Image de la semaine | 08/10/2018
L'Homme de la Chapelle-aux-Saints (Corrèze) : la première preuve d'inhumation chez les Néandertaliens
08/10/2018
Résumé
Homme de Néandertal et culture moustérienne : de la vision d'un homme-singe à celle d'un Homo.
Source - © 2018 Pierre Thomas / Musée de l'Homme de Néandertal
Les trois dernières semaines, nous avons parcouru divers aspects des causses, aussi bien des Causses du Quercy que des Grands Causses : paysages avec dolines et chaos ruiniformes (cf. Se promener sur ou autour des causses), avens (cf. Aven, lavogne, toit citerne… Comment gérer l'eau sur les causses ?), sources (cf. Les sources karstiques au pied des plateaux calcaires)… Et, en plus de ces curiosités purement géologiques, les causses, surtout les Causses du Quercy, sont riches en sites préhistoriques. Mais à côté des grottes de Lascaux ou de Pech Merle, des Eyzies… et de leurs centaines de milliers de visiteurs, il y a d'autres sites bien moins connus, mais tout aussi intéressants. La Chapelle-aux-Saints au Sud de la Corrèze, juste à la limite du Lot, est l'un de ces sites. En parcourant les vitrines et les panneaux du musée installé à 1 km du site de fouille, ou mieux en participant à une visite guidée organisée dans ce musée, on peut connaitre l'histoire de La Chapelle-aux-Saints et de son Homme de Neandertal.
Pendant l'été 1908, trois frères dont deux étaient prêtres (Amédée, Jean et Paul Bouyssonie) faisaient des fouilles dans une grotte, près du village de la Chapelle-aux-Saints (Corrèze). Cette grotte était connue sous le nom local de Bouffia Bonneval. Ils y découvrent des ossements animaux et des outils et éclats lithiques de type moustérien (le Moustérien date de −200 000 à −40 000 ans, mais on ne connaissait pas ces valeurs chiffrées à l'époque). Le 3 août 1908, Paul Bouyssonie trouve une calotte crânienne puis un squelette presque complet présentant les caractéristiques morphologiques des Néandertaliens (en particulier le bourrelet sus-orbitaire), Néandertaliens dont l'existence commençait à être bien documentée en ce début du XXème siècle. Les frères Bouyssonie travaillaient très bien pour l'époque, et les descriptions, dessins et photographies qu'ils ont faits de leur trouvaille sont très précis. Ils notent en particulier que le squelette était disposé au fond d'une fosse régulière, manifestement creusée par la main de l'homme dans le plancher de la grotte. Ils notent la position quasi-fœtale du squelette, et le fait que la tête était calée par des pierres. Fosse régulière, position fœtale, tète calée par des pierres… cela excluait qu'il s'agisse des restes d'un homme mourant venu agoniser seul dans cette grotte, ou d'un cadavre amené là par des grands prédateurs. Il s'agissait de la première “preuve” que des hommes de Neandertal prenaient soin et enterraient leurs morts. Ils avaient donc une “conscience”.
Cette découverte fit grand bruit à l'époque, et fut contestée par beaucoup. Ces conclusions furent en particulier très “nuancées” pour ne pas dire remises en cause par le paléoanthropologue Marcellin Boule (1861-1942), professeur au Muséum National d'Histoire Naturelle, qui publia quelques années plus tard une étude détaillée du squelette. Dans cette étude, il conclut que l'homme de la Chapelle-aux-Saints était « idiot », bestial, brutal, qu'il marchait mal, en gardant le dos vouté… Cette conclusion était très fortement influencée par l'idée qu'on se faisait à l'époque des hommes préhistoriques, “nécessairement” intermédiaires entre l'homme et le chimpanzé ou le gorille. Et un homme plus vieux que l'homme moderne était “forcément” moins intelligent, avec une bipédie “évidemment” plus frustre… puisque l'Homme moderne (surtout l'Européen blanc) était “bien sûr” au sommet de l'Évolution, Évolution qui était “forcément” un progrès (on était en 1908 !) (cf. Une idée reçue : L'évolution mène toujours au progrès). Cette conclusion, mais on ne l'a découvert que plus tard en particulier grâce aux travaux repris à partir de 1957, était aussi due au fait que l'homme de la Chapelle-aux-Saints était un vieillard, malade, très handicapé. Il souffrait, entre autres, d'une déformation de la hanche gauche, d'un genou abimé, d'un écrasement (cicatrisé) d'un gros orteil, d'une arthrite des cervicales et d'une côte cassée mais ressoudée en mauvaise position… Ces études postérieures suggèrent fortement que ce vieillard était, au moins à la fin de sa vie, incapable de chasser, voire de se déplacer par lui-même ; il devait donc être “entretenu” par son clan qui en prenait soin, autre “preuve” d'une “empathie” et d'une “conscience” chez les Néandertaliens. L'étude du crâne presque complètement édenté a montré que beaucoup de ses dents étaient tombées bien avant sa mort. Il était peut-être nécessaire que d'autres lui prépare (en la hachant) sa nourriture.
