Image de la semaine | 29/06/2020
Les récifs à hermelles de la baie du Mont-Saint-Michel et de l'ile de Ré, exemples de récifs non-coralliens visibles en France métropolitaine
29/06/2020
Résumé
Diversité des récifs et des organismes bio-constructeurs, cas des massifs à hermelles des côtes atlantiques françaises.
Lorsqu'on parle de “récifs”, on pense en général aux récifs coralliens, aux plages de sable blanc et aux eaux turquoises des atolls de la ceinture intertropicale (cf. «Survol en hélicoptère de la Grande Barrière de Corail, Queensland, Australie et Plongée dans les récifs de la Grande Barrière de Corail, Queensland, Australie). Les récifs sont donc souvent associés à :
- des “coraux”, et divers organismes du groupe des Cnidaires, dont le mode de vie fixé suppose la précipitation de carbonate de calcium CaCO3 qui, en s'accumulant, construit l'édifice récifal corallien ;
- une “eau chaude en surface”, puisque les coraux sont symbiotiques d'algues appelées “zooxanthelles“ dont l'activité photosynthétique requiert une exposition à la lumière.
Ces récifs coralliens d'eaux chaudes sont certes les plus abondants sur Terre, mais il existe également :
- des récifs coralliens “d'eau froide”, présents sous toutes les latitudes et pouvant se développer à plusieurs dizaines de mètres de profondeur, en l'absence de lumière, et à faible température (jusqu'à 4°C) (figure 2) ;
- des récifs non-coralliens édifiés par des vers, des éponges, des cyanobactéries… (figure 4).
On s'intéresse aujourd'hui aux récifs dits “à hermelles” visibles dans la baie du Mont-Saint-Michel ainsi que sur de nombreux autres rivages de la Manche et de l'Atlantique, comme sur l'ile de Ré.
Source - © 2009 HeikeM | Source - © 2007 Haplochromis, d'après NOAA |
Source - © 2017 Rodrigo Friscione / Cultura Creative / AFP – Sciences et Avenir, modifié |
Les hermelles (Sabellaria alveolata) sont des Annélides sédentaires et tubicoles. Elles vivent donc dans des tubes muqueux, qu'elles produisent, et sur lesquelles elles agglomèrent des particules de sédiments. Le récif est constitué de la juxtaposition d'un grand nombre de tubes, chaque tube abritant un individu. Les hermelles sont donc des organismes bioconstructeurs. Les individus se nourrissent par “suspensivorie” : à marée haute, les individus se positionnent au sommet du tube et déploient des tentacules buccaux qui leur permettent de filtrer l'eau et de récupérer la matière organique en suspension qu'elle contient (figures 5 à 11).
Source - © 2008 Auguste Le Roux – CC BY 3.0 |
Du point de vue chimique et du mode de construction, les récifs d'hermelles sont donc relativement différents des constructions récifales coralliennes. Celles-ci sont en effet issues de l'accumulation de CaCO3, sécrété par les organismes coloniaux constructeurs, les polypes (figures 12 à 16). On peut comparer des patates à hermelles actuelles à des patates coralliennes actuelles, subactuelles ou quaternaires aux Antilles, en Polynésie…
Source - © 2020 Geoff Kelly / coralsoftheworld.org, modifié |
Les hermelles sont donc des organismes bioconstructeurs. Elles ne s'établissent pas sur un substrat vaseux ou sableux. Leurs larves, d'abord pélagiques, deviennent benthiques et se fixent préférentiellement sur les tubes d'adultes en raison d'un chimiotactisme positif exercé par le ciment de ces tubes. À défaut de colonies déjà présentes, elles se fixent sur diverses surfaces solides (coquilles d'huitres, cailloutis, rochers…), ce qui va former alors la base d'une nouvelle colonie. De plus, en construisant leur tube, elles créent non seulement leur propre habitat, mais un nouvel écosystème. On parle d'espèce “ingénieures” (plus rarement “architectes”) écologiques ou d'organisme “écoconstructeurs”. Le sable ainsi que les débris coquillers s'accumulent entre les tubes. Cela conduit peu à peu à un remplissage des espaces entre les tubes, à la formation d'une “patate” propice au développement d'algues en surface ou à l'installation de bivalves fixés… et, à plus grande échelle, à une modification des conditions hydrodynamiques et sédimentaires locales, conduisant in fine à l'apparition de nouveaux écosystèmes (figure 17 à 20).
Malgré leur rôle majeur, notamment dans la baie du Mont-Saint-Michel, il n'existe pas de mesure de protection des récifs à hermelles généralisée à l'échelle des côtes françaises. Pour la baie du Mont-Saint-Michel, une relative protection existe, et le site hermelles.fr indique qu'« un arrêté municipal mentionne néanmoins que le banc d'Hermelles en baie du Mont-Saint-Michel bénéficie d'un classement en gisement coquillier qui réglemente la pêche à pied et interdit toute forme de dégradation et de destruction des récifs (Article 7 de l'arrêté n° 247 de la D.R.A.M. de Rennes). ».
Dans la baie du Mont-Saint-Michel, le plus grand banc d'hermelles est localisé au Sud, vers Cherrueix (près de 100 hectares tout de même) : il constitue la plus grande bioconstruction européenne. Il existe d'autres bancs, plus facilement accessibles, tel que celui de Saint-Jean-Le-Thomas, à l'Est de la baie.
Source - © 2020 Stanislas Dubois / Ifremer | Source - © 2014 Arnaud Guérin – Lithosphère / Espace des sciences |
Ailleurs en France, les constructions d'hermelles sont visibles sur les littoraux de l'Atlantique et de la Manche. Dans tous les cas, ces bancs ne sont visibles qu'à marée basse, les hermelles vivant dans la zone de balancement des marées.
Quelques références.
Site Les formations récifales à Sabellaria alveolata, consulté le 22/06/2020
C. Rollet, D. Matherion, N. Desroy, P. Le Mao, 2015. Suivi de l'état de conservation des récifs d'hermelles (Sabellaria alveolata), Ifremer/ODE/LITTORAL/LER/BN-15-008, 58p
Page Les biohermes à Hermelles, exemples de constructions récifales – Massif de Carolles (Sud-Manche), Lithothèque de l'Académie de Caen, consultée le 22/06/2020