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Image de la semaine | 11/04/2022

Le terrain de boules (cancha de bochas) du Parc provincial d'Ischigualasto, Argentine

11/04/2022

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Concrétions gréseuses formées dans des sables argileux triasiques et libérées par l'érosion.


Un terrain de boules (cancha de bochas) du Parc provincial d'Ischigualasto, Argentine

Figure 1. Un terrain de boules (cancha de bochas) du Parc provincial d'Ischigualasto, Argentine

Ce parc naturel argentin est connu pour ses paysages, ses fossiles de plantes et de reptiles triasiques, mais aussi pour ce qui est nommé « terrain de boules » (cancha de bochas). Il s'agit de concrétions gréseuses bien consolidées, à ciment riche en hydroxydes ferriques et de couleur brune, souvent sphériques (mais pas toutes), de taille pluri-décimétrique à métrique, contenues dans des sables argileux ou des grès tendres, et que l'érosion dégage. L'érosion éolienne ou celles des rares (mais violentes) pluies dans ce secteur des pampas du pied des Andes laissent ces boules sur place. La gravité le long des pentes, ou les écoulements d'eau lors des pluies peut parfois concentrer ces boules sur de vastes surfaces, d'où le nom de « terrain de boules » donné à ces sites assez remarquables.

Localisation par fichier kmz de l'un des terrains de boules (cancha de bochas) du parc d'Ischigualasto, Argentine.


Autre vue du même secteur de terrain de boules (cancha de bochas) du parc d'Ischigualasto (Argentine)

Figure 2. Autre vue du même secteur de terrain de boules (cancha de bochas) du parc d'Ischigualasto (Argentine)

Des personnes donnent l'échelle, on se rend alors compte de la taille de ces boules.


Le Parc provincial d'Ischigualasto (Argentine) est connu pour ses paysages, ses fossiles de plantes et de reptiles triasiques, mais aussi pour ce qui est nommé « terrain de boules » (cancha de bochas). Il s'agit de concrétions gréseuses bien consolidées, à ciment riche en hydroxyde ferrique et de couleur brune, souvent sphériques (mais pas toutes), de taille pluri-décimétrique à métrique, contenues dans des sables argileux ou des grès tendres, et que l'érosion dégage.

Les grès résultent de la consolidation de sables (plus ou moins argileux), sables datant du Trias. Cette consolidation se fait par dépôt-cristallisation d'un ciment entre les grains de sable, dépôt par des eaux interstitielles circulantes. Ce ciment peut être siliceux (cas le plus fréquent), mais aussi calcaire (cf. Les calcites de Bellecroix, fruits des variations climatiques pléistocènes), ferrugineux (cf. Étudier la sédimentation et l'érosion des grès en se promenant dans Strasbourg)… Dans le cas d'un ciment ferrugineux, la couleur du grès varie de rose à brun suivant le degré d'hydratation des oxydes ferriques (Fe3+), de sa teneur en manganèse… La grésification par les fluides circulants peut être générale et affecter telle ou telle couche de sable sur des centaines de kilomètres carrés (cf., par exemple Monument Valley : grès et argiles, diaclases, érosion, mésas et buttes témoins, anciens volcans… ou Le Parc national de Canyonlands, la vallée de Betatakin… : reculées et mini-canyons du plateau du Colorado (USA)) ou à l'opposé être très localisée. Dans ce cas, les zones grésifiées ont parfois des formes étranges révélées par l'érosion (cf. Grésification quaternaire dans des sables calcaires, désert des Pinacles (Australie) ou Les gogottes des Sables de Fontainebleau et d'ailleurs, de rares beautés naturelles qui ont séduit le Roi Soleil). Parfois aussi, la grésification part d'un « germe de nucléation » et croît de façon centrifuge, ce qui génère des sphères de grès bien consolidé au sein de sable ou de grès peu consolidé. Ces sphères sont parfois “parfaites”, cf. par exemple Les boules gréseuses (paramoudras) de l'Éocène du Jaizkibel (Pays basque espagnol) ou Les plus belles boules de France : les sphères de grès de Saint-André-de-Rosans, Hautes Alpes. Des circulations d'eaux ferrugineuses et des variations du degré d'oxydation du fer peut encore compliquer la situation, le Fe2+ étant en général soluble et pouvant facilement migrer, alors que le Fe3+ est insoluble, cf. par exemple Les déplacements du fer dans les grès Navajo, plateau du Colorado (États-Unis d'Amérique). Le(s) mécanisme(s) détaillé(s) de cette grésification non généralisée, la genèse de telle ou telle forme, la plus grande richesse du ciment en silice, fer… sont encore sujets de débats scientifiques.

