Image de la semaine | 03/01/2022
Se promener sur la Pointe du Grouin (Cancale, Ille et Vilaine) : granite schistosé, courants de marée…
03/01/2022
Résumé
Cisaillement, schistosité dans un granite et cisaillement relié aux orogenèses cadomienne (panafricaine) et varisque. Marées dans la Baie du Mont Saint-Michel.
C'est la troisième “image de la semaine” résultat de deux journées passées en Ille et Vilaine à l'occasion de la Fête de la Science d'octobre 2021, sous la houlette géologique de Pierre Jegouzo de la SGMB (Société Géologique et Minéralogique de Bretagne).
Un granite “intact”, qui n'aurait subi aucune contrainte (ni contrainte thermique pendant son refroidissement, ni contrainte tectonique postérieure, ni contrainte due à des phénomènes de surface…) serait homogène et isotrope sur de grands volumes (cf., par exemple, La desquamation "en grand" des granites). C'est dans de tels granites que des carriers peuvent extraire de gros blocs ou de grandes dalles à des fins architecturales, funéraires… (cf., par exemple, Quand les crapauds des granites égyptiens démontrent le mélange de magmas à Paris et à Lyon). Les granites peuvent être affectés de diaclases, parfois très rapprochées ce qui peut débiter le granite en “dalles” (cf., par exemple, Quand des réseaux de diaclases parallèles donnent une allure stratifiée à des granites). Ils peuvent aussi avoir subi une déformation ductile (à haute température et haute pression) et avoir acquis une schistosité. Cette schistosité peut être présente dans toute la masse de l'ancien massif granitique (devenu massif de gneiss) ou simplement présente le long d'accidents (failles ductiles) comme dans Mini-zones de cisaillement (shear zones) dans des granites et autres roches.
En théorie, une roche peut subir deux types extrêmes de déformation ductile :
- ce que les anglo-saxons appellent pure shear, qu'on traduit littéralement par « cisaillement pur » et qu'on pourrait appeler « aplatissement/étirement pur »;
- ce que les anglo-saxons appellent simple shear et qu'on traduit par « cisaillement simple ».
Ces deux cas extrêmes sont schématisés aux figures 3 et 4. Dans la nature, Il existe bien sûr une addition-combinaison des deux types extrêmes, et c'est le cas le plus général. Des petites “manips” analogiques simples montent comment réaliser ces deux types de déformations devant des élèves (cf. Plan d'aplatissement, plans de schistosité (plans S) et plans de cisaillement (plans C), figures et films 11 à 18).
Source - © 2007 D'après Pierre Thomas |
Source - © 2007 D'après Pierre Thomas |
La pointe du Grouin (Cancale, Ille et Vilaine, au Nord-Ouest de la Baie du Mont Saint-Michel, à ne pas confondre avec la Pointe du Grouin du Sud) montre l'un de ces granites débité en “dalles”. Les affleurements permettent facilement de voir que ce débit en dalles est dû à de la schistosité, et ce au cours d'une simple promenade. Et on peut comprendre le contexte de la mise en place de ce granite simplement en regardant la carte géologique à 1/1 000 000. Ce granite permettrait certainement d'approfondir l'étude de sa déformation et du contexte de sa mise en place / déformation lors d'une excursion avec des élèves simplement en restant une ou deux heures sur le site.
À quelques dizaines de mètres de là où ont été prises les photographies 5 à 8, sur le même sentier, un affleurement permet de prouver de manière plus explicite l'existence d'une composante cisaillante non négligeable, avec en particulier des plans S et des plans C bien visibles.
L'examen des cartes géologiques à 1/5 000 de la Baie du Mont Saint-Michel, de Saint-Malo, de leurs notices respectives (notice Mont Saint-Michel et notice Saint-Malo), et la carte géologique de France à 1/1 000 000 donnent un très grand nombre d'informations. En particulier, le jeu décrochant senestre est indiqué sur la carte de France à 1/1 000 000. Un élève pourrait voir ce jeu sur la carte et découvrir comment il a été mis en évidence sur le terrain.
