Image de la semaine | 17/02/2020
Les falaises du Parc national de Talampaya (province de La Rioja, Argentine), résultat de l'interaction entre altération et érosion éolienne ?
17/02/2020
Résumé
Giga-cannelures hémicylindriques dans des grès fins homogènes. Stratifications entrecroisées, perméabilité, cimentation, et pétroglyphes sur patine du désert.
Quand un amateur de la nature visite le Nord-Ouest de l'Argentine, le Parc national de Talampaya est un incontournable. Ce parc est connu pour sa faune et sa flore, pour ses gravures et autres pétroglyphes amérindiens, pour ses fossiles du Trias, et pour ses paysages assez extraordinaires, paysages dus à une érosion particulière dans une couche de grès datant du Trias inférieur. Ce parc est situé à une altitude moyenne de 1300 m, sur le rebord oriental de la Cordillères des Andes. La région est séparée du Pacifique par la haute chaine andine (sommets de 5000 à 6000 m), mais aussi séparée des plaines des Pampas par un autre chainon culminant à plus de 2500 m. Ainsi protégé des vents venant du Pacifique ou de l'Atlantique, et situé par 30° de latitude Sud (pas très loin du tropique Sud), ce parc est très sec avec un climat semi-désertique. Il n'y a que quelques pluies torrentielles l'été. Les vents sont très forts au printemps. Les cours d'eau (rio en espagnol) sont en général à sec, sauf pendant les rares orages d'été. Le régime des pluies pouvait y être bien différent lors de périodes plus froides et humides, comme lors de la dernière glaciation. Un de ces rios, le rio Talampaya, coule (les rares moments où il y a de l'eau) dans un canyon sans doute en partie creusé lors de périodes plus humides (la dernière glaciation ?). Il entaille sur une hauteur de 100 à 150 m des grès fluviatiles de couleur rose-orangée (riche en oxyde de fer III) et datant de l'Olénékien (−251 à −247 Ma), le dernier étage du Trias inférieur. Ces grès peuvent être très homogènes sur plus de 100 m d'épaisseur. Les parois de ce canyon sont “sculptées” par des “cheminées” en forme de demi-cylindres isodiamétriques, giga-cannelures pouvant faire 5 m de diamètre pour 100 m de hauteur. Ces parois ainsi découpées par ces demi-cylindres ont un côté esthétique certain, renforcé par la couleur des grès. On peut ainsi admirer Los Reyes Magos (les Rois mages), La Catedral (la Cathédrale)… Les parois de grès telles qu'on peut en voir par exemple sur le plateau du Colorado (cf., par exemple, Monument Valley : grès et argiles, diaclases, érosion, mésas et buttes témoins, anciens volcans…) n'ont pas cette morphologie, qui doit être due à une (ou des) particularité(s) géologique(s) et/ou climatique(s) locale(s). Dans les photos suivantes, on va suivre le canyon d'amont en aval (du NE au SO) sur toute sa longueur (3 km) en regardant 20 photographies. Puis nous essaierons de synthétiser toutes les observations en proposant une explication plausible telle qu'on peut le faire après seulement 2 heures de visite rapide, où on ne regardait pas que de la géologie. Cette visite a été faite en hiver, saison sèche.
