers (Gers). Ce gisement est exceptionnel à plus d'un titre : découverte relativement récente (1987), très grande concentration de fossiles (c'est une véritable thanatocénose) comme le montre les photographies précédentes et suivantes, très grande richesse en nombre d'espèces identifiées (plus de 90), et surtout le fait qu'il soit partiellement laissé en l'état, protégé, mis en valeur, et ouvert à la visite des touristes (pendant l'été) et à des groupes (notamment scolaires) sur réservation le reste de l'année.
Si les fossiles d'ossements de vertébrés (mammifères, dinosaures…) sont fréquemment visibles dans des musées, il y a très peu de sites en France où le public peut voir des ossements en place dans les strates et les roches les contenant. C'est important de montrer cela au public en général, et aux scolaires en particulier. En effet, les créationnistes les plus extrémistes, que ce soit dans certains pays musulmans, dans certains états du Middle West et du « Sud profond » des USA et même dans certains pays d'Europe comme la Pologne, prétendent que les fossiles exposés dans les musées sont des faux. Et, même en France, lutter, par des faits et par la démonstration, contre ce complotisme anti-darwinien qui se développe dans certains milieux, est important.
La page wikipédia de Montréal du Gers décrit ainsi ce site paléontologique.
Le site paléogéographique de fossiles de Montréal, large de plus de 1 hectare, se trouve dans une ancienne carrière près du lieu-dit Béon, le long de la D113 en direction de Gondrin (vers le Sud). Il a été découvert en 1987 par Francis Duranthon dans le cours de l'exploitation de la carrière. En 1990, il a été ajouté à la liste des niveaux repères internationaux. En 1997, la ville de Toulouse a acheté le terrain, qui a été depuis inscrit à l'Inventaire National du Patrimoine Géologique (INPG) comme site de niveau international. Ce site est le plus important connu en France pour le Miocène inférieur (environ 17 millions d'années). Le Muséum de Toulouse y mène chaque année des campagnes de fouilles depuis sa découverte. Les collections paléontologiques provenant du site sont conservées au Muséum de Toulouse qui en expose les plus beaux spécimens dans sa galerie de paléontologie, et une petite série se trouve au MNHN à Paris. Cette carrière a dévoilé plus de 90 espèces de vertébrés dont 50 espèces de mammifères, de reptiles, d'amphibiens et d'oiseaux - y compris quatre espèces nouvelles pour la science. On y a notamment découvert en 1992 le crâne d'un Ampelomeryx, un ruminant tenant à la fois du cerf et de la girafe.
Parmi les 90 espèces de vertébrés, et les 50 espèces de mammifères, on retrouve beaucoup d'ossement de “gros” herbivores, en particulier des ossements de rhinocérotidés (groupe auquel appartiennent les rhinocéros actuels), de proboscidiens (groupe auquel appartiennent les éléphants actuels), des cervidés (groupe auquel appartiennent les cerfs actuels), de suidés (groupe auquel appartiennent les sangliers et les phacochères actuels)…
Ce qu'on voit du gisement (ce qu'on en voyait en aout 2023 pour être plus précis) permet de noter que les ossements sont pris dans une couche de conglomérat fait de galets relativement arrondis, pris dans une matrice argilo-calcaire. La taille des galets indique leur transport jusqu'au milieu de dépôt par un courant assez énergétique et rapide. Avec ce qu'on voit, cette couche semble mince (épaisseur décimétrique) et parait intercalée entre une couche calcaro-marneuse en dessous et une couche argilo-sableuse plus sombre (plus riche en matière organique) au-dessus. Ces deux niveaux beaucoup moins grossiers ont été déposés dans un milieu nettement moins énergétique que celui qui a déposé la couche de galets. Ces trois niveaux sont d'âge burdigalien inférieur (≈ 17 Ma), plus précisément du niveau noté m2aC sur la carte géologique de Montréal du Gers. La notice de cette carte décrit ainsi ce niveau près de Béon
Sur le site de Béon à proximité Nord de l'ancienne carrière de Panblanc, les fouilles entreprises par le Muséum d'Histoire Naturelle de Toulouse ont permis à F. Duranthon et son équipe d'inventorier une riche faune de micro-mammifères, mammifères, reptiles mais aussi amphibiens et oiseaux qui rattachent ces horizons aux niveaux MN4 [ un intervalle biostratigraphique appartenant à l'Orléanien, lui-même appartenant au Burdigalien]. La fraction argileuse du niveau fossilifère montre une forte proportion d'illite (80%) associé à 20% de smectite (Villemur1995). La juxtaposition d'espèces inféodées aux milieux marécageux aquatiques (Ampelomeryx, Dinotherium, Diplocynodon, oiseaux, planorbes, limnées…) montre qu'une succession de mises en eaux et d'assèchements (surfaces durcies, septarias, fig. 6) ont concourus à regrouper sur un biotope très localisé des éléments faunistiques très particuliers. En effet, ce très riche gisement toujours en cours de fouille a permis la découverte de mammifères jusqu'ici encore inconnus en Europe (Dinotherium cousin de l'éléphant et Ampelomeryx cervidé à oxicones). D'autre part, les données floristiques issues des analyses pratiquées par Suc 1994 (non publiées) laissent apparaitre une forte proportion d'herbacées (60%) suggérant un milieu ouvert.
