Image de la semaine | 14/03/2022
Les ichtyosaures, des super-prédateurs du sommet de la chaine alimentaire marine au Mésozoïque
14/03/2022
Résumé
Quelques beaux spécimens d'ichtyosaures, reptiles marins et pas dinosaures, dans les musées, en place et “accompagnés” d'ammonites ou plésiosaures.
Ce moulage a été fait à partir d'un original provenant du célèbre gisement allemand d'Holzmaden (près de Stuttgart en Allemagne). Ce fossile date du Toarcien (Jurassique inférieur, 183 à 175,6 Ma). Il est contenu dans des black shales (schistes bitumineux), connus sous le nom de Posidonienschiefer, formation célèbre, entre autres, pour ses ammonites (souvent pyriteuses), ses poissons, ses crocodiles, ses plésiosaures… et ses ichtyosaures. Un musée expose localement ces trésors. D'autres fossiles de ce gisement fameux se trouvent aux musées d'Histoire naturelle de Stuttgart, de Berlin… et dans de nombreuses autres collections publiques ou privées.
Localisation par fichier kmz du Musée d'Holzmaden.
Nous avons vu la semaine dernière un des trois “groupes” de reptiles marins carnivores super-prédateurs du Mésozoïque, les mosasaures, qui ont vécu durant tous le Crétacé supérieur (cf. Les mosasaures, des reptiles marins géants du Crétacé supérieur). Ces mosasaures partageaient le sommet de la pyramide alimentaire marine avec les requins et avec d'autres reptiles : les plésiosaures (qui vivaient du Trias supérieur au Crétacé terminal), et “brièvement” avec les ichtyosaures qui ont vécu du Trias inférieur au début du Crétacé supérieur. Comme mosasaures et plésiosaures, et malgré leur présence dans les livres “pour enfants” consacrés aux dinosaures, les ichtyosaures, s'ils sont des reptiles marins, ne sont pas des dinosaures malgré leur taille. Cette taille peut parfois être “modeste” (métrique) mais peut aussi être gigantesque (jusqu'à 21 m pour Shonisaurus sikanniensis). On connait une dizaine de familles d'ichtyosaures, et beaucoup plus d'espèces. La morphologie des ichtyosaures ressemble beaucoup à celle des dauphins (phénomène de convergence), et leur mode de vie devait être assez semblable, sauf qu'en plus des poissons, les ichtyosaures se nourrissaient beaucoup d'ammonites et de bélemnites dont on a retrouvé les restes (rostres et coquilles) dans leurs estomacs. Comme de nombreux reptiles (les vipères par exemple), les ichtyosaures étaient ovovivipares : les œufs se développaient dans le corps de la femelle et les petits naissaient “tout faits”.
Dans un premier temps (figures 2 à 8), nous verrons des détails du fossiles de l'ichtyosaure de la figure 1, puis un grand ichtyosaure (11 m) dont l'original et un moulage sont visibles dans deux musées de la région lyonnaise (figures 9 à 16), puis d'autres ichtyosaures exceptionnels “en place” ou dans des musées (figures 17 à 21) et enfin quelques animaux ayant côtoyé des ichtyosaures (figures 22 à 27).
