Image de la semaine | 06/12/2021

Les migmatites et le métamorphisme panafricains (cadomiens) de la région de Saint-Malo (Ille et Vilaine)

06/12/2021

Auteur(s) / Autrice(s) :

  • Pierre Thomas
    Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Publié par :

  • Olivier Dequincey
    ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Gneiss et métasédiments non fondus, et migmatites résultant de leur anatexie légère (métatexites) à très marquée (diatexites).


Gros plan sur un gneiss migmatitique sur la promenade de la Pointe de la Malouine, Dinard, Ille et Vilaine
Figure 1. Gros plan sur un gneiss migmatitique sur la promenade de la Pointe de la Malouine, Dinard, Ille et Vilaine — ouvrir l’image en grand

La “roche mère” pré-migmatitique correspond à un gneiss. Sa structuration initiale (schistosité/foliation) est encore parfaitement visible. Des petites lentilles à composition granitique sont insinuées dans cette foliation. Les migmatites résultant d'une fusion partielle suffisamment faible pour que la structure initiale soit préservée sont appelées « métatexite ». Cette fusion partielle est datée du Protérozoïque supérieur. Ce métamorphisme et cette fusion partielle du Protérozoïque supérieur (600 à 550 Ma) est à rapporter à l'orogenèse panafricaine (localement appelée cadomienne, du nom de la ville de Caen, à ne pas confondre avec l'orogenèse calédonienne).

Localisation par fichier kmz des gneiss migmatitiques de Dinard.

Nous avions vu, il y a un certain temps, ce qu'étaient les migmatites (cf. par exemple, Les migmatites, témoins de la fusion partielle de la croûte continentale et Les migmatites micro-plissées de la Sand River, Afrique du Sud). Les migmatite, du grec μιγμα (migma) signifiant “mélange“, correspondent à un ensemble qui, à l'échelle de l'affleurement et non du petit échantillon isolé, est un mélange de roches de type granite et de gneiss ou micaschistes. Leur genèse est liée à une fusion partielle (= anatexie) de roches de type gneiss ou micaschistes, roches typiques de la croute continentale. Certaines parties de la roche fondent partiellement ; les liquides ainsi formés se rassemblent en “lentilles” qui constituent alors le mobilisat (= leucosome), faites de magma solidifié de composition granitique. Les fractions de la roche initiale qui n'ont pas fondu lors de la fusion partielle,qui sont restées solides mais qui ont “perdu” leur fraction fondue, constituent le restat (ou restite = mélanosome) particulièrement riche en minéraux ferromagnésiens sombres, principalement de la biotite. Certains secteurs locaux de l'affleurement peuvent ne pas avoir subi la moindre fusion partielle et correspondent alors aux gneiss et/ou aux micaschistes initiaux. Les limites entre secteurs non fondus et restites sont souvent très difficiles à faire. Les migmatites où la fusion partielle laisse encore bien voir la structure initiale (comme dans les figures 1 à 3) sont appelées « métatexites ». Les migmatites ou la fusion partielle est plus importante, où du granite a largement envahi la migmatite et où la structuration initiale est très perturbée, voire quasiment effacée sont appelées « diatexites ». Tous les intermédiaires existent. On peut passer en continu d'une diatexite “avancée” à un granite.

En parcourant la côte entre Saint-Malo, Dinard et Sant-Briac-sur-Mer, on peut observer tous les stades de la migmatitisation, de métatexites à peine débutantes à des diatexites “avancées”. Avec les figures 5 à 9, nous verrons un autre secteur de la “promenade” de la Pointe de la Malouine à Dinard. Puis, avec les figures 10 à 14, nous illustrerons un autre secteur de la côte, l'ile de La Dame Jouanne à Saint-Briac-sur-Mer, 6 km à l'Ouest de Dinard, secteur où la fusion partielle est plus poussée (diatexites).

Les migmatites qu'on voit à Dinard datent du Protérozoïque supérieur (600 à 550 Ma), et les évènements hercyniens sont discrets, mais non absents. Toute la série est en effet recoupée par des filons de dolérites (roches hypovolcaniques basiques) âgées de 330 Ma (Carbonifère inférieur).

Filon de dolérite recoupant les migmatites de Dinard (Ille et Vilaine), le long de la promenade de la Pointe de la Malouine
Figure 9. Filon de dolérite recoupant les migmatites de Dinard (Ille et Vilaine), le long de la promenade de la Pointe de la Malouine — ouvrir l’image en grand
Blocs de migmatites utilisés dans les remparts de Saint-Malo
Figure 15. Blocs de migmatites utilisés dans les remparts de Saint-Malo — ouvrir l’image en grand

Localement, les migmatites sont abondamment utilisées pour les constructions, en particulier les remparts de Saint-Malo et des autres forts très fréquents dans la région (il fallait bien se défendre contre « l'Anglois » !).

