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Image de la semaine | 04/04/2022

Badlands, thérapsides… Aperçu des principales curiosités géologiques du parc d'Ischigualasto, Argentine

04/04/2022

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Figures d'érosion dans des badlands, milieux de sédimentation oxydés ou réduits, lignite, végétaux fossiles, et thérapsides triasiques.



Le Parc provincial d'Ischigualasto est très prisé des touristes aimant la nature et les SVT. Outre des animaux et végétaux caractéristiques des milieux semi-arides de moyenne altitude (autour de 1300 m), le géologue peut y voir de superbes figures d'érosion et des fossiles (animaux et végétaux) du Trias supérieur (Carnien et Norien, −235 à −208 Ma). C'est la formation dite d'Ischigualasto, à dominante argileuse, qui constitue la majorité de la surface du parc. Cette formation est constituée d'alternances de niveaux rouges ou jaunes (déposées en milieu oxydant) ou gris-verdâtres (déposées en milieu non oxydant). La formation d'Ischigualasto est surmontée par la formation dite Los Colorados, beaucoup plus rouge et à dominante gréseuse. Ces deux formations sont formées de sédiments continentaux : dépôts lacustres, dépôts fluviatiles gréseux et/ou argileux, dépôts de plaines d'inondation, paléosols… L'érosion a façonné la morphologie de cette région, avec des badlands dans les niveaux à dominante argileuse, des falaises dans les niveaux à dominante gréseuse, et des figures d'érosion aux formes étranges dans les zones où coexistent grès et argiles. Nous allons voir quelques aspects de ces morphologies (figures 2 à 8), des niveaux ligniteux et des fossiles végétaux (figures 11 à 17) et des fossiles de thérapsides (figures 18 à 26). Beaucoup d'autres fossiles variés, dont de nombreux dinosaures triasiques (le Trias marque l'apparition des dinosaures), ont été trouvés dans ce Parc provincial d'Ischigualasto qui a été inscrit au Patrimoine mondial de l'UNESO en novembre 2000.

Badlands du Parc provincial d'Ischigualasto (Argentine), vus depuis le site/belvédère nommé Valle Pintado (la Vallée Peinte)

Figure 2. Badlands du Parc provincial d'Ischigualasto (Argentine), vus depuis le site/belvédère nommé Valle Pintado (la Vallée Peinte)

On voit la morphologie assez caractéristique de l'érosion dans des argiles (et des marnes argileuses), qui se nomme badlands, du nom qu'ont donné les pionniers Nord-américains dans leur progression vers l'Ouest à une région du Dakota du Sud (cf. Le Parc national des Badlands, Dakota du Sud, USA) où ce type de morphologie est très fréquente. Cette morphologie n'existe pas qu'aux États-Unis ou dans les pays semi-désertiques. Si on veut voir des badlands tout en ayant un bilan carbone pas trop mauvais, on peut en voir en France (cf. par exemple Le ravin de Corbœuf (commune de Rosières, Haute Loire) : un bel exemple de badlands auvergnats mais il y en a d'autres), en Espagne, au pied des Pyrénées, en Navarre (cf. Le Far-West américain ? Non, les Bardenas Reales, des badlands au pied des Pyrénées, en Navarre espagnole)… Ces badlands de la Valle Pintado sont “creusés” dans la formation d'Ischigualasto.




Dans les photographies qui précèdent, la majorité de la colonne lithologique était argileuse, avec très peu de niveau gréseux. Les niveaux gréseux sont plus résistants à l'érosion, qui les met en relief, ce qui forme des petites falaises, des abris sous roches, des figures aux formes étranges… Ce que montrent les figures 5 à 8, toujours dans la formation d'Ischigualasto.




Résultat de l'érosion dans des niveaux à dominante gréseuse, Parc provincial d'Ischigualasto (Argentine)

Figure 8. Résultat de l'érosion dans des niveaux à dominante gréseuse, Parc provincial d'Ischigualasto (Argentine)

Ce rocher est surnommé « el Submarino » (le sous-marin). On trouve aussi d'autres formes étranges, dont « le sphinx »… Au fond, la falaise rouge, qui a la signification d'une cuesta, correspond à la formation Los Colorados (voir figure suivante) qui surmonte la formation d'Ischigualasto (au premier plan).


