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Image de la semaine | 20/01/2020

Le Far-West américain ? Non, les Bardenas Reales, des badlands au pied des Pyrénées, en Navarre espagnole

20/01/2020

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Érosion de type badlands dans le bassin argilo-gréseux miocène de l'Èbre : cuestas, buttes témoins et mini-canyons en paysage semi-désertique.


Figures d'érosion dans des argiles miocènes (−20 à −10 Ma) dans les Bardenas Reales, au pied méridional des Pyrénées en Navarre espagnole

Figure 1. Figures d'érosion dans des argiles miocènes (−20 à −10 Ma) dans les Bardenas Reales, au pied méridional des Pyrénées en Navarre espagnole

Ce type d'érosion et cette morphologie sont classiquement appelés badlands. Les rares bancs gréseux interstratifiés dans les argiles, plus résistant à l'érosion, sont en saillie et coiffent parfois une quasi-cheminée de fée.


Nous venons de voir, en France (cf. Les Pénitents des Mées (Alpes de Haute Provence) : des figures d'érosion étonnantes mais classiques dans les conglomérats indurés) ou en Espagne (cf. Érosion et sédimentation syntectoniques oligo-miocènes : l'exemple des Mallos de Riglos sur le versant Sud des Pyrénées, Aragon, Espagne) à quoi ressemblent, classiquement, les morphologies engendrées par l'érosion dans les conglomérats indurés. Cette morphologie est très différente de ce qu'on trouve dans les carbonates (cf., par exemple, Un très bel exemple d'érosion karstique ruiniforme dans des calcaires dolomitiques : le cirque de Mourèze (Hérault)), dans les granites (cf. Altération, érosion en boule et chaos granitiques : Devils Marbles Conservation Reserve, Australie). La morphologie assez caractéristique des argiles (et des marnes argileuses) se nomme badlands, du nom qu'ont donné les pionniers américains dans leur progression vers l'Ouest à une région du Dakota du Sud où ce type de morphologie est très fréquente. Cette morphologie n'existe pas qu'aux États-Unis ou dans les pays semi-désertiques. On le trouve en France, cf., par exemple, Le ravin de Corbœuf (commune de Rosières, Haute Loire) : un bel exemple de badlands auvergnats, et aussi en Espagne, au pied des Pyrénées, en Navarre. Dans les Bardenas Reales, cette érosion cisèle des escarpements de type cuesta, et aussi les flancs de buttes témoins épargnées par l'érosion à grande échelle.

Nous vous montrons 22 photographies caractéristiques de ce type d'érosion dans la région des Bardenas Reales. Puis nous vous montreront quelques autres aspects de la géologie de cette région qui mérite une visite, qui n'est qu'à 100 km de la frontière française, et qui est couverte par la carte géologique de France au 1/1 000 000.

Vue d'ensemble de cuestas ciselées par ce type d'érosion en badlands, Bardenas Reales, Navarre espagnole

Figure 4. Vue d'ensemble de cuestas ciselées par ce type d'érosion en badlands, Bardenas Reales, Navarre espagnole

On peut voir des couches d'agiles de différentes couleurs (plus ou moins riches en divers hydroxydes ferriques) et des couches de grès plus résistantes à l'érosion.


Une cuesta montrant une érosion de type badlands, Bardenas Reales, Navarre espagnole

Figure 5. Une cuesta montrant une érosion de type badlands, Bardenas Reales, Navarre espagnole

On peut voir des couches d'agiles de différentes couleurs (plus ou moins riches en divers hydroxydes ferriques) et des couches de grès plus résistantes à l'érosion.


Vue d'ensemble d'une cuesta ciselée par ce type d'érosion en badlands, Bardenas Reales, Navarre espagnole

Figure 6. Vue d'ensemble d'une cuesta ciselée par ce type d'érosion en badlands, Bardenas Reales, Navarre espagnole

On peut voir des couches d'agiles de différentes couleurs (plus ou moins riches en divers hydroxydes ferriques) et des couches de grès plus résistantes à l'érosion.


Vue de détail sur une cuesta ciselée par ce type d'érosion en badlands, Bardenas Reales, Navarre espagnole

Figure 7. Vue de détail sur une cuesta ciselée par ce type d'érosion en badlands, Bardenas Reales, Navarre espagnole

On peut voir des couches d'agiles de différentes couleurs (plus ou moins riches en divers hydroxydes ferriques) et des couches de grès plus résistantes à l'érosion.

Un cycliste donne l'échelle.


Vue sur la limite Nord des Bardenas Reales, limite qui a signification de cuesta

Figure 8. Vue sur la limite Nord des Bardenas Reales, limite qui a signification de cuesta

Au fond, le Mont Perdu (Monte Perdido en espagnol, 3355 m) et la chaine des Pyrénées encore enneigés en ce mois de juin 2018.