Dans ce secteur (assez sec) des pampas du pied des Andes, l'érosion éolienne ou celle des rares (mais violentes) pluies laissent ces boules sur place. La gravité dans le cas où on est au pied d'une pente, ou les écoulements lors des pluies peut parfois concentrer ces boules sur de vastes surfaces, d'où le nom de « terrain de boules » (cancha de bochas) donné à ces sites assez remarquables.

Sans entrer dans le détail des mécanismes de cette grésification, sur la cause de la très fréquente morphologie sphérique des concrétions, sur la cause de leur taille assez standard, sur la cause de la concentration de ces boules en hydroxydes ferriques alors que la couleur de l'encaissant semble indiquer un encaissant pauvre en fer… nous allons faire du « tourisme géologique » en regardant les morphologies de ces boules, leur structure interne, leurs relations mutuelles, leurs relations avec l'encaissant… La synthèse de toutes ces observations individuelles permettra à chacun de se faire une (petite) idée de leur(s) mécanisme(s) de formation. Et ne pas tout comprendre n'empêche pas d'admirer la nature !


Boules de grès d'un terrain de boules (cancha de bochas) du parc d'Ischigualasto, Argentine

Figure 4. Boules de grès d'un terrain de boules (cancha de bochas) du parc d'Ischigualasto, Argentine

On peut voir des boules accolées (en bas à gauche), des boules fracturée selon un plan “équatorial” (fracturation probable sur l'ancienne stratification)…


Vue détaillée sur quelques boules de grès

Vue détaillée sur quelques boules de grès

Figure 6. Vue détaillée sur quelques boules de grès

On peut noter qu'il y a des sphères parfaitement lisses, des sphères laissant voir l'ancienne stratification des sables, des sphères à la surface fracturée, un peu comme si cette surface “argileuse” s'était desséchée (?)…




Vue éloignée (les personnages donnent l'échelle) sur une boule dont la surface est très irrégulière, parc d'Ischigualasto (Argentine)

Figure 9. Vue éloignée (les personnages donnent l'échelle) sur une boule dont la surface est très irrégulière, parc d'Ischigualasto (Argentine)

Serait-ce le résultat d'interférences entre une stratification (plans parallèles), une éventuelle structuration concentrique qui se serait faite pendant la croissance du concrétionnement (cf. figures 16 et 17), une altération en “pelures d'oignon” et une dessiccation superficielle ?


Vue rapprochée de la boule de la figure précédente dont la surface est très irrégulière, parc d'Ischigualasto (Argentine)

Figure 10. Vue rapprochée de la boule de la figure précédente dont la surface est très irrégulière, parc d'Ischigualasto (Argentine)

Serait-ce le résultat d'interférences entre une stratification (plans parallèles), une éventuelle structuration concentrique qui se serait faite pendant la croissance du concrétionnement (cf. figures 16 et 17), une altération en “pelures d'oignon” et une dessiccation superficielle ?


Les boules gréseuses d'Ischigualasto ne sont pas toujours sphériques

Figure 11. Les boules gréseuses d'Ischigualasto ne sont pas toujours sphériques

Des irrégularités lors de la grésification ?



Vue sur une concrétion à morphologie et surface complexe, terrain de boules (cancha de bochas) du Parc provincial d'Ischigualasto (Argentine)

Figure 13. Vue sur une concrétion à morphologie et surface complexe, terrain de boules (cancha de bochas) du Parc provincial d'Ischigualasto (Argentine)

Les figures 14 et 15, ci-dessous, montrent un gros plan du grès constituant cette “boule”.