Les migmatites de Saint-Malo sont limitées au Sud-Est par une faille, qui sépare ces migmatites de gneiss n'ayant pas subi de fusion partielle. Ces gneiss sont des métasédiments et des métavolcanites d'âge briovérien inférieur (le Briovérien est le nom local du Protérozoïque supérieur, qui recouvre les étages “internationaux” de l'Édiacarien et du Cryogénien, entre 670 et 540 Ma). Ce métamorphisme, date, comme la fusion des migmatites de Saint-Malo, de l'orogenèse panafricaine (ou cadomienne, du nom de la ville de Caen). On peut voir ces gneiss non migmatitiques en particulier sur la page de Saint-Suliac.

Le Massif Armoricain est un fragment de la chaine varisque (ou hercynienne), voir La chaine varisque en France, un édifice multi-collisionnel et poly-cyclique / Introduction et les articles de cette synthèse sur l'orogenèse varisque. Les évènements paléozoïques (ouvertures au début du Paléozoïque, puis subductions et collisions jusqu'au Carbonifère) ont presque complètement oblitéré et rendu peu lisible la géologie pré-paléozoïque de la France. Le centre et le Nord du Massif Armoricain sont une exception notable. La tectonique et le métamorphisme varisques ont relativement épargné un “bloc” (le « bloc cadomien ») où les déformations varisques, bien que présentes, y sont suffisamment modérées pour qu'on puisse reconnaitre, étudier et reconstituer ce qu'était l'Armorique pré-varisque. Ce bloc cadomien a été structuré par des subductions et des collisions de blocs par des mouvements néo-protérozoïques, de 750 à 540 Ma. Ces subductions et collisions de blocs (appelés terranes, en anglais) se sont produites en bordure du supercontinent Pannotia (la Pangée pannotienne) qui s'est formé par une série de collisions, collisions regroupées sous le nom d'orogenèse panafricaine. Et ces évènements panafricains (cadomiens) laissent voir une histoire géologique encore plus vieille, en particulier une histoire icartienne (2,2 à 1,8 Ga).

Carte structurale de la France varisque
Figure 24. Carte structurale de la France varisque — ouvrir l’image en grand

Le bloc cadomien relativement peu tectono-métamorphisé par l'orogenèse varisque et où on peut étudier la géologie protérozoïque est figuré en gris bleu et violet.

Cartouche en haut à droite de la carte géologie que la France à 1/1 000 000.

C'est avec des affleurements du type de ceux de Dinard, de l'ile de La Dame Jouanne ou de Saint-Suliac que les géologues ont pu reconstituer l'histoire de l'orogenèse cadomienne en Centre et Nord Armorique. Reconstituer cette histoire n'aurait pas sa place dans cette “image de la semaine”. Cette histoire est résumée dans une figure de la notice de la carte géologique à 1/50 000 de la baie du Mont-Saint-Michel(lien externe - nouvelle fenêtre) (fig. 9, p. 66).

Esquisse de l'histoire géologique régionale entre le début et la fin de l'orogenèse cadomienne
Figure 28. Esquisse de l'histoire géologique régionale entre le début et la fin de l'orogenèse cadomienne — ouvrir l’image en grand

Le cercle rouge sur le quatrième schéma localise le secteur de Dinard / Saint-Suliac.

Source : notice de la carte géologique à 1/50 000 de la baie du Mont-Saint-Michel(lien externe - nouvelle fenêtre) (fig. 9, p. 66), modifiée.

Ces subductions et collisions de petits blocs (terranes) à l'origine de la chaine cadomienne visible en Centre et Nord Armorique se sont produits en bordure du supercontinent Pannotia (la Pangée pannotienne) qui s'est formé par une série de collisions, collisions regroupées sous le nom d'orogenèse panafricaine. Reconstituer la formation de la Pannotia n'a pas sa place dans cet article. Nous ne montrerons ici qu'une reconstitution de cette Pannotia permettant de localiser le bloc cadomien.

Reconstitution (centrée sur le pôle Sud) de la Pangée pannotienne vers 570 Ma
Figure 29. Reconstitution (centrée sur le pôle Sud) de la Pangée pannotienne vers 570 Ma — ouvrir l’image en grand

La chaine dite cadomienne est représentée en noir, et le bloc cadomien armoricain (figuré en rouge) y est approximativement localisé. La coupe de la figure précédente serait entièrement comprise dans ce “bloc rouge”.

Merci à Pierre Jegouzo de la SGMB (Société Géologique et Minéralogique de Bretagne) et de l'Université de Rennes de m'avoir fait découvrir la géologie de la région de Saint-Malo lors d'un weekend passé en Bretagne pour y donner une conférence à l'occasion de la Fête de la Science 2021.