Zoom sur la formation Los Colorados, à dominante rouge, avec au premier plan la formation d'Ischigualasto, de couleur dominante verdâtre, Parc provincial d'Ischigualasto (Argentine)

Figure 9. Zoom sur la formation Los Colorados, à dominante rouge, avec au premier plan la formation d'Ischigualasto, de couleur dominante verdâtre, Parc provincial d'Ischigualasto (Argentine)

Au Trias, l'atmosphère était voisine de l'atmosphère actuelle (teneur en O2 ≈ 20 %), et il est “normal” que des sables et argiles érodés sur un continent, transportés par des fleuves et déposés dans une plaine alluviale soit oxydés et contiennent du Fe3+ (fer ferrique, de couleur rouge). Les sédiments verdâtres (sans Fe3+, et avec peut-être du Fe2+) ont dû se déposer dans un milieu relativement anoxique car sans doute riche en matière organique.


Vue aérienne du Parc provincial d'Ischigualasto, Argentine

Figure 10. Vue aérienne du Parc provincial d'Ischigualasto, Argentine

À droite, la formation Los Colorados (déposée en milieu oxydant) qui forme une cuesta, dominant la formation d'Ischigualasto (au centre), déposée (majoritairement) en milieu réducteur.


Certaines zones du Parc provincial d'Ischigualasto sont aménagées pour la visite, avec des chemins voire des passerelles pour canaliser les visiteurs. Près de l'entrée du parc (au Sud), l'une de ces zones aménagées montre plusieurs affleurements exposant des grès surmontant des argiles ligniteuses et même des lits de lignite “pur”. La présence de cette abondante matière organique est compatible (voire explique) le caractère réduit de nombreux niveaux de la formation d'Ischigualasto. C'est au voisinage de ces niveaux ligniteux qu'on peut voir des fossiles de végétaux.

Affleurement caractéristique de la zone où l'on voit des grès (jaunes à rosés) surmontant des argiles à niveaux plus réduits grisâtres à verdâtres

Figure 11. Affleurement caractéristique de la zone où l'on voit des grès (jaunes à rosés) surmontant des argiles à niveaux plus réduits grisâtres à verdâtres

C'est dans un affleurement de ce type qu'un sentier aménagé permet de voir les lignites et les fossiles de végétaux des images suivantes.


Passerelle aménagée permettant de s'approcher de niveaux argilo-ligniteux surmontés de grès, Parc provincial d'Ischigualasto, Argentine

Figure 12. Passerelle aménagée permettant de s'approcher de niveaux argilo-ligniteux surmontés de grès, Parc provincial d'Ischigualasto, Argentine

Les niveaux de lignites, en bas de la coupe, sont ici cachés par la barrière. C'est dans ces niveaux argilo-ligniteux grisâtres qu'on trouve des fossiles de feuilles triasiques.


Détail de la colonne  stratigraphique juste derrière la barrière de l'image précédente, Parc provincial d'Ischigualasto, Argentine

Figure 13. Détail de la colonne  stratigraphique juste derrière la barrière de l'image précédente, Parc provincial d'Ischigualasto, Argentine

La moitié supérieure de la série est constituée de grès, la moitié inférieure d'argiles plus ou moins riches en matière organique. Près du bas de la série, un niveau noir est constitué de lignite presque entièrement constitué de matière organique.



Soixante-quinze centimètres au-dessus du niveau de lignite (en bas de la coupe), un banc plus gréseux est en saillie, Parc provincial d'Ischigualasto (Argentine)

Figure 15. Soixante-quinze centimètres au-dessus du niveau de lignite (en bas de la coupe), un banc plus gréseux est en saillie, Parc provincial d'Ischigualasto (Argentine)

C'est à la base de ce niveau gréseux, au niveau de la flèche rouge, qu'ont été prises les deux photos suivantes, où l'on voit bien des feuilles fossiles.


Vue sur la base du banc de grès signalé par une flèche sur la photo ci-dessus

Figure 16. Vue sur la base du banc de grès signalé par une flèche sur la photo ci-dessus

Des traces végétales, dont des feuilles type « feuille de fougère » sont parfaitement reconnaissables.