Vue sur le grès constituant la boule de la figure ci-dessus


Vue sur un terrain de boules dont l'une des boules est double et fracturée, parc d'Ischigualasto (Argentine)

Figure 16. Vue sur un terrain de boules dont l'une des boules est double et fracturée, parc d'Ischigualasto (Argentine)

Cette fracturation permet de voir l'intérieur de ces sphères, qui montre une structure concentrique nette. La périphérie de la partie gauche est brune (Fe3+) alors que son cœur est verdâtre (Fe2+ ?). Cela montre que des variations du degré d'oxydation du fer entre en jeu lors de la formation de ces concrétions. À droite une boule parfaitement sphérique où l'on voit bien les traces de l'ancienne stratification.


Gros plan sur la concrétion fracturée de la figure précédente

Figure 17. Gros plan sur la concrétion fracturée de la figure précédente

Outre la zonation verte-brune (Fe2+ - Fe3+) de la demi-concrétion de gauche, on devine une structure concentrique dans la demie concrétion de droite. Cela suggère que la cimentation du grès obéit à une croissance centrifuge, ou centripète, du ciment liant les grains de sable.


Zone où les boules doubles sont nombreuses

Figure 18. Zone où les boules doubles sont nombreuses

Ces boules sont sans doute dues à la croissance centrifuge de deux zones de concrétionnement voisines qui se sont rejointes. À droite, une concrétion fracturée dont on voit l'intérieur permet de retrouver la structuration interne visible sur la figure précédente.


Autre zone à boules multiples


Paysage caractéristique du parc d'Ischigualasto avec un banc de grès mis en saillie par l'érosion surmontant des sables moins indurés

Figure 21. Paysage caractéristique du parc d'Ischigualasto avec un banc de grès mis en saillie par l'érosion surmontant des sables moins indurés

Des masses concrétionnées brunes sont contenues dans ce banc de grès, dont une “boule”.


Grésification irrégulière par un ciment brun (riche en oxy-hydroxydes ferriques) indurant irrégulièrement des sables


Zoom (photographié perpendiculairement à la photo précédente) sur la boule parfaitement sphérique encore enchâssée dans du grès peu consolidé et partiellement dégagée par l'érosion

Figure 24. Zoom (photographié perpendiculairement à la photo précédente) sur la boule parfaitement sphérique encore enchâssée dans du grès peu consolidé et partiellement dégagée par l'érosion

Les strates internes à cette concrétion se voient très bien. À droite elles sont quasi horizontales et se poursuivent (horizontalement) dans le grès sableux blanc. À gauche, elles sont inclinées et cette inclinaison se devine dans le grès sableux blanc à gauche. Des stratifications sigmoïdes obliques piégées par la cimentation ferrugineuse.


L'érosion peut dégager ces boules et autres concrétions non sphériques des grès sableux peu consolidés où elles ont pris naissance

Figure 25. L'érosion peut dégager ces boules et autres concrétions non sphériques des grès sableux peu consolidés où elles ont pris naissance

Les boules sont entrainées vers le bas des pentes par la gravité et le ruissellement des eaux de pluie et forment des “accumulations” de boules.



Boules enchâssée dans les sables gréseux, en accumulation, partiellement dégagée par l'érosion et presque dégagée ce qui forme une “cheminée de fée”, parc d'Ischigualasto (Argentine)

Vue aérienne du terrain de boules (cancha de bochas) du Parc provincial d'Ischigualasto, Argentine au sein d'une zone semi-aride de la pampa, au pied des Andes

Figure 28. Vue aérienne du terrain de boules (cancha de bochas) du Parc provincial d'Ischigualasto, Argentine au sein d'une zone semi-aride de la pampa, au pied des Andes

La formation grise-verdâtre contenant ces boules date du Trias supérieur. La formation des boules est donc synchrone ou postérieure au Trias supérieur.


Localisation du Parc provincial d'Ischigualasto, Argentine