Vue d'ensemble sur la limite Nord des Bardenas Reales, limite qui a signification de cuesta

Figure 9. Vue d'ensemble sur la limite Nord des Bardenas Reales, limite qui a signification de cuesta

Au fond, le Mont Perdu (Monte Perdido en espagnol, 3355 m) et la chaine des Pyrénées encore enneigés en ce mois de juin 2018.


Figure 10. Une butte témoin au sein des Bardenas Reales, au pied méridional des Pyrénées en Navarre espagnole

Cette butte est constituée de couches argileuses de couleurs différentes et d'une couche de grès très résistante à l'érosion à mi-hauteur. Au fond, la cuesta limitant les Bardenas Reales.


Buttes témoins isolées au centre des Bardenas Reales, Navarre espagnole

Figure 11. Buttes témoins isolées au centre des Bardenas Reales, Navarre espagnole

Certaines de ces buttes sont encore chapeautées par une couche de grès résistant ; d'autres l'ont perdu. Au fond, les Pyrénées.


Butte témoin isolée au centre des Bardenas Reales, Navarre espagnole

Figure 12. Butte témoin isolée au centre des Bardenas Reales, Navarre espagnole

Certaines de ces buttes sont encore chapeautées par une couche de grès résistant ; d'autres l'ont perdu.


Butte témoin isolée au centre des Bardenas Reales, Navarre espagnole

Figure 13. Butte témoin isolée au centre des Bardenas Reales, Navarre espagnole

Certaines de ces buttes sont encore chapeautées par une couche de grès résistant ; d'autres l'ont perdu.


Butte témoin isolée au centre des Bardenas Reales, Navarre espagnole

Figure 14. Butte témoin isolée au centre des Bardenas Reales, Navarre espagnole

Certaines de ces buttes sont encore chapeautées par une couche de grès résistant ; d'autres l'ont perdu.


Butte témoin isolée au centre des Bardenas Reales, Navarre espagnole

Figure 15. Butte témoin isolée au centre des Bardenas Reales, Navarre espagnole

Certaines de ces buttes sont encore chapeautées par une couche de grès résistant ; d'autres l'ont perdu.


Blocs de grès éboulés au pied d'une butte témoin, Bardenas Reales, Navarre espagnole

Figure 16. Blocs de grès éboulés au pied d'une butte témoin, Bardenas Reales, Navarre espagnole

L'érosion est tellement plus importante dans les argiles que dans les grès que les couches résistantes se retrouvent en surplomb et finissent par s'ébouler au pied de la pente où cela peut former des chaos.


Les Bardenas Reales sont un lieu assez touristique et, comme très souvent en Espagne (beaucoup plus qu'en France), la géologie est expliquée sur des panneaux. On peut résumer ce que disent ces panneaux.

Durant le Cénozoïque, le rapprochement Europe-Ibérie a engendré les chaines pyrénéenne, ibérique et catalane. La surrection de ces chaines a isolé un grand bassin fermé (sans débouché vers la mer) à la place de ce qui est actuellement la vallée de l'Èbre. Ce bassin fermé était occupé par des lacs et des marécages. Les rivières issues de ces montagnes entrainaient dans ce bassin galets, sables et argiles. Les galets se déposaient au pied des montagnes, sables et argiles arrivaient dans la zone centrale. Quatre mille mètres de sédiments se sont ainsi déposés de l'Éocène supérieur au Miocène. Les couches de sable se sont cimentées et sont devenues grès. Ce bassin s'est ouvert sur la mer Méditerranée il y a 10 Ma (Miocène supérieur) et les lacs se sont “vidés” dans cette Méditerranée. Dans le bassin asséché, l'érosion a commencé et continue son travail en donnant aux Bardenas Reales son visage actuel, en grande partie dû à l'érosion différentielle entre argiles et grès.


Les panneaux (du moins ceux que j'ai vus) n'expliquent que les grandes lignes de l'histoire géologique de la région. Un œil averti de professeur de SVT ne manquera pas de remarquer, au gré de son parcours, d'autres aspects géologiques, par exemple des stratifications obliques, des niveaux de gypse, des déformations…

Deux buttes témoins des Bardenas Reales, Navarre espagnole

Figure 24. Deux buttes témoins des Bardenas Reales, Navarre espagnole

Les deux photos suivantes sont des zooms sur le sommet de la butte de droite.