Zoom sur la base du banc de grès signalé par une flèche sur la photo ci-dessus

Figure 17. Zoom sur la base du banc de grès signalé par une flèche sur la photo ci-dessus

Des traces végétales, dont des feuilles type « feuille de fougère » sont parfaitement reconnaissables.


En plus des belvédères, sentiers et passerelles, les autorités gestionnaires du parc ont installé des “musées de site” où un fossile remarquable est protégé, au moins pendant son dégagement. Ce type de musée est une structure mobile qui peut rester sur place si ces autorités décident de laisser le fossile dans “son” milieu pour que les visiteurs puissent voir à quoi correspond un fossile de “reptile” in situ, ou au contraire déplacé, si la conservation du fossile exige son déplacement dans un musée “fixe et en dur”. En 2019, le musée de site Dr William Sill semblait installé pour longtemps. Le dôme / la coupole de ce musée protège un thérapside quasiment complet, et on peut voir depuis la passerelle qui y mène un os isolé pris dans sa gangue argileuse. Rappelons que les thérapsides étaient appelés « reptiles mammaliens » il y a quelques dizaines d'années. Les thérapsides font partie des synapsides. La définition des synapsides est basée sur la présence et la position d'une seule fosse temporale (comme les mammifères), ce qui permet de les distinguer des diapsides (deux fosses temporales, reptiles et oiseaux actuels) et des anapsides (pas de fosse temporale). Les mammifères sont des thérapsides et donc des synapsides ; ce sont les seuls synapsides encore vivants de nos jours (cf. figure 28). Les thérapsides du Trias peuvent être considérés comme les “cousins” des ancêtres des mammifères, à l'exception “du” thérapside qui a donné les mammifères. Bien que présents dans les livres pour enfants traitant des dinosaures, les thérapsides ne sont pas des dinosaures. Des précisions sur cette classification changeante des tétrapodes amniotes peuvent être trouvées sur les pages Synapsides et Thérapsides de Wikipédia.

Vue sur la passerelle et sur le dôme du musée de site Dr Willianm Sill, Parc provincial d'Ischigualasto (Argentine)

Figure 18. Vue sur la passerelle et sur le dôme du musée de site Dr Willianm Sill, Parc provincial d'Ischigualasto (Argentine)

Les photos 19 à 22 ont été prises depuis ce chemin juste avant d'arriver au dôme / à la coupole. Les photos 23 à 26 ont été prises à l'intérieur.



Zoom large sur un fragment osseux isolé au sein des argiles

Figure 20. Zoom large sur un fragment osseux isolé au sein des argiles

Les fossiles de gros animaux ne sont pas toujours spectaculaires !


Zoom plus rapproché sur un fragment osseux isolé au sein des argiles

Figure 21. Zoom plus rapproché sur un fragment osseux isolé au sein des argiles

Les fossiles de gros animaux ne sont pas toujours spectaculaires !


Zoom, pris aux abords immédiats du dôme du “musée de site”, sur un fragment osseux isolé au sein des argiles, Parc provincial d'Ischigualasto (Argentine)

Vue de l'intérieur du dôme du musée de site où l'on voit un exceptionnel fossile de thérapside quasiment complet en cours de dégagement, Parc provincial d'Ischigualasto (Argentine)




Squelette complet d'Ischigualastia jenseni, dans un musée japonais

Figure 27. Squelette complet d'Ischigualastia jenseni, dans un musée japonais

En bas à gauche, reconstitution de l'animal vivant avec un personnage donnant l'échelle.


Arbre phylogénétique hyper-simplifié des vertébrés tétrapodes amniotes

Figure 28. Arbre phylogénétique hyper-simplifié des vertébrés tétrapodes amniotes

Les rhynchocéphales ne sont pas représentés, et les deux origines possibles des chéloniens sont proposées. Cette représentation montre que les mammifères sont des thérapsides, qui sont eux-mêmes des synapsides. L'âge de la formation d'Ischigualasto est représenté par la ligne pointillé rouge. L'astérisque rouge correspondrait à Ischigualastia jenseni, cousin de l'ancêtre des mammifères.



Localisation du Parc provincial d'Ischigualasto en Argentine