Sur la carte de la Baie du Mont Saint-Michel, le granite schistosé de la pointe du Grouin est légendé LγC2AL et fait partie d'un granite appelé « leucogranite de Cancale ». Il est compris entre les migmatites de Saint-Malo (MS, à l'Ouest) et les micaschistes et paragneiss de Langrolay (b1, à l'Est), cf. Les migmatites et le métamorphisme panafricains (cadomiens) de la région de Saint-Malo (Ille et Vilaine). Le contact oriental de ce granite y est figuré comme une faille ; le contact Ouest est figuré comme étant de nature indéterminée. Ce granite est décrit de la manière suivante : « De part et d'autre de la pointe du Grouin, ce massif est composé de plusieurs lames granitiques intercalées dans les gneiss et les migmatites de la bordure orientale du dôme de Saint-Malo. Cette bordure orientale correspond à une importante zone de cisaillement où les formations plus ou moins dilacérées alternent de manière complexe. Les lames de granite présentent une fabrique plano-linéaire, associée à de nombreuses bandes sénestres de type C.S qui indiquent une mise en place synchrone de la déformation de l'encaissant. De bonnes observations sont possibles sur la plage de Port Briac, au Nord de Cancale, où une lame de granite intrusif développe un léger métamorphisme de contact synfolial dans les paragneiss encaissants. Les diverses lames de granites présentent des faciès semblables : ce sont des roches à gros grain, de teinte assez claire, à structure foliée à tendance rubanée ou œillée […]. La texture est généralement granoblastique. Elle devient blastomylonitique dans les bandes de cisaillement où les feldspaths ovoïdes et le quartz globuleux forment des clastes au sein d'une matrice entièrement recristallisée. [ …]. Le caractère alumineux de ces granites suggère qu'ils dérivent d'une source crustale, confirmée par la typologie des zircons. Une datation réalisée sur la lame granitique de Port-Briac a donné une mesure de bonne qualité à 555 ±16 Ma (Pb/Pb sur zircon), interprétée comme l'âge de mise en place (Égal et al., 1996) . »
Sur la notice de la carte de Saint-Malo, ce granite est appelé « granite syntectonique de Cancale ». Cette notice apporte des renseignements complémentaires par rapport à celle de la Baie du Mont Saint-Michel : « sur sa bordure Ouest, le granite de Cancale ne présente pas de passage progressif avec les diatexites mais présente un contact intrusif […]. Plus qu'un massif granitique à part entière, ce granite est formé de différentes lames granitiques d'échelle hectométrique à kilométrique s'injectant le long d'une importante zone de cisaillement, l'accident de Plouer-Cancale. La roche à gros grain et de couleur claire, présente une fabrique plano-linéaire d'autant plus marquée lorsque l'on s'approche de l'accident. De nombreuses bandes de cisaillement de type C.S indiquent que ce granite se met en place pendant la déformation, en contexte cisaillant senestre. »
On peut résumer ainsi ces extraits des notices des cartes géologiques à 1/50 000 de la région. Le granite de Cancale est un granite syntectonique cadomien (555 ± 16 Ma) mis en place au sein et pendant le fonctionnement d'un grand décrochement ductile senestre.
Une invitation à aller voir de près ces contacts Ouest et Est, respectivement à 2300 m et 2600 m au Sud-Sud-Ouest et au Sud de la Pointe du Grouin !
L'étude de la carte de France à 1/1 000 000, des cartes à 1/50 000 et de leurs notices, associée à une sortie sur le terrain serait donc un très bel exercice d'apprentissage de la géologie, avec le va-et-vient entre les observations de terrain et les documents de synthèse (les cartes géologiques).
D'autres observations de terrains vite faites depuis le sentier touristique permettent même de préciser-confirmer ce que disent les cartes géologiques. Une vérification (qui n'a pas pu être faite ce 7 octobre 2021 faute de temps et à cause d'une marée trop haute) permettrait de confirmer (ou infirmer) les conclusions provisoires tirées à distance.
Une visite à la Pointe du Grouin pour y étudier la schistosité d'un granite ne doit pas faire oublier qu'on est en bordure de la Baie du Mont Saint-Michel, site mondialement connu pour son mont, certes, mais aussi pour ses marées exceptionnelles (14 m au maximum, les troisièmes du monde en amplitude, après les 17 m maximum des baies de Fundy et d'Ungava, toutes deux au Canada).
Source - © - Michel Villeneuve sur panoramio |
La notice de la carte géologique à 1/50 000 de la Baie du Mont Saint-Michel fourni plusieurs cartes montrant ces courants de marée. Les figures 22 et 23 montrent deux de ces cartes, carte détaillée et carte plus globale.
Source - © 1999 Notice Baie du Mont Saint-Michel | Source - © 1999 Notice Baie du Mont Saint-Michel |
La Baie du Mont Saint-Michel a déjà fait l'objet d'articles sur Planet-Terre à propos :
- du contexte géologique, Le Mont-Saint-Michel et sa baie, une longue histoire géologique ;
- de la sédimentation, Le Mont-Saint-Michel et sa baie, une histoire sédimentaire entre terre et mer ;
- des marées, Le Mont Saint-Michel et sa baie, au rythme des marées ;
- de ses récifs à hermelles, Les récifs à hermelles de la baie du Mont-Saint-Michel et de l'ile de Ré, exemples de récifs non-coralliens visibles en France métropolitaine.