Détail sur le sommet de la butte de droite de la figure ci-dessus

Figure 25. Détail sur le sommet de la butte de droite de la figure ci-dessus

La couche de grès située une dizaine de mètres sous le sommet et dominant la falaise (dans l'ombre) à gauche du sommet montre des stratifications obliques (cf., par exemple, Stratifications obliques dans les grès du Cuisien de La Caunette, Hérault). On peut donc, en observant certaines couches de grès, savoir si les niveaux de sable étaient alimentés par les Pyrénées, la chaine ibérique ou la chaine catalane. Sur cette butte, les niveaux de sable étaient alimentés par un courant venu de la gauche.


Détail sur le sommet de la butte de droite de la figure ci-dessus

Figure 26. Détail sur le sommet de la butte de droite de la figure ci-dessus

La couche de grès située une dizaine de mètres sous le sommet et dominant la falaise (dans l'ombre) à gauche du sommet montre des stratifications obliques (cf., par exemple, Stratifications obliques dans les grès du Cuisien de La Caunette, Hérault). On peut donc, en observant certaines couches de grès, savoir si les niveaux de sable étaient alimentés par les Pyrénées, la chaine ibérique ou la chaine catalane. Sur cette butte, les niveaux de sable étaient alimentés par un courant venu de la gauche.


Détail de couches argileuses montrant des alternances d'argiles jaunâtres ou rougeâtres, Bardenas Reales

Figure 27. Détail de couches argileuses montrant des alternances d'argiles jaunâtres ou rougeâtres, Bardenas Reales

Certains niveaux rougeâtres minces et à limites nettes ne correspondent pas à des argiles, mais à des plaquettes de gypse [Ca(SO4), 2(H2O)]. Ces niveaux de gypse sont détaillés dans les deux figures suivantes. Ce gypse indique qu'au cours de la sédimentation remplissant ce lac, l'évaporation avait, parfois, suffisamment augmenté la concentration des eaux lacustres en sels (en particulier en sulfates) pour qu'ils précipitent. L'origine de ce gypse est sans doute à rechercher dans le lessivage au Miocène des terrains du Trias supérieur, abondant en particulier dans les Pyrénées (cf. Exploitation du sel de sources salées sortant d'un diapir de Trias dans les montagnes basques et Le gypse triasique de Bidart, Pyrénées Atlantiques).




À la base de la série des Bardenas Reales, on peut voir des plis assez serrés, recouverts par des couches apparemment non déformées. La présence de ces plis affectant le Miocène (ou l'Oligocène terminal) dans une région globalement tabulaire pose question. La carte géologique de France au 1/1 000 000 (et son équivalent espagnol) indique des chevauchements internes au bassin de l'Èbre, chevauchements impliquant le Miocène. Ces plis peuvent être une manifestation locale d'une déformation syn-miocène, recouverte en discordance par du Miocène plus tardif. Il est également possible que ces plis soient une manifestation de slumping synsédimentaire (cf., par exemple, Les flyschs du Crétacé-Tertiaire du Pays Basque : slumps et méga-slumps, turbidites et méga-turbidites...). Il est enfin possible qu'il y ait eu une translation d'ensemble (origine tectonique, gravitaire… ?) des couches supérieures qui auraient glissé sur des couches inférieures beaucoup plus déformables. Une étude régionale devra être entreprise pour trancher entre toutes ces origines possibles, car une rapide visite touristique ne permet pas de trancher.

Secteur inférieur des Bardenas Reales où l'on voit des déformations (plis) affectant les couches inférieures

Figure 30. Secteur inférieur des Bardenas Reales où l'on voit des déformations (plis) affectant les couches inférieures

Des cavités troglodytiques ont été creusées dans les premiers niveaux non déforrmés.


Secteur inférieur des Bardenas Reales où l'on voit des déformations (plis) affectant les couches inférieures

Figure 31. Secteur inférieur des Bardenas Reales où l'on voit des déformations (plis) affectant les couches inférieures

Des cavités troglodytiques ont été creusées dans les premiers niveaux non déforrmés.


Localisation des Bardenas Reales sur fond de carte géologique de la France

Figure 32. Localisation des Bardenas Reales sur fond de carte géologique de la France

En haut, agrandissement de la carte géologique de France au 1/1 000 000 montrant le secteur des Bardenas Reales (croix rouge). On voit un chevauchement affectant du Miocène (flèche rouge) à 35 km plus au Nord-Ouest. Les plis des figures 30 et 31 sont peut-être contemporains de ce chevauchement.

En bas, localisation des Bardenas Reales (punaise rouge) au centre du bassin oligo-miocène de l'Èbre. La punaise verte localise les Mallos de Riglos (cf. Érosion et sédimentation syntectoniques oligo-miocènes : l'exemple des Mallos de Riglos sur le versant Sud des Pyrénées, Aragon, Espagne) sur la bordure Nord de ce bassin.

Localisation par fichier kmz des Bardenas Reales et rappel de la localisation des Mallos de Riglos.