Ces études “modernes” ont montré que l'Homme de la Chapelle-aux-Saints date de −45 000 ans.
Et on peut se demander pourquoi Marcellin Boule a fortement privilégié ses conclusions tirées de l'étude anatomique des os, au détriment des conclusions de l'étude du site menées pourtant soigneusement par les frères Bouyssonie.
Deux articles récents parmi d'autres sont disponibles sur le web (cf Evidence supporting an intentional Neandertal burial at La Chapelle-aux-Saints et Néandertal, le cousin réhabilité) et font le point sur les derniers résultats concernant cet Homme de la Chapelle-aux-Saints et les Néandertaliens.
À part la Bouffia de Bonneval qu'on peut apercevoir de loin à travers des grilles (on ne peut y accéder qu'accompagné, par exemple lors d'évènements type “journées du patrimoine”), il n'y a pas grand-chose à voir sur le terrain à la Chapelle-aux-Saints. Mais depuis 1996, un petit musée a été installé sur la commune, le Musée de l'Homme de Neandertal. Si vous habitez la Corrèze ou le Lot, si vous êtes amenés à y passer vos vacances, ou simplement si vous traversez ces départements en empruntant l'autoroute A20, allez visiter ce petit muséee, il en vaut la peine.
Dans un premier temps, nous vous montrerons ce qu'expose le Musée de l'Homme de Néanderthal quant à la découverte de 1908 (figures 1 à 8). Puis nous vous montrerons à quoi ressemble la Bouffia Bonneval en 2018 (figures 9 à 11), puis quelques exemples de ce qu'expose le musée à propos de l'Homme de la Chapelle-aux Saints et des autres Néandertaliens (objets, panneaux… figures 12 à 17), puis enfin quelques documents proposés par le Musée illustrant les débats et les querelles ayant lieu dans les années 1908-1910 sur « l'humanité ou la bestialité » de l'Homme de Neandertal (fig. 18 à 26).
Source - © 1908 Document du Musée de l'Homme de Néandertal | Source - © 1908 Document du Musée de l'Homme de Néandertal Source - © 1908 Musée de l'Homme de Néandertal |
Source - © 1908 Document du Musée de l'Homme de Néandertal Source - © 1908 Musée de l'Homme de Néandertal | Source - © 1908 Document du Musée de l'Homme de Néandertal |
Source - © 1908 Document du Musée de l'Homme de Néandertal | Source - © 1908 Document du Musée de l'Homme de Néandertal |
Outre le moulage du squelette dans la position où il a été découvert en 1908 (figures 1 et 2) et des photographies et dessins de cette époque (figures 3 à 8), le musée expose des moulages d'os de Néandertaliens, des outils moustériens, des panneaux illustrés concernant les Néandertaliens, ce qu'on sait (et ce qu'on ignore) d'eux…
Et en plus de documents historiques relatant la fouille de 1908, de moulages d'os, d'objets et de panneaux concernant les Néandertaliens, le musée propose sur des panneaux présentant schémas, articles et caricatures de presse relatant (1) le changement d'idée qu'on s'est fait sur les Néandertaliens entre le début et la fin du XXème siècle, et (2) les débats agitant la société des années 1908-1910 quand à la nature et à l'âge des hommes “préhistoriques”.
Source - © 1909 Frantisek Kupka / CNRS-Le journal |
En France, la découverte de l'Homme de la Chapelle-aux-Saints a suscité des discussions passionnées voire violentes, qui ont largement débordé le petit milieu scientifique. Dans cette première décennie du XXème siècle, on discutait encore de l'authenticité des grottes ornées qu'on commençait à découvrir. L'Évolution proposée par Darwin était encore discutée, et surtout les travaux de Darwin sur l'origine de l'Homme étaient mal compris et abondamment commentés par des gens qui ne les avaient jamais lus. 1908, c'était 3 ans après la séparation de l'Église et de l'État (en 1905). L'Homme de la Chapelle-aux-Saints ne remettait-il pas en cause les textes sacrés si on les interprétait à la lettre ? Et le fait que ce soient deux prêtres catholiques qui aient découvert l'Homme de la Chapelle-aux-Saints et qui lui attribuaient des sentiments humains était très mal vu par la “droite catholique”, qui reprochait à ces deux prêtres de nier la Création divine et l'existence d'Adam.
Nous vous présentons (dans l'ordre chronologique) quelques articles de presse visibles dans le Musée de l'Homme de Néandertal et illustrant la variété des réactions.
Source - © 1908 La Lanterne / Gallica |
Les Néandertaliens sont actuellement “à la mode”. Depuis quelques années, on a beaucoup parlé de son hybridation avec l'Homme moderne, et très récemment avec un Dénisovien. Sa disparition fait l'objet d'émissions à la télévision. Il y a actuellement une exposition du MNHN au Musée de l'Homme à Paris, ouverte jusqu'au 7 janvier 2019 (Néandertal, L'Expo)…
Puisque ce thème est “à la mode”, raison de plus pour se renseigner auprès de sources fiables, et aller visiter les sites néandertaliens de France.