Article | 04/04/2008
Obsidienne / bordure figée : une obsidienne n'est pas une lave refroidie rapidement
04/04/2008
Résumé
Verres volcaniques : obsidiennes acides et bordures figées basiques, deux mécanismes différents de vitrification.
Table des matières
Les obsidiennes sont très souvent interprétées comme des laves ayant subi un refroidissement très rapide et sont alors comparées aux bordures figées des dykes ou des laves en coussin. Si la structure vitreuse est le point commun entre les bordures figées basiques et les obsidiennes acides, les causes et l'ampleur de cette structure sont totalement différentes. Et surtout, les obsidiennes ne sont pas des coulées refroidies rapidement !
Laves basiques et bordures figées : refroidissement rapide d'une lave... à sa marge
Les laves basiques sont peu visqueuses (viscosité ~102- 103 Pa.s) et chaudes (jusqu'à 1200°C). Cette faible viscosité s'explique par un faible degré de polymérisation dû à la composition chimique (voir ci-après) : ceci facilite la diffusion des éléments chimiques nécessaire à la croissance des minéraux. C'est la raison pour laquelle la présence de phases cristallisées est de règle dans les laves basiques, ce qui n'exclut pas, en plus, la présence de verre interstitiel dans la pâte. Une structure vitreuse ne peut apparaître que localement lors d'un phénomène de trempe : refroidissement très rapide de la bordure du corps magmatique au contact avec un milieu "froid", roche encaissante ou eau (le seul contact avec l'air étant insuffisant du fait de sa faible capacité calorifique). Cela donne une bordure figée.
La trempe due au contact avec un encaissant s'observe par exemple sur des filons de basalte (dykes) et plus rarement à la base de coulées. Le phénomène de trempe reste limité à une bordure de quelques millimètres à quelques centimètres au plus.
La trempe d'une coulée basique au contact de l'eau forme souvent un débit en coussins (pillow lavas) dont seul le cortex est vitreux. Ces pillow lavas se forment communément lors d'une éruption sous-marine (ride océanique par exemple) ou bien lorsqu'une coulée aérienne progresse jusqu'à un lac ou jusqu'à la mer. Là aussi la structure vitreuse ne dépasse pas quelques millimètres à quelques centimètres d'épaisseur.
Laves acides et obsidiennes : phénomène de masse
Les laves acides sont très visqueuses (viscosité jusqu'à 1012 Pa.s) et moins chaudes que les laves basiques (700-900°C). Leur chimie induit une forte polymérisation de la lave et donc une forte viscosité qui limite la diffusion des éléments et donc la cristallisation (germination + croissance des minéraux). Ces laves peuvent ne pas cristalliser du tout, on obtient alors des obsidiennes. Dans ce cas, c'est bien l'ensemble du filon ou de la coulée qui est vitreux et pas seulement la bordure.
Des filons d'obsidienne sont aussi observables et peuvent être comparés aux filons basaltiques précédents (à noter cependant qu'ils sont beaucoup plus rares que les filons basaltiques).
Inutile d'aller chercher des fossiles dans la couche noire ci-après, ce n'est pas du charbon potentiellement fossilifère mais de l'obsidienne ! La structure y est totalement vitreuse non pas sur 1 cm d'épaisseur près des bordures, mais bien dans la masse du filon épais de plus de 2 m.
Cependant, l'obsidienne est bien plus fréquemment en coulées qu'en filon. Ce sont alors des coulées assez courtes, mais très épaisses, ce qui caractérise bien une lave très visqueuse.
Parmi les coulées d'obsidiennes les plus connues, figurent celles de Lipari, des Canaries et les coulées islandaises telles la coulée du Laugahraun à Landmannalaugar, mise en place en 1477. Cette dernière coulée, dont l'épaisseur varie de 20 à 40 m, est essentiellement vitreuse.
À Landmannalaugar, la coulée est trop récente (1477) pour que l'érosion en ait dégagé le cœur. Mais d'autres coulées plus anciennes, érodées, permettent de voir ce cœur.
Les obsidiennes ont aussi laissé leur nom à des falaises du parc de Yellowstone (Wyoming, États-Unis) : Obsidian Cliff. Il s'agit d'une coulée prismée de rhyolite âgée de 180 000 ans dont on peut voir la structure interne du fait de l'érosion. Malgré une épaisseur de plusieurs dizaines de mètres, et un refroidissement du cœur forcément assez lent, le cœur de la coulée est en obsidienne.