Source - © 2003 Veronica Birmingham - US Navy Figure 4. Dentition d'un dauphin, qui fait partie des cétacés à dents (odontocètes) La comparaison avec la dentition de l'ichtyosaure est assez frappante. | |
Figure 5. Détail de la cavité oculaire de l'ichtyosaure de la figure 1 Comme chez les mosasaures et de nombreux autres reptiles (mais pas chez les crocodiliens), cet œil est entouré d'un “anneau osseux” circulaire, fait de plusieurs pièces, l'anneau sclérotique (ou anneau scléral). La structure de cet anneau scléral se voit mal sur ce spécimen, mais se voit bien mieux sur celui de la figure suivante. | Source - © - Jurassica.ch Figure 6. Détail d'un crâne d'ichtyosaure où l'on voit bien la structure de l'anneau scléral Ce fossile est exposé au Musée Jurassica, Porrentruy (Jura suisse, à 7 km de la frontière française, à 22 km de l'agglomération de Sochaux-Montbéliard). |
Cette “transformation” se traduit par une polyphalangie et une très grande proximité des doigts qui ne devaient pas pouvoir s'écarter. Une comparaison avec les membres antérieurs d'autres reptiles et mammifères aquatiques est riche d'enseignement (cf. figure 24 de Les mosasaures, des reptiles marins géants du Crétacé supérieur). |
Si les fossiles d'ichtyosaures aussi complets et aussi bien conservés que ceux des figures précédentes sont relativement rares, les os isolés, en particulier des vertèbres, et des fossiles quasi-complets sont relativement fréquents. On trouve par exemple des vertèbres d'ichtyosaures dans les Vaches Noires (Calvados). On peut même voir sur le terrain (protégé par des murs et une vitre) un ichtyosaure presque entier (l'ichtyosaure de la Robine) dans la Réserve naturelle géologique de Haute-Provence.
En région lyonnaise, un ichtyosaure presque complet de 11 m de long a été découvert en 1984 dans la carrière Belmont d'Azergue, carrière encore en activité près de l'Espace Pierres Folles. Cette carrière, qui extrait calcaires, marnes et argiles pour faire du ciment, exploite diverses couches du Jurassique inférieur. L'ichtyosaure a été trouvé dans le Toarcien (Jurassique inférieur, 183 à 175,6 Ma). Il est donc contemporain de l'ichtyosaure de la figure 1. Ce fossile a été “démonté”, transporté et remonté au Musée de la Mine de Saint-Pierre-la-Palud où on peut le voir dans la position qu'il avait dans la carrière en 1984 lors de sa découverte (le musée de l'Espace Pierres Folles n'existait pas encore). Quelques années plus tard, un moulage a été effectué et installé au Musée de l'Espace Pierres Folles après son ouverture en 1991. L'histoire de ce fossile, en particulier de son moulage en vue de son transfert et de son exposition à l'Espace Pierres Folles est disponible en ligne.
On peut le voir dans la position qu'il avait dans la carrière en 1984 lors de sa découverte. Les os (authentiques) sont inclus dans une “gangue reconstituée”, recouverte par des sédiments issus de la carrière. Il mesure environ 11 m de la pointe du rostre à l'extrémité de la queue. Les explications (panneaux blancs au premier plan) sont agrandies juste sous la photo. Localisation par fichier kmz du Musée de la Mine de Saint-Pierre-la-Palud. | |
Figure 10. Zoom sur la tête de l'ichtyosaure du Musée de la Mine de Saint-Pierre-la-Palud Des ammonites, très abondantes dans le Toarcien régional (cf. Les ammonites calcitisées du Toarcien – Aalénien inférieur des Monts d'Or lyonnais) ont été disposées près des ossements. | |
Figure 13. Zoom sur la partie postérieure de l'ichtyosaure du Musée de la Mine de Saint-Pierre-la-Palud Des ammonites, très abondantes dans le Toarcien régional (cf. Les ammonites calcitisées du Toarcien – Aalénien inférieur des Monts d'Or lyonnais) ont été disposées près des ossements. |
Source - © 2016 dma69 / geoforum | Source - © 2019 Steve Damez / Le Progrès |
Source - © 2008 R. Roch / La Lettre de l'OCIM L'intérêt “géologique” de cette photo, c'est que les personnages donnent une bonne idée de la taille de l'animal. Le plus grand ichtyosaure connu est encore deux fois plus grand (21 m). Localisation par fichier kmz de l'Espace Pierres Folles. |
Des ichtyosaures sont “régulièrement” découverts ici ou là dans le monde. Nous vous montrons deux images prises pendant l'été 2021 dans la réserve naturelle du Rutland (Angleterre), pendant les opérations de dégagement d'un fossile entier découvert en février 2021. En 2021, des images de ce dégagement ont été mises sur le web, images prises du sol ou avec un drone. Dommage que web et drone n'existaient pas en 1984 lors de la découverte et du dégagement de l'ichtyosaure de la carrière Belmont d'Azergue.