Outre des septarias, la légende de la figure 6 évoquée plus haut parle de « brèche intra-formationnelle à éléments sub-arrondis plus clairs que le ciment ».
Avec les deux textes ci-dessus (facilement “trouvables” par un visiteur intéressé), et en fonction de ce qu'on peut voir sur le terrain pendant les 75 minutes de la visite, mais sans avoir pu déplacer un galet du conglomérat et encore moins en casser un pour voir si ce sont de “simples galets” et de quelle nature, ou, hypothèse peu probable en fonction de leur aspect extérieur si ce sont des septarias (remaniés) comme en parle la notice, sans avoir une coupe “stratigraphique” montrant plus que quelques centimètres en dessous et au-dessus du niveau de galets et d'ossements…, ce gisement pose au moins deux questions, ce qui n'empêche pas de l'admirer et d'avoir envie d'y retourner avec des étudiants. (1) Que signifie ce niveau de galets dont ne parle pas la notice de la carte géologique, galets “ordinaires” transportés par un courant assez énergétique (très probablement) ou septarias remaniés comme pourrait le suggérer la notice, ou s'agit-t-il d'un niveau de la « brèche intra-formationnelle » (dont parle aussi la notice) particulièrement important ? (2) Quelles sont les conditions environnementales locales qui ont permis un tel amoncellement d'une telle quantité d'ossements appartenant à de nombreux groupes ?
En rassemblant tous ces éléments, et malgré les questions qui se posent encore après cette courte visite, on peut, comme l'a fait le guide ce 6 aout 2023 (qui devait avoir des données non encore publiées propres à l'équipe du Muséum de Toulouse qui fait les fouilles), proposer un scénario pour expliquer cet exceptionnel gisement. Au Burdigalien, la région de Montréal du Gers correspondait à une plaine marécageuse fréquemment inondée et alors transformée en un lac temporaire où se déposaient argiles et calcaires (lacustres). Des troupeaux de grands herbivores (proboscidiens, rhinocérotidés…) parcouraient ces vallées, paissaient le long des rivières… Un épisode (apparemment unique) particulièrement pluvieux et orageux a dû déclencher une crue violente dans une de ces vallées, et la rivière se transforma en torrent puissant qui envahi ses berges, noyant des troupeaux entiers… Les flots impétueux charriaient des galets arrachés au lit de la rivière et les transportaient “au loin” avec les très nombreux cadavres d'animaux noyés. Là où la rivière a atteint le lac temporaire occupant la plaine de Montréal, le courant a ralenti et a perdu sa puissance de transport. Galets et cadavres (disloqués par le transport) se déposèrent à l'embouchure (temporaire) et furent recouverts par des sables et argiles amenés là soit par les derniers épisodes de la crue, soit par la crue suivante (beaucoup moins violente). Il leur restait 17 millions d'années pour que la diagenèse transforme ces os en fossiles, pour qu'une (légère) surrection entraine une reprise d'érosion, pour qu'un carrier exploite le calcaire, et qu'un paléontologue toulousain remarque les fossiles. Il n'y aurait pas cette couche localisée de galets, on pourrait proposer d'autres origines, comme une zone de “sables mouvants” ou de nombreux animaux viendraient s'enliser… On pourrait proposer à des élèves d'imaginer un (des) scénario(s) compatible(s) avec les observations faites sur place.
Il n'y a pas dans ce site que des os épars mélangés aux galets. S'il n'y a pas de squelettes entiers ou d'ossements en connexion, on peut quand même voir encore plus impressionnant et instructif que des os épars, à savoir des mâchoires, des dents, parfois des défenses… Pour le plaisir, nous vous montrons 13 photographies de mâchoires (entières ou fragmentées) avec leur dents.