Source - © 2001 SR Brantley / US Geological Survey | Source - © 1976 William S. Keller / National Park Service |
Contrôle chimique de la viscosité et de la cristallisation
À la différence des verres basaltiques (vitrification d'une bordure de quelques millimètres à quelques centimètres suite à un phénomène de trempe), les obsidiennes sont vitreuses dans la masse, parfois sur plusieurs (dizaine de) mètres. Dans le cas des obsidiennes l'état vitreux ne peut donc pas résulter d'un refroidissement rapide, mais signifie que la cristallisation (c'est-à-dire la germination et la croissance cristalline) a été inhibée.
Pourquoi cette inhibition ? C'est la composition chimique du liquide silicaté qui en contrôle la structure et la viscosité. Un liquide magmatique (et un verre) est partiellement organisé en unités structurales plus ou moins distordues, formées de tétraèdres "SiO4" plus ou moins polymérisés. Fondamentalement, plus le degré de polymérisation d'un liquide silicaté est fort, plus la viscosité de ce liquide est élevée, et plus la diffusion nécessaire à la cristallisation est freinée, voire inhibée. Or, le degré de polymérisation est dépendant de la composition chimique : on distingue deux types de cations qui interviennent dans la structuration du liquide silicaté :
- les cations dits "formateurs de réseau" (notamment Si, B...) qui renforcent la polymérisation (et donc la viscosité) ;
- les cations dits "modificateurs de réseau" (Na, K, Ca, Fe, Mg...) qui cassent les liaisons entre les polyèdres du réseau provoquant une dépolymérisation de ce dernier (ils transforment alors les oxygènes pontants, qui lient deux éléments formateurs de réseau, en oxygènes non-pontants).
Il apparaît donc que les alcalins (Na et K) n'inhibent pas la cristallisation, au contraire, ils auraient plutôt tendance à la favoriser, tous les autres paramètres étant égaux par ailleurs. On peut noter qu'ils ont un rôle antagoniste à celui du silicium (Si), mais dans les magmas acides (à la fois riches en silicium et en alcalins) c'est le silicium qui prime.
La possibilité pour un magma de se refroidir en verre dans la masse dépend donc, en première approximation, de la balance entre cations formateurs et cations modificateurs de réseau. C'est pour cela que dans la nature :
- les basaltes ne sont jamais vitreux dans la masse : liquide pauvre en Si (cation formateur de réseau) et riche en Fe, Mg (cations modificateurs de réseau) donc peu polymérisé, diffusion facile, cristallisation aisée sauf en cas de trempe (toujours localisée à la marge où la viscosité augmente rapidement du fait de la baisse rapide de température lors de la mise en place) ;
- l'essentiel des obsidiennes (ou ponces) ont une composition rhyolitique (70-75% de SiO2, magmas les plus riches en Si, cation formateur de réseau), tandis que les obsidiennes phonolitiques (~60% de SiO2, magmas moins riches en Si mais plus riches en alcalins, modificateurs de réseau) sont plus rares (mais elles existent, par exemple à Tenerife).On trouve aussi quelques obsidiennes trachytiques et dacitiques, autres laves riches en silice.
Si cette première approximation est valable (notamment pour opposer les verres acides aux verres basiques), elle n'explique cependant pas tout. L'eau (sous forme H2O ou OH-) a aussi un effet dépolymérisant et abaisse significativement la viscosité, ce qui favorise la cristallisation. Plusieurs études ont aussi montré que la teneur en certains éléments traces (terres rares et autres) peut favoriser la dépolymérisation, ou la polymérisation (cela dépend des éléments, donc de l'histoire du magma). Tout ceci complique un peu les choses : toutes les rhyolites ne sont pas des obsidiennes (sans parler de la dévitrification qui peut intervenir ultérieurement, mais il s'agit là d'une autre question...).
En résumé
La vitrification des laves basiques ne touche que la frange externe de certaines coulées et filons, en réponse à un phénomène extérieur de trempe (refroidissement rapide entraînant une hausse rapide de la viscosité qui inhibe la diffusion et la cristallisation dans la bordure figée) dépendant des conditions de mise en place.
Fondamentalement : la capacité de vitrification d'un magma dans sa masse dépend de son degré de polymérisation contrôlé par la chimie du magma.
Dans les faits : une obsidienne découle toujours d'un magma acide, même si tous les magmas acides ne donnent pas forcément des obsidiennes.