Source - © 2021 Anglian Wate / Science Post Cet ichtyosaure date du Toarcien, et mesure un peu plus de 10 m de long. Il est donc contemporain et approximativement de même taille que l'ichtyosaure de la carrière Belmont d'Azergue. Le véhicule et les objets autour du squelette donnent l'échelle. | Source - © 2021 D'après Anglian Wate / Science Post Cet ichtyosaure date du Toarcien, et mesure un peu plus de 10 m de long. Il est donc contemporain et approximativement de même taille que l'ichtyosaure de la carrière Belmont d'Azergue. Le personnage allongé au sol donne l'échelle. |
Le célébrissime gisement allemand d'Holzmaden près de Stuttgart en Allemagne (exemple “parfait” de Lagerstätte) et ses schistes bitumineux (black shales) toarciens (les Posidonienschiefer) a fourni de nombreux autres ichtyosaures. Nous vous montrons deux spécimens assez exceptionnels (figures 19 à 21), mais une rapide recherche sur le web permet d'en trouver de nombreux autres.
Source - © 2021 SMNS - U. Schmid / CNRS Le Journal Figure 19. Fossile d'une femelle d'ichtyosaure “morte en couche” Les bébés ichtyosaures, comme les bébés requins actuels, se développaient dans une poche ventrale et “naissaient” tout faits. Pour une raison ou pour une autre, cette naissance c'est mal passée ; mère et enfants sont morts, sont tombés au fond (anoxique) de la mer toarcienne, se sont fait recouvrir d'argile et sont restés figés “pour l'éternité”. On peut remarquer la présence de nombreuses petites vertèbres dans la cavité ventrale de la mère. On peut, à titre purement hypothétique, proposer le scénario suivant. Quand plusieurs bébés requins se développent en même temps dans le ventre de la mère, il arrive que le plus vigoureux des bébés y dévore ses jumeaux avant son “expulsion”. Peut-être ce cannibalisme fraternel pré-naissance existait aussi chez les ichtyosaures, et que les petites vertèbres sont les restes de repas fratricides internes à la cavité incubatoire de la mère. Gisement d'Holzmaden, collection du Muséum d'Histoire naturelle de Stuttgart (Allemagne). | |
Source - © 2011 Didier Descouens – CC BY-SA 4.0 Les ammonites sont pyritisées. La plaque mesure 125×120 cm. | Source - © 2011 Didier Descouens – CC BY-SA 4.0 Les ammonites sont pyritisées. |
Source - © 2017 D'après Ouest France Ouest France, modifié |
La courbure de la partie supérieure de la coquille (dans la position de la photo) est interrompue, comme si elle avait été “enfoncée”. Une blessure due à une morsure d'ichtyosaure ? | |
Figure 24. Coupe de l'ammonite de la figure précédente On voit bien que la courbure externe de la coquille est modifiée (en haut à droite). On remarque que la cloison reliant les deux bords de la coquille au niveau de son “enfoncement” n'a plus la courbure régulière qu'ont habituellement ces cloisons. La coquille externe, à ce niveau, semble irrégulière et surépaissie. Les conséquences d'une morsure d'ichtyosaure, morsure non mortelle qui aurait cicatrisé ? | Figure 25. Zoom de la coupe de l'ammonite de la figure précédente On voit bien que la courbure externe de la coquille est modifiée (en haut à droite). On remarque que la cloison reliant les deux bords de la coquille au niveau de son “enfoncement” n'a plus la courbure régulière qu'ont habituellement ces cloisons. La coquille externe, à ce niveau, semble irrégulière et surépaissie. Les conséquences d'une morsure d'ichtyosaure, morsure non mortelle qui aurait cicatrisé ? |
Source - © 1863 Édouard Riou En témoigne ce dessin d'Édouard Riou (1863) où l'on voit un ichtyosaure et un plésiosaure qui semblent avoir envie d'en découdre. | Source - © 2013 Heinrich Mallison / dinosaurpalaeo Plésiosaure exposé au Muséum d'Histoire naturelle de Berlin. |