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Il nous faut maintenant imaginer un scénario vraisemblable expliquant toutes les observations faites sur place (et sur photographies après le retour de vacances) et non incompatibles avec d'autres observations. Quand j'ai découvert ces cannelures au détour d'un virage du canyon, j'ai tout de suite pensé à des « marmites de géants » (cf., par exemple, Les marmites de géant de la cascade du Sautadet, La Roque-sur-Cèze, Gard ou Les marmites de géant de Bourke le chanceux (Bourke's Luck Potholes), canyon de la Blyde River, Afrique du Sud). Mais des marmites de géants de 100 m de profondeur, de même diamètre sur toute la hauteur, quasiment jamais de cannelure s'arrêtant à flanc de falaise, aucune cannelure “presque fermée”. Tout cela était incompatible avec l'hypothèse “marmite”. Les dépressions fermées, souvent alignées sur une strate particulière, font penser à des taffonis (cf, Les taffonis du Cap de Creus (Espagne), de la côte de Namibie et de l'île d'Elbe) alignés le long de strates particulières (cf. figures 10 et 11 de Quand l'érosion alvéolaire fabrique des taffonis géants et emboîtés, et fête la Saint Valentin, Uluru (Australie)). Le vent empruntant le canyon et tourbillonnant le long des parois pourrait-il engendrer ces cannelures aussi régulières et homogènes ? La figure 12 montre que seul un certain type de grès, très homogène, contient ces cannelures. À part la cannelure des figures 19 et 20, les cannelures ont une section en arc de cercle, et non en V comme elles le seraient si elles avaient été creusées par un ruissellement d'eau courante. En général, l'érosion (que ce soit par l'eau ou le vent) est d'autant plus importante que la roche est “érodable” (évidente banalité). Mais une roche peut être érodable soit parce qu'elle est intrinsèquement moins résistante (par exemple un grès mal cimenté), soit parce qu'elle est plus altérée. Les dépressions alignées sur une strate pourraient être dues à une couche de grès moins cimentée, mais aussi à une couche de grès plus perméable, drainant les rares eaux d'infiltration pendant la saison humide et altérant ces couches perméables. Les cannelures de deuxième ordre et “prenant leur source” le long de strates particulièrement évidées renforcent cette hypothèse. De l'eau circulant dans des couches perméables les altère et les rend érodables par le vent. L'eau suintant de ces couches au niveaux des falaises ruisselle vers le bas, favorise la croissance de bactéries (des cyanobactéries en particulier) qui maintiennent l'humidité un certain temps, et tout ça forme des bandes verticales altérables, transformées en cannelures par l'érosion éolienne. Les cannelures de premier ordre seraient dues à la même cause, les cannelures débutant à la base de grès différents et plus perméables. Cette morphologie particulière serait donc due à la conjonction (1) de la présence d'un grès très homogène formant des falaises, (2) de lignes de suintement, à la limite supérieure de la couche de grès homogène ou interne à cette couche, (3) de l'altération de la roche le long de trainées à la verticale de suintement, (4) de l'érosion par le vent de ces bandes verticales altérées, ce qui commence à former des cannelures peu profondes, (5) de la préservation de l'humidité au fond des cannelures dont les parois deviennent de plus en plus altérées et érodables par le vent, et (6) de l'amplification des tourbillons de vent par la morphologie en cannelure, ce qui en augmente l'érosion. Une fois le phénomène amorcé, il ne peut que s'auto-catalyser. Cette hypothèse, fruit d'une visite de vacance, est-elle vraisemblable ? Si quelques spécialistes de l'érosion ont des précisions, des hypothèses alternatives à proposer, elles seront les bienvenues.
Mais quels que soient les doutes quant à l'origine de cette morphologie, cela n'empêche pas de l'admirer.
A côté de ces magnifiques paysages, le Parc national de Talampaya montre des objets aux frontières de la géologie et de l'histoire : des gravures (appelées pétroglyphes, ce qui signifie littéralement gravure de la roche), faites par des Homo sapiens avant l'Histoire sensu stricto. L'art rupestre n'est pas exclusif du Sud de la France. Nous vous montrons 4 photographies de ces pétroglyphes de Talampaya.
Il n'y a pas que les grès et les pétroglyphes qui méritent l'intérêt d'un SVTiste en vacance en Argentine. Il y a aussi la nature biologique, avec des animaux et des végétaux inhabituels pour un Européen. Nous vous montrons à titre d'exemple deux photographies de nandou. Les nandous sont des oiseaux coureurs d'Amérique du Sud, voisins des autruches (famille des Rheidae). Deux espèces de nandou vivent sur ce continent : le nandou américain (Rhea americana, 1,40 m de hauteur), et le nandou de Darwin (Rhea pennata, moins d'1